Individu, sujet et communauté


Jean-Marie Donegani
professeur à l’Institut d’études politiques
chargé d’enseignement à l’Université catholique de Paris

 

On peut penser la formation et le rôle du prêtre aujourd’hui comme témoignage d’un contre-modèle s’opposant en tous points à ce que nos sociétés présentent comme idéal de la réussite personnelle. L’homme commun est mû par la quête de la liberté, le prêtre se présente comme obéissant ; l’homme commun s’est affranchi des contraintes qui pesaient sur la vie sexuelle, le prêtre s’engage au célibat ; l’homme commun cherche l’aisance matérielle, le prêtre accepte la pauvreté ; l’homme commun n’est tendu que vers l’avenir, le prêtre se fait témoin d’un passé qui l’oblige ; l’homme commun est un individu, le prêtre est membre d’un corps… Tout, dans ce cadre de pensée donnerait donc la figure du prêtre pour une sorte de réaction intransigeante, et d’ailleurs en voie de disparition, à l’humanité présente et aux valeurs qui l’animent. Cette vision du prêtre prend sa source dans une conception de l’Église comme contre-société, surplombant le monde, le jugeant et lui présentant une alternative radicale. Or cette voie n’est pas la plus féconde pour penser la place du christianisme dans notre aujourd’hui. Elle a d’ailleurs été explicitement condamnée par la Lettre aux catholiques de France qui affirme qu’il n’est pas question pour l’Église de se poser en extériorité au monde actuel et de proclamer l’Évangile comme un contre-projet culturel et social. Il lui faut au contraire habiter ce monde comme le sien et proposer la Bonne Nouvelle dont elle procède comme une puissance de renouvellement qui appelle tout être humain à une remontée aux sources de la vie.
On doit donc s’en tenir au présupposé que ce monde n’est pas moins propice à l’annonce de la foi chrétienne que tous ceux qui l’ont précédé et chercher à le comprendre afin de saisir ce qui fait signe aujourd’hui vers une pertinence renouvelée de la proposition chrétienne. Dans le cadre limité de cet article, je voudrais simplement partir de traits de notre culture donnés souvent pour des plus négatifs – l’individualisme et le subjectivisme – et examiner s’ils peuvent être conciliables avec le souci de l’évangélisation et la figure du prêtre.


Individualisme et identité



L’individualisme est sans doute le trait principal de la situation culturelle contemporaine. Mais il faut encore s’entendre sur le sens qu’il revêt.
Lorsque l’on parle d’individualisme, il s’agit par là de signifier que tout ce qui doit guider la recherche du bien commun, tout ce qui doit guider la collectivité dans la définition du bien commun, c’est au bout du compte ce qui est bon pour les individus. L’individualisme n’implique donc nullement le repli sur soi, le solipsisme* mais indique une exigence qui s’impose aux gouvernants, aux gestionnaires de la culture, aux institutions, aux Églises et à tous les collectifs d’avoir le souci de rapporter les propositions de sens au bien des individus eux-mêmes.
Cet impératif individualiste modifie évidemment le rapport aux traditions puisque leur valeur dépend essentiellement de l’apport qu’elles peuvent présenter pour les individus dans leur quête de sens : elles sont un stock de significations dans lequel ceux-ci peuvent venir puiser pour eux-mêmes et non pas un système d’emprise qui dicterait des conduites. Dans cette vie marquée par la séparation des sphères d’activités et de savoirs et où l’unification de la vie revient à l’individu, les traditions présentent cet intérêt d’offrir des ressources symboliques destinées d’abord à permettre cette unification.
On est aujourd’hui dans une forme d’existence sociétaire et non plus communautaire, dans une logique d’identité et non plus d’appartenance. La communauté est une forme de regroupement qui implique des assignations de statut et des prescriptions de comportements associés à ces statuts qui se donnent pour pérennes. La société se présente au contraire comme un ensemble de collectifs multiples et éphémères auxquels on s’identifie de manière toujours révisable. Les traditions ont une place dans notre culture contemporaine, mais c’est une place qui est d’abord marquée par la structure sociétaire et la culture individualiste : c’est la tradition qui est au service de l’individu et de la formation de son identité alors que dans la structure communautaire et la culture holiste*, c’est l’individu qui était au service de sa tradition. C’est donc bien sûr un autre rapport aux traditions, mais ce n’est pas la disparition de leur pertinence.

