Une école de vie pour discerner


Sœur Raphaëlle
Fraternités monastiques de Jérusalem

 

Nées au cœur de Paris, le jour de la Toussaint 1975, nos jeunes Fraternités monastiques de Jérusalem, cherchent à vivre « au cœur des villes, au cœur de Dieu », en réponse à un double appel de l’Esprit à travers l’intuition de frère Pierre-Marie Delfieux, et du cardinal Marty. Très vite s’est posée à nos premiers frères et sœurs la question du discernement des vocations. Comment reconnaître pour les jeunes qui se présentaient, autant que pour nous, un appel du Seigneur ? Assez rapidement s’est donc mis en place à côté d’une « Fraternité des Jeunes », un groupe appelé « École de Vie » permettant à des jeunes de s’interroger sur leur vocation. Tout en maintenant leurs activités ils pouvaient être proches de la communauté et prendre le temps de réfléchir sur leur vie. Aujourd’hui des « Écoles de Vie » se sont mises en place dans plusieurs de nos fraternités. Elles ont le souci de se mettre au service des jeunes et de l’Église, en les aidant à répondre à leurs questions les plus essentielles : mariage, vie consacrée, sacerdoce… « Seigneur enseigne-moi tes chemins. »

Comment fonctionne l’École de vie ? Le groupe évolue-t-il au cours des années ? Quelles convictions nous animent-elles dans l’accompagnement des jeunes qui se présentent ? Ce sont les quelques questions qui guideront ce témoignage d’une expérience qui laisse toujours dans l’émerveillement. L’École de vie propose à tout jeune chrétien qui a rencontré le Christ d’apprendre de Lui la vie, de prendre au sérieux les questions qui l’habitent et de chercher avec d’autres à les mettre en lumière pour pouvoir y répondre.

À l’image des premières communautés chrétiennes, le groupe cherche tout d’abord à faire corps. Les jeunes viennent de tous horizons. Ils sont français ou non, étudiants ou jeunes professionnels, déjà engagés en Église ou en marge, depuis longtemps enracinés dans leur foi ou « recommençants » après des parcours parfois chaotiques. Ils ont entendu parler du groupe par un tract trouvé au hasard dans l’Église, la rencontre d’un frère ou d’une sœur, le bouche à oreille, Internet… Aucun critère n’est requis si ce n’est celui de chercher à répondre à l’appel du Christ et d’être disponible pour suivre le parcours proposé. C’est ce que vérifient les frères et sœurs accompagnateurs dans une rencontre préalable pour vérifier l’opportunité de la démarche. Une note caractéristique est donnée par la participation des postulants et postulantes qui ont déjà fait un pas en fraternité. Elle permet de donner une assise au groupe et l’échange qui en ressort est toujours stimulant et enrichissant.

Les relations qui se nouent au sein du groupe sont marquées par la simplicité et la fraternité. On se retrouve tous les vendredis soir au terme de la liturgie vers 19 h 30. Après un temps de joyeuses retrouvailles, on partage le repas préparé à tour de rôle. Au-delà du programme annuel qui constitue une trame, la préparation logistique est minimale, laissant ainsi toute la place à l’émerveillement devant l’action de l’Esprit à l’œuvre.

L’École de vie veut être un groupe d’Église. Les jeunes s’interrogent face à une spiritualité donnée (nous proposons ce que nous sommes !) mais en laissant chacun libre de s’orienter vers d’autres appels ecclésiaux. Chaque année des jeunes choisissent les directions les plus variées : le carmel, la spiritualité franciscaine, le séminaire, ou finalement le mariage.

Le temps est un élément important du cheminement. Pour cela, on s’engage à une année non renouvelable. Il s’agit de découvrir le temps de Dieu dans sa vie, et de se donner des priorités.

Un premier choix s’impose face au rythme hebdomadaire. Il n’est pas si évident de persévérer une année durant à la rencontre du vendredi soir au moment où commence le week-end. À travers les premiers pas on perçoit la fidélité et son exigence. Mais l’engagement final commence souvent par ces petits « lâcher-prise », effectués pas à pas. C’est un premier élément qui contribue au discernement.

Au cours de l’année, des moments forts sont proposés : un week-end tous les deux mois (l’un d’eux a lieu dans une autre communauté afin de découvrir la diversité de l’Église), un pèlerinage dont le but varie selon les années, un ou deux « dimanche monastique » durant lequel on ouvre largement les portes. Ce sont autant de haltes qui permettent de se poser et de faire mûrir les fruits en germe.

La vie consacrée, même si on s’y sent attirée, reste souvent une grande inconnue qui fait peur. Les jeunes ont donc la possibilité autant qu’ils le désirent de venir partager un repas avec les frères et sœurs, de faire des « stages » plus ou moins longs. Quel que soit leur appel, cette découverte concrète les aide souvent à avancer.

