La vie consacrée dans la communauté du Chemin Neuf


Olivier Turbat
prêtre de la communauté du Chemin Neuf

 

Une communauté nouvelle issue du renouveau charismatique et structurée par la tradition ignacienne

La communauté du Chemin Neuf est une communauté catholique à vocation œcuménique, née en 1973 à Lyon d’un groupe de prière du renouveau charismatique. Elle a été fondée par sept célibataires dont plusieurs sont encore membres de la communauté. Très vite des couples souhaitent se joindre à cette expérience communautaire naissante. Cette nouveauté importante marquera toute la vie de la communauté. L’autre événement important, en ces débuts, est l’entrée, comme membres à part entière de la communauté, de frères et de sœurs appartenant à d’autres Églises chrétiennes que l’Église catholique (Églises réformée et luthérienne, puis Églises évangéliques, Églises anglicane et plus tard Églises orthodoxes).

Dès 1975, plusieurs frères et sœurs se sont engagés au célibat évangélique pour le Royaume, en présence du cardinal Renard alors archevêque de Lyon, qui fut le premier à reconnaître et accompagner la communauté.

Aujourd’hui, la communauté compte environ mille deux cents membres, dont quatre cent cinquante couples et deux cent cinquante célibataires consacrés. Elle est présente dans vingt-quatre pays, au service de nombreuses paroisses confiées par plusieurs évêques à la communauté ; elle anime des sessions « Cana » 1 dans plus de cinquante pays et des sessions de formation pour jeunes et adultes un peu partout dans le monde.

Sa spiritualité se reçoit à la fois du renouveau charismatique et de la spiritualité ignacienne. La pédagogie de saint Ignace de Loyola, et en particulier sa retraite des Exercices spirituels de trente jours, structure la vie et la mission des frères et sœurs de la communauté.

 

Une nouvelle forme de vie consacrée au cœur d’une communauté où vivent couples et célibataires

Avec ses deux cent cinquante membres engagés dans le célibat, dont une soixantaine de prêtres et autant de jeunes en formation pour le sacerdoce, la vie consacrée est une des facettes importantes de la vie de la communauté.

Ces frères et sœurs consacrés vivent selon les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, explicitement inscrits dans leurs constitutions. Ils habitent dans des maisons de la communauté, par petites fraternités de huit à dix personnes. Tout en étant la plupart du temps dans des maisons au cœur de la cité, ces frères et sœurs sont, par leur engagement « mis à part » pour la recherche de l’unique nécessaire : la relation au Christ au service de son Église.

Ces trois aspects : la vie commune, la profession des conseils évangéliques et la mise à part pour le Seigneur font de la vie consacrée au Chemin Neuf une authentique vie religieuse. Les prêtres et les frères sont regroupés dans l’institut religieux du Chemin Neuf 2 ; les sœurs consacrées sont membres de l’association publique de fidèles.

La vie quotidienne dans les maisons du Chemin Neuf est rythmée par trois temps de prière communautaire : office des laudes, eucharistie – le plus souvent à midi – et temps de prière silencieuse et d’adoration suivi des vêpres le soir. Les frères et sœurs consacrés sont au service, comme leurs frères et sœurs mariés de la communauté, des maisons de retraite spirituelles de la communauté, des paroisses, des différentes sessions pour les couples ou pour les jeunes ainsi que des centres de formation animés par la communauté.

Une des spécificités de la vie des frères et sœurs consacrés du Chemin Neuf tient sans doute dans la vie commune menée avec les couples engagés dans la communauté. Les familles habitent en fraternité de vie (dans une maison de la communauté) ou en fraternité de quartier (dans un même quartier, souvent à proximité d’une maison communautaire). Dans tous les cas, chacun a un logement bien distinct ; chaque famille a son appartement ou sa maison bien définie, de manière à préserver l’intimité conjugale et familiale, et les célibataires, hommes et femmes, vivent dans des bâtiments différents (ou bien à des étages différents d’une même maison).

Ainsi, dans la communauté, les couples et les célibataires se partagent les responsabilités des activités apostoliques. C’est un travail et une prière commune qui les rassemblent ; les « laïcs » ne sont pas séparés des « religieux », ils vivent le service de l’Évangile au même titre que leurs frères et sœurs consacrés.

