Pourquoi dit-on que l’Eglise communique mal ?


Jean Rouet
vicaire général du diocèse de Bordeaux

 

Le divorce entre les médias et l’Église est devenu un lieu commun. Les accusateurs dénoncent ses tabous, son look vieillot, son incompréhension de l’évolution de la société, son vocabulaire abscons. Ses défenseurs, agacés, avancent 2 000 ans de communication pas si mal réussis en fin de compte... un contenu qui n’aurait pas changé, l’Évangile restant le même. Comment réfléchir à ces questions quand on est chargé de la communication dans son Église diocésaine ? Avantages et inconvénients de la communication aujourd’hui Grâce à la profusion de moyens de toute sorte et à l’explosion du numérique, le monde semble devenu un grand village. Le journal de Bordeaux de ce matin m’apprenait que l’évêché d’Agen vendait une ancienne boîte de nuit reçue par legs, cette nouvelle jouxtant les drames de la route, les querelles familiales, le drame du Moyen-Orient. Ce soir aux informations, avec ou sans la publicité, je serai informé de trente-six mille nouvelles en quelques minutes : de la petite fille de Rachida Dati aux tragédies de Gaza, en passant par les résultats sportifs ou les vœux officiels qui vont pleuvoir tout au long de la semaine. Nous nous trouvons devant une masse incroyable d’informations, la révolution Internet faisant exploser la multitude des points de vue et des questions abordées. C’est un monde rapide, multiple et critique mais c’est aussi un monde très sélectif qui cultive l’indifférenciation. La profusion de nouvelles laisse à penser que l’on connaît tout sur tout. Pure illusion. Je ne connais qu’une infirme partie des événements qui se sont déroulés aujourd’hui sur toute la surface de la terre. Et je ne connais que des points de vue : celui du journaliste, du caméraman, du reporter radio, des gens qui ont opéré un choix à partir de leurs possibilités du moment et de leurs convictions. « Trop d’informations, dit-on souvent, tue l’information ! » On pourrait ajouter : « Trop d’informations donne l’illusion d’être informé. »

Entre information et communication, il y a le temps nécessaire de la réflexion ? Qu’est-ce-que je veux communiquer de ce que j’ai vu et entendu ? Le débat, la réflexion, l’approfondissement d’une question sont parties intégrantes de la communication.

La richesse des moyens de communication est très impressionnante. Les studios de télévision sont de grands lieux de déploiement d’image, de lumière, de son, de mise en scène et de savoir faire extrêmement onéreux. La communication coûte de plus en plus cher, il n’y a qu’à voir dans notre budget familial la croissance de la rubrique Internet, téléphone, portable et, pour les plus chanceux, Canal-satellite… On parle de fracture numérique pour évoquer de nouveaux types de pauvreté et de disparité de moyens soit, dans nos pays, entre riches et pauvres soit entre le Nord et le Sud.

Enfin malgré la profusion des points de vue, de nouveaux tabous ont vu le jour. Si vous parlez de fidélité, vous serez facilement présenté comme archaïque. Vous avez le droit de vous extasier devant les pratiques ancestrales des montagnards du Laos et de leurs rites religieux qui seront présentés comme des faits culturels. Par contre, la religion chrétienne sera vite folklorisée et dénoncée comme dépassée par l’évolution de la « société ». De nouveaux interdits portent sur les mœurs et sont la plupart du temps à l’inverse de ceux que l’on attribuait à l’Église.

Les extraordinaires richesses des moyens de communication soulèvent, par leur abondance même, de nombreuses questions. Il ne va pas de soi que l’abondance des informations soit au service d’une meilleure communication, ou d’une meilleure harmonie sociale. La question principale qui se pose à notre société médiatique est celle de la formation des opinions publiques : manipulation ou appel à une réflexion éclairée ? Une information, aussi exacte soit-elle, n’est pas forcement une bonne communication. Une bonne communication nécessite un traitement de l’information.

