Appeler des prêtres


Francis Deniau
évêque de Nevers

La pyramide des âges des prêtres, dans le diocèse de Nevers, n’est ni meilleure ni pire qu’ailleurs en France. Sur 73 prêtres inscrits dans l’annuaire diocésain, 17 ont plus de 80 ans, 11 entre 75 et 80, 16 entre 70 et 75, 5 entre 65 et 70, 9 entre 60 et 65, et 13 ont moins de 60 ans. En tenant compte de ceux qui sont retraités, arrêtés par la maladie ou hors du diocèse, 47 prêtres sont en activité dans le diocèse, dont 36 seulement ont moins de 75 ans en 2003. Cela grâce à la présence des pères Maristes et des Eudistes, et de quatre prêtres venus d’autres diocèses.

Faisant cette constatation au lendemain du Jubilé de l’an 2000, et en nous réjouissant de la présence de cinq jeunes au séminaire, nous pouvions prévoir 25 prêtres en activité de moins de 75 ans en 2008. Cela nous conduisait à ouvrir plusieurs chantiers dans le diocèse, pour préparer cet avenir avec moins de prêtres :
• créer dans chaque paroisse (il y en a 50, pour 315 communes) une Equipe d’Animation Pastorale ;
• développer les équipes d’accompagnement des familles en deuil et de célébration des funérailles ;
• chercher la meilleure façon de situer les prêtres, leur mode de vie et leur ministère (en sachant qu’il est exclu qu’ils puissent faire demain les mêmes choses qu’aujourd’hui).
Mais ces chantiers, qui amènent à repenser le ministère des prêtres et surtout les modes de collaboration ente prêtres, diacres (encore peu nombreux : ils ne sont que six) et laïcs, ne supposent pas l’absence de prêtres demain. Nous aurons toujours besoin de la présence de prêtres. Nous aurons toujours besoin d’un ministère ordonné indispensable à la vie de l’Eglise catholique.
Parallèlement à ces chantiers, il nous a paru nécessaire d’en ouvrir un autre : « Appeler des prêtres ». Nous avions besoin de réfléchir ensemble sur le sens du ministère presbytéral, sa place dans nos relations, nos familles, nos paroisses et nos mouvements. Nous avions besoin de revenir à notre responsabilité dans l’appel.
Justement, un instrument de travail restait à notre disposition : les fiches du Service National des Vocations pour l’an 2000, qui avaient pour thème : « Dans nos communautés, proposer de devenir prêtre ». Les multiples projets de l’année du Jubilé ne nous avaient pas permis de travailler ce dossier. D’autres diocèses l’avaient utilisé l’année suivante, ainsi le diocèse de Chartres, dont nous nous sommes inspirés.

Un travail commun

Les fiches du SNV s’adressaient aux familles, aux catéchistes, aux conseils pastoraux paroissiaux, aux communautés de religieux et de religieuses, aux prêtres, aux diacres, aux permanents en pastorale, etc. Dès la rentrée 2001, nous avons cherché à proposer cette réflexion à tous ces groupes. Beaucoup s’en sont saisis, et certains ont envoyé le compte-rendu de leurs rencontres.
Parallèlement, un « quatre pages » était distribué aux parents du catéchisme, aux assemblées du dimanche – avec parfois l’invitation à le remplir pendant le temps de l’homélie, après une brève intervention du curé.
A titre d’exemple, voici un compte-rendu du travail du conseil diocésain de pastorale (26 janvier 2002). Il exprime bien le cheminement de la réflexion, et les enjeux perçus par les membres du conseil. Par étapes successives, nous nous préparons à la grande question de la fin de l’après-midi : dans nos communautés, proposer de devenir prêtre.

Faire mémoire

Chacun de nous, comme baptisé, se souvient comment lui-même a déjà été appelé à certains services, certains engagements. Nous nous rappelons les événements, les personnes qui ont relayé cet appel. Nous nous souvenons de nos premières réactions : étonnement, crainte de ne pas savoir mais joie d’être reconnu apte… nous mesurons aujourd’hui tout ce chemin d’engagement et de foi.
Presque tous, nous avons aussi fait l’expérience d’être appelant. Nous décortiquons nos manières de faire : comment nous y sommes-nous pris, à quel moment, comment avons-nous été reçus ?
Tout ce travail, qui n’a pas fait l’objet d’une mise en commun, a permis de poser les fondations de cette journée. Tout se fait dans l’Eglise par appel mutuel, c’est une façon de faire attention les uns aux autres, c’est une façon peut-être, de préparer au « grand appel ».

Comment percevons-nous la place des prêtres diocésains ?

