L’année Saint-Joseph


Christophe Liony
responsable de la Maison Saint-Joseph,
propédeutique de la communauté de l’Emmanuel

 

 

Introduction

La communauté de l’Emmanuel est une association privée de fidèles de droit pontifical universel. Les prêtres de la communauté de l’Emmanuel sont des prêtres incardinés dans les diocèses ; ils ont un statut spécifique lié à leur appartenance à cette communauté. Le plus souvent ils vivent en fraternité de prêtres. Ils partagent avec les autres membres de la communauté – laïcs et laïcs consacrés dans le célibat – un même appel à l’adoration, à la compassion, à la louange et à l’évangélisation. La communauté est présente aujourd’hui dans une soixantaine de pays dans le monde, compte environ huit mille membres dont deux cents prêtres et une centaine de séminaristes.

L’année Saint-Joseph a été créée par la communauté de l’Emmanuel pour permettre aux jeunes qui se posent la question du sacerdoce, à son contact, de trouver un lieu pour discerner leur appel. Ces jeunes en effet attendent de vivre cette étape de discernement dans un cadre leur permettant de partager la vie et le charisme de la communauté. Il s’agit pour certains d’entre eux de discerner si leur appel au sacerdoce est dans la communauté de l’Emmanuel. Aujourd’hui il y a quatre maisons Saint-Joseph. La plus importante est à Namur, les autres sont en Afrique (Rwanda, Congo et Côte d’Ivoire).

 

 

L’histoire de la maison Saint-Joseph de Namur

Cette maison était un couvent de Filles du Cœur de Jésus dont la vocation était l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement et la prière pour les prêtres. En 1990, ces sœurs remarquent de jeunes hommes qui viennent régulièrement adorer dans leur chapelle. Elles apprennent qu’il s’agit de séminaristes de la communauté de l’Emmanuel venus étudier la philosophie aux facultés jésuites Notre-Dame de la Paix. Trop âgées pour rester dans cette grande maison, elles proposent à la communauté de la reprendre. Signe de la Providence puisque, de son côté, la communauté cherchait un lieu pour accueillir des séminaristes et avait le projet de fonder une propédeutique car un nombre croissant de jeunes s’interrogeait sur leur vocation au contact de la communauté. En septembre 1993 la première promotion de « l’année Saint-Joseph » est mise en place. Depuis cette date, de quinze à trente garçons sont accueillis chaque année pour ce temps de discernement.

 

L’esprit de l’année Saint-Joseph

C’est une année de discernement de la vocation sacerdotale. Son but est de conduire le candidat à une relation plus intime avec Dieu et à une meilleure connaissance de lui-même. Car la vocation se reçoit et se vérifie dans un dialogue intime et ineffable avec Dieu. Elle demande aussi une réponse libre qui suppose une connaissance suffisamment réaliste de soi.

L’un des moyens qui concourt à cet objectif est de créer une rupture par rapport aux repères habituels : « Quitte ton pays… » (Gn 12, 1). Se mettre à l’écart auprès du Seigneur pour l’écouter et se laisser conduire par lui en quittant études, travail, famille et amis. Le candidat s’engage pendant cette année à limiter autant que possible les contacts avec eux. En dehors d’une semaine de vacances, début janvier, aucun retour dans la famille n’est prévu, et le candidat choisit de limiter aux seules nécessités l’usage du téléphone, du courrier et d’Internet. Cette rupture vise à ce qu’il recentre toute sa vie sur le Christ.

L’autre moyen est la vie fraternelle. C’est une caractéristique de la maison Saint-Joseph par rapport à d’autres propédeutiques. La base de cette vie fraternelle est la constitution de « maisonnées » de cinq à sept garçons, lieu de la vie quotidienne et du partage. Chaque maisonnée a une certaine autonomie (courses, cuisine, services, etc.). En si petit nombre, on ne peut ni se cacher, ni choisir ses relations en fonction de la sympathie naturelle. Très vite on repère les richesses et les limites de chacun, et surtout les siennes ! C’est une école de conversion dans la charité, un lieu de vérité sur soi.

La dernière orientation de la maison est de s’appuyer sur les grâces propres de l’Emmanuel. De différentes façons, la vie et le programme de l’année sont marqués par cette dimension. La présence d’un couple et d’une sœur consacrée dans l’équipe de formation en est un signe. La participation à des soirées, des week-ends, des missions, des rencontres, des partages et des accompagnements avec les membres laïcs de la communauté est un autre élément important. Notons enfin la place dans la vie de prière, de la louange, de l’exercice des charismes et de l’adoration eucharistique.

