"Je suis venu pour qu’ils aient la vie"


Mgr Hubert Barbier
archevêque de Bourges

" Comment définir la mission d’un service diocésain des vocations ? Il est trop souvent perçu comme spécialiste des vocations, à côté des autres services de la vie diocésaine. En forme de boutade, faut-il supprimer les SDV ? Plus sérieusement, la pastorale des vocations sert-elle à quelque chose ? Quelles sont les chances et les freins de cette pastorale ? Comment doit-elle s’articuler à toute la pastorale d’un diocèse ? "

Voici des questions qui me sont parvenues.

Ce sont bien les questions qu’un certain nombre de SDV se sont posées ou se posent. D’où les recherches ou démarches diversifiées des SDV à travers la France telles que ce numéro de Jeunes et Vocations les fait deviner.

Plutôt que de vouloir repartir de mes expériences de ce service en trois lieux successifs, d’autant que je n’ai pas sous la main les documents qui me seraient nécessaires, je préfère dire ce qui m’habite aujourd’hui à ce sujet, quitte à revenir ensuite, un instant, à l’expérience.

Vocation de tout homme à vivre

"Vocation" : c’est bien sous cette perspective que j’envisage toute vie, la mienne et celle de tout homme. Nous sommes appelés à vivre : " Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance " (Jn 10, 10). Vocation à vivre qui nous est donnée à la naissance. Vocation renouvelée en Christ, à la naissance à nouveau pour une vie plénière.

Au service de la vocation de l’homme, l’Eglise

Je n’ignore pas, ce disant, combien certains traînent leur vie. Comment leur en faire reproche ? Ils sont dans des circonstances telles que cette vie est misère, écrasement, combat incessant, épuisant, certains sont du reste comme rayés de la vie, sans vergogne, de leur vivant et à leur mort.

Mais, précisément, l’appel à la vie de la part du Seigneur demande d’être relayé par des hommes, fils du Père de toute vie, frères de Jésus : "Tu as du prix à mes yeux" (Is 43, 1), "Lève-toi et marche" (Jn 5, 8), parole et geste de vie, démarche de confiance qui suscite la confiance, démarche en actes tout autant qu’en paroles.

"Dieu a besoin des hommes " : des hommes et des femmes merveilleux vivent la passion de ce relèvement de leurs frères, de l’appel à la vie, bien au-delà de l’engendrement physique. Relèvement et appel à la vie en toutes situations, professionnelles, sociales, familiales, économiques ; en tous états de vie, engagements, et services ; en tous états de santé, de pauvreté ou de richesse… On peut en effet subir. On peut aussi en toutes circonstances vivre la situation ou l’activité comme une réponse à un appel, une collaboration à une œuvre de vie, à une œuvre de naissance et de renaissance. Je milite en ce sens. Pour des chrétiens. Mais aussi pour les non-chrétiens car ceux-ci peuvent découvrir en eux cet appel à vivre, même s’ils ne peuvent le nommer.

L’Eglise tout entière a mission et possibilité pour ce service de la vocation de l’homme à la vie. Elle est, en tout elle-même, porteuse de la Bonne Nouvelle et des gestes de salut, pour en vivre et en faire vivre.

La Vocation... les vocations en Eglise

En l’Eglise, des missions ou appels divers sont portés, reçus, au service de la réalisation de la vocation de l’Eglise, au service de la vocation de l’homme. Appels multiples, pour l’actualisation des grandes activités du service de l’Eglise : accueil dans l’action de grâces, annonce, charité pour tous, particulièrement les petits.

"Pierre, m’aimes-tu ?" (Jn 21, 16). Ceux qui sont appelés ne sont pas des tâcherons mais des "amis", associés à l’amour et à sa force de vie. Pas sans la croix certes : peut-il en être autrement ? Le Seigneur, cependant, n’a que faire d’ "esclaves" de la mission, lui qui est venu libérer pour l’amour…

Nous connaissons les activités de la mission et les services qui les portent : catéchèse, service des malades, œuvres de charité, proximité, combats pour la justice, accueil et célébration du don de la vie renouvelée en célébrations et sacrements, assemblées… Je cite volontairement sans ordre, car si tout cela ne peut ou ne doit à tout moment exister, tout cela a signification dans le service de la vie de l’homme et de l’humanité et l’Eglise, sous l’inspiration et avec le concours de l’Esprit, appelle à ces services.

Cependant, au-delà de ces activités, des situations sont élevées elles-mêmes comme sacrements particuliers de la vie du monde. Ainsi la communauté conjugale et familiale, pour ceux qui les veulent tels. Ainsi encore, la communauté de ceux et celles qui se trouvent en situation de passion douloureuse en leur corps et leur esprit à la manière du Christ, s’ils acceptent de vivre et d’être le sacrement des malades.

Parmi les vocations en Eglise… certaines vocations

Parmi les services et situations qui vivent la vocation de l’Eglise au service de la vocation de l’homme à la vie, il est des états de vie choisis qui font davantage apparaître aux yeux de tous la vocation de toute vie, en même temps qu’ils la soutiennent. Et ce parce qu’ils sont centrés exclusivement, à travers leur vie sociale et services visibles, dans leur affectivité et activité, sur le Christ et son Père, dans le souffle de l’Esprit et sur le peuple de Dieu, Corps du Christ en ce temps.