• Quel est l’enjeu de ce ministère pour lequel on veut appeler ?

- célébrer les sacrements ;

- gérer l’unité dans la diversité : il y a tellement de manières d’être chrétien ;

- rassembler, veiller, accompagner ;

- rappeler que tout ce qui se fait, c’est pour faire connaître Jésus-Christ : ramener à la source, relire avec les personnes engagées ce qui fait le cœur de leur action.

• Qu’attendons-nous des prêtres diocésains pour mieux répondre à notre vocation ?

- leur témoignage de foi… qu’ils soient « bien dans leurs baskets », qu’ils nous disent ce qui les fait vivre ;

- leur confiance, qu’ils osent déléguer !

- leur soutien pour mieux connaître l’Evangile et le transmettre à notre tour ;

- un accompagnement spirituel pour tenir dans nos engagements.
• Que peuvent-ils espérer de nous pour les soutenir dans leur ministère ?

- les aider à connaître leur territoire, leurs ouailles, être des relais de tout ce qui se vit sur le secteur ;

- prier avec eux, prier pour eux ;

- prendre notre part d’animation, d’évangélisation ;

- ouvrir les portes de nos maisons, accueillir à notre table, soutenir l’homme ;

- ne pas faire de nos prêtres des gourous ;

- respecter aussi leur besoin de solitude.
Ce ne sont pas toutes les réponses, ce sont celles qui sont revenues le plus souvent à la mise en commun. Nous avons senti aussi le piège qu’il y aurait à imaginer « le prêtre modèle », à idéaliser, à trop demander. Mais c’est aussi ce foisonnement qui permet peu à peu de clarifier nos idées.

Un témoignage

Marc Gautheron, séminariste de la Nièvre, au séminaire interdiocésain d’Orléans, nous dit, dans un exposé clair, qui sont les séminaristes aujourd’hui. Il nous décrit le cursus de formation. Il nous fait toucher du doigt la diversité des séminaristes : chaque vocation est unique, chacun reçoit l’appel de Dieu au cours de son histoire personnelle. C’est l’image de notre Eglise : diversité au service de la proclamation d’une même foi, d’une même mission, l’annonce de l’Evangile.
Cette formation longue (six ans minimum) est progressive. Les deux premières années sont un temps de discernement pour découvrir le projet de Dieu sur soi, et un temps d’approfondissement. Au cours du deuxième cycle de quatre ans, le projet de devenir prêtre se précise, étayé par des stages en paroisse. Le discernement se poursuit ainsi jusqu’à l’ordination, soutenu par la formation humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale.

Ensemble, comment éveiller des vocations ?

• Les prêtres existent, il faut les rencontrer !

- importance du témoignage, comme celui de Marc aujourd’hui. Comment rendre visible à Nevers, le séminaire qui est à Orléans ?

- positiver l’image des prêtres,

- faire connaître le service des vocations,

- présence au forum des métiers.

• Appeler ?

- C’est respecter la liberté. La personne peut dire oui ou non. C’est lui montrer notre intérêt, c’est plus respectueux que le silence qui peut être interprété comme de l’indifférence.

- C’est respecter la personne : « Accepteriez-vous de vous poser la question ? »

- C’est relayer l’appel de Dieu qui a besoin d’une médiation humaine.

- Appeler partout, là où sont réunies des personnes, par exemple au cours d’une réunion de parents.

• Préparer un terrain pour l’appel

- importance des communautés vivantes : se montrer heureux d’être chrétiens ;

- importance des temps forts en catéchèse et aumônerie ;

- prier avec les enfants pour les prêtres actuels, pour les vocations ;

- laisser les jeunes prendre des responsabilités ;

- savoir leur demander : « Est-ce que tu penses aux autres ? Est-ce que tu penses à Dieu ? Quels sont tes engagements humains ? chrétiens ? »

- soutenir les servants de messe ;

- « profiter » des établissements catholiques. Comme parent, dit l’un de nous, je m’attendrais à ce qu’une question comme celle de vocations puisse être posée à mon enfant.

• Inventer
Le chantier est ouvert, relayé par la lettre pastorale du père Deniau et les questionnaires du service des vocations qui circulent, mais aussi le pèlerinage régional à Vézelay le 20 avril, et un temps fort diocésain le 12 octobre. Nous sommes tous concernés. L’Eglise a besoin de la prière et des recherches de chacun.

Des temps forts

Chemin faisant, trois grandes étapes vont marquer cette année.

La lettre pastorale de l’évêque

« Appeler des prêtres » : parue dans le numéro 109 de Jeunes et Vocations, elle sera lue personnellement, mais aussi reprise au long de l’année par un certain nombre de groupes, au-delà du travail avec les fiches du SNV.