Cette vie et cette prière commune, entre couples et célibataires au service des mêmes activités apostoliques, est particulièrement équilibrante pour les frères et sœurs consacrés. La radicalité de la vie d’une famille chrétienne renvoie sans cesse les consacrés à leur propre radicalité pour le Seigneur. Les enfants (qui ne font pas partie de la communauté), ont souvent une relation privilégiée avec tel prêtre ou telle sœur de la communauté et reçoivent ainsi un témoignage de foi et de vie d’Église complémentaire de celui donné par les parents (surtout à la période de l’adolescence où la parole des parents est parfois reçue plus difficilement).

 

La prière et le baptême dans l’Esprit Saint

« Petite cellule d’un grand corps, notre communauté disparaîtra un jour. Cependant, pensant qu’elle doit durer longtemps, nous voulons l’établir fermement sur le roc de la Parole et sur un amour indéfectible de l’Église, Corps du Christ 3. »

La spiritualité du renouveau charismatique et celle de saint Ignace de Loyola se rejoignent certainement dans la certitude que « Dieu peut se communiquer directement à sa créature 4 » et agir effectivement dans la vie des hommes. Le livre des Actes des Apôtres, avec ces hommes appelés par le Christ, qui annoncent l’Évangile, pas seulement selon leur projets et leur sagesse, mais aussi sous l’action concrète de l’Esprit Saint qui les guide, n’est plus un récit un peu mythique des origines de l’Église, mais il redevient le témoignage de ce que l’Esprit du Christ peut effectivement accomplir dans la vie de ceux qui s’abandonnent à Lui. Ici la prière (qu’elle soit silencieuse dans l’oraison, liturgique célébrée à l’église, charismatique dans l’assemblée de prière) est à l’origine de toute activité apostolique dans la communauté. « Frères ou sœurs, si tu t’engages avec nous c’est uniquement à cause du Christ et de l’Évangile » disent les constitutions de la communauté, qui ajoutent : « La solidité de la communauté repose donc sur la relation personnelle de chacun avec Jésus. »

« Cette relation intime avec Jésus, loin de nous replier sur nous-mêmes ou sur la vie propre de la communauté nous ouvre aux dimensions de l’Amour de Dieu. Notre communion nous pousse à la mission : à tout homme, nous souhaitons annoncer “l’insondable richesse du Christ” (Ep 3, 8) 5. » Chaque frère ou sœur a fait, à sa manière, l’expérience fondatrice du « baptême dans l’Esprit Saint » qui est un engagement personnel dans un renouvellement de la grâce baptismale et dans le don total de sa vie au Christ. Le baptême dans l’Esprit Saint, qui marque la vie et la mission de la communauté tout autant que les exercices spirituels de saint Ignace, est comme un « oui » redit en pleine conscience par chacun à l’Esprit Saint reçu au baptême et à la confirmation. C’est le « oui » de chacun au travail de la grâce, dans la foi que le Christ peut réellement changer nos cœurs de pierre et faire de nous des frères qui se découvrent enfants du même Père et qui apprennent à témoigner sans crainte de l’amour de Dieu pour le monde.

 

Une spiritualité de l’unité : unité des Églises et unité des peuples

L’autre particularité de la vie consacrée au Chemin Neuf est liée à la présence de plusieurs confessions chrétiennes dans la communauté. Des frères et sœurs consacrés – réformés, luthériens ou évangéliques 6 – vivent les conseils évangéliques comme leurs frères et sœurs catholiques. Sans gommer les différences, restant chacun en pleine obéissance à nos Églises respectives, nous essayons, selon le mot de Jean-Paul II « de faire ensemble tout ce que nous pouvons faire ensemble » dans la vie commune, la prière quotidienne et l’annonce de l’Évangile. Source inévitable de tensions, cet engagement commun veut être un témoignage d’unité, dans la foi que le Seigneur Lui-même veut « que tous soient un afin que le monde croie » (Jn 17).

Ainsi, une spiritualité de l’unité et de la réconciliation s’est forgée à mesure que la communauté prenait de la maturité. Chaque frère ou sœur consacré qui s’engage à vie dans la communauté du Chemin Neuf prononce, en plus des trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, une promesse : « donner sa vie pour l’unité des chrétiens ».

Par sa présence dans vingt-quatre pays, la communauté regroupe des frères et des sœurs de très nombreuses nationalités. Cette vie commune de polonais, tchèques, hongrois, allemands, congolais, ivoiriens, malgaches, français, italien, libanais, philippins, etc., donne une couleur très internationale à la vie et la prière de chaque maison de la communauté. Ici nous apprenons au quotidien à nous comprendre, nous réconcilier, nous aimer comme des frères alors que parfois nos pays se sont affrontés dans le passé ou sont encore en guerre. « À l’écoute de nos différences, nous accueillons les richesses de la culture de l’autre. Nous apprenons à choisir comme un privilège, mais aussi comme une épreuve et une mission, la dimension internationale de nos fraternités et l’indispensable travail de l’inculturation7. »

Le rassemblement de réalités différentes dans une même vie communautaire – couples et célibataires, catholiques et protestants, jeunes et vieux, noirs et blancs, etc. – nourrit cette spiritualité de l’unité et de la réconciliation qui informe fortement la vie et la prière quotidienne de la communauté.

