Eucharistie et mariage


Brigitte RICHE
du Service National des Vocations

« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15, 9). « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16).

Ces versets de Jean me semblent résumer la vocation du mariage et l’union étroite entre sacrement de mariage et sacrement de l’Eucharistie. Accueillir le don de Dieu, c’est accueillir l’Amour qui se donne et qui nous donne de nous aimer, mari et femme, dans une alliance éternelle. Grâce au don que Dieu nous fait, nous sommes habités par l’Esprit Saint, membres du Christ, fils et fille du Père, appelés à la joie sans fin de la famille trinitaire.

Notre vie est don de Dieu : « A l’image de Dieu il les créa. Homme et femme, il les créa… Et il vit que cela était très bon. » (Gn 1, 27.31) Le baptême donne la vie divine à l’homme. La vie de Dieu reçue au baptême ne cesse de nous irriguer si nous sommes des sarments rattachés au cep.

Le don de Dieu a pris la forme d’une alliance avec l’homme, alliance dont Dieu a l’initiative. Cette alliance d’amour culmine dans l’Incarnation de son Fils. Le Christ, en mourant et en ressuscitant pour nous et en nous donnant son Esprit, forme l’Eglise son épouse. L’Eucharistie, sacrement de la Nouvelle Alliance, commémore et actualise au long des siècles les noces du Christ et de l’Eglise.

Le sacrement du mariage rend les époux participants de ce mystère d’alliance entre le Christ et l’Eglise et leur demande de le signifier. Le sacrement de l’amour humain s’alimente au sacrement de l’amour du Christ qui a donné sa vie « jusqu’au bout ». Dans le mariage, c’est le mystère pascal de mort et de résurrection qui s’accomplit. L’Eucha­ristie nourrit les époux et leur permet de se redire un oui chaque jour, qui actualise le oui prononcé le jour de leur mariage.

Un amour qui se dit

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). Dans la liturgie de la Parole, nous accueillons Dieu qui nous révèle son amour. Dans chaque couple, une parole inaugure aussi son histoire d’amour. Une parole en laquelle s’est investie la Parole de Dieu, un jour unique entre tous les jours, celui où nous avons reçu le sacrement de mariage. Ce jour-là, au sein de l’Eglise, nous nous sommes dit l’un à l’autre la parole de l’engagement mutuel, total et définitif. Au cœur de notre oui, il y avait le oui de Dieu, sa Parole d’amour. Le Christ s’est engagé avec nous et a consacré notre amour conjugal comme un signe de son amour pour l’Eglise son épouse.

Le don de Dieu appelle une réponse de notre part : « Me voici pour faite ta volonté » dit le Christ (He 10, 9) ; « Qu’il me soit fait selon ta parole » dit aussi Marie (Lc 1, 38).

Une telle réponse est un engagement de tout l’être et de toute la vie. La parole de notre mariage a engagé notre vie tout entière. Une relation existe entre nous qui va se dire avec nos modes humains d’expression : la parole, mais aussi le regard, le sourire, les gestes de tendresse, les attentions de tous les jours…

L’union charnelle y tient une place privilégiée en incarnant profondément le don et l’accueil réciproques. Nous devenons, l’un pour l’autre, parole d’amour jusqu’en l’intimité de nos corps.

Un amour qui pardonne

« Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1). Notre amour n’est pas parfait. Il est entaché d’égoïsme. Nous voulons le bien de l’autre mais aussi notre propre bien. L’amour entre conjoints aussi bien que l’amour du couple pour les autres peut conduire au repli sur soi.

En prononçant le oui du mariage, nous avons appelé sur notre amour la grâce de Dieu qui sauve et transforme. Le Christ s’est engagé avec nous. Si nous recourons à lui, il nous donnera de progresser dans l’amour, de nous aimer comme lui nous aime. Le Christ, mort et ressuscité, nous attire à lui et, par son Esprit, transforme nos vies en la sienne, notre amour en le sien.

Le don de notre amour répond au don de Dieu. Il se concrétise dans l’offrande que nous apportons à l’Eucharistie : nous-mêmes et notre couple, avec toute notre vie, la vie à la maison avec ses joies et des difficultés, ses soucis et ses fêtes, le travail professionnel, les engagements de chacun, les relations multiples et le monde entier auquel nous sommes liés.

Le Christ s’offre lui-même dans l’Eucharistie comme source de notre vie et comme source de notre amour. Notre vie personnelle et conjugale va devenir vie eucharistique, une vie soumise à l’action de l’Esprit Saint, nous assimilant au Christ et assimilant notre amour au sien. « Afin que notre vie soit plus à nous-mêmes, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (Prière eucharistique n° 4).

Un amour qui unit

« L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et ils seront une seule chair » (Gn 2, 24). Le dessein de Dieu Créateur, dès l’origine, visait cette intime communion de vie et d’amour. Dans l’Ancien Testament, la chair désigne la personne tout entière. Dans l’Eucha­ristie, l’Esprit Saint agit pour nous transformer mais aussi pour nous unir au Christ et entre nous. L’Eucharistie s’achève en communion. Ainsi se transforme l’Eglise, Corps du Christ. Ainsi s’approfondit l’union des époux qui deviennent toujours plus une seule chair.

