L’année propédeutique du diocèse de Namur


 Joël Rochette
recteur du grand séminaire de Namur

 

L’ouverture d’une année propédeutique dans la formation sacerdotale pour le diocèse de Namur remonte à l’année 2001. Jusque-là, les candidats accueillis au séminaire entraient directement dans le cycle d’études philosophiques ; en Belgique en effet, les deux cycles – deux années de philosophie et quatre années de théologie – sont bien distincts. Certes, certains candidats voyaient leur entrée au séminaire différée de quelque temps, pour diverses raisons : jeunesse, immaturité, manque de discernement de la vocation, raisons familiales, etc. Depuis quelques années cependant, les formateurs du séminaire notaient la difficulté croissante, pour bon nombre de nouveaux séminaristes, d’entrer avec aisance dans le cycle d’études philosophiques : ils n’y semblaient pas préparés, et mener de front des études sérieuses et un début de cheminement de formation sacerdotale paraissait impossible pour beaucoup. L’archidiocèse de Malines-Bruxelles avait créé sa propédeutique dans le courant des années 1990 ; le diocèse de Namur décida de lui emboîter le pas en créant une année propédeutique en 2001.

Le diocèse de Namur possède son propre grand séminaire depuis 1658 ; et aujourd’hui, il peut compter, grâce notamment à la présence de quelques communautés nouvelles implantées depuis de nombreuses années (l’Emmanuel, les Béatitudes, le Chemin néocatéchuménal, la Fraternité de Tibériade…), sur un nombre assez important de candidats au sacerdoce ; la « viabilité » du séminaire étant assurée au moins à court terme, la création d’une propédeutique pouvait être envisagée en lien direct avec le séminaire : il fut donc décidé de ne pas s’associer à la propédeutique bruxelloise mais de créer une année propédeutique à Namur même. Si les diverses communautés mentionnées possèdent souvent une année préparatoire – de type postulat – à l’entrée d’un candidat, la communauté classique du séminaire diocésain, appelée séminaire Notre-Dame, pouvait compter sur l’entrée de deux à cinq candidats en propédeutique chaque année. C’est en effet ce qui s’est produit jusqu’à aujourd’hui.

Les débuts furent laborieux : quelles modalités mettre en œuvre et quels objectifs principaux suivre ? Une priorité fut soulignée : que l’année propédeutique soit une année de fondation spirituelle. Les candidats, sortis de l’école secondaire ou de l’université, venant d’une occupation professionnelle ou du chômage, vivant déjà seuls ou encore en famille, plus ou moins proches d’une paroisse et/ou du diocèse… ont besoin d’un temps prolongé d’approfondissement spirituel de leur engagement vocationnel. Voilà l’objectif premier de cette année particulière : fonder une vie de prière, dans la ligne de ce qui sera la vie du séminariste plus tard et du prêtre ensuite ; introduire le jeune séminariste à une intimité forte avec le Christ, portée par le souffle de l’Esprit Saint et le rayonnement du témoignage de l’Église. Il s’agit bien d’initier le séminariste à la vie spirituelle. Tous les moyens veulent y concourir pendant cette année propédeutique : un accompagnement spirituel soutenu, la liturgie des Heures rythmant la journée, des retraites et récollections spirituelles à plusieurs reprises pendant l’année, et surtout du temps pour prier. L’horaire des cours (et formations) est volontairement léger pour permettre au séminariste propédeute de bénéficier de suffisamment de temps pour son oraison personnelle, en deux périodes chaque jour.

