Edito


Cet intitulé, « Serviteurs de l’Eglise-mission », reprend celui de la journée de prière pour les vocations proposé par Benoît XVI pour l’année 2008. « Serviteurs » est au pluriel, « Eglise et mission » sont conjoints. Dans ce numéro, l’accent est mis plutôt sur les collaborations entre les charismes – laïcs, religieux, prêtres et évêques – manifestement inscrites dans le rapport insécable entre baptême et Annonce. Amis lecteurs, nous vous offrons un parcours qui, à partir des Pères de l’Eglise, vous conduira aux temps qui sont les nôtres, avec des articles de fond en dialogue qui croisent de nombreuses disciplines. Parmi les théologiens qui participent à cette réflexion, un ecclésiologue de l’université de Laval ; il nous conduit « de l‘autre côté du miroir », nous livrant un point de vue québécois sur la mission issue de France. Des clarisses témoignent du sens de leur mission vécue en Algérie et du travail qu’elles accomplissent depuis leur retour en France. Viennent ensuite des partages de pratiques illustrant certains des thèmes traités en première partie.

Les auteurs réunis dans ce numéro ont, chacun à leur manière, enrichi le motif de la mission, fondée sur le donné de la Foi et des Ecritures, pour penser le présent et l’avenir du service de l’Annonce. En prélude à ce recueil d’articles, quelques mots pour évaluer – à grands traits – la pertinence du « concept » de mission en contexte vétérotestamentaire et pour montrer en quoi les constructions de l’Ancien Testament qui visent à élaborer un discours, toujours en tension, du séparé et du proche, préparent la mission chrétienne – et fondent une véritable théologie de la co-vocation d’Israël et de l’Eglise – jusqu’à ce qu’Il vienne.
A la lecture de la Bible, on perçoit un grand mouvement, dynamique et inscrit dans l’histoire qui tend vers l’annonce du salut même si les mises en œuvre de « l’Annonce » peuvent paraître, au premier abord, assez contrastées.
Israël est choisi à la fois pour être Serviteur de la Parole et Peuple témoin ; il vit sur la Terre de la Promesse ou au milieu des Nations, selon des fortunes souvent fort diverses. Il doit, en toutes circonstances, veiller à rester pur, « séparé », pour le service de Dieu ; il est « témoin » parce que « pur », et pur tant qu’il vit de la lettre et de l’Esprit de la Torah. L’élection a pour but et pour sens le service de Dieu, signifié par le service du pauvre en Israël, fût-il étranger ; ce service est renouvellement, réactualisation vivante de l’Alliance.
L’histoire d’Israël n’est pas l’histoire d’un peuple coupé des autres, Dieu lui-même se charge de le lui rappeler. Dieu Créateur est miséricordieux pour toutes ses créatures ; c’est Abraham, issu des nations, qui reçoit la promesse de la bénédiction étendue à toutes les nations, après l’épisode douloureux de Babel. Toute l’histoire d’Israël développe le motif de l’engagement de Dieu vis-à-vis des nations, dans une tension dialectique entre le jugement et la grâce, pour Israël comme pour les nations. Deux lectures se complètent : le Dieu fidèle s’est révélé à Israël, c’est donc là seulement qu’on peut le connaître, mais à cause de sa fidélité à sa Création, Il est le Dieu de toutes les créatures.
Au gré des vicissitudes de l’histoire, l’espérance d’Israël prend des accents variés tout en tenant une ligne de fond qui, elle, ne change pas ; soit les nations vont à Israël, montent ensemble adorer à Jérusalem, soit selon l’apocalyptique juive (1) – née en des circonstances hostiles à Israël – les nations, devenues vassales du peuple choisi, s’inclinent devant lui. Il faut retenir le point commun de cette alternative : les nations vont à Israël et Israël ne va pas aux nations. Israël est là, témoin vivant de l’Alliance. La mission comme annonce aux nations n’est pas demandée à Israël ; elle relève de la volonté de Dieu, seul capable par une action eschatologique d’« acter » la mission.

L’acte par lequel cette mission est mise en œuvre est l’incarnation du Fils. Cette entrée du salut dans le monde vient de Dieu, mais passe par la matrice – corporelle et culturelle – du peuple choisi pour être témoin et serviteur de la Parole de Vie. Dans les Evangiles, la mission du Fils est manifestement « englobante » – ne va-t-elle pas des purs aux impurs ? Cependant, la tension que suscite cet « aller aux nations » n’est pas gommée.
La place de la Loi va être occupée par la personne de Jésus, la croix et la résurrection. Communier au Christ, c’est tenir que l’avènement du Royaume est premier par rapport à la Loi, et que tout est désormais ordonné à cette attente eschatologique, dans cette tension du « déjà là et du pas encore ». « Le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile (2). » Alors seulement, en Matthieu, vient le récit de l’appel des quatre premiers disciples. Le schème qui est proposé comporte trois temps, qui en réalité se juxtaposent, entraînant un mouvement éminemment dynamique : conversion et appel pour le service de l’annonce par des individus aux aptitudes plutôt disparates. Des personnes aux charismes variés pour l’annonce à des êtres différents, issus des nations ; la différence des charismes serait-elle vue comme un des critères de « faisabilité » de la conversion des nations ? Cette différence même est comme enveloppée, subvertie, par un critère supérieur : l’adhésion au Christ.
Pour clore ce petit excursus, il nous semble que la mission épouse les méandres du voyage du chrétien sur la terre, à l’horizon de sa vie en Dieu. Chacun est missionnaire là où il est, avec tous les risques que cela comporte dans une société où l’exigence d’adéquation entre les actes et les paroles est très grande, en particulier vis-à-vis de ceux qui revendiquent une appartenance confessionnelle. Aussi se déclarer chrétien est une grande responsabilité. Revêtir le Christ n’est pas rien ! N’est-ce pas revêtir l’amour le plus pur ? Ordinairement, quand des personnes s’aiment, même si cet attachement les rend souvent meilleurs, cet amour reste pour une large part à « usage domestique ». Revêtir le Christ, dans la radicalité la plus grande et l’humilité la plus profonde, conduit de très nombreux chrétiens par la force de l’Esprit, à un mouvement exactement inverse ; ils désirent partager avec d’autres ce « je ne sais quoi » de Celui qui change leur regard sur le monde. Ils sont alors serviteurs et amis (3) de la mission du Christ, sous la motion de l’Esprit, où qu’ils soient.


(1) Nous avons rassemblé ici quelques citations, non exclusives, qui illustrent ces thématiques : Is 2, 5 ; 18, 7 ; 19, 23 ; 19, 25 ; 25, 6-8 ; 40, 5 ; 42, 6 ; 45, 22 ; 49, 6 ; 51, 5 ; Ps 96, 9.
Relevons que de nombreux théologiens chrétiens considèrent que l’apocalyptique juive marque la fin d’une intelligence dynamique de l’histoire ; notre approche est bien trop succincte pour entrer dans une analyse plus fine des assertions en faveur ou en défaveur d’une telle hypothèse, comme pour nous pencher sur le point de vue juif.
(2) Mc 1, 14 s ; Mt 4, 17.
(3) Jn 15, 14-17.

Bibliographie
• David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne, éd. Haho-Karthala-Labor et Fides, 1995.
• Francesco Rossi de Gasperis, Cominciando da Gerusalemme. La sorgente della fede et dell’esistenza cristiana, éd. Piemme, 1994.
• Maurice Pivot, Un nouveau souffle pour la mission, Ed. de l’Atelier, 2000.
• J.-Y. Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, coll. « Quadrige », PUF, 2002.