On parle beaucoup autour de nous, et surtout dans nos milieux, de crise des identités et de fragilité des individus. Or il faut comprendre que cette fragilité supposée est inévitable dans la forme sociétaire et non plus communautaire d’existence, parce qu’elle est inhérente à la liberté des individus par rapport aux statuts hérités : les identités n’étant plus entièrement déterminées et prescrites sont toujours en travail, en remaniement. Ce passage d’une logique objective d’appartenance à une logique subjective d’identité emporte avec lui une plus grande fragilité des individus parce que, les rôles sociaux n’étant plus aussi précisément assignés que par le passé, les identités sont toujours en travail, en devenir, à reprendre en première personne. Mais cela ne signifie pas que les identités sont flottantes et n’ont aucune consistance et que la logique d’identité est moins source de vie, moins féconde que la logique d’appartenance à laquelle des siècles précédents nous ont habitués. Elle comporte une part d’indétermination, conséquence de cette mise en valeur de la liberté individuelle, et elle appelle donc un autre mode de validation du croire.
Il ne faudrait pas penser en effet que le désir de vérité a déserté nos sociétés individualistes. Mais la vérité ne présente plus ce caractère d’objectivité et d’immutabilité qu’elle possédait dans les sociétés d’appartenance. Elle est au service de la constitution du sujet dans sa quête d’authenticité et non plus de la cohésion du groupe. Elle est d’abord subjective et relative à celui qui en fait l’expérience. Le relativisme ainsi n’est pas signe d’indifférentisme et de nihilisme : il signifie seulement que la vérité s’éprouve aux conséquences qu’elle emporte pour moi. Elle est ce qui a réussi à se faire valoir dans mon horizon, elle se révèle comme ce qui me rend vivant et fort et m’accompagne sur le chemin. Une proposition éthique ou aléthique s’évalue aux conséquences qu’elle emporte dans la relation que j’entretiens avec elle. Mais, si le conséquentialisme engage à des actes et le relativisme engage à des relations, l’éthique n’est plus dissociable d’une construction identitaire marquée par le souci de l’autre et l’intérêt pour la fécondité des croyances. Car la logique d’identité conduit à un besoin de se construire et de se faire reconnaître par autrui. L’identité est certes singulière mais elle n’est pas privée dans la mesure où sa constitution même dépend de l’interlocution et reste toujours soumise à l’évaluation d’autrui. La conception commune du sujet repose sur la conviction que l’homme est un être de parole. Autrement dit, je n’ai aucune chance de savoir qui je suis si je ne m’adresse pas à quelqu’un. Le subjectivisme implique que je me constitue en sujet, et cette constitution passe par la vocation, par l’appel, par la rencontre avec d’autres et par un échange de croyances entre les locuteurs.
Ainsi, toute croyance doit être validée et l’on ne peut pas croire tout seul. Certes les enquêtes nous apprennent que pour nos contemporains la valeur d’une croyance tient dans son utilité, dans ses fruits, dans ses conséquences. Mais si une conviction a besoin d’être validée par son utilité, il faut encore que le croyant cherche un répondant qui le confirme dans l’utilité qu’il attribue à sa croyance, un autre qui pourra recevoir pour vrai ce qu’il tient pour vrai.
Et sans doute, cette démarche affinitaire se manifeste aujourd’hui sur le plan des pratiques religieuses qui s’expriment dans le caractère volontaire et mouvant des communautés d’élection. Les Églises doivent composer en leur sein avec l’apparition d’un régime de validation mutuelle et affinitaire du croire qui dissout les procédures traditionnelles et autoritaires de la validation institutionnelle. Les communautés croyantes ont donc toujours une fonction de validation du croire individuel mais sans aucun des moyens coercitifs anciens qui relevaient du contrôle social attenant à la logique d’appartenance. Ces communautés sont le plus souvent des lieux d’échange partiel qui manifestent des identifications révisables au gré des évolutions individuelles.