 

La vie à l’année Saint-Joseph

La vie de la maison est orientée autour de quatre axes : la prière, la vie fraternelle et la compassion, la formation et l’accompagnement.

La prière

Plusieurs formes de prières sont proposées. La prière liturgique comprend chaque jour l’Eucharistie, les vêpres célébrées en maison et les complies en maisonnée. Une grande attention est donnée à la qualité de ces célébrations afin qu’elles soient priantes et belles, car elles manifestent la prière de l’Église qui marque la vie sacerdotale. Un atelier de chant a lieu chaque semaine. Les célébrations sont animées et servies à tour de rôle par chaque maisonnée. En lien avec la vocation de l’Emmanuel, la louange et l’adoration eucharistique (1 h) prennent place importante et quotidienne. Elles associent joie et recueillement, action de grâce partagée et adoration silencieuse. La lectio divina fait l’objet d’une initiation spécifique afin qu’elle structure la prière personnelle et chaque jour une heure est réservée à la lecture de la Bible. Le chapelet en maison marque certains temps liturgiques. L’encouragement récurrent à entretenir une relation prolongée et personnelle avec le Seigneur se concrétise aussi dans des proposi¬tions mensuelles : journées de désert, nuits d’adoration.

La vie fraternelle

La maison Saint-Joseph a été organisée en petits appartements indépendants, possédant chacun cuisine, salon, douches, etc. Chacun abrite une maisonnée de cinq à sept garçons qui est l’unité de vie. La vie fraternelle y est structurée autour des repas et des services, et par des temps de partage. Un chef de maisonnée est désigné par le responsable de la maison pour coordonner les services et veiller à l’unité fraternelle. Tous les repas sont pris quotidiennement en maisonnée. Le petit déjeuner et le repas du soir sont préparés à tour de rôle par les garçons, tandis que le déjeuner est pris en charge par une cuisinière. Chaque maisonnée organise ses services : courses, entretien de l’appartement, lessive, poubelles, etc. Dans la maisonnée sont célébrées les complies et un partage a lieu tous les quinze jours. Il porte sur la façon dont la Parole de Dieu conduit chacun dans sa vie concrète et il peut être aussi l’occasion de s’appuyer sur la prière les uns des autres. Il ne porte pas sur le discernement de la vocation. D’autres moments importants pour la vie fraternelle concernent la maison : le sport un après-midi par semaine, le nettoyage des lieux communs une fois par semaine, le temps libre du dimanche après-midi, un partage en maison tous les quinze jours, des temps de missions ou de retraite ensemble, etc. Bien que procédant d’une inspiration tout autre, l’exercice de la compassion est à rapprocher de la vie fraternelle car il concourt à l’ouverture du cœur, à la connaissance de soi et à la ferveur. Aussi, chaque candidat consacre-t-il un après midi par semaine à servir des malades, des personnes handicapées ou âgées. De plus, en milieu d’année est proposée une immersion complète d’un mois dans un lieu de compassion. Nous en reparlerons.

La formation

Elle comprend cinq cours principaux, d’une vingtaine d’heures, choisis pour aider les garçons à intégrer des éléments objectifs leur permettant de nourrir leur foi et de poser un discernement de vocation :
1. le Credo à partir du Catéchisme de l’Église catholique,
2. l’histoire de la spiritualité,
3. une introduction à la Bible,
4. le sacerdoce,
5. la communauté de l’Emmanuel et son charisme.

Des sessions d’introduction à la liturgie, à l’anthropologie, s’ajoutent à ces cours principaux.

Le cours sur le sacerdoce a montré son importance. Il permet de déjouer les représentations simplistes du prêtre et de son ministère, pour aborder la théologie du sacerdoce. Mais il offre aussi une occasion idéale pour approcher très concrètement la question du célibat, sa signification, son choix positif et la façon de vivre la continence, le rapport homme-femme, le rapport aux biens, la question de l’obéissance, etc. Ces sujets délicats, abordés de façon objective et très concrète dans un cours magistral, ont pour effet de casser les tabous et de faciliter la prise de parole en direction spirituelle, donnant des mots pour dire les choses.

