Vies données... joie d’aimer


Emmanuel de Marsac
délégué diocésain à la vie religieuse

Le contexte

Depuis plusieurs années, pour répondre à des besoins précis, le diocèse de Saint-Etienne attire périodiquement l’attention sur des points particuliers. C’est ainsi qu’il y eut « le ministère presbytéral », « la famille », « les paroisses nouvelles », « les recommençants à croire » et du 2 février 2002 au 11 mai 2003, « la vie consacrée ». Cette « année » fut donc longue : plus de 15 mois ! Cela n’en souligne-t-il pas l’importance ?

Le besoin s’en faisait sentir. En négatif, beaucoup, ne respirant que l’air du temps, portaient sur la vie religieuse un regard bien pessimiste. « Voyez les noviciats… le nombre des vocations… l’âge des communautés… les regroupements ne se font que pour survivre… La vie religieuse, telle qu’on la perçoit aujourd’hui, est une forme de vie périmée, valable sans doute dans les siècles passés, mais inadaptée à notre époque… »
Le regard découragé ne peut que larmoyer et ne plus distinguer qu’une image déformée. Tout aussi triste est le regard absent de celui qui ne voit plus ce qu’est la vie consacrée. On voit, bien sûr, ce que font les religieux, les religieuses. On apprécie leur action, mais on ignore ce qui motive leur choix de vie. « Pourquoi encore le célibat ? Des cloîtrés, à quoi ça sert ? Pas nécessaire d’être religieux pour rendre service, pour travailler au bonheur des autres, ni même pour partir au loin et secourir les plus démunis de ce monde... »
Plus enthousiaste est le regard de celui qui découvre les communautés nouvelles, leur extrême diversité : la prière de louange, la joie de reconnaître ensemble l’Esprit à l’œuvre… l’audace dans l’annonce du message… la vie fraternelle… Tout cela attire ! Beaucoup de jeunes se retrouvent. La consécration prend des formes toutes nouvelles.
Les questions demeurent. Les grandes spiritualités qui ont nourri non seulement tant d’instituts religieux mais aussi tant de générations de chrétiens ont-elles encore leur place ? Le renouveau de l’Eglise, constamment renouvelée, peut-il s’enraciner encore dans une tradition vivante ? Quel discernement faire pour accueillir, encourager, élaguer, en docilité à l’Esprit qui ne cesse de travailler mystérieusement au plus intime de chacun, dans la vie de l’Eglise, au cœur du monde ?
Ce qui était confusément perçu de différents côtés était explicitement exprimé au cours des rencontres du conseil diocésain de la vie religieuse. Notre évêque sentait l’urgence des questions posées. Il a donc fortement encouragé le projet et soutenu l’action tout au cours de son déroulement. Durant l’année, les différents services diocésains se sentiront, eux-mêmes, de plus en plus partie prenante de la réflexion engagée.
Le but était clair : non pas d’abord lancer un appel pour les vocations religieuses, comme s’il s’agissait d’une opération de recrutement, mais faire connaître ce qu’est la vie consacrée et cela à partir du témoignage de ceux et celles qui en vivent au milieu de nous.

Les grandes étapes de l’année

Lancement

Le 2 février 2002 se rassemblent des religieux, religieuses et membres d’instituts de vie consacrée à Notre-Dame de l’Hermitage à Saint-Chamond, là où saint Marcellin Champagnat fonda la congrégation des Frères Maristes. Après quelques témoignages, notamment celui d’une religieuse carmélite, un travail de réflexion fut réalisé en groupes inter-instituts.
Il fallait mettre au point le message, de la part des « personnes de vie consacrée (vierges consacrées, membres d’instituts séculiers, religieux, religieuses) du diocèse de Saint-Etienne à leurs frères et sœurs catéchumènes et baptisés du diocèse. » « Nous souhaitons vous partager quelques convictions et interrogations qui nous habitent. » « Durant cette année, nous pourrons nous laisser interroger les uns et les autres… » Le texte posait alors quelques questions : « A quoi l’amour de Dieu m’appelle-t-il aujourd’hui ? Dans nos communautés d’Eglise, que partageons-nous sur nos découvertes de l’Amour du Fils ? Quels moyens prenons-nous pour mieux vivre la fraternité ? En quoi l’Evangile est-il vraiment Bonne Nouvelle pour aujourd’hui ? Quels choix faisons-nous pour qu’il s’inscrive réellement dans notre monde ? »
En assemblée générale, le message fut adopté, ainsi qu’une phrase qui fut choisie comme un leitmotiv qui accompagna toute l’année : « Vies données… Joie d’aimer. »