Lors de la première année de fondation (2001), le diocèse prit l’option de placer l’année propédeutique dans une ancienne abbaye proche de Namur – à sept kilomètres de distance du séminaire – confiée à une communauté de laïcs consacrés ; l’antique abbaye des cisterciennes Notre-Dame-du-Vivier, à Marche-les-Dames, venait d’accueillir la communauté Notre-Dame, d’origine canadienne, pour y mener une vie de prière dans l’accueil de personnes désirant trouver repos, recueillement et silence. La supérieure de l’époque accepta avec joie l’arrivée des premiers séminaristes propédeutes qui s’associèrent à la vie de la communauté : prière, travail manuel, temps de formation. Les formateurs du séminaire s’y rendaient chaque jour pour l’accompagnement spirituel, l’eucharistie et divers cours d’introduction. La formule, heureuse, dura trois années ; le premier séminariste entré en 2001 dans cette année propédeutique à Marche-les-Dames sera ordonné prêtre le 29 juin prochain à la cathédrale de Namur, avec quatre autres confrères venus le rejoindre par d’autres parcours. Mais après trois ans, les formateurs proposèrent à l’évêque de ramener l’année propédeutique au séminaire de Namur : c’est surtout l’isolement qui pesait ; les séminaristes, dès l’année propédeutique, ont besoin d’être avec d’autres séminaristes : leur témoignage mutuel les encourage, les stimule, provoquant une émulation dans le cheminement vocationnel. De plus, les formateurs, vivant à distance des séminaristes propédeutes, les connaissaient finalement trop peu : or, cette année est fondamentale et doit permettre d’établir une relation juste, de confiance et d’accompagnement, entre les formateurs et les séminaristes. Ainsi donc, l’année propédeutique reprit le chemin du centre-ville : les séminaristes propédeutes habiteront désormais dans les murs du vieux séminaire et partageront la vie quotidienne des autres séminaristes, en ayant bien sûr un mode de vie particulier et un horaire hebdomadaire adapté.

L’essentiel de la formation des séminaristes propédeutes consiste donc dans l’approfondissement de la vie spirituelle. Le séminariste rencontre son père spirituel tous les quinze jours ; il prend dans la journée deux fois une demi-heure d’oraison personnelle ; il participe à la liturgie des Heures, à l’eucharistie et aux temps d’adoration avec les autres séminaristes, mais il prie aussi chaque jour le chapelet, uni aux autres propédeutes. Chaque jour, il lit l’Écriture sainte pendant une heure, Ancien et Nouveau Testament, selon une grille préparée par les formateurs et assurant une lecture continue de toute la Bible en une année ; en fin de semaine, un temps de questions-réponses bibliques, avec un professeur d’Écriture sainte du séminaire, lui permet de trouver des réponses aux diverses interrogations que sa lecture a fait surgir. Chaque jour également, il prend une demi-heure de lecture spirituelle (livre de spiritualité, biographie de saint). Enfin, un cours d’histoire de la spiritualité lui est proposé pendant toute l’année, avec un petit travail écrit personnel en conclusion ; à Namur, nos séminaristes propédeutes vont rejoindre les propédeutes de la communauté de l’Emmanuel (maison Saint-Joseph) pour ce cours.

D’autres cours sont donnés aux séminaristes propédeutes : ils sont assurés par les formateurs du séminaire et n’ont pas d’abord une finalité académique ; ils ne sont d’ailleurs pas sanctionnés par des examens. Il s’agit en fait d’une introduction aux domaines essentiels de la foi chrétienne et du sacerdoce. Chaque semaine, deux heures de formation sont donc proposées, assurées par l’ensemble des formateurs, qui peuvent ainsi connaître les séminaristes différemment. Les matières d’introduction sont les suivantes, données dans cet ordre chronologique : la méditation avec Marie, le sens de la liturgie, une introduction au concile Vatican II (les textes majeurs), l’histoire du diocèse de Namur, une introduction à la vie morale. La masse horaire est volontairement faible, afin que les séminaristes puissent approfondir par eux-mêmes ces matières en un travail plus personnel.

Enfin, les séminaristes propédeutes peuvent aussi suivre d’autres cours, donnés dans les cycles de philosophie et de théologie ; rejoignant les autres séminaristes, ils peuvent donc être proches d’eux dans l’étude. Ces cours, sanctionnés par des examens, permettent déjà aux professeurs d’évaluer les capacités intellectuelles et aussi de mettre le doigt sur des difficultés possibles ou des lacunes à combler. Le choix de ces cours est déterminé par les formateurs et varie d’un séminariste à l’autre : les cours sont choisis en fonction de l’histoire personnelle, du parcours d’études antérieures, des attentes ou des besoins des candidats. Tous suivent au moins les cours d’introduction à la Bible et de catéchisme (donnés en cycle de philosophie), ainsi qu’une introduction au latin (qui devra être poursuivie en cycle de philosophie : l’apprentissage d’une langue peut être révélatrice des capacités d’études du séminariste) ; ensuite, ils pourront suivre un ou deux cours en section de théologie (cette année par exemple, des séminaristes propédeutes suivent un cours de patrologie latine, d’au¬tres un cours sur l’Apocalypse de Jean). En tout cas, la masse horaire ne dépassera pas quatre ou cinq heures par semaine. L’expérience montre que ces cours, ajoutés aux heures de formation citées ci-dessus, sont hautement bénéfiques : les séminaristes de propédeutique peuvent déjà goûter aux matières théologiques, ils s’affrontent à un travail rigoureux et méthodique, ils peuvent jauger leurs propres capacités et essayer de porter remède aux lacunes qu’ils découvrent dans leur méthode de travail ou dans leurs connaissances ; ils font aussi le lien entre leur vie spirituelle, leur intelligence et le donné révélé de la foi chrétienne. Et surtout, ils partagent un peu du vécu des autres séminaristes, trouvant avec eux un terrain d’échange et de discussion.

