Des temps nouveaux pour les vocations


Monseigneur Jean-Luc BRUNIN
évêque auxiliaire de Lille

Vous êtes, dans nos Eglises diocésaines, des agents d’une pastorale de l’appel. Pour que nos communautés soient appelantes au nom du Christ, il importe que vous les rendiez attentives à la relation d’Alliance que Dieu établit avec l’humanité. Dieu entre en relation avec les hommes pour les appeler à exister par sa Parole, à la suite du Christ et dans la dynamique de l’Esprit. Avant de se particulariser, la vocation est fondamentalement celle de tout homme devant Dieu qui le crée et le recrée sans cesse.

Voilà pourquoi j’ai choisi de vous proposer de méditer des textes de la Parole de Dieu qui nous ouvrent au mystère de la vocation humaine. C’est cet appel à exister humainement selon le désir de Dieu que l’Eglise doit d’abord répercuter aux hommes, avant de particulariser telle ou telle vocation.

Dans la méditation que je vous propose, ne cherchez pas des recettes pour animer un SDV. Mes réflexions n’ont d’autre but que de vous introduire davantage dans le mystère de l’existence humaine qui a sa source dans l’appel que Dieu nous adresse.

Dieu nous appelle à exister (Gn 2, 4b-8 ; 15-25)

1. Dieu fait exister l’homme devant lui

L’appel que Dieu adresse à l’homme, le fait exister devant lui. L’acte créateur est un acte d’amour... Il révèle le prix que chaque homme possède aux yeux de Dieu.

Servir l’appel de Dieu à exister, c’est poser sur l’autre un regard valorisant... Tant de jeunes se sentent inutiles, tenus à l’écart de leur propre destinée, considérés comme de simples numéros dans une compétition dans les études ou la vie professionnelle... Témoigner du prix qu’ils ont aux yeux de Dieu, c’est leur laisser entrevoir la gratuité de l’amour qui fait exister dans le regard de l’autre : on n’existe trop souvent que dans le prolongement du besoin de l’autre. Avec Dieu, nous faisons l’expérience d’être désiré pour nous-mêmes !

2. La création est don de Dieu à l’homme (versets 8 et 15)

Voir le monde comme création, c’est l’envisager comme offert par Dieu en vue de mon bonheur et de mon épanouissement. C’est aussi une responsabilité que l’homme reçoit : il est appelé à prendre soin de ce jardin d’Eden, le cultiver et le garder.

Mon environnement est le cadre dans lequel je joue mon existence autant que la relation d’Alliance que Dieu propose. Je ne vais pas à Dieu malgré ce qui m’environne et forme mon cadre quotidien, mais en assumant tout ce qui constitue le monde autour de moi et qui est bénédiction.

Dieu appelle à exister devant lui de façon responsable : le monde dans lequel Dieu m’a placé, m’est confié pour « le cultiver et le garder ».

Servir l’appel de Dieu auprès des jeunes qui fréquentent le SDV, c’est d’abord les inviter à exister. Ce sera parfois réhabiliter à leurs propres yeux leur environnement familial, social, professionnel... Même si leur environnement n’est pas immédiatement gratifiant, il est important de rechercher avec eux ce qui a été bénédiction, ce qui le requiert aujourd’hui dans sa responsabilité. Les propositions en ce sens se situent souvent à contre-courant d’une société qui incite à vivre par procuration ou assignation à être, à se satisfaire du rôle de spectateur passif devant le spectacle du monde.

3. Une nécessaire réconciliation

La réponse à l’appel de Dieu se réalise toujours dans une démarche de réconciliation avec son environnement social et ce qu’il m’a fait devenir. On ne sert pas l’appel de Dieu à exister lorsqu’on incite à la rupture. Qu’on invite à la distanciation pour ressaisir son expérience est une chose bonne, mais on ne peut accepter une rupture. Un projet vocationnel ne peut jamais s’édifier sur une cassure, il ne sera solide que dans la mesure où une ressaisie et une réconciliation s’opèrent avec ce qui a fait mon histoire, le milieu qui m’a porté. Toute vocation nécessite la découverte de ce qui fut bénédiction dans la préhistoire de mon appel.

4. L’autre de moi

Dieu me fait exister dans l’expérience de la rencontre de l’autre. On peut méditer le verset du manque (v. 21). L’autre est ce qui me manque pour me réaliser pleinement. Seul, je ne puis atteindre la plénitude de mon humanité. Mon identité est essentiellement relationnelle et dialogale. Adam commence par un contresens : l’autre moi-même, alors que Dieu vient d’instituer l’autre de lui (ce qui est différent de « autre que lui »).