 

Manifeste communautaire

Parce que Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde les aima jusqu’à la fin… Parce que Jésus s’est engagé à vie pour nous donner la vie ; à notre tour, conscients de nos faiblesses, définitivement, nous engageons nos vies.
Parce que la faim de ceux qui meurent de faim n’a d’autre issue que notre partage, parce qu’il ne suffit pas de rêver une société plus juste et plus fraternelle, dès maintenant, aujourd’hui, nous partageons nos biens.
Parce que nos enfants aiment la vie communautaire et que beaucoup d’autres enfants sont pauvres et nus, parce que nous voulons leur laisser pour héritage le sens des réalités et la réalité d’un monde meilleur, nous choisissons de partager nos héritages.
Parce que, consacrés dans le célibat ou dans les liens du mariage, nous voulons une vie conforme à l’amour de Dieu, nous comptons sur l’aide de nos frères pour grandir dans la fidélité.
Parce que la vérité n’a pas de prix, et que le mensonge est monnaie courante, parce que la vérité nous rendra libres, nous essayons d’être vrais entre nous.
Parce que la division des chrétiens est le plus grand obstacle à l’évangélisation, parce que nous croyons que sera exaucée la prière de Jésus-Christ pour l’unité : « que tous soient un afin que le monde croie », ensemble, orthodoxes, protestants, catholiques, sans plus attendre, nous empruntons l’humble chemin d’une vie quotidienne partagée.
Parce que nous voulons être disponibles pour la moisson qui est grande et parce que Jésus sauve le monde par son obéissance, nous décidons de vivre l’obéissance et la soumission fraternelle.
Parce que la puissance de l’Esprit Saint est à la mesure des problèmes de notre temps et que la force de Dieu triomphe dans notre faiblesse, nous demandons l’aide de l’Esprit Saint.
Parce que nous nous aimons, parce que la joie est la plus forte, nous nous engageons à vie dans la communauté du Chemin Neuf au service de l’Église et de l’unité des chrétiens.

Manifeste communautaire distribué à l’issue de la célébration d’engagements à vie de couples et de célibataires consacrés de Pâques 1986 à la primatiale Saint-Jean à Lyon, en présence du cardinal Decourtray

 

Liberté apostolique
« Nous désirons être libres par notre vœu de chasteté afin d’être tout à tous. Consacrés à Dieu dans le célibat, nous voulons être des « hommes et des femmes pour les autres »… Libres dans les relations, disponibles dans la communion avec tous et spécialement proches de ceux qui souffrent. Nous désirons être libres par notre vœu de pauvreté afin d’être plus léger pour l’évangélisation, en étant détaché des biens de ce monde. Ne possédant rien, partageant tout, nous serons plus proches des pauvres. Vivant une parabole de partage dans le concret d’une vie mettant sa sécurité dans la Providence, nous témoignerons de l’urgence du partage et de la réalité de l’amour de notre Père. Nous désirons être libres par notre vœu d’obéissance, afin de répondre plus profondément à l’appel du Christ en étant disponible pour toute mission. « Obéissant », nous serons plus libres par rapport à toute tentation concernant le pouvoir. Nous mettant ensemble au service de l’Évangile par le lien de l’obéissance, nous serons un “corps” plus efficace et plus étroitement uni au cœur de l’Église. »
Extrait des constitutions de l’Institut du Chemin Neuf
 
 

1 - Mouvement pour couples et familles, fondé par la communauté du Chemin Neuf en 1975.
2 - Institut religieux clérical de droit diocésain, érigé par le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, le 24 juin 1992, en la fête de Jean-Baptiste.
3 - Extrait des Constitutions de la communauté du Chemin Neuf.
4 - Exercices spirituels de saint Ignace, n° 15.
5 -Extrait des Constitutions.
6 - La vie consacrée, moins répandue dans les Églises protestantes que dans l’Église catholique, a subsisté malgré tout dans plusieurs Églises (comme l’Église réformée, l’Église luthérienne ou l’Église anglicane) de manière plus ou moins forte selon les pays.
7 - Extrait des Constitutions.