Oser communiquer avec tous


Vincent Feroldi
prêtre du diocèse de Lyon

 

Hiver 2008/2009. Un début d’incendie criminel endommage la mosquée de Saint-Priest (Rhône). En signe de protestation et de solidarité avec la communauté musulmane locale, des hommes et des femmes de toutes appartenances sociales, politiques et religieuses se rassemblent dès le lendemain après-midi. L’ensemble des médias audiovisuels sont présents et interviewent responsables et personnes de la rue. Les journaux télévisés du soir relatent l’événement par des sujets où s’entremêlent images de la manifestation, déclarations officielles et commentaires en voix off.

Me voilà apparaissant sur plusieurs chaînes, m’exprimant au nom de l’Église catholique, micro à la main, entre les responsables régionaux musulmans. Mais le téléspectateur ne peut saisir mes propos couverts par le commentaire... Dans les jours qui suivent, en différents lieux où me conduit mon ministère pastoral, beaucoup de personnes me parlent du reportage et de ma présence. Elles en ont été heureuses et entament avec moi un échange sur le sujet. Je prends alors conscience du primat de l’image et du message émanant de son contexte, second étant alors le discours et les paroles prononcées. Je n’avais rien dit et pourtant tout le monde savait ce que représentait ma présence : la solidarité de l’Église catholique et des chrétiens, un refus de la violence et une défense des lieux de culte.

 

S’inculturer

Évoquer en introduction de mon propos ce petit fait se veut invitation à nous inscrire dans le réel, c’est-à-dire dans le monde tel qu’il est et non tel que nous voudrions qu’il soit. Notre Église vit dans une culture. Elle doit accepter d’en prendre les codes et les usages, certes avec discernement, si elle veut être à l’écoute de ses contemporains et être entendue des hommes et des femmes de notre temps.

Aujourd’hui, tout un chacun est soumis au développement des outils de communication que sont le web, le téléphone portable, l’appareil photo numérique et doit faire face à l’extrême rapidité de la diffusion de toute information. Aussi, quel ne fut pas mon étonnement lors du décès du pape Jean-Paul II alors que je me trouvais dans le chœur de la basilique Saint-Pierre, à proximité du catafalque du pape vers lequel s’avançait une immense procession de personnes. Je vis que la grande majorité des fidèles, arrivés après une très longue attente devant le corps du défunt, avait comme premier réflexe non pas de se recueillir mais de prendre une photo avec leur téléphone... et de l’envoyer, à peine sortis de l’édifice, à leurs proches par SMS !

L’image est devenue première. Elle résonne en nous en fonction de notre affect. Il serait illusoire d’imaginer que nous pouvons totalement maîtriser notre image à partir du moment où la vie de l’Église est avant tout dans la sphère publique. Néanmoins, si notre travail d’information et de communication s’enracine dans des relations de confiance et de respect mutuel à l’égard des professionnels de l’image, nous n’aurons pas l’impression d’être trahi ou dénigré. Souvenons-nous par exemple du film Le Grand Silence du documentariste allemand Philip Gröning sur la Grande Chartreuse ou des reportages photographiques au moment de la mort de l’Abbé Pierre ou du voyage de Benoît XVI en France...

 

Utiliser à bon escient les outils d’aujourd’hui

En une dizaine d’années, le développement des techniques a mis à la disposition du plus grand nombre et pour un coût réduit des outils très performants de communication : l’ordinateur portable, le téléphone satellite, la diffusion numérique, l’appareil photo numérique, Internet... Il faut en user, sans en abuser, en s’adaptant aussi à chaque outil qui a son propre style d’écriture.

Il n’y a rien de pire qu’un site Internet où il n’y a que du texte ou des animations complexes demandant un long temps de téléchargement. Visuels de qualité, titres concis, accroches synthétiques attireront l’œil de l’internaute et le pousseront à demeurer sur le site. Il aura envie d’en savoir plus.

SMS et courriels peuvent être les ennemis du bien s’ils inondent nos boites de réception. Mais quels merveilleux outils quand ils permettent, pour un coût infime, une forte réactivité, sans pour autant importuner à tout moment le destinataire. Ils créent du lien aux quatre coins de la planète et favorisent les échanges d’information en temps réel. Ils économisent du papier et participent ainsi à la préservation de notre environnement.

 

Etre professionnel

En 2009, au même moment et en différents lieux de la planète Terre, des individus prennent connaissance de la même information ou la diffusent. Quelques instants à peine après un drame, des images d’amateurs font le tour de la planète. Sans contrôle ni vérification de l’information selon les bonnes règles du journalisme, des nouvelles sont diffusées. Tout va vite et, si l’actualité est chargée, des événements d’importance s’effacent rapidement de la mémoire de chacun pour laisser place à d’autres où s’entremêlent émotion, informations et parfois commentaires et analyses.