L’accompagnement

L’équipe de formation a un rôle d’accompagnement au for externe. Aucun de ses membres n’entre dans une relation d’accompagnement au for interne puisque sa fonction est de l’ordre du gouvernement. Les principes traditionnels de l’Églises sont appliqués ici. Cette équipe est composée de deux prêtres – dont le responsable de la maison – d’une laïque consacrée dans le célibat et d’un couple. Les deux prêtres se partagent le suivi des candidats ; ils les rencontrent toutes les six à huit semaines. Une fois par trimestre, le prêtre responsable de la maison reçoit les candidats dont il n’est pas le référent habituel. Le but de l’équipe est d’aider les garçons à exercer le mieux possible leur liberté et à vivre une relation, la plus étroite possible, avec le Christ. Elle doit aussi mesurer les aptitudes du candidat à entrer au séminaire, si son discernement va dans ce sens, en évaluant particulièrement sa maturité affective et son jugement. Elle aide aussi chacun à se positionner dans un appel possible dans la communauté de l’Emmanuel. Au for interne, chaque garçon a une « direction spirituelle » toutes les deux à trois semaines. Il reçoit aussi le soutien d’un accompagnement communautaire mensuel. Il s’agit chaque fois de relire le chemin parcouru. Mais la direction spirituelle aborde les questions d’une façon très large et intègre le sacrement de la réconciliation, tandis que l’accompagnement communautaire fait cette relecture à partir des éléments propres à la vie et au charisme de l’Emmanuel. Dans les deux cas, les partages sont absolument confidentiels (le prêtre étant en plus tenu par le secret de la confession). L’accompagnateur communautaire choisi est un père de famille bien installé dans sa vocation de laïc, capable d’aider le garçon à réfléchir à la vocation masculine et aux questions touchant au travail, à la paternité naturelle et à la vocation du laïc, dans l’Église et dans la communauté. En début d’année, il est clairement expliqué aux candidats le rôle de chaque accompagnateur et la façon dont les informations échangées peuvent ou non être communiquées. Il est essentiel que le candidat ait bien compris que ce qu’il communique à un membre de l’équipe de formation n’a pas le statut du secret, contrairement à ce qu’il partage avec le directeur spirituel ou l’accompagnateur communautaire.

Horaires d’une journée type

Lever 6 h 30 ; louange à 7 h ; messe à 7 h 30. Petit déjeuner en maisonnée puis une heure de lecture biblique. Cours de 10 h à 12 h. Repas en maisonnée. L’après-midi, jusqu’à 17 h 30, est consacré à des activités variées allant du service des pauvres à des travaux de maison en passant par le sport. L’adoration du Saint-Sacrement, de 17 h 30 à 18 h 30, suivie des vêpres clôture l’après-midi. Dîner en maisonnée le soir. La soirée est un temps personnel, chacun dans sa chambre. Ce rythme concerne tous les jours, sauf le dimanche et le jeudi. Ce dernier jour, chaque maisonnée établit son emploi du temps propre, peut aller à la messe hors de la maison et profite de ce temps pour certains services (courses, etc.). Une soirée toutes les deux semaines, chaque garçon rejoint une maisonnée extérieure ou il prie et partage avec d’autre membres de la communauté.

 

Le discernement

Le discernement est l’œuvre de l’Esprit Saint. Chaque candidat est amené à relire la façon dont Dieu lui parle à travers tout ce qu’il vit et tout ce qu’il entend. Les différentes personnes qui participent à son accompagnement l’aident à faire cette relecture, chacune à son niveau. Toutes concourent à aider le candidat à déployer sa liberté et à regarder ce qu’il vit dans la vérité. Tout cela repose sur la relation intime et quotidienne que le candidat entretient avec le Christ. Nous avons déjà évoqué ce point capital.

De même que, pour révéler l’image qu’il contient, le film a besoin d’un bain dont la composition n’est pas neutre, de même un certain nombre d’éléments de la vie de la maison facilitent le discernement : le fait d’être en retrait de son environnement et de ses relations habituelles ; le fait d’une vie fraternelle qui met chacun à découvert devant l’autre et qui appelle à la charité ; le fait de vivre en vis-à-vis avec des prêtres, mais aussi avec des couples stables ; la présence d’une femme consacrée dans le célibat rappelle le prix de la consécration de sa vie à Dieu ; le fait de pouvoir rencontrer plus largement des laïcs engagés et de participer à des activités pastora¬les diverses concourt fortement à ce cheminent de discernement et aide à comprendre la valeur du sacerdoce commun des fidèles. Ce sont autant de vis-à-vis et d’expériences qui, bien dosés, aident le candidat à découvrir son appel véritable.