Servir l’appel de Dieu à exister, c’est travailler à réconcilier avec les autres qui forment mon réseau relationnel, identifier la part qu’ils ont prise et qu’ils prennent dans mon devenir humain.

5. Dieu fait exister en m’engageant dans une histoire avec d’autres

Quitter son père et sa mère, c’est s’arracher à ce qui m’a porté et fut source de bénédiction, mais qui risque de me paralyser et de m’étouffer si je m’y cramponne. Je n’adviens à la vérité de mon existence que si je consens à m’arracher à mon clan pour m’ouvrir à des relations nouvelles.

Servir l’appel de Dieu à exister, c’est accompagner dans la distanciation avec ce qui nous a façonnés et la découverte de nouvelles relations à vivre. D’autres sont à recevoir et à rencontrer pour faire histoire avec eux. C’est ce que Jésus nous promet et l’expérience que nous pouvons faire : nul ne quitte son père, sa mère sans recevoir beaucoup plus en ce monde (Lc 18, 28-30 ; Le 8, 19-21). L’engagement à exister à la suite du Christ devient source de bénédictions nouvelles et innombrables. Pour ceux que Dieu appelle, le Christ est chemin d’existence.

Dieu appelle par Sa Parole (Ez 37, 1-14)

1. Une vision de désolation

Le texte ouvre sur une vision de désolation : dispersion et dessèchement. Ne nous arrive-t-il pas de découvrir un tel spectacle de désolation lorsque nous regardons notre vie personnelle, ou celle de certains jeunes que nous connaissons ?

Une existence éclatée entre des appartenances multiples... une grande difficulté à définir notre identité... écartèlement entre désirs, devoir-être, devoir d’état, rêves et aspirations contradictoires.

Ou bien notre vie est desséchée : elle a perdu de sa saveur, on se traîne dans une certaine langueur... ce que des jeunes appellent « galère ». Il nous est difficile d’être attentif et bienveillant aux autres. On est obsédé ou paralysé par l’inquiétude de savoir ce que les autres pensent de nous. On devient agressif, on ne supporte plus les autres, on ne se supporte même plus. On est en panne de générosité, de solidarité et de passion.

2. La Parole de Dieu est vivante et opérante

Le passage d’Ezéchiel nous révèle, par cette vision, que la Parole de Dieu est capable de rassembler ce qui est dispersé, de redonner vie à ce qui est desséché, de rendre féconde notre existence.

La Parole de Dieu peut susciter et re-susciter ce qu’il y a de meilleur en l’homme. C’est une provocation à croire à la puissance et à la fécondité de la Parole de Dieu. Elle peut nous rejoindre sur le lieu même de notre dispersion et de notre dessèchement. C’est là qu’elle opère. La Parole de Dieu n’est pas destinée d’abord aux bien-portants !

En nous rejoignant sur l’essentiel et le vital de notre existence, elle suscite notre propre parole qui nous humanise. Ce qui n’arrive pas à la parole n’est jamais totalement humanisé et humain. Prendre la parole en réponse à une Parole qui m’est adressée, c’est ressaisir mon existence pour la mobiliser dans une réponse. C’est ainsi que l’annonce de la Parole de Dieu peut reconstruire une existence humaine. Nous misons sur l’universalité de la Parole : les mots de Dieu sont destinés à tous les hommes. Ils prennent sens pour eux car ils appartiennent à Dieu : « Frères, aucun d’entre vous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même : si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur » (Rm 14, 7-8).

Il y a fort à parier que la parole humaine qui jaillit spontanément du cœur de l’homme ne soit que bavardage, comme le dit Ezéchiel aux montagnes d’Israël (Ez 36, 3-4) : « Vous êtes devenues la propriété du reste des nations, prétexte au bavardage et au commérage des gens ; eh bien ! écoutez la Parole du Seigneur. »

Proposer la Parole de Dieu, la mettre à portée de la vie des jeunes que nous accompagnons, c’est solliciter leur propre parole qui va les humaniser et leur permettre de ressaisir leur existence parfois dispersée et desséchée. La Parole de Dieu opère en suscitant la parole de l’homme par laquelle il redonne sens et consistance à son existence (v. 7-8).