Le pèlerinage à Vézelay

Le samedi 20 avril 2002, tous les diocèses convergent vers la colline de Vézelay. Marche et prière. Puis grand rassemblement derrière la basilique. Nous étions partis pour demander à Dieu les prêtres et les diacres dont nos diocèses ont besoin. Dans un grand rassemblement festif, dans un temps d’attention et de prière simple. Avant la célébration de l’Eucharistie, Philippe Barbarin, alors évêque de Moulins, nous invite à répondre, chacun à notre manière, à la vocation qui nous est commune, la vocation à la sainteté. Nous retiendrons tous l’image du bon pain croustillant…

De la semence à la moisson, le travail ne manque pas. Il faut des semeurs et des moissonneurs ; il faut aussi des boulangers pour pétrir la pâte et cuire le pain. Il faut encore des serviteurs pour le distribuer. Commençons donc par semer l’Evangile aujourd’hui. « Malheur à moi, si je n’annonce pas l’Evangile ! » s’écriait saint Paul (2 Co 14, 16). A nous de nous fatiguer maintenant ; d’autres plus tard récolteront le fruit de notre travail pour l’évangélisation. Quelle joie de savoir que ceux qui, au fil des siècles, seront atteints par la Parole, sont dès le début dans la prière de Jésus (cf. Jn 17, 20).
Quand le blé a été moissonné, le travail n’est pas terminé. Il faut encore séparer la paille et le grain, moudre la farine, veiller à ce qu’elle soit belle, fine et pure, la mêler à l’eau du baptême, puis pétrir longuement la pâte et cuire le pain au feu de l’Esprit. En filant cette comparaison, nous pensons à la tâche accomplie dans nos communautés au service des catéchumènes, des jeunes et de ceux que l’on prépare aux sacrements de la confirmation et de l’Eucharistie. Nous rendons grâce à Dieu pour ceux qui contribuent à la formation des diacres et des prêtres. Tout cela nous donnera du bon pain, un pain croustillant, nourrissant, prêt à être mangé par les hommes de notre temps. Chrétiens, après la communion, « vous êtes devenus ce que vous avez reçu » disait saint Augustin. Laissons-nous donc manger par les hommes de notre temps, car le monde a faim, il a besoin d’être réconforté par le pain de Dieu.
Prenons le temps de contempler, dans un des récits de la multiplication des pains, cette cascade du don : les pains sont dans la main du Seigneur, il va les bénir et les rompre ; ces mêmes pains passent de ses mains dans celles des disciples, et des disciples à la foule : « Il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule » (Mt 14, 19).
Dans la prière du Notre Père, toutes les fois que cette demande du pain quotidien reviendra sur nos lèvres, nous pourrons ajouter : « Donne aussi, Seigneur, à ton Eglise les hommes qui vont cuire ce pain et le distribuer. » Et quand nous arriverons à la demande suivante : « Pardonne-nous nos offenses », nous prierons encore pour les vocations : « Choisis parmi nous, Seigneur, les serviteurs dont nous avons besoin pour pardonner nos péchés. » Elle est indispensable, parmi nous, la présence de ces hommes sur lesquels le Seigneur répand son souffle en disant : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis » (Jn 20, 21-23).
Nous vivons aujourd’hui, à Vézelay, un grand moment. La présence de tant de prêtres et de diacres, la réponse d’un si grand nombre de fidèles à l’appel des évêques de notre région apostolique est un signe éloquent, un beau témoignage de foi. Nous prions pour notre Eglise, non pas comme pour une vieille institution qu’il faudrait rénover ou réformer, en lui donnant de nouvelles structures. Nous demandons à Dieu des vocations de diacres et de prêtres, non pas parce que ça ne marche plus ou parce qu’il ne nous reste plus qu’à prier, ni pour nous débarrasser de la question et pour que le Seigneur agisse à notre place.
Nous sentons bien, comme le dit Jean-Paul II, que « la diminution des vocations est souvent, dans un diocèse ou dans un pays, la conséquence de la baisse de l’intensité de la foi et de la ferveur spirituelle. » En priant pour l’Eglise, nous demandons tout simplement que la foi, l’espérance et la charité continuent de couler dans les artères et les veines de ce grand corps. Pourvu que l’Eglise ne devienne jamais tiède, qu’elle ne perde ni son élan missionnaire, ni le goût de la Parole et de la prière. Quelle joie d’entendre ces paroles du Maître : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3, 20).
Nous prions pour les vocations comme cela s’est toujours fait parmi les disciples du Christ, sans orgueil quand elles abondent, sans inquiétude quand elles manquent. L’Eglise doit toujours demander à Dieu les serviteurs dont elle a besoin, car elle ne peut pas se les donner à elle-même. Nous le faisons dans l’obéissance confiante à la parole du Seigneur : « Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Il veille sur nous !