Pastorale d’appartenance et pastorale d’identité



La pastorale à laquelle nous sommes habitués fonctionne dans une logique d’appartenance. C’est une pastorale de transmission qui fait passer un héritage de génération en génération. Mais l’on comprend que cette pastorale qui est instinctivement la nôtre est en décalage profond avec la culture que je viens de décrire. Elle ne dispose plus des évidences premières que transmettait la culture d’appartenance. Elle ne peut plus compter sur des troupes nombreuses et des forces d’encadrement. Elle ne peut plus s’appuyer sur la permanence des cadres de vie et sur la fixité des habitudes. Elle ne peut plus même s’inscrire naturellement dans l’éducation familiale à un moment où la famille elle-même change de nature et fait signe vers un idéal d’authenticité plus que vers un modèle de stabilité institutionnelle.
Passer à une pastorale plus conforme à la logique d’identité que j’ai décrite, s’ouvrir à la pastorale dite d’engendrement comme l’appellent Philippe Bacq et Christoph Théobald, c’est changer complètement d’univers.
Cette pastorale part du principe qu’il y a des gens qui font des demandes à l’Église, que ces gens ne sont pas simplement des demandeurs, qu’ils sont aussi porteurs de sens et que dès lors, il y a quelque chose de l’ordre de l’identité de l’Église qui se révèle dans les demandes qui lui sont adressées.
Mais la pastorale de l’engendrement ne s’intéresse pas d’abord au maintien de l’institution, elle s’intéresse à la constitution des sujets. La pastorale d’engendrement a l’audace de dire que Jésus de Nazareth n’a pas eu pour première vocation de faire des adeptes ; il a eu des disciples, mais il y a eu aussi tous ceux qu’il a accueillis sans en faire des disciples et qu’Il a renvoyés chez eux, ceux à qui il a dit simplement : « Ta foi t’a sauvé » (le centurion, la femme hémorragique…).
Dans l’Évangile, il y a l’intuition que des gens, sans le savoir, sont des hommes et des femmes du Royaume. Sans le savoir, c’est-à-dire sans appartenir aux disciples de Jésus.
Dans les Béatitudes, il n’est pas question d’appartenir ; quand Jésus dit : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait », il laisse entendre que le salut ne vient nullement d’une appartenance.
Cela signifie que l’on peut être homme et femme du Royaume sans le savoir, et que ce qui est en jeu dans cette attitude-là et qui est radicalement étranger à la pastorale de la transmission et à la logique d’appartenance, c’est comment des hommes et des femmes peuvent advenir à la vie. Il s’agit de comprendre que la première marche de l’accès au salut, c’est d’être vivant et que les chrétiens ne peuvent pas se désintéresser de la vie. Le message évangélique, c’est : « Soyez vivants » ! Et par surcroît : « Comment être vivants au-delà de la mort ? »
Cette pastorale d’identité se désintéresse dans un premier temps de faire des disciples, même si des disciples, il peut y en avoir bien sûr ! Elle s’intéresse à la question de l’engendrement, c’est-à-dire comment des sujets viennent à la vie et comment leur advenue à la vie, leur naissance d’en haut nous intéresse, nous concerne, nous implique.
Pour ceux qui sont pénétrés de cette générosité de l’intuition évangélique, la Révélation n’est pas d’abord un contenu, c’est simplement une expérience, une expérience qui peut être faite par n’importe qui, par n’importe quel moyen et dont il est important qu’elle soit reçue, qu’elle soit tenue pour vraie par un autre, qu’elle soit accueillie.
La pastorale de l’engendrement n’est pas la transmission d’une doctrine, c’est le recueil, c’est l’accueil des signes portés par des sujets demandeurs, des signes de ce qu’ils sont devenus ou en passe de devenir sujets, qu’ils sont dans le sens de la vie, qu’ils sont en vue du Royaume.
Le Royaume, c’est un « entre-nous », ce n’est pas un lieu ; le Royaume est un non-lieu, il est précisément la relation. La Révélation est une expérience de relation.
La pastorale de l’engendrement, c’est simplement cela. Elle n’est pas facile à mettre en œuvre. C’est un mouvement qui anime toute sollicitude envers les êtres, c’est une attitude d’accueil de la vie en chacun. C’est quelque chose qui repose fondamentalement sur l’idée que je ne sais rien de la foi d’autrui, que je n’ai aucun projet sur lui. De ce point de vue, ce qui est la rectitude éthique de cette attitude pastorale, c’est que je ne peux me dire ni père, ni maître, ni docteur. En d’autres termes dans cette attitude pastorale, il n’y a plus un évangélisateur et un évangélisé, il y a de l’Évangile entre les deux, de la Bonne Nouvelle dans ce qu’ils s’entre-disent et dans ce qu’ils s’entre-reconnaissent.
Peut-être la Parole avec un grand « P » advient-elle pour ce moment-là, entre ceux- là, et c’est uniquement de cela qu’il est question dans l’évangélisation.