Que de fois ai-je entendu des propos de mécontentement tant d’acteurs de l’Église que de professionnels de l’information, chacun reprochant à l’autre de les ignorer ou de ne pas les prendre en compte ! Il y a pourtant une grande attente de la part de l’opinion publique de mieux connaître l’Église catholique, de savoir ce qu’elle pense sur tel ou tel sujet, de découvrir sa vie au quotidien, non seulement celle de ses responsables, mais aussi de ceux et celles qui, un peu partout, font l’Église.

Ma conviction profonde est qu’il faut refuser tout amateurisme ou approximation et savoir être professionnel à une époque où la communication est première. Sans oublier un peu d’humour et beaucoup d’humilité ! Souvenons-nous qu’il n’y a pas une Église mais des Églises : anglicane, catholique, copte, orthodoxe, protestante... et que les croyants en Dieu de notre pays peuvent être aussi bouddhistes, hindouistes, juifs, musulmans ou autres... Nul n’a la vérité, même si, pour nous, nous confessons que le Christ est Vérité.

Être professionnel, c’est savoir être accueillant aux médias qui nous questionnent ! Être professionnel, c’est répondre présent quand ils nous joignent dans l’urgence ! Être professionnel, c’est prendre du temps avec les journalistes, peu au courant du fait religieux, pour leur permettre d’entrer dans notre univers ! Être professionnel, c’est donner de l’information, en accordant aux médias une réelle confiance qui s’appuiera sur une exigence de sérieux ! Être professionnel, c’est donner du sens et de la profondeur par des chemins clairs et non abscons ! Être professionnel, c’est user d’un langage simple et dynamique pour rejoindre le plus grand nombre de nos citoyens, en pensant avant tout aux hommes de notre temps !

 

Se risquer

Ne soyons pas toutefois naïfs ! L’échec existe, la tromperie aussi. Le sacro-saint audimat ne fait pas toujours bon ménage avec l’information, la réflexion, la formation et l’interpellation. Mais sommes-nous prêts à débattre et à aller sur les plateaux de télévision ou dans des émissions de radio, avec nos convictions, nos interrogations et nos doutes ? Oser se risquer à une parole vraie, sincère, profonde, réaliste ?

Les sempiternelles interpellations solennelles sur « l’Église et le préservatif », « le mariage des prêtres », « l’ordination des femmes » et « l’homosexualité » nous hérissent à plus d’un titre, surtout s’il faut répondre du tac au tac, en moins de trente secondes, et avec le risque de voir notre propos déformé.

Pourtant, prenons un peu de recul et constatons que, si ces questions reviennent à la moindre interview d’un évêque, c’est bien parce qu’elles rejoignent des questions aujourd’hui fondamentales pour nos frères et sœurs en humanité : la sexualité, la relation homme-femme, le pouvoir, la place de la femme… Notre communication doit-elle en priorité porter sur le rappel des exigences ou proposer des chemins possibles de vie à nos contemporains qui ne se prennent pas pour des saints mais sont en quête de bonheur ?

 

Se nourrir des Évangiles

Il est frappant, à la lecture des Évangiles, de voir comment Jésus a communiqué avec ses contemporains. S’il a privilégié la parole, il n’a pas pour autant négligé le contact direct avec les foules et les personnes. Il a fait les gestes signifiants. Il a posé des questions ciblées à la foule, aux disciples, aux apôtres ou aux chefs des prêtres, aux docteurs de la Loi et aux scribes.

Il a aussi abondamment usé de l’art de la parabole qui avait l’extraordinaire avantage de ne pas enfermer les auditeurs dans une morale toute faite et bien ficelée mais de les ouvrir à la méditation, à l’interrogation, au questionnement. Profondément enracinées dans la vie quotidienne, ces « histoires » prenaient appui sur la nature (le grain de sénevé, le figuier bourgeonnant, la brebis perdue, l’ivraie…) ou sur des scènes de vie bien réelles (les enfants sur la place, le cambrioleur, le débiteur impitoyable, l’enfant prodigue…). Mais elles n’avaient jamais le script attendu ; elles allaient comme à contre-courant de ce à quoi l’auditeur pouvait s’attendre. Il y avait toujours un effet de surprise. Résultat : deux mille ans après, on en parle encore, sans en avoir totalement épuisé le sens. Elles demeurent source de vie et d’enseignement.

Il y a là un modèle à prendre : partir de la vie de nos contemporains, capter leur attention, parler simplement, leur ouvrir des espaces de réflexion, les accompagner dans un discernement, les renvoyer à leur propre conscience, les rendre éclairés, libres, acteurs et responsables, leur permettre d’avancer à leur mesure et dans une direction stimulante, attirante et passionnante. Privilégier l’humain à la doctrine.