 

Les difficultés et les chances de la communication ecclésiale

 

De l’usage de l’image

« Quelle image doit donner l’Église pour communiquer ? » Cette question, souvent évoquée dans les différents lieux de l’Église, est particulièrement ambiguë. C’est comme une sorte de préoccupation de soi, comme si on voulait montrer son plus beau côté. C’est une approche par la séduction. C’est un a priori pour plaire, comme si la communication de l’Église consistait à parler d’elle-même avec son plus beau sourire.

La tradition de l’icône a mis au cœur de la foi chrétienne un tout autre style de communication. L’icône, c’est l’image qui ouvre au mystère, qui donc n’arrête pas sur elle-même. Elle est comme une œuvre d’art. L’Église doit prendre en compte le patrimoine qu’elle a reçu en ces domaines (architecture, musique, peinture, écriture) et s’interroger sur son développement. Le tourisme est un lieu très important de communication, de mise en rapport, d’échange. Un affadissement de l’imagerie religieuse, un appauvrissement artistique de la production religieuse sont un lourd handicap pour la communication de l’Église.

Au cœur de la foi chrétienne, l’image du Christ en croix creuse dans nos histoires le vrai chemin de la liberté intérieure, celle où je suis pleinement moi-même sans le souci de moi mais dans le total souci de l’autre. La croix casse les images pieuses ! Elle met la mort au centre. Le mystère du mal comme porte d’accès au mystère de l’amour nous met dans l’étonnement, dans la surprise, c’est un événement que n’épuise jamais l’actualité mais qui nous introduit dans le saint des saints. La croix est le haut lieu de la révélation de la divinité du Christ. La mort et les malheurs qui hantent nos médias parce que si quotidiens nous dévoilent au jour le jour la part de Dieu en son contraire. On est loin des papiers glacés et des images retouchées… mais on est au cœur de l’aventure humaine.

 

De l’usage de la langue

Trop de journaux paroissiaux ont un look du début du vingtième siècle. Ils parlent à des générations qui n’emploient plus ce type de communication. Trop de journaux ecclésiaux oublient de mettre comme première préoccupation la question des interlocuteurs : « À qui voulons-nous nous adresser ? Avec qui voulons-nous communiquer ? » S’ils parlent grec, je serai bien avisé de parler grec avec eux. La catéchèse, par exemple, a encore trop peu développé l’usage des DVD et la pratique d’Internet. Trop de médias chrétiens parlent uniquement aux chrétiens : c’est le langage de la tribu, c’est « les cathos parlent aux cathos ». C’est la communication narcissique ! Hé oui, « on se comprend ! » On est bien loin de l’ouverture à toutes les nations !

Il est fort intéressant de travailler avec des professionnels de la presse ou de l’image qui ne sont pas nécessairement chrétiens, leurs questions nous obligent à nous décentrer et à faire véritablement œuvre de conversation. Rien ne remplace le travail avec eux dans le respect de leur professionnalisme. Nous sommes très méfiants et accusateurs à leur égard mais ils ont beaucoup à nous apprendre du cœur de leur métier : l’art de communiquer, la capacité à s’intéresser à ce que vivent les autres. Nous sommes obnubilés par ce que nous voulons faire passer. Nous ne prenons pas assez le temps de nous immerger, de créer des relations de confiance pour entendre et se faire entendre, simplement pour parler.

Parler est l’acte qui nous dit le plus la ressemblance avec le Verbe de Dieu, la Parole faite chair. L’acte d’écriture nous oblige à chercher l’inspiration à l’intérieur et pas uniquement à l’extérieur, il fait apparaître un point de vue, une sensibilité, une analyse, une interprétation. Parler et écrire nous tendent en direction de l’autre, de tous les autres, pour croiser point de vue, sensibilité, analyse, interprétation et ainsi faire vivre la famille humaine. Paul VI parlait de la nécessité de l’Église « d’entrer en conversation ». Pour Dieu, parler c’est se communiquer, ce n’est pas donner, c’est se donner.