3. Reprendre souffle

La Parole recompose des existences démantelées. Mais au mieux, elle ne pourrait que redonner forme à des mannequins inertes. La vie vient du souffle de Dieu (v. 9).

Nous retrouvons déjà dans Ezéchiel ce que saint Irénée nous dira des deux mains du Père. Dès l’acte créateur, le Père met à l’œuvre ses deux mains : le Verbe et l’Esprit. Le Verbe qui structure, donne forme à l’univers créé et à l’homme... l’Esprit qui donne vie et anime le créé. De toute éternité, le Père crée et recrée sans cesse le monde par le travail de ses mains.

4. Pour une reprise en main de mon existence

Comment comprendre que Dieu nous appelle à nous laisser reprendre en main par sa Parole et par son Esprit ?

Nous vivons dans une société hyper médiatisée... Toutes antennes dehors, nous captons des sons et surtout des images. Le risque est grand de n’en rester qu’au seul niveau des impressions. Je réagis à ces images qui me stimulent, me séduisent, m’émeuvent, m’agacent, me révoltent, etc. Fina­lement, je réagis davantage que je n’agis pour me construire une approche distanciée et analyser le réel. Les événements du 11 septembre sont une belle illustration de cet envoûtement de l’image.

Ce que je fais de ma vie, la manière dont j’assume mon humanité, dont je tisse des relations avec les autres, dont j’habite mon espace social... tout ce qui fait mon existence humaine a besoin d’être informé. Le danger existe de n’en rester qu’à la surface de ses émotions ou de son ressenti, ou bien de me situer au niveau de mes réactions instinctives ou de mes seuls intérêts.

La Parole de Dieu peut me décentrer de moi-même, m’arracher aux griffes de mon seul ressenti, me conduire à dépasser le naturel pour me faire entrer dans un nouvel ordre des choses. Je m’explique : le naturel n’est pas normal. Mes réactions épidermiques, instinctives, spontanées ne peuvent s’ériger en normes. Même si, de façon perverse, on le présente ainsi. Je prends un exemple : il est naturel d’avoir peur de ce qui me paraît étranger et de vouloir le mettre à distance ou l’éliminer. Il est naturel de vouloir se venger, de faire disparaître ses ennemis. Mais la Bible me propose une autre norme, un autrement des choses.

En cette période, comment recevons-nous cette Parole que je lis en Romains 12, 2... 9-21 ?

L’homme livré à lui-même risque fort d’en rester au niveau naturel et d’ériger ses attitudes réflexives en normes. Or, je sais que mon humanité est blessée, marquée par le péché. Livrée à elle-même, elle est en péril de déshumanisation, comme la société d’ailleurs. Laisser ma vie au contact de la Parole de Dieu pour rester humain. Elle me permet de m’arracher au naturel de mes instincts, de mes réflexes, de mes émotions, de mon ressenti, pour naître à l’autrement de Dieu ! Si la Parole engendre à la foi, c’est parce qu’elle me laisse entendre ce que Dieu m’offre comme chemin d’existence. La foi sauve dans la mesure où elle est obéissance, adhésion docile et confiante à l’autrement que Dieu me suggère pour devenir vraiment humain à son image et selon son désir.

Une telle expérience de contact avec la Bible est essentielle pour devenir croyant. C’est Dietrich Bonhoeffer qui rappelle qu’il ne peut y avoir de préalable à l’annonce de l’Evangile. La foi n’est possible que là où la Parole de Dieu se donne à entendre. C’est la Parole de Dieu qui crée la situation où il devient possible de croire, donc de s’humaniser selon le désir de Dieu.

Mais ce que je viens de dire reste encore en deçà de la posture chrétienne. En effet, la Parole de Dieu seule pourrait être traitée comme une loi extérieure, que je devrai satisfaire par mon effort personnel. J’en reviens alors à une sorte de néo-pélagianisme, persuadé qu’il suffit que la Parole m’éclaire pour que, par un effort volontaire, je sois sauvé.

La réalité quotidienne vient me casser toute illusion. Comme saint Paul, je mesure que je suis un homme clivé : « Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais... Je sais qu’en moi, le bien n’habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. » (Rm 7, 15-19). Si je suis livré seul à la Parole, celle-ci m’éclaire sur l’autrement que Dieu me propose pour devenir humain... mais je fais l’expérience que je suis impuissant à m’y convertir et à le vivre.