Pastorale et structures d’évangélisation



À partir de ces données anthropologiques que j’ai rappelées et des intuitions pastorales qu’elles appellent, il reste à s’interroger sur le devenir des structures ecclésiales qui peuvent les appuyer dans le type de société que nous voyons se dessiner.
Rappelons encore que la problématique de l’inculturation doit nous conduire à considérer que l’époque que nous vivons n’est pas moins propice à l’affirmation de la foi chrétienne que les époques précédentes et notamment celle que l’on a appelée « la chrétienté ». La problématique de l’inculturation, c’est l’idée simple selon laquelle il n’y a pas de christianisme qui ne soit inculturé. On pourrait, en parlant d’inculturation, supposer qu’il y a un christianisme nu, intact, hors du temps, qui précéderait son incarnation dans l’histoire. Cette idée d’un christianisme pur, Jean-Baptiste Metz nous le dit, est erronée, car tout christianisme est inculturé, depuis le premier jour jusqu’au dernier. Cela signifie donc que l’inculturation est un processus de don et d’accueil, un processus d’échange, dans lequel l’intuition évangélique s’incarne et s’énonce toujours de façon nouvelle dans une culture. Cela signifie que chaque culture peut être ce que J.-B. Metz appelle un « critère herméneutique », qui permet de vérifier à chaque fois la pertinence nouvelle du christianisme. Et l’inculturation est donc quelque chose de plus profond, de plus intérieur que le rapprochement entre la foi chrétienne première et les cultures suivantes par une adaptation de langage. Ce dont il est question, c’est vraiment de la reformulation de la foi d’une manière nouvelle et insue.
Cette attention à la problématique de l’inculturation ouvre sur la conviction, affirmée par la Lettre aux catholiques de France, que notre époque n’est pas moins concernée que les précédentes par le message évangélique. Mais il faut encore déceler quel type d’organisation ecclésiale peut le mieux correspondre au désir de Dieu qu’expriment les hommes de ce temps. Or, deux modèles d’ecclésialité s’opposent aujourd’hui dont Laurent Villemin notamment s’est attaché à montrer les implications.
L’un conçoit l’Église sur un mode intensif comme une communauté marquée par le caractère volontaire de l’engagement de ses membres. Il s’agit d’un regroupement privilégiant le partage intense de valeurs communes par des individus religieusement qualifiés dont le témoignage se veut exemplaire et radical. Ce modèle d’ecclésialité semble porté naturellement par les nouvelles conditions sociales des regroupements religieux, notamment par la réduction de la taille des assemblées et la raréfaction des vocations sacerdotales. Mais ce modèle a ses limites parce qu’il ne semble pas honorer suffisamment la catholicité de l’Église qui est constituée du tout-venant et se présente comme un corps très mêlé ne reposant pas sur la cooptation et l’exclusive.
C’est pourquoi un second modèle conçoit l’Église sur un mode extensif et non plus intensif, la considérant comme le sujet et l’administrateur d’un charisme de ministères et proposant du sens même à ceux qui n’en font pas explicitement partie. Ce modèle n’est pas aussi valorisé que dans le passé parce qu’il semble condamner l’Église à dispenser des biens de salut à des demandeurs selon une logique de guichet. Dans une situation de pénurie de prêtres et de restriction des moyens d’encadrement, il peut sembler négligeable de consacrer des forces à répondre à des demandes minimales de gens qui recourent à l’Église pour des baptêmes, des mariages et des enterrements et limitent à ces demandes ponctuelles leurs rapports avec l’Église. Derrière l’argument du manque de moyens et de la nécessité de recomposer les forces chrétiennes se cache en réalité un jugement sur le manque de sérieux de ces demandes de sacrements et une critique de la dimension apparemment seulement ritualiste du recours du plus grand nombre à l’Église comme pourvoyeuse de sacré. C’est un thème notamment qui anime de part en part le livre de Mgr Hyppolite Simon, Vers une France païenne ? et qui lui permet de plaider pour un repli des forces sur les intérêts des vrais croyants-pratiquants, sur les « témoins » seuls dignes de la sollicitude pastorale.