L’année converge vers la retraite finale : sept jours, à l’écart, avec des enseignements, de longs temps d’oraison et un accompagnement personnel. Cette semaine est bien sûr l’aboutissement d’une démarche qui, on l’espère, a aidé chacun à grandir dans une vraie liberté à la suite du Christ.

Cette démarche veut conduire à l’écoute du Christ parlant au fond des cœurs.

Cette écoute est tout d’abord personnelle. Les rencontres ne sont que les moments saillants d’une démarche individuelle qui cherche à faire grandir l’intimité avec le Christ. Chacun est incité à approfondir sa vie de foi par la prière, la lecture de la Parole de Dieu, la pratique des sacrements, le don de soi dans le service. Un accompagnement personnel est proposé. L’écoute a aussi une dimension communautaire. On alterne suivant les vendredis un partage autour de la Parole de Dieu, un partage sur un paragraphe du Livre de Vie (tracé spirituel qui oriente la vie de nos Fraternités) pour réfléchir sur les aspects fondamentaux de la vie consacrée, une prière partagée et un témoignage. Plus que de grands discours sur la vocation, dont on parle finalement peu ensemble, on cherche à se laisser rejoindre par Dieu parlant à travers le groupe. On veille donc toujours à ce que les rencontres se vivent dans un climat de prière et de fraternité.

Le silence lors des repas, des week-ends, de la retraite aide les jeunes à passer de la dispersion à l’intériorité. Nous proposons tout simplement pour cela l’expérience monastique qui est la nôtre au cœur des villes et dont les jeunes, nous le constatons, ont soif.

L’École de vie est donc un groupe de discernement pour des jeunes désireux de répondre à leur appel. En choisissant de vivre une année dans la fidélité à travers les rencontres proposées et de se mettre à l’écoute, en Église, ils veulent découvrir un peu plus le chemin de la vie en Christ.

Les grandes aspirations que nous rencontrons chez les jeunes sont un beau signe d’espérance. Mais elles jaillissent souvent d’un terrain de plus en plus aride. Nous sommes soumis à l’évolution de la société et à ses conséquences sur l’Église et les personnes. A notre petite échelle nous notons ainsi une évolution de la vie du groupe au cours des années.

Sans m’étendre dans des considérations sans fin sur les changements actuels dont nous constatons tous les conséquences, je relèverai peut-être simplement quelques données qui ont orienté d’une manière ou d’une autre nos propositions. Les jeunes ont de plus en plus souvent des parcours chaotiques qui les rendent fragiles, ils sont souvent blessés et vulnérables. Les contextes familiaux stables sont de plus en plus rares. Ils ont du mal à se poser, à choisir. Ils s’attachent plus au senti, à l’immédiateté et ont du mal à descendre en profondeur. La patience, la durée dans les difficultés sont des vertus auxquelles ils sont très peu exercés. Ils sont confrontés à une Église vieillissante. Ils sont souvent surmenés. Mais ce désert spirituel que nous vivons tous est en même temps le lieu idéal pour percevoir avec plus de clarté l’Esprit à l’œuvre. Les jeunes n’ont-il pas en même temps une soif d’absolu qui les pousse à chercher avec audace la voie de l’Évangile ? Pour peu que l’on soit vrai, enthousiaste et un peu fou ne sont-ils pas capables de se mettre en marche ?

Nous cherchons à rester en éveil. Au fil des années nous avons essayé, parfois en tâtonnant, de diversifier nos propositions. Les week-ends ont été mensuels pendant un temps, le pèlerinage annuel durait une semaine. Nous avons réduit les temps et proposé des dimanches en communauté pour des haltes plus ponctuelles. Ils répondent avec plus de difficulté à des propositions exigeantes au niveau des calendriers. Depuis quelques années on a lancé « un an pour Dieu » : une invitation à prendre une année de sa vie pour le Seigneur, afin de se former, se construire humainement et spirituellement en vivant à l’intérieur d’une Fraternité tout en restant très libre vis-à-vis de celle-ci. Ils sont déjà plusieurs à avoir fait cette expérience. Certains ont continué dans le monde leur chemin, d’autres se sont orientés vers d’autres communautés, quelques-uns encore sont devenus frères et sœurs de Jérusalem. Nous cherchons à accentuer les liens avec notre Église locale pour leur faire découvrir une Église unie au service d’un même Seigneur. Cette ouverture semble porter du fruit, en témoigne l’expérience des Routes de Vézelay qui réunit pendant trois jours une trentaine de communautés. C’est dans cette ligne que nous participons cette année à l’année du prêtre dans le diocèse de Paris, à la veillée de prière diocésaine à la veille des ordinations sacerdotales. Nous cherchons à nous ouvrir aux nouveaux moyens de communication pour les rejoindre mais sans nous y disperser, car l’Esprit Saint et le bouche à oreille restent les moyens les plus efficaces.

