La bonne nouvelle d’une vocation


Anne Jacquemot
directrice de la communication,
diocèse de Coutances et Avranches

 

Je vous propose une réflexion sur la vocation, par un regard sur le monde de la communication, des médias en général et plus spécialement les médias locaux et régionaux, si prégnants et si lus en province, et sur les actions de communication de l’Église dans le domaine des vocations : sa vocation à communiquer sur la vocation chrétienne. Dans un premier temps, j’évoquerai la place de la vocation dans les médias, puis cette place dans les supports de communication de l’Église elle-même. En troisième lieu, je m’attacherai à analyser différents temps de la communication de la vocation.

Un fil conducteur de cette réflexion est constitué par celui du temps : la date, la durée, la longueur d’une vie, le moment de l’annonce, le jour d’une ordination, l’âge auquel on communique sur sa propre vocation. Pour la communication, ceci est à conjuguer avec le temps des médias, ses surfaces disponibles, ses contraintes techniques propres. Comment faire exister dans les médias la durée d’une vocation, cette Bonne Nouvelle de l’ordination qui perdure au quotidien ? Cette Bonne nouvelle d’un mariage sans date « phare », une fois échue celle des noces et de la fête ?

 

L’image de la vocation dans les médias

Quand le sujet « vocation » est évoqué dans les médias, il comporte en lui-même une importance essentielle : parler vocation, c’est parler avenir, c’est donner, même sans le savoir, une image de l’avenir de l’Église.

Dans la vie du baptisé, de surcroît chez la personne appelée par Dieu et l’Église pour leur consacrer sa vie, la notion de durée doit se combiner avec celle de dates. Ainsi, durant la conférence de presse précédant une ordination de diacres permanents, donc « la » date manifestant au monde, par les médias, une vocation, les futurs ordonnés ont expliqué longuement le « cheminement », les « étapes », « l’approfondissement », essentiel avant cet « aboutissement-commencement » que constitue l’ordination. Comment alors pour un journaliste rendre compte de ce temps impalpable, inquantifiable, de la vocation ?

Il me semble intéressant, pour l’analyse, de regarder de plus près la couverture presse écrite de l’« événement » : célébration d’une ordination diaconale. Il s’agit de l’ordination de deux diacres permanents à l’automne 2008. Dans la Manche, le tableau médiatique comporte, pour la presse écrite, quatre titres – deux hebdomadaires et deux quotidiens – couvrant chacun des zones géographiques différentes, mais se recoupant parfois entre hebdomadaire et quotidien. Le dossier de presse comportait la présentation civile, familiale et professionnelle des candidats au diaconat, le déroulement de la préparation avec ses trois étapes de l’interpellation, du discernement et de la formation, un état des lieux de la situation du diaconat permanent dans le diocèse et en France, un résumé de la liturgie, les textes de référence sur le diaconat.

Trois journaux étaient représentés à la conférence de presse. Deux articles ont été publiés en amont de l’ordination, en pages départementales. Je noterai le travail du journal Ouest France, qui a choisi de présenter cette annonce en effectuant un travail complémentaire d’interview de l’un des couples. Les photos montrent le couple, ou les deux couples, pour La Manche libre, avec l’évêque. Le sens du diaconat permanent est bien repris : le diacre est « l’homme du seuil » (Ouest France) ; le diacre est « une passerelle entre l’Église et la société » (La Manche libre). Les deux journaux traduisent bien les étapes successives de la préparation : l’événement est donc, pour les journaux, d’autant plus remarquable que le temps de préparation aura été plus long. Aucun journal n’a repris la question, pourtant posée durant la conférence de presse : « Si l’Église ordonne des diacres permanents, n’est-ce pas parce que celle-ci manque de prêtres ? » La présentation par l’évêque et le vicaire épiscopal a donc été bien reformulée.

Les articles relatant la célébration de l’ordination elle-même sont très différents selon la périodicité du support concerné. Notons que dans l’hebdomadaire, une page entière de photos lui a été consacrée, de très belles vues, rehaussées par le rouge liturgique. Aucune photo de la foule (et il y avait foule) : le reporter a « oublié » cette dimension au cours de son reportage. Tout se passe comme si, en photos, l’ordination avait été vécue entre ministres ordonnés, et la famille des diacres. Une affaire de famille en interne, en quelque sorte.