Qu’est-ce qui me permettra de satisfaire à ce que le Seigneur m’offre à vivre ? Seul le Christ a satisfait pleinement à la proposition de Dieu. Et c’est Lui - et Lui seul - qui peut me permettre de satisfaire en mettant en œuvre l’autrement de Dieu, grâce à l’Esprit qu’Il me donne. L’Esprit de Celui qui, dans notre humanité, a pleinement satisfait à la volonté du Père, nous est donné pour que notre vie s’ajuste à notre tour au désir de Dieu. L’Esprit réalise en nous, avec la coopération de notre liberté, ce que la Parole de Dieu nous laissait entrevoir comme chemin d’humanisation.

Dieu appelle à la suite du Christ (Mc 3, 13-18)

Pour le chrétien, l’appel de Dieu est médiatisé par un appel à suivre Jésus. En théologie, on fait une distinction entre une Parole de création qui s’adresse à tout homme comme un appel à devenir humain et réussir son humanité (c’est une Parole universelle qui se découvre dans l’acte créateur de Dieu par lequel il fait exister l’homme) et une Parole d’Alliance qui se particularise autour de quelques grandes figures telles qu’Abraham, Moïse puis Jésus.

1. Jésus appelle qui il veut

La mission de Jésus se réalise à un niveau grand public : en Mc 3, 7, on souligne qu’une grande foule suit Jésus. Elle est au bord du lac, et Jésus garantit ses arrières : il demande à ses disciples de préparer une barque pour un repli stratégique. Jésus guérit beaucoup de personnes. Dans une société pré-scientifique, ces guérisons n’ont pas le caractère merveilleux que certains leur prêtent aujourd’hui ! Il prend pitié de l’humanité blessée de ceux qui viennent l’écouter et il rend certains à eux-mêmes en les libérant de ce qui les paralyse et les réduit. L’Evangile nous dit que ce sont des signes qui crédibilisent l’enseignement qu’Il donne.

Mais la mission de Jésus se joue aussi à une autre échelle, plus personnelle celle-là. Pour cela, il monte dans la montagne, le lieu de la présence de Dieu. Et il appelle ceux qu’il voulait (v. 13). Affir­ma­tion de la liberté du Christ qui appelle et qui fonde toute démarche de discernement vocationnel. Cet appel n’est pas lancé à la cantonade : c’est un appel personnel, chacun est nommé ou sur-nommé... La vocation est personnelle et unique !

2. Jésus appelle pour être avec lui

La réponse à l’appel de Dieu, qui se particularise par l’appel personnel du Christ, demande une réponse claire et première : être avec le Christ.

Au départ de toute vocation dans l’Eglise, il y a un appel à être disciple de Jésus... vivre avec lui, dans sa compagnie, dans l’intimité de sa présence.

La première mission d’un SDV, c’est de favoriser une vie de disciple du Christ, c’est aussi de valoriser les lieux d’Eglise qui initient vraiment à une vie avec Jésus.

Jésus appelle qui il veut : la mission des animateurs des SDV réside bien dans le service du choix du Christ, sur lequel vous acceptez d’accompagner chaque jeune qui vous est confié pour qu’il discerne le choix du Christ. Vous êtes au service de deux libertés : celle du jeune qui recherche son chemin et celle du Christ qui appelle qui il veut. L’Eglise est cet espace où la rencontre toujours tâtonnante de ces deux libertés peut se vivre et se féconder mutuellement.

3. Jésus appelle pour envoyer

Mouvement à première vue paradoxal que celui d’appeler à « être avec » et d’envoyer. La vie avec le Christ ne se réduit jamais à un cœur à cœur avec Jésus. Au cœur de la relation du disciple avec le Christ, il y a la mission. Le disciple est toujours apôtre... le vrai apôtre est disciple. Nous n’en aurons jamais fini de vivre cette tension entre deux pôles qui semblent antinomiques.

On mesure la stérilité des débats dans notre Eglise entre des mouvements de spiritualité et des mouvements apostoliques. Les uns et les autres doivent pouvoir s’aider à vivre cette double dimension de la vie du disciple et de l’apôtre.