La place du mois « d’expériment » se montre d’une importance décisive. Il s’agit d’un mois d’immersion complète dans un lieu de vie avec des personnes « pauvres » au service desquelles se met le garçon. Il peut s’agir d’une maison de l’Arche, des Petites sœurs des pauvres, du Cenaccolo, ou d’une mission en milieu défavorisé… La rencontre du plus pauvre, l’expérience du service dépouillé, de l’impuissance, l’expérience de l’amour reçu et donné ouvrent les cœurs, simplifient les garçons et permettent à beaucoup un décentrement qui leur fait passer une étape dans la liberté intérieure et dans une meilleure évaluation d’eux-mêmes.

La retraite de dix jours d’Exercices de saint Ignace proposée en fin d’année est une étape essentielle. Par le parcours qu’ils proposent, ces Exercices, centrés sur les mystères de la vie du Christ, permettent de mener la rencontre personnelle avec Dieu et la relecture initiée tout au long de l’année à une véritable profondeur. La méthode des Exercices, particulièrement adaptée au processus du discernement, aide le candidat à aller jusqu’au bout des questions, en les posant d’une façon claire et en les présentant au seul capable de répondre : le Seigneur lui-même. Il est certain que le discernement ne dépend pas uniquement de ces exercices. Mais ils constituent souvent une étape déterminante, soit dans la confirmation d’un discernement pressenti, soit dans l’approfondissement de la relation au Christ et de la signification du don de sa vie à Dieu. Parfois une véritable illumination fait basculer le discernement dans un sens inattendu.

Après la retraite de saint Ignace (mi-mai), chaque candidat fait le point avec son directeur spirituel et vient donner sa réponse au responsable de la maison.

 

La suite de l’année

Diverses possibilités existent. Soit le candidat découvre qu’il n’est pas appelé au sacerdoce. Il pourra alors reprendre une activité dans le monde (études ou travail), parfois en lien avec la communauté de l’Emmanuel, s’il a reçu un appel à y cheminer.

Soit le candidat perçoit un appel au sacerdoce. S’il ne perçoit pas, par ailleurs, un appel à être prêtre dans la communauté de l’Emmanuel, il est alors invité à rejoindre le diocèse auquel il voudrait être rattaché en prenant lui-même contact avec l’évêque de son choix.

S’il perçoit un appel dans la communauté l’Emmanuel, le candidat réfléchira avec la communauté au diocèse de son incardination. Tout en tenant compte de l’histoire du candidat, il s’agit en effet de se déterminer pour un diocèse où la communauté est significativement présente et où un projet cohérent avec la vocation de l’Emmanuel est possible. L’une des conditions est qu’une vie en fraternité de prêtres soit possible. Une fois le diocèse envisagé, la communauté prend contact avec l’évêque pour que celui-ci rencontre le candidat et puisse, s’il le veut, l’accueillir comme séminariste de son diocèse. Le lieu de sa formation sera décidé par l’évêque en concertation avec la communauté de l’Emmanuel conformément à ses statuts.

 

Conclusion

J’aime à dire que l’année Saint-Joseph est une année d’apprentissage à la liberté sous le regard de Dieu. L’appel de Dieu est gratuit, et lorsqu’il dit à quelqu’un sous une forme ou une autre : « Toi, viens et suis-moi ! » (Mc 10, 21), personne ne peut vraiment décrypter les raisons de cet appel. « Pourquoi moi ? Qui suis-je pour que Dieu me choisisse ? » C’est le mystère de la liberté divine qui appelle par amour des hommes à Le servir et à servir l’Église en donnant toute leur vie : « M’aimes-tu plus que ceux-là ? » (Jn 21, 15). Devant cet appel, la liberté personnelle prend tout son poids. Dieu laisse absolument libre celui qu’il appelle. Il y a quelque chose de vertigineux. J’engage ma vie et personne ne m’y force. La réponse demande une liberté affranchie du regard des autres et de la peur de Dieu, affranchie aussi de toute prétention et engagée dans la recherche sincère de la volonté de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole » (Lc 1, 37). Cette liberté est un chemin à parcourir et une grâce à demander. L’Église accompagne le candidat en lui donnant les moyens d’avancer, en le guidant sur ce chemin, en discernant ses aptitudes et en appelant l’Esprit Saint qui seul peut permettre à quelqu’un de faire ce pas : Esprit de confiance et d’amour, d’audace et d’humilité, Esprit de conseil et aussi de discernement. ■