L’assemblée diocésaine

Malgré le froid rigoureux le 1er février 2003, les deux cent cinquante délégués des différents types d’engagement vécus dans notre église diocésaine se sont retrouvés chez les Frères Maristes à Notre-Dame de l’Hermitage. Les trois quarts de l’assemblée étaient donc composés de laïcs. Cinq témoins amorcèrent le travail : une sœur clarisse, une petite sœur des Pauvres, une petite sœur de la Sainte-Enfance, une vierge consacrée et un frère Mariste.
Trois axes de réflexion étaient proposés par le CDVR : « Relation au Christ », « Vie communautaire et fraternelle », « Mission ici et là-bas ».
L’assemblée se divisa en trois groupes pour travailler chacun de ces axes. Un groupe de vingt-cinq jeunes prenait les mêmes axes dans un carrefour qui lui était propre.
A partir du travail réalisé dans les différents groupes, le CDVR envoya, à tout le diocèse, peu après l’assemblée, les trois types de « propositions » que nous trouvons à la fin de ce petit reportage.
Dans le bulletin diocésain Chrétiens en marche du 16 février 2003, le Père Joatton, évêque de Saint-Etienne, a transmis l’essentiel de ce qu’il a recueilli « dans l’écoute et la réflexion » de cette journée. Son article était intitulé : « Tous concernés par l’appel à la sainteté. » Trois paragraphes soulignaient les aspects principaux :

- porter l’appel à contempler le Christ,

- une spiritualité de la communion entre frères et sœurs chrétiens,

- à cause de Jésus-Christ, passionnés de la mission ici et là-bas.

La fête diocésaine

Le dimanche 11 mai 2003, à 9 h 30, premier rassemblement dans la petite commune rurale de Saint Christophe-en-Jarez, pays natal de saint Jean-Louis Bonnard, prêtre des Missions Etrangères de Paris, martyr au Vietnam, le 1er mai 1852 à l’âge de vingt-huit ans. Il fut canonisé par le pape Jean-Paul II avec cent dix-sept martyrs vietnamiens. Cette vie missionnaire a marqué les quatre cents marcheurs qui prirent alors la route de Grammond, à sept kilomètres de là, pour rejoindre les quelque deux mille personnes qui participèrent à la fête. Déjà un bon millier était rassemblé, en fin de matinée, dans la grande salle des fêtes, pour l’Eucharistie présidée par notre évêque.
Toute l’après-midi, les animations furent très diverses. Trois espaces permettaient d’accueillir chacun des axes de réflexion :
• L’espace « vie communautaire et fraternelle » : chaque institut était présenté par l’un de ses membres, avec l’aide de panneaux sur lesquels figuraient son charisme, son histoire, sa vie dans le diocèse.
• L’espace « mission », animé par le service de la Coopération missionnaire : seize religieux et religieuses, venant de tous les continents, ont pu transmettre un peu de leur expérience.
• L’espace « prière », à l’église : temps d’adoration, de silence et aussi d’écoute de la Parole de Dieu et de quelques témoignages.
Les enfants étaient associés à la démarche par des chants, des jeux, comme le « jeu de l’oie ». Il y eut même un spectacle donné deux fois par des jeunes : « Appel à témoins », opéra-rock à partir de l’Evangile de saint Marc.
La journée était donc bien remplie. Trop peut-être, mais si pleine de joie. Les media s’en sont fait l’écho : « Les religieux sortent de l’ombre ! » ont souligné certains. « Cette fête a marqué, en apothéose, la fin de l’année de la vie consacrée, dans l’Eglise de Saint-Etienne ! » ont pu écrire d’autres.
Cette apothéose marquerait-elle vraiment la fin ? Un feu d’artifice sans lendemain ? S’il en était ainsi, quelle tristesse ! Il n’en est rien. L’année de la vie consacrée a permis une prise de conscience qui ouvre des chemins.