« Seigneur notre Dieu, tu as appelé par leur nom A. et B. pour qu’en se donnant l’un à l’autre, ils deviennent une seule chair et un seul esprit ; donne-leur le Corps de ton Fils par qui se réalise leur unité » (bénédiction nuptiale).

En nous nourrissant du Corps et du Sang du Christ, nous sommes assimilés par lui et nous devenons son Corps qui est l’Eglise, vivifiée par son Esprit Saint. L’Eucharistie fait l’Eglise. Elle fait de l’Eglise non seulement une communauté, mais plus encore une communion, une union vitale d’hommes et de femmes, nourris du même pain et animés du même Esprit, à la gloire du Père. Le couple chrétien est une de ces cellules de l’Eglise ; il est dans la communion de tout le Corps, mais il est lui-même une communion, celle de deux êtres donnés l’un à l’autre pour toujours, mûrissant patiemment leur amour dans une communion de plus en plus forte.

Tout progrès du couple dans la communion conjugale a un retentissement universel. C’est le mystère de la communion des saints. Nous sommes reliés à toute l’humanité. Nous en sommes solidaires. La communion avec Dieu et entre nous achemine l’humanité vers la communion dans l’amour trinitaire.

« Le pain eucharistique fait des différents membres de la communauté familiale un seul corps… D’autre part, la participation au Corps « livré » et au Sang « versé » du Christ devient pour la famille chrétienne une source inépuisable de dynamisme missionnaire et apostolique » (Familiaris consortio).

Une mission à vivre

« Comme le Père m’a envoyé », moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Le couple, cellule vivante et active de l’Eglise, reçoit d’elle une mission qu’il exercera en communion avec les autres membres du peuple de Dieu.

Au sein de l’Eglise

Tout chrétien, comme membre de l’Eglise, comme baptisé, participe à cette mission du Christ. Chacun la remplit selon son état de vie, ses charismes. Le sacerdoce et le mariage, deux états de vie consacrés par un sacrement spécial, apparaissent complémentaires pour prolonger dans le temps la mission du Christ et pour construire l’Eglise qui est son Corps.

Au sein de la responsabilité du couple dans l’Eglise, la mission la plus spécifique est la procréation et l’éducation des enfants. Fécondité non seulement charnelle mais aussi spirituelle : donner la vie à des enfants mais aussi les aider à grandir dans toutes leurs dimensions (corps, esprit, cœur…) et dans toutes leurs relations (à eux-mêmes, aux autres, à Dieu).

Cette fécondité n’est pas toujours possible au couple mais toujours s’ouvre à lui le large champ d’action de l’ensemencement.

Au service du monde

Le terrain d’action du couple chrétien est constitué par toutes ces réalités temporelles où il s’agit de planter la petite graine de l’Evangile. « Les laïcs disposent insensiblement tous les cœurs à l’action de la grâce du salut par cette vie de charité fraternelle qui leur fait partager les conditions de vie et de travail, les souffrances et les aspirations de leurs frères. Enfin, par cette pleine conscience de leur responsabilité propre dans la vie de la société, ils s’efforcent d’accomplir leurs devoirs familiaux, sociaux et professionnels avec une telle générosité chrétienne que leur manière d’agir pénètre peu à peu leur milieu de vie et de travail. » (Décret sur l’apostolat des laïcs, n° 13).

Le couple chrétien a une responsabilité particulière auprès des foyers, des familles et des jeunes. L’envoi en mission qui achève la liturgie de la messe inaugure pour le couple chrétien une mission sans limite qui englobe toute sa vie. Cette vie, transformée par l’Eucharistie, devient tout entière, dans le Christ et au sein de l’Eglise, service de l’humanité.

Appelés à la sainteté, nous avons à vivre cette vocation dans le sacrement du mariage. La sainteté, ce n’est pas faire des choses extraordinaires, c’est faire simplement nos travaux de chaque jour avec le maximum d’amour – amour de notre conjoint, amour de nos enfants – transfiguré par l’amour du Christ puisé dans l’Eucharistie.

À la maison

Relations avec notre conjoint, avec nos enfants, avec la famille, les amis, joies et soucis, travaux, repos, loisirs, moment d’intimité conjugale… « Quoi que vous puissiez dire ou faire, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, rendant par Lui grâces au Dieu Père » (Col 3, 17).

Au travail

Le travail aussi est voie de sainteté, lieu où aimer d’un amour plein d’exigences (celles de la compétence professionnelle, de l’honnêteté, de la justice, de la solidarité, du service de nos frères…). « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père » (Jn 4, 34).

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Si nous essayons de vivre cela, nous entrons dans la communion trinitaire d’un Père qui appelle à la vie, du Fils qui nous appelle à le suivre et nous montre le chemin, de l’Esprit qui appelle au témoignage et qui nous transforme intérieurement. La Trinité est un entrelacement mystérieux d’appels et de réponses et l’Eucharistie nous fait entrer au cœur de cette dynamique.