Le contenu de l’envoi est précisé par Marc : prêcher et chasser les démons. Il y a l’annonce de la Parole et les signes qui crédibilisent cette Parole. Elle est Bonne Nouvelle pour ceux auxquels nous sommes envoyés... et cette Bonne Nouvelle doit pouvoir advenir dans leur vie par des signes crédibles. Cela signifie que l’appel adressé par le Christ nous saisit tout entier. Je ne peux vouloir annoncer la Parole en pure extériorité, le faire en passant furtivement. Avec ceux auxquels nous sommes envoyés pour prêcher l’Evangile, nous avons vocation de faire communauté pour garantir la pertinence de l’annonce.

Dieu envoie pour des temps nouveaux (Mt 28, 16-20)

1. La nature de la mission

Les versets 16 et 17 laissent apparaître les disciples comme sujets de diverses actions : ils se rendent en Galilée, à la montagne comme Jésus leur a demandé... ils voient Jésus, ils se prosternent... mais certains d’entre eux doutent ! On est dans le champ de l’activité humaine, et ça débouche sur l’indécision : les disciples sont partagés entre l’adoration et le doute.

A partir du verset 18, c’est Jésus qui prend l’initiative : il était objet du récit, il en devient le sujet. L’action des disciples n’est plus la mise en œuvre d’une décision humaine, la mission découle de la puissance du Ressuscité ; notons le « donc » du verset 19 : « Allez donc ! »

La présence du Christ à la mission n’est pas une promesse du Christ pour seconder ou soutenir le travail missionnaire des disciples, mais elle est le milieu dans lequel la mission peut s’exercer. C’est parce que la Ressuscité est présent et agissant que la mission est possible. La mission actualise et révèle cette présence.

La mission n’est donc pas une activité que les disciples exercent au nom de Jésus et avec l’aide de celui-ci, mais c’est d’abord une activité de Jésus lui-même et de Son Esprit à laquelle les disciples sont appelés à s’associer.

2. Le contenu de la mission

Le texte de Matthieu retient trois aspects qui disent quelque chose du contenu de la mission :

- faire des disciples,

- baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,

- apprendre à garder ce qui a été prescrit.

Je m’arrêterai sur le second aspect : baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

La note de la TOB précise que « au nom de » signifie que s’établit une relation personnelle. « Baptiser au nom de… », cela vise une relation personnelle entre celui auquel on s’adresse et le Dieu qui nous envoie. Baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, c’est introduire dans le mystère du Dieu trinitaire. Au-delà du geste rituel, c’est toute l’initiation qui est incluse dans cette invitation du Ressuscité.

Nous sommes loin de la compréhension fonctionnelle de la formule, « baptiser au nom de » apparaissant comme une délégation donnée au ministre qui se substitue à un absent. Le texte dit plus qu’une simple délégation : baptiser, c’est laisser le Christ introduire dans le mystère d’amour du Dieu Père, Fils et Esprit. La mission apparaît donc comme tout un processus structuré : annonce de l’Evangile, sacrement, initiation, éthique correspondant à la justice nouvelle. La mission vise à faire exister l’Eglise comme un espace fraternel où l’Evangile est annoncé, où l’on célèbre, où l’on initie et où l’on forme à vivre à la suite du Christ.

Et la finale du texte manifeste la réalisation de la promesse faite par l’ange à Marie : « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : “Dieu avec nous.” » (Mt 1, 23).

3. Pour une nouvelle compréhension de la mission

En ce domaine, il s’agit de tirer toutes les conséquences de l’ecclésiologie de Vatican II. La mission n’est plus spontanément perçue à partir d’un mandat reçu par le Christ pour partir ailleurs, annoncer la Bonne Nouvelle et baptiser. A la suite de Lumen gentium, le décret Ad gentes place la naissance de la mission à sa vraie source. Ce qui constitue l’Eglise de façon radicale trouve sa source dans la vie trinitaire. Le § 2 en tire la conséquence que l’Eglise toute entière est missionnaire. « De sa nature l’Eglise est missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père » (Ad gentes, § 2).

Le point de départ de la mission qui envoie les hommes les uns vers les autres est à chercher dans la vie trinitaire elle-même. La mission ne naît pas du besoin des hommes qu’il faudrait sauver, mais d’une nécessité intérieure à Dieu lui-même de rejoindre l’humanité pour se communiquer à elle et lui partager sa Vie. La mission ne peut plus se penser comme une activité de l’Eglise dans des espaces particuliers (appelés « pays de mission » ou « terres de mission »), mais comme le caractère même de toute l’activité ecclésiale. L’Eglise est missionnaire dans toutes ses activités et dans tous les lieux. De ce fait, toute communauté d’Eglise, où qu’elle soit, devient le signe visible et l’expression sociale du don que Dieu fait de lui-même à cette part de l’humanité.