Une prise de conscience : des points forts

Une solidarité diocésaine de plus en plus manifeste

Le service diocésain des vocations, bien sûr, se savait, dès le début, partie prenante de l’année de la vie consacrée. Mais aussi la radio locale, RCF, comme le journal diocésain qui donnèrent, très régulièrement, une large place aux témoignages de religieux et de communautés.
De manière générale, l’intérêt suscité par l’année de la vie consacrée ne fut pas immédiatement acquis. Ce n’est que progressivement que paroisses, aumôneries, mouvements prirent conscience du défi lancé par les religieux et, progressivement, de nombreuses initiatives furent prises pour faciliter la rencontre entre les laïcs, les personnes consacrées et les communautés religieuses les plus proches.

Mieux se connaître, solidaires dans la mission

Entre laïcs chrétiens et personnes consacrées. Désir de voir les communautés religieuses moins cachées, partageant davantage ce qui fait leur vie. Egalement entre communautés religieuses de congrégations différentes et aussi entre religieux et laïcs consacrés. De nombreuses rencontres permirent meilleure connaissance, donc meilleure estime réciproque.

Un approfondissement de l’espérance

L’année de la vie consacrée ne fut pas la célébration d’une joie facile. Les difficultés de la vie religieuse sont connues et la fermeture du Carmel de Saint-Chamond, à cause du trop petit nombre de religieuses, à l’approche de Pâques, a donné sens aux épreuves traversées.
Des propositions concrètes sont offertes. Elles sont le fruit du travail réalisé entre laïcs et personnes consacrées lors de l’Assemblée diocésaine. Les voici.

Pour accueillir et stimuler
les dynamismes de la vie consacrée

Propositions aux consacrés

• S’interroger sur leur visibilité, leur accueil et leur ouverture, leur vie communautaire et leur vie de prière qui pourraient être davantage partagées. Sortir de leur discrétion, passant du « temps du sel » (enfouissement) au « temps de la lumière » (révélation).
• Approfondir le sens de la mission qui est non seulement de donner, mais aussi de recevoir.
• Ouvrir les portes et tables des communautés, au moins une ou deux fois par an, pour permettre à ceux qui le désirent, notamment des jeunes, de participer et d’entrer dans l’apprentissage de la prière, le partage et la vie fraternelle.
• Favoriser l’éclosion de groupes (adultes, jeunes, enfants ou familles) vivant de la même spiritualité.
• Continuer à vivre ou à être envoyés en petites communautés de proximité dans les quartiers populaires, le monde rural, auprès des catégories de gens qui souffrent le plus, à être signes d’amour pour ces personnes.
• Organiser pour tous les consacrés une rencontre par an (par exemple le 2 février) avec une partie de la journée ouverte à tous les autres baptisés.

Propositions aux communautés chrétiennes

• Dans un monde où il est urgent de réapprendre à vivre ensemble, pour réaliser une vraie « communion de communautés », prendre les moyens nécessaires : l’accueil des nouveaux arrivants et du tout venant, la proximité, l’écoute, la reconnaissance des différences, la solidarité, dans un esprit fraternel et une vraie conversion.
• Vérifier que la pastorale est vécue dans une vraie proximité et un engagement au service de la vie des gens.
• Faire des communautés-relais de vrais lieux de proximité.
• Trouver les moyens d’un apprentissage de la vie fraternelle dans toute démarche d’initiation chrétienne.
• Rendre les liturgies plus participatives.
• Favoriser dans les paroisses des rencontres, temps de partage et de prière entre les personnes des différents états de vie pour se dire leur relation au Christ, permettre une prière commune, découvrir l’œuvre de l’Esprit en chacun, donner à chacun la possibilité d’exprimer comment il vit la mission.
• Dans les différentes communautés chrétiennes (paroisses, mouvements…), inviter des consacrés, seuls ou en communautés, pour témoigner de ce qu’ils vivent.
• Rejoindre, voire relayer, les communautés de consacrés pour assurer la mission et la croissance des vocations de baptisés laïcs.

Propositions au diocèse

• Reconnaître la diversité des modes de vie consacrée et favoriser l’émergence de nouveaux charismes et nouvelles formes de vie consacrée.
• Proposer des temps de formation sur les différentes spiritualités (centre diocésain de formation, rencontres chrétiennes…).
• Faire éditer sur le plan diocésain un guide, disponible aussi sur internet, des communautés de consacrés et mouvements spirituels, présentant la spécificité de chacun (en incluant des indications pratiques).