Je me suis intéressée aux occurrences du mot « vocation ». En tant que tel, il n’apparaît jamais. On peut lire dans les reportages les mots suivants : engagement, mission (à plusieurs reprises), grâce : « l’appel au diaconat est une grâce ». Le mot « vocation » n’apparaît qu’une seule fois et dans la bouche de l’une des épouses de diacres. Il s’agit d’une interview dans l’un des quotidiens : « Nous avons à aider nos maris à vivre jusqu’au bout leurs vocations » (La Presse de la Manche).

Il me semble donc qu’une réflexion pourrait s’engager autour de ce mot « vocation ». Pourquoi est-il peu usité dans les médias ? Quelle est son image dans le langage de l’Église aujourd’hui ? Pourquoi perçoit-on une hésitation à le prononcer pour décrire un appel vers un ministère ordonné ?

 

La place de la vocation dans les supports de communication d’Église

 

Tout baptisé a une vocation. Tout baptisé emprunte le chemin de sa vocation propre. C’est le sens « large » de la « vocation chrétienne ». Il est tentant alors de considérer que dès que l’on parle d’une personne ou d’un groupe de personnes agissant en Église, quelles que soient les structures dans lesquelles elles s’insèrent, et les objectifs de celles-ci, il s’agit de vocations particulières. Quand un laïc en mission ecclésiale, par exemple, témoigne de son cheminement dans le bulletin diocésain, parle-t-on de vocation ? De même, quand un néophyte évoque sa rencontre avec Dieu, cela ne rentre-t¬il pas dans le cadre de la communication sur la vocation ? Parler des vocations, dans les médias en particulier, cela dépasse donc le cadre de la communication mise en œuvre par les services nationaux et diocésains des vocations désignés comme tels.

Cependant, le même bulletin diocésain peut être sollicité pour accueillir les informations préparées par le service des vocations. Par exemple, le bulletin du diocèse de Coutances et Avranches est sollicité pour l’insertion de la plaquette de présentation du « monastère invisible ». Le « monastère invisible », c’est cette initiative de certains diocèses visant à organiser un réseau de prière pour les vocations, à partir d’un support de méditations, de prières, de témoignages. Pour les responsables du bulletin, la réponse n’est pas évidente : insérer la plaquette comme information ponctuelle ? Mais le propos de ses auteurs va plus loin, il s’agit bien de mettre en œuvre de façon régulière, par la prière de tous les lecteurs, une information sur les vocations. La vocation, domaine prioritaire pour l’Église d’aujourd’hui, pourrait donc constituer un domaine prioritaire pour la communication d’aujourd’hui.

Mais les responsables des supports de communication ne peuvent répondre de façon systématique à de telles demandes. Ils doivent en effet faire des choix de sujets, donc de domaines prioritaires. Plusieurs domaines prioritaires à traiter peuvent se présenter en même temps (audio, TV) et sur une même surface non disponible (écrit). À quel moment donc, à quel rythme parler des vocations ? De la prière pour les vocations ? Les temps de la vocation ne sont pas les temps de la communication.

 

Les différentes phases de communication de la vocation

 

Le grand âge : un atelier d’écriture avec les prêtres aînés

« Vies de pasteurs, traces et mémoires ». Ainsi s’intitule l’atelier des prêtres aînés à Coutances que j’ai créé voici deux ans, et que j’anime à raison d’une séance tous les deux mois. Encourager l’écriture personnelle de chaque prêtre, partager les récits dans lesquels s’expriment la foi et les épisodes marquants de la vie du pasteur, constituer une mémoire humaine du diocèse de Coutances et Avranches, tels sont les objectifs de cet atelier qui se situe à la croisée des services de la formation, de la communication et du domaine patrimonial et culturel. La Manche est un département attaché à sa mémoire ancienne et récente, eu égard au traumatisme encore vivace du débarquement et de ses suites tragiques sur le territoire normand. Les hommes et les femmes d’Église ont vécu à part entière ces événements, et la génération des prêtres de l’atelier en est l’illustration vivante.