Il n’y a pas que la formation spirituelle et intellectuelle. Le séminariste propédeute passe chaque semaine une journée dans un lieu d’action sociale ou charitable : le séminaire de Namur est associé à l’hospice des Petites sœurs des pauvres et à la maison d’accueil pour sans-logis des Frères de la charité de Gand, tous deux situés dans la banlieue namuroise. Dans ces deux milieux fort différents – des personnes âgées pauvres en maison de repos, des clochards ou des personnes marginalisées – les séminaristes vivent un temps de proximité, de fraternité et de compassion ; ils passent dans ces deux institutions successivement cinq mois (à raison d’une journée hebdomadaire), et une période plus longue de trois semaines en janvier. Parfois, si c’est opportun, ils peuvent passer un temps plus long de travail social : des expériences ont déjà eu lieu avec un foyer de l’Arche de Jean Vanier ou avec la Cité Saint-Pierre à Lourdes.

La dimension pastorale de la vie de ces séminaristes n’est pas oubliée ; ils sont mis en contact avec une paroisse ou un secteur pastoral du diocèse. Non pas d’abord pour y travailler pastoralement, mais pour y vivre un temps, proche d’un prêtre ; c’est d’ailleurs le choix du prêtre – aux qualités avérées – qui prime dans la détermination du lieu d’insertion. Le séminariste accompagne ce prêtre, quelques heures chaque week-end (à l’exception des week-ends en famille, toutes les trois ou quatre semaines). Là, il a l’occasion de sentir un peu, de l’intérieur, ce qui fait la vie d’un prêtre.

Le diocèse de Namur a fait le choix d’une année propédeutique où les candidats au sacerdoce sont déjà clairement accueillis comme séminaristes ; ils sont associés aux autres séminaristes, partageant leurs joies et leurs découvertes, leur enthousiasme et leurs difficultés. Ils sont entraînés dans leur élan, mais dans le respect de cette période particulière où ils se trouvent : l’entrée en formation. Cette période d’atterrissage au séminaire a ses obligations propres, où le temps est un élément déterminant : temps pour prier et pour apprendre à prier ; temps pour découvrir, avec l’aide d’un père spirituel, que la vie spirituelle est cheminement à la recherche de l’action de l’Esprit Saint dans sa vie ; temps pour entrer dans un rythme de vie différent, celui du séminaire, et pour accueillir des préoccupations nouvelles ou autres ; temps enfin pour commencer ou recommencer à se laisser former, se laisser façonner à la fois le cœur et l’intelligence, dans le désir de suivre le Christ dans le ministère apostolique. Un temps pour d’accueillir en vérité l’appel du Seigneur ressenti. Un temps où l’on prend le temps, où rien – ni une surcharge de travail, ni la difficulté des études, ni la complexité d’une insertion pastorale… – ne peut prévaloir sur la vie spirituelle, en réponse à l’appel de Jésus qui a dit au jeune homme : « Viens et suis-moi ! »

Notre expérience se conforte, au fil des sept années écoulées ; elle a permis d’aller de l’avant, en dépassant plusieurs obstacles, dont une certaine incompréhension devant la création de cette année propédeutique (qui « allonge » la formation) et surtout la difficile articulation de la propédeutique avec les autres sections du séminaire. C’est un sujet où audace et prudence doivent s’allier ; mais le jeu en vaut la chandelle : le séminariste, au terme de son année propédeutique, pourra mieux prendre le chemin de l’Évangile à la suite du Christ, choisi « pour être avec lui », résolument (cf. Mc 3,14).