Edito


Parler de « communication positive » en société, entraîne curieusement les réactions les moins diverses qui soient. Les regards s’animent et les voix rajeunissent. Chacun est prêt à entrer dans la danse des propositions et des suggestions. L’unité se fait immédiatement. Toute personne un peu perspicace ne peut que s’interroger et désirer aller au-delà de ce bel accord pour en vérifier les fondements, voire les illusions. Notre fil rouge : questionner la pertinence du concept de « communication positive », à l’horizon des vocations pour l’Annonce, en distinguant les différents niveaux de communication.

Il est utile de tenir à l’esprit que savoir, informer, connaître ne sont pas synonymes, même s’ils se recoupent souvent dans le langage courant. Le développement massif des médias tend à la confusion entre ces différents plans, et cela sans la moindre « innocence ». Un des fondements de cette perversion du sens ? Une dérive du concept d’intelligibilité qui nourrit l’inintelligibilité. Nombreux sont désormais les individus qui ressentent comme une humiliation profonde d’être affrontés à… un mot nouveau, à une forme savante ! Être affronté au « ne pas connaître » est ressenti comme une vexation. L’information se minimalise sur la forme et sur le fond ; « on fait court », les liens et les articulations de la pensée sont déplacés vers des lieux peu accessibles au commun des mortels. Cette relégation a un effet pernicieux ; plus la masse d’informations déversée augmente et moins la capacité d’analyse du sujet est mobilisée ; ainsi, en proportion, peu de savoirs sont partagés et évalués en profondeur. Il nous est désormais possible d’être informés et ignorants. Plus encore, l’accumulation des informations reçues nous rend ignorants de notre ignorance… Ne pas comprendre les implications profondes d’une information par carence culturelle, telle est désormais une des nombreuses offres des supports traditionnels (presse, télévision, radio, etc.) et du multimédia. Certes, il arrive encore que du « culturel » soit proposé sur l’un ou l’autre support de communication, mais pour combien de temps ou, pour dire les choses autrement, pour combien d’argent ?
Savoir, temps, argent, voici la nouvelle trilogie infernale ; on peut pronostiquer, sans trop de risques, le nom du vainqueur à venir. En revanche information et argent semblent voués à une cohabitation plus heureuse. Communiquer sur une offre est l’option la plus largement ouverte. Ainsi un autre grand pan de la communication, au sens traditionnel, reste tout à fait opérationnel, celui de la propagande qui n’est pas sans liens avec la publicité. Il s’agit de dire du bien d’un homme, d’une idéologie, d’un produit. Tout doit tendre à ce que l‘information donnée donne envie de les suivre, de répandre leurs idées, d’acquérir la chose vantée. On parlera volontiers de communication « positive », de « biendisance ». Les membres de tel ou tel mouvement, les amis de tel ou tel personnage, politique, religieux ou autre, ne s’exprimeront qu’en montrant des visages heureux et de manière unifiée ; s’ils sont mieux formés, « coachés », ils iront jusqu’à travailler de petites « imperfections » dans leur communication pour que l’ensemble donne l’illusion de la vérité. Jamais ne seront montrées ou suggérées les zones d’ombres, tout sera lissé ; seule la quête du bonheur de celui auquel le message s’adresse sera au centre de la communication. La manipulation et le mensonge sont les maîtres mots de ces techniques. Le sens critique du sujet est obéré, favorisant l’indifférenciation ou le fanatisme.
Voilà tout ce que des chrétiens ne devraient pas faire s’ils souhaitent être dignes du message dont ils sont porteurs ! Mais, paradoxalement, voilà aussi ce qu’ils doivent faire, pour une large part, mais en situant cette tâche à un tout autre niveau et en l’ordonnant à un tout autre Bien, celui du Fils, vivant, éternellement.

Mais alors comment la communauté chrétienne peut-elle mettre en œuvre une communication « juste », « vraie » et dont la clef du succès tiendrait justement dans ces deux mots, chemins de salut ? Poser la question de cette manière demande que soient revisitées non seulement une multitude de pratiques, mais aussi la question de la langue et de la vérité qu’elle doit véhiculer si on souhaite qu’elle soit pertinente voire performative. Les limites de l’exercice ne nous permettent pas d’épuiser le sujet, cependant, nous sommes frappés par la demande croissante, depuis quelques temps, de témoignages. Rien à voir avec les récits convenus, pieusards, du passé, souvent réécrits par des censeurs pleins de bonnes intentions ! Le vrai est désormais aligné plutôt sur ce qui est vécu et transmis comme tel. À nous de travailler à nous montrer tels que nous sommes, chrétiens, imparfaits mais emplis d’Amour pour Lui ! Une mère Teresa, mais avec ses qualités et ses défauts, fait plus pour l’annonce de la Bonne Nouvelle que toutes les autorités et les intelligences du monde. Si nous n’avons pas peur d’être en vérité, nous ne ferons pas peur au monde. Que notre parole soit habitée par le Christ plutôt que par de pitoyables stratégies !
Il est difficile à certains de ne pas céder aux sirènes des apparences, de la visibilité, au risque d’inverser les priorités et de manquer la cible. Il s’agit avant tout de laisser entrevoir Celui qui se manifeste dans « la brise légère »… si légère. Comment donner à voir subtilités, silences, et emportements d’amour ? Comment montrer tous ces hommes et toutes ses femmes qui n’ont pas pu ne pas s’avancer vers le Christ et qui pourtant demeurent avec leurs frères ? Leurs joies, leurs doutes, leurs fragilités sont les meilleurs témoignages qui soient. Ce ne sont pas des surhommes, mais des amoureux. Certains sont doux, d’autres bourrus, certains sont séduisants, d’autres ternes. Ces piètres marins s’embarquent pour de magnifiques traversées ; tempêtes et soleils éclatants, avec le Christ pour boussole. Leurs différences et leurs faiblesses signent que la force qu’ils reçoivent de s’engager, pour le Christ et pour les hommes, est fruit de pure grâce.

Dans ce numéro, parmi les articles de réflexion, signalons une intervention sur la bénédiction de J-F Baudoz. Bene dicere, bien parler, parole de bénédiction et non pas de mort et de mensonge, fondement de la parole du chrétien qui prend la route. La contribution d’A-M Saunal, regarde le pardon, indiciel d’humanité ; le par-don participe à la qualité de la communication ; ensemble, ils informent le rapport à soi, à l’autre, et au monde.
Vous lirez des partages de pratiques proposés par des directeurs de la communication de plusieurs diocèses de France. La majorité d’entre eux sont en exercice. Ils ont eu carte blanche pour dire leurs joies et leurs peines, leurs désirs, voire leurs rêves en matière de communication diocésaine, au plan communautaire, comme au plan extra-communautaire. Vous remarquerez, avec plaisir, que certains d’entre eux se sont pris au jeu. Il n’était pas possible de passer sous silence l’événement Prêtres-Academy. Éric Poinsot raconte cette aventure et la sociologue Céline Béraud procède à son analyse.
Dans la section contributions, l’historien A. Faivre fait, pour notre plus grand plaisir, une analyse critique de la série L’Apocalypse et E. Durand nous invite à laisser Dieu grandir et convertir notre désir.

Bonne lecture !