Pasteurs de l’Église catholique, ils ont connu, durant leurs parcours vocationnel passionnant, les évolutions rapides, en une génération, du bouleversement conciliaire et postconciliaire de l’Église en France. Ils les ont mises en pratique, et leur vocation s’en est trouvée dans la plupart des cas, enrichie et renouvelée. Les récits constituent un chemin de lecture, donné gratuitement à qui souhaitera le parcourir. Il s’agit de récits issus de leur mémoire personnelle, alternant de façon tout à fait régulière avec ceux de leur conduite pastorale.

Ce parti pris donne aux séances le dynamisme nécessaire à cet atelier, dans la durée, c’est un atelier « permanent ». Il suit son cours au pas lent et sûr de l’homme de grand âge, encouragé sur sa route par notre évêque, les confrères, les amis, les familles. Ainsi constituée, la mémoire des hommes complète celle des pierres dont l’Église est porteuse à travers les siècles de foi de ses anonymes bâtisseurs. Mémoire en écritures, mémoires vives de la foi en Jésus-Christ, attentives dans leur humbles propos au siècle qui vient, ces témoignages vont s’inscrire dans la tradition des récits de l’Église. Il ne s’agit pas de passé, ni de contes d’un autrefois révolu, mais des voix fortes et claires de « vocations en marche ». Il n’y a pas d’âge pour dire Dieu. Un premier livret va être bientôt imprimé et communiqué.

 

Le jeune âge : les blogs des séminaristes ou des jeunes prêtres

Je présente maintenant une réflexion sur les blogs des jeunes, plus spécialement sur les blogs des séminaristes et sur ceux des jeunes prêtres. En effet, cette recherche me paraît pertinente dans le cadre de cette relation entre vocations et communications. Pourquoi ? Pour au moins deux raisons. La première provient des personnes elles-mêmes qui écrivent sur ces blogs : les jeunes ne cachent pas, en général, leur vocation. Ils présentent leurs blogs comme étant celui « d’un prêtre ». Ils osent afficher la couleur et il me semble qu’il convient de leur en savoir gré. De ce fait, leurs blogs sont perçus en tant que « blogs de prêtres », et donc communiquent sur la vocation vers les autres jeunes. La deuxième raison est plus profonde. Médias des jeunes, les blogs ou Facebook sont pour ces adultes en formation, en démarche vocationnelle, un outil pour leur cheminement intérieur au quotidien. Ce média à décrypter participe ainsi de leur vocation.

Les études sur les blogs ou Facebook sont rares. Les pistes de recherche et de travail que je propose correspondent donc au commencement d’une réflexion que je m’attache à poursuivre par ailleurs. Elles sont chemin de recherche qu’en première approche, il me paraît intéressant de livrer aux lecteurs d’Église et Vocations.

Être jeune et écrire. Oui, mais sur Internet. Fleurissent les blogs sur la toile. Les sites Internet constituent pour la communication l’un de ses champs actuels et privilégiés de travail et de réflexion. Internet n’est pas toute la communication, mais il prend sa place dans un univers déjà médiatisé. Internet donc s’inscrit dans le cadre des études sur les médias : selon ses techniques propres, ses contenus, ses usages, ses audiences, ses institutions, ses formes particulières d’expression, ses références culturelles et artistiques (graphisme, BD,…), ses fonctions (qui dit quoi, à qui, avec quels effets), son histoire (rappelons-nous l’évolution récente des radios libres et leur professionnalisation), son économie, son droit (toute technique nouvelle dans les médias constitue une nouvelle source pour le droit des médias, droit des images, droit des journalistes, liberté de la presse…). Ces questionnements peuvent constituer des portes d’entrée pour étudier chaque type d’Internet évoqué : site, blog, chat, forum, Facebook, courrier électronique, partage de base de données…

Les blogs des jeunes prêtres peuvent être distingués en plusieurs catégories selon leurs contenus : homélies, partage de vie, photos, images, écriture, réactions des internautes. S’ils sont un média, ils sont menés seuls, n’ont pas encore atteint l’âge des autres supports de communication dont la conduite relève (dans l’idéal au moins) d’une équipe de rédaction, sur la base indicative d’une charte éditoriale élaborée en amont de la mise en ligne du support concerné. La conduite, en solitaire, d’un support de communication à part entière pose les questions de l’identité de l’émetteur et de ses récepteurs. Il conviendrait de mener une réflexion approfondie et exhaustive sur les fonctions dévolues par leurs émetteurs à ces blogs, et sur les publics visés, les fonctions de la participation de la cible à l’élaboration du contenu, les fonctions d’expression, de participation et d’identification, au sens de la sociologie des médias.