Nous restons toujours pauvres devant ceux que le Seigneur nous envoie. Ils sont plus ou moins nombreux selon les années, plus ou moins jeunes, plus ou moins « en place », plus ou moins fidèles, plus ou moins blessés par la vie. C’est le Seigneur qui guide, nous sommes simplement là pour accueillir et nous mettre en état de service. La ligne de fond de l’École de vie depuis les origines, en 1988, reste globalement inchangée. Il nous semble toujours important de proposer fondamentalement le Christ, à travers la lecture méditée ensemble de la Parole de Dieu, le partage d’une même prière, des témoignages. L’exigence du silence reste, et peut-être plus encore, nécessaire pour se mettre à l’écoute. L’ouverture à tous les appels d’Église les rend plus libres dans leur démarche. Il semble enfin toujours plus nécessaire de prendre et de donner du temps.

Devant l’œuvre de l’Esprit agissant en chacun et au sein du groupe, nous sommes souvent émerveillés. Le Seigneur ne continue-t-il pas à appeler malgré tout, chaque année, une nouvelle équipe de quinze à vingt jeunes se mettant en route pour chercher à percevoir son appel ? En restant attentifs aux signes des temps, nous gardons confiance et rendons grâce pour ce dont nous sommes témoins.

Au terme de ce témoignage d’une expérience parmi d’autres, je partage volontiers quelques convictions qui nous animent dans l’accompagnement de ces jeunes en recherche. Il ne s’agit pas là d’un programme pédagogique, mais simplement de quelques orientations à la lumière de l’Évangile.

À la base de toute réflexion sur la vocation, il y a ces données fondamentales que nous transmet l’Évangile et qui sont comme la bonne terre dans laquelle fructifie l’arbre de nos vies. Le Père Tout-aimant et Tout-puissant porte dans son cœur le plus beau projet de nos vies. Il nous faut non pas le trouver mais le recevoir de ses mains. Il y a ensuite un commun appel qui s’adresse à tous. Nous devons être des saints quel que soit notre état de vie. Notre seule règle est l’Évangile qui nous conduit à l’imitation du Christ. L’Esprit qui nous habite depuis notre baptême nous conduit jour après jour au gré de sa grâce. L’essentiel consiste donc à vivre d’amour et de foi et à porter chaque jour notre croix à la suite du Seigneur. Ajoutons enfin que toute vocation chrétienne est une vocation à la nuptialité, aux noces éternelles.

Cela ne dispense personne cependant d’aller plus avant pour préciser son libre choix. Quelles sont les lumières qui pourront éclairer la route ? Tout d’abord celle de la conscience, cette loi inscrite dans le cœur par laquelle, du dedans, Dieu parle à chacun. La deuxième jaillit de la grâce des événements qui, depuis la naissance, tissent notre vie. La troisième vient de la confirmation d’un tiers. Ce sera l’écoute d’un accompagnateur spirituel, une bonne retraite, un séjour en silence dans un monastère. C’est en Église que l’on devient enfant de lumière pour discerner ce qui plaît au Seigneur.

Il est évident que ces lumières requièrent de l’âme en recherche une disposition à l’écoute, à la prière, dans la paix confiante et sereine. Le choix devra d’abord se faire entre deux voies également bénies, le mariage et le célibat consacré. Si c’est cette dernière qui appelle, il sera important de s’interroger par rapport aux vœux de chasteté, pauvreté et obéissance. Il faudra aussi choisir entre vie apostolique et vie contemplative, puis trouver l’appel plus précis qui sera le nôtre dans un lieu donné.

Reste alors un jour à se décider, et à s’en tenir au choix arrêté. C’est un point particulièrement délicat dans notre monde actuel. Nous sommes là confrontés au mystère si grand et si fragile de la liberté humaine. En cela nous restons pauvres dans l’accompagnement de nos frères dans leur route vers le Seigneur, mais qu’il est beau d’être au service du chrétien à l’un des moments les plus cruciaux de sa vie.

L’aventure de l’École de Vie, commencée il y a plus de vingt ans, au sein de nos Fraternité monastiques de Jérusalem continue. Chaque vendredi des jeunes se réunissent dans l’esprit des premières communautés chrétiennes pour se mettre à l’écoute. Ils prennent du temps pour répondre aux questions qui les habitent. Les générations évoluent très vite, et le monde actuel rend souvent difficile leur cheminement mais la soif de Dieu demeure et le désir de se donner reste présent dans le cœur des jeunes. Ainsi nous continuons à proposer une école de vie pour apprendre du Christ lui-même les chemins de la vie. Pas à pas, on découvre alors notre commun appel baptismal, puis celui plus concret et unique à la fois de chacun.

Discerner l’orientation de sa vie est l’aventure la plus passionnante qui soit mais c’est aussi la plus risquée. Elle est passionnante parce qu’elle fait appel au plus beau de la liberté, de l’intelligence et de l’amour. Elle est risquée, car il peut être douloureux de ne pas trouver sa place, et grave de se tromper de route. Mais dans tous les dédales il y a une route de lumière qui conduit à la vérité et la vie. « Daigne le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de la gloire, illuminer les yeux de notre cœur pour nous faire voir quelle espérance nous ouvre son appel » (Ep 1,17-18).