(extraits de l’homélie de Mgr Barbarin)

La journée diocésaine du 12 octobre 2002

A Nevers, sept mois plus tard, le samedi 12 octobre, nous nous ressemblons encore – non pas pour un temps de clôture – mais plutôt d’ouverture sur ce que nous allons vivre dans la suite.
Cinq mini-rassemblements : enfants, ados, jeunes, servants d’autel, adultes… Avec des moyens différents, nous revenons sur la présence des prêtres parmi nous. Comment vivre l’Eglise en situant la place des prêtres ? Comment vivre des communautés suffisamment vivantes pour que des jeunes aient envie de les servir et d’aller en mission ? Comment dire notre besoin de prêtres d’une manière qui soit appelante ?
Nous avons entendu, sous forme détendue et humoristique, les apports des groupes et de l’enquête « grand public ». Quelques témoignages aussi : d’un jeune prêtre, d’une permanente en pastorale, d’une autre laïque… et du coordonnateur du Service National des Vocations.
Et puis nous sommes descendus célébrer tous ensemble à la cathédrale. L’évangile du jour était la parabole des invités aux noces. Cela avait bien quelque rapport avec le thème de l’année et de la journée : « Des prêtres pour demain ». Osons appeler. Mais en commentant la parabole, on oublie souvent les serviteurs. Serviteurs de l’appel, nous le sommes tous. Même si la réponse ne nous appartient pas, si elle est le secret entre Dieu et la liberté de chacun, l’appel a besoin du relais de ces serviteurs de la parabole. L’appel de Dieu passe aussi par nous.

L’appel de Dieu passe aussi par nous : telle est bien la conviction fondamentale que nous avons déclinée de différentes manières au long de cette année. Et la ligne de fond qui demeure. « Les prêtres ne tombent pas du ciel. » Ce sont des communautés vivantes qui portent des vocations. Nos manières de parler des prêtres, d’être en relation avec eux, d’estimer leur ministère… notre désir de répondre à l’appel de Dieu, quelle que soit notre propre vocation, la générosité de notre réponse à l’appel universel à la sainteté, la qualité de nos relations ecclésiales et de notre service des autres… Tout cela permet à des jeunes de se poser la question de la suite du Christ, du service de l’Evangile, de l’engagement dans l’Eglise – et d’y répondre dans les choix de leur liberté.
Mais nous pouvons aussi être plus directs. Il devrait être normal, pour des jeunes en recherche de leur avenir, d’envisager la suite du Christ dans le ministère ou dans la vie religieuse. Se poser cette question n’est pas préjuger du discernement de l’appel de Dieu pour moi – ni préjuger de ma réponse. Aussi nous est-il possible de créer l’espace de cette question, voire de la formuler directement. Dans l’absolu respect du discernement et de la réponse personnelle. Dans l’absolu respect du secret entre Dieu et chacun. Mais ouvrir une perspective ou poser une question n’est pas empiéter sur une liberté. Ce serait plutôt élargir l’espace où cette liberté pourra s’épanouir et se déterminer hors de toute pression et, évidemment, de tout chantage affectif ou spirituel.
Un bon critère de la vérité sera de prier « pour que le Maître de la moisson envoie des ouvriers à sa moisson ». L’appel de Dieu passe aussi par nous, mais en aucune manière nous ne court-circuitons la liberté de Dieu et la liberté de l’autre. Il est un seuil que personne ne peut franchir et où il faut laisser toute la place à Dieu et au mystère de sa relation avec chacun. Nous ne recrutons pas des ouvriers, nous prions le Maître d’envoyer les ouvriers dont il a besoin…
Nous retrouvons bien là d’ailleurs le sens du ministère ordonné, et plus largement le sens des sacrements – et de l’Eglise, non seulement comme peuple ou corps parmi d’autres, mais comme mystère, sacrement. Vatican II a exprimé avec force cette dimension. Nous avons encore à recevoir l’enseignement de Vatican II, et à en tirer toutes les conséquences.
Ce sera cohérent avec ce que nous aurons perçu du mystère du prêtre. Avant tout, il est le signe de l’initiative de Dieu qui rassemble son peuple et l’envoie pour le service de toute l’humanité. Initiative qui s’exprime dans la triple mission du prêtre : serviteur de la Parole, ministre des sacrements et guide de la communauté dans sa fidélité à l’Evangile.