Je proposerai trois critères pour une réflexion sur ces nouveaux supports. Le premier : c’est l’identité de la personne, de l’émetteur du blog et de l’internaute récepteur. Qui est celui qui écrit ? Est-il « un », c’est-à-dire se présente-t-il en tant que « personne totale » se racontant au jour le jour, sélectionnant au passage, parfois sans douter de sa propre sincérité, des aspects choisis de son histoire personnelle ? Rassemble-t-il dans son acte de communication ses identités civile, virtuelle, agissante, narrative, et oserais-je écrire, son identité « vocationnelle » ? Quelles relations engage-t-il avec ses récepteurs ? Quelles sont leurs identités à eux également ?

Le deuxième critère, c’est le critère éditorial. « Éditer » un blog, c’est s’éditer soi-même, sous le regard direct de l’autre, mais sans le regard éditorial de l’autre avant « parution ». Dans l’atelier des prêtres âgés, ce regard est bien présent : regard des autres participants, regard respectueux et dynamisant de la personne qui conduit l’atelier, référence à l’ecclesialité du groupe dont l’acte d’écrire s’inscrit dans une réflexion pastorale diocésaine. Dans l’histoire des médias, il est pertinent de situer la chronologie de chacun d’entre eux. Ainsi des journaux, des radios, dont le rythme de professionnalisation s’est accéléré. Au début de l’histoire d’un média, beaucoup d’initiatives apparaissent isolées, non professionnelles. Peu à peu, chaque média se professionnalise. Ainsi en est-il de la galaxie Internet. Les blogs vont-ils, eux aussi se professionnaliser ?

Enfin, troisième critère, le critère culturel et artistique. Les blogs représentent un travail d’écriture régulier, de travail sur l’image, la photographie, la composition virtuelle. Étudiés de ce point de vue, ils pourront être appréhendés dans ce monde artistique, mais devront par conséquent répondre à ses critères particuliers, notamment d’esthétisme. Ainsi des artistes, qui livrent une matière brute de leur création, mais se faisant, se livrent eux-mêmes, révélant leur être profond au passage, ici, l’essence d’une vocation. Avant donc d’interroger la pertinence ou l’utilité de ces blogs, sous l’angle de la communication de « vocations en marche », il conviendra donc de recenser ces critères d’analyse.

Ces pistes sont donc à affiner, à développer, premiers pas vers d’autres approfondissements. À suivre donc.

 

Conclusion

En terminant cette réflexion sur la communication et la vocation, je souhaiterais donner encore une piste de recherche sur laquelle je travaille également et qui justifie un approfondissement. Les médias, en général, dans leurs contenus, affichent un paradoxe. D’un côté, ils s’intéressent, en première approche au « grand nombre ». Ce qui fait titre, c’est le nombre de… morts, blessés, d’accidents, une grande foule. Communiquer sur la vocation chrétienne ne rentrera pas dans ce cadre, excepté la foule d’une célébration d’ordination. D’un autre côté, les médias s’intéressent au « petit nombre », c’est-à-dire à ce qui « fait la différence » avec le « grand nombre ». Ce qui fait titre, c’est le héros commun qui peut devenir star, une « peoplelarisation » de vies ordinaires. Un fait qui touche une personne dont la vie se distingue des autres. Un fait qui « fait date » sur la durée d’une vocation. « Il lâche la finance et devient moine dans les cités », portrait d’Henry Quinson, Ouest France (10-11 janvier 2009). Une vie à vocation fortement affirmée devient sujet de reportage, de portrait journalistique. Une vie en vocation, vie différente, prend vie pour les médias.

C’est donc dans ce « petit nombre », mais qui fait toute la différence, l’essentielle différence, qu’une communication sur la vocation chrétienne peut être travaillée, en amont, dans les médias, et dans les supports de communication de l’Église. Ainsi peut-on préparer le travail de communication de « la bonne nouvelle d’une vocation ».