 

Les possibilités financières

La communication coûte cher et l’Église est pauvre. J’avais été frappé par le coût d’un synode diocésain, il y a déjà plus de dix ans. Ce coût avait paru exorbitant au regard des finances diocésaines mais la somme représentait à l‘époque le coût de l’aménagement d’un giratoire ! Nous jouons dans la cour des petits. Faut-il rivaliser avec les grands ? Professionnaliser nos moyens revient vite cher en emplois, en équipement.

Cependant le développement du numérique pourrait nous permettre de davantage prendre part à la conversation globale. Où en sommes-nous dans la recherche des TV sur le web ? Comment développons-nous le post-casting sur nos sites Internet ? Nous cherchons beaucoup d’argent pour faire vivre une télévision comme KTO et des radios mais ne prenons-nous pas un retard important dans la communication avec les plus jeunes générations ? Dans l’élaboration des budgets paroissiaux ou diocésains, quelle est la part réservée à la communication ?

L’argent est mis à mal dans les évangiles. Nous entretenons souvent une mauvaise conscience à son égard. Alors, faut-il jouer aux riches indépendants ou bien travailler à devenir partenaires et présents dans les grands médias à la portée de tous ? Je crains que nous ne perdions du terrain en ce qui concerne une présence active et intelligente. Il nous faut sûrement une visibilité bien identifiée, mais où la situer ? Comment trouver des « lieux-carrefours » ? À quelle échelle est-il le plus efficace de mettre en commun les capacités en personnes et en moyens ?

 

La question des mœurs

Il me suffisait de lire la revue de presse de ce matin pour trouver matière sur ce point : « Le Pape contre les études de genre ». « Pour l’Église, la pilule pollue l’esprit, la nature et les hommes »… Tout est fait pour réduire les positions ecclésiales à des « non », tout est conditionné par une pétition de principe : « Il est difficile de définir la prise de position du Pape autrement que comme réactionnaire », dit l‘un des journalistes. Des lignes parallèles parfaites, telles sont les positions des uns et des autres. D’un côté on sait déjà ce qui va être dit, de l’autre on donne l’impression de ne se soucier que de ce qu’on veut maintenir !

« Une bonne nouvelle pour tous les peuples ! » ainsi se présente la prédication évangélique. Avant d’être une déclinaison de principes et de dogmes, elle se manifeste dans l’histoire comme un message heureux pour les hommes et les femmes de toutes langues, races et nations. Où se situe donc le point de fracture ? Il me semble que notre culture occidentale est orientée par le principe du plaisir, du bonheur comme réalisation de soi, alors que le message évangélique est don total de soi, recherche du bonheur de l’autre jusqu’au détriment de soi. Comment trouver le lieu commun de la rencontre ?

Le plus grand piège est d’être cantonné dans « le religieux » ! Là nous sommes perçus comme des moralisateurs ou des prêcheurs de grands principes. L’existence chrétienne est une expérience de relations, une mise en relation, une communication de soi, une promotion de la personne humaine. Des personnages médiatiques comme l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle illustrent parfaitement mon propos : plus que leurs déclarations (quelquefois étranges) c’est leur engagement qui parle, c’est leur prise en compte du malheur des autres qui fait autorité ! C’est autant de l’homme que de Dieu dont il s’agit dans leur témoignage et cela « cause » à beaucoup de « pécheurs » !

 

Conclusion

La parabole avant d’être une sorte d’antenne est un genre littéraire. C’est la force de l’histoire imagée, du discours qui fait appel à tous les sens et à l’imaginaire, de la parole qui n’enferme pas, qui ne veut pas tout dire à la fois mais qui nécessite une interprétation. C’est une communication qui ne peut se produire que si celui à qui je parle devient acteur ; c’est une manière de parler qui donne un chemin que l’autre doit lui-même tracer. Le Christ et ses évangélistes ont beaucoup utilisé cette manière de communiquer. De la nécessité d’inventer des paraboles pour notre temps telle me semble être l’exigence d’une bonne communication ecclésiale.