Vivre la mission pour ces temps nouveaux demande qu’on élargisse notre présence évangélique en une présence évangélisatrice. Il nous faut redécouvrir, dans une perspective théologale de la présence et de la proximité, l’importance des réseaux, de la convivialité, du respect des rythmes de la vie moderne. Il y a urgence à aider les chrétiens à redécouvrir une spiritualité missionnaire dans la dynamique de l’Incarnation.

Cette spiritualité missionnaire pose trois exigences dans une existence chrétienne :

  1. Beaucoup de chrétiens semblent avoir pris leur parti de l’indifférence de leurs contemporains. De ce fait, ils vivent l’Eglise pour eux-mêmes et intègrent facilement ce que nous appelons rapidement la privatisation de la foi. On peut avoir des communautés vivantes, dynamiques, mais finalement ronronnantes parce que refermées sur les seuls convaincus, sans recherche d’ouverture. Pensons à la difficulté des catéchumènes à trouver leur place dans de telles communautés.
  2. Un seuil est franchi lorsque les chrétiens prennent conscience qu’au nom de l’Evan­gile, ils sont solidaires et proches des hommes. La vie communautaire doit permettre à chaque fidèle de découvrir à quelles solidarités plus larges il est appelé. Il ne s’agit pas d’une universalisation théorique, mais bien d’une ouverture à des personnes ou des groupes précis et particuliers. Ce seuil de la proximité évangélique est une étape décisive dans l’émergence d’une conscience apostolique chez tous les baptisés.
  3. Mais la proximité évangélique doit se muer progressivement en proximité évangélisatrice. Celle-ci se déploie dans le partage de la vie des personnes. On voit souvent des gens, étrangers à l’Eglise, mais vivant en solidarité avec des chrétiens, passer de l’estime pour ces croyants à l’intérêt pour ce qui les fait vivre. Ce passage nécessite des temps et des lieux où il soit possible de rendre compte de la foi qui nous anime. On ne peut plus se contenter d’un enfouissement silencieux. Par ailleurs, la proximité ne sera évangélisatrice que dans la mesure où notre existence chrétienne deviendra vraiment prophétique, c’est-à-dire lorsque nous porterons le souci de témoigner dans le concret des engagements, des comportements et des paroles de l’autrement de l’Evangile.

Père, Tu nous connais… Tu connais chacun et chacune de nous… Tu nous connais par cœur… par le cœur.

Avant même que nos yeux ne s’ouvrent à la lumière, Tu nous aimais, Tu nous façonnais pour vivre et Te connaître. Nous sommes faits pour Toi, puisque nous existons par Toi. Nous n’aurons jamais fini de sonder le mystère de Ton Amour qui porte notre vie… qui l’appelle à s’épanouir pour qu’elle chante Ton Nom.

Donne-nous de redécouvrir sans cesse les autres dans la lumière de ce mystère. Donne-nous de croire qu’ils sont faits pour Toi, pour Te connaître, qu’ils ont droit de goûter Ta tendresse… qu’ils ont besoin de nos paroles pour entendre Ton Appel.

Donne-nous de risquer nos paroles, comme les disciples de Ton Fils jetaient leurs filets.

Nous sommes souvent tentés de rester sur la rive, nous contentant de goûter Ton Amour. Mais Tu nous envoies avec ton Fils, Tu nous invites à le faire monter dans notre barque pour repartir sur le lieu de nos déceptions et de nos échecs. Et il nous relance : « Avance en eau profonde, et jette tes filets » (Lc 5, 4).

Comme Ton Amour est exigeant, il ne nous laisse jamais en repos, il est comme le vent qui nous emmène au large pour oser ton appel...

Donne-nous de croire que le filet de notre appel peut rejoindre et saisir une pêche abondante. Donne-nous d’espérer que notre barque suffira à peine à accueillir tous ceux que Tu saisis dans l’immensité de Ton Amour.

Père, l’Esprit du Christ peut vaincre en nous toute crainte et toute peur. Donne-nous la force de servir une Eglise audacieuse qui avance en eau profonde et qui, en ces temps nouveaux, lance les filets de Ton Appel…

Seigneur Jésus, nous T’accueillons en cette Eucharistie, sois le bienvenu dans notre barque… Emmène-nous au large, nous jetterons nos filets.