Pourtant, ce modèle semble le seul à traduire dans les pratiques pastorales les intuitions ecclésiologiques de Lumen gentium. En effet, si le concile prend soin d’affirmer que l’Église se sait unie avec tous ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile et que tous les hommes de bonne volonté sont ordonnés au Peuple de Dieu dont rien ne permet de définir de l’extérieur les contours, alors elle doit procurer à tous les hommes les secours nécessaires à leur salut sans désigner a priori ceux qui en sont dignes et ceux qui n’en sont pas dignes.
En outre, si l’on accorde quelque crédit à l’hypothèse d’un passage d’une logique d’appartenance à une logique d’identité, il faut se persuader que l’Église telle qu’elle est réalisée dans le modèle de service public de religion est parfaitement à même de mettre ses moyens au service de la constitution des sujets et de la construction de leur identité religieuse. Pour que les sujets puissent hors de toute contrainte choisir les significations religieuses qui peuvent donner sens à leur vie, il est nécessaire qu’ils disposent d’institutions qui se mettent à leur service et leur procurent ces signes dont ils ont besoin pour vivre. Comme je l’ai déjà dit la quête de sens dans le cadre anthropologique du subjectivisme est une quête de répondant et aucune signification attribuée par l’individu à ses choix de valeurs n’est possible sans que ces choix soient validés par autrui. La logique d’identité n’est pas une affirmation du solipsisme et les choix individuels, qui sont certes des choix hors contrainte, doivent s’effectuer par rapport à des horizons de sens dont les individus ne sont pas les libres auteurs.
Enfin, il n’est pas du tout avéré que le modèle d’ecclésialité qui s’offre sous le nom de service public de religion soit une entreprise qui nous ramène nécessairement à une vision de l’Église triomphante et sûre d’elle-même, négligeant l’autonomie du croyant et sa liberté de foi. Proposer la foi n’est pas l’imposer. Affirmer que le salut en Jésus-Christ est offert à tout homme ne revient pas à encadrer les populations. Et l’Église peut, dans ce modèle, donner des gages de sa destination au tout-venant et de sa vocation à s’intéresser à tout homme sans préjuger de la qualité de son désir de Dieu. C’est pourquoi l’Église est certes une communauté mais à condition d’élargir la notion de communauté à tous ceux qui sont appelés à la rencontrer et d’abord, pour la plupart, à l’occasion de demandes ponctuelles et qui ne se donnent pas ouvertement comme des demandes d’intégration.
Il faudrait donc, pour dépasser l’opposition apparente entre les deux modèles d’ecclésialité, dire que l’Église doit être communion plus que communauté. C’est ainsi qu’elle peut apparaître comme mystère d’unité et proposition d’une vie plus large pour tout homme. Car si elle est rassemblement et unité elle est aussi ouverture et solidarité, incarnation d’espérance et de réconciliation.
Si l’on s’accorde sur la nécessité d’honorer la catholicité de l’Église en refusant de l’inscrire dans la clôture communautaire, il faut alors considérer le prêtre comme serviteur du Peuple de Dieu, témoin du salut offert à chacun et confiant dans le désir de salut de tout homme. Et être attentif à ce que la radicalité de son engagement ne puisse être conçue comme la manifestation d’un contre-modèle d’humanité dans notre monde individualiste. Si tout ministère est d’abord service rendu au plus grand nombre dans leurs besoins de célébration de leur vie et d’une espérance qui dépasse cette vie, il doit accompagner l’engendrement de chacun et l’ouvrir à cette naissance d’en-haut qui gît dans toute existence et qui demande d’être appelée pour apparaître.
Autrement dit, l’enjeu aujourd’hui de la vocation sacerdotale est de parvenir à se donner comme un engagement radical dont le sens révèle la portée anthropologique du subjectivisme.
Que le sujet soit d’abord celui qui se tourne dans la bonne direction, impliqué dans le monde jusqu’à en être responsable, jusqu’à en répondre. Que le sujet soit celui qui refuse la fermeture sur les siens et la fatalité des appartenances. Qu’il soit celui dont la liberté peut ouvrir le temps et l’espace en disant oui à l’histoire des hommes telle qu’elle est. Qu’il soit celui enfin qui tende à dire ce qu’il fait et faire ce qu’il dit, réaffirmant par là le pacte de confiance entre la parole et le monde.

 

* Attitude d’une personne qui privilégie la solitude de sa subjectivité.