 

Partir d’un a priori de sympathie

Mais à la source de notre communication, n’y a-t-il pas une question fondamentale, à savoir : quel type de relation souhaitons-nous établir avec l’autre ? Si je pars avec la ferme conviction d’être porteur d’une vérité que l’autre ne veut pas entendre et que je veux lui imposer envers et contre tout, comment pourrais-je établir une vraie communication ?

Partons de l’homme et allons à lui dans la perspective de lui partager quelques trésors qui nous font vivre et que nous aimerions tant qu’il partage avec nous. Habité d’un a priori de sympathie à son égard, allons vers lui à armes égales, heureux de nous enrichir de ses questions et de ses réflexions, et désireux de lui communiquer un message qui nous préoccupe au premier plan aujourd’hui et dont nous pensons qu’il aura tout intérêt à prendre connaissance, voire à le faire sien.

Prenons un exemple récent, ô combien positif. Il a supposé de nombreux contacts préalables et d’échanges, vu l’ampleur de la communication réalisée. Au moment de Noël, les quotidiens Le Monde, Le Figaro, La Croix, L’Humanité, Le Parisien, Ouest-France, Sud Ouest, L’Est républicain, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Dauphiné libéré, Le Progrès, Le Midi libre... ont publié une tribune intitulée : « Noël dans la crise ; un rendez-vous pour l’espérance ». Redisant les fondements du christianisme social, ce texte a été cosigné par vingt-cinq personnalités, dont Jean Boissonnat, Daniel Casanova, Jacques Delors, Jean-Baptiste de Foucauld (fondateur de Solidarités nouvelles face au chômage), Alain Juppé, Patrick Peugeot, Michel Rocard, Jérôme Vignon, Robert Rochefort, Eric-Emmanuel Schmitt et Sylvie Germain (écrivains), Guy Aurenche (président du CCFD), Xavier Emmanuelli (fondateur du SAMU social), François Soulage (président du Secours catholique), Jérôme Vignon (président des Semaines sociales de France)... Il s’agissait d’offrir au plus grand nombre un message d’espérance, une tribune pour, d’une part, souligner que la célébration de Noël nous invite à réactualiser le sens que nous donnons à l’économie et à choisir la voie de la solidarité et, d’autre part, rappeler « les six piliers fondateurs de la pensée sociale chrétienne : la destination universelle des biens (la propriété privée est légitime si son détenteur en communique aussi les bienfaits à ceux qui en ont besoin), l’option préférentielle pour les pauvres, le combat pour la justice et la dignité, le devoir de solidarité, le bien commun et le principe de subsidiarité (faire confiance à ceux qui se trouvent au plus près du terrain pour résoudre ensemble leurs difficultés) ». Une telle action s’est inscrite dans le débat public, a fait œuvre pédagogique et a stimulé la réflexion de l’opinion.

 

Aller à la rencontre du monde

En ces temps de communautarisme et de recherche identitaire, il serait donc regrettable de nous replier sur nous-mêmes et de nous cantonner au langage de la tribu.

Dans un monde en évolution et où se perd le lien social, à une époque de réel pluralisme religieux perçu par le plus grand nombre, face à un déficit crucial de culture religieuse de la part de nos contemporains, il faut résolument aller à la rencontre des hommes et des femmes de notre temps, habités de cette joie intérieure qui trouve ses fondements en la Bonne Nouvelle présente dans les Écritures et apportée par le Christ.

Aimer l’homme aimé de Dieu, depuis les origines, de ce Dieu qui dit à Noé, en Genèse 7-9, qu’Il est le Dieu des vivants, le Dieu de l’Alliance, avec l’homme et avec tous les êtres vivants qui sont autour de lui : les oiseaux, les animaux domestiques, toutes les bêtes sauvages, tout ce qui est sorti de l’arche pour repeupler la terre.

 

Aimer l’homme aimé du Dieu crucifié, confiant les hommes les uns aux autres dans cet émouvant dialogue entre Jésus, sa mère et le disciple qu’il aimait (Jn 19, 25-27).

Aimer l’homme aimé du Dieu, Esprit d’Amour, qui vient féconder le cœur de l’homme pour qu’il soit lui-même artisan de paix, témoin de justice et messager d’espérance à ceux qui sont encore dans les ténèbres, de ces ténèbres dont parle l’évangéliste Jean à propos du Christ dans son prologue : « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise » (Jn 1, 4-5).

Mais, au soir du Vendredi saint, sur le bois de la croix et au matin de Pâques, devant le tombeau vide, nous le savons : « La vie a vaincu la mort. »