Ainsi, en est-il de ceux et celles qui sont publiquement consacrés, en toute leur vie et activité, à l’absolu de Dieu, volontairement, durablement et par consécration d’Eglise.

Ainsi, en est-il de ceux qui, quoique de manière différente, à la suite du Christ et pour le rendre présent comme tel, sont consacrés volontairement, durablement et par ordination, comme serviteurs, ministres de l’œuvre de renaissance du Christ-tête, lui-même, et du Corps porteur, avec lui, de cette œuvre.

Ces états de vie, en même temps qu’ils servent la vocation de l’Eglise, maintiennent celle-ci et le monde en éveil de la vocation de chacun et de tous à recevoir la Vie du Père de toute vie et du Fils le Sauveur.

Sans ces états de vie ou de service, la communauté-Eglise ne pourrait se recevoir, et vivre, à partir de là, sa et ses vocations.

Le Service des Vocations

Dans ce cadre, quel rôle peut avoir le SDV dans un diocèse ? Sûrement celui de contribuer à ce que toute la communauté chrétienne vive sous la perspective de la vocation : vocation à la vie, vocation au service de la Vie.

Mais il n’est pas seul en cette œuvre, ni même premier en bien des lieux. L’assemblée dominicale, les divers lieux et services communautaires pour la liturgie, le témoignage ou le service tendent également, de par leur mission première, à révéler et soutenir, guérir et promouvoir la vocation à la vie et au service de la vie.

Si le SDV a un rôle, c’est un rôle particulier, que je dirais de "starter" pour le service de la dimension vocationnelle de l’Eglise en toutes ses activités et composantes. Ce rôle, à mes yeux, il l’a, il ne peut l’avoir que parce qu’il est prioritairement et principalement au service de la naissance, de la croissance, du soutien des vocations qui, par consécration ou ordination, recentrent toute leur vie et leurs activités, leur intervention dans le monde et au cœur de l’Eglise, sur le Christ et son Père.

Si je reviens à mon expérience, je dirai volontiers : quand les SDV et les organismes qui en dépendent ont oublié ce rôle primordial de leur service, ils sont devenus vagues, insignifiants, c’est-à-dire incapables de faire signe. Et de plus, ils n’ont pu remplir le rôle que personne à leur place ne pouvait remplir, tels : les groupes de discernement pour garçons et filles, adultes, jeunes ou enfants en écoute d’appels à consacrer leur vie au Christ ou à l’Eglise ; l’aide apportée pour de semblables discernements en divers lieux, les sessions de formation d’accompagnateurs de ces personnes en éveil ; les journées de sensibilisation des communautés chrétiennes à la nécessité et l’urgence ecclésiales permanentes de ministres ordonnés ; les forums ou interventions avec d’autres partenaires sur la responsabilité diversifiée en Eglise, la spécificité du peuple de Dieu dont le Christ lui-même est la tête, la source, la nourriture, l’encouragement pour le "se tenir devant Dieu" et pour "l’appel" en Eglise susceptible de rejoindre une disponibilité et un appel intérieur…

J’ai dû par deux fois, sans l’avoir prévu, encore moins cherché, arrêter des institutions proches de SDV qui ne portaient plus rien d’original, et même plus rien du tout sauf un cocon particulièrement douillet, et qui cependant donnaient bonne conscience. Ceci, non sans créer ensuite, un foyer ou centre d’accueil clairement identifiable dans l’objet et dans la conduite.

J’ai vu aussi des bulletins diocésains des vocations hésiter un moment mais, par la suite, se réorienter.

Une question, certes, s’est posée à partir du moment où des personnes de tous états de vie ont été associées aux SDV : pouvait-on les intéresser au SDV, les mobiliser pour le service des vocations en Eglise si on ne parlait pas de toutes les vocations, si le SDV ne devenait pas le soutien de toutes les vocations et de tous les appels ?

Il me semble qu’à cette question, non sans importance, il a été répondu de deux manières.

Pour certains, en parlant indistinctement des vocations, sans apporter les distinctions suggérées en début de mon propos. Le SDV s’est alors porté sur tous les terrains, au service de tous les "appels". "Qui trop embrasse mal étreint" : le SDV s’est vite découvert impuissant pour une telle mission tous azimuts. Et même peu désiré : d’autres sont à l’œuvre, et heureusement, pour la vocation chrétienne au mariage, ou dans la vie sociale, professionnelle, ou les services de l’Eglise… A moins de se transformer ou d’être transformé en super-mouvement ecclésial, le SDV est retombé souvent alors dans la morosité qu’il avait voulu éviter à ses membres en délaissant le terrain spécifique où les résultats semblaient se faire attendre…

Une autre manière de répondre a été de considérer que le SDV, ainsi enrichi de personnes de tous états de vie et missions, devenait lieu où l’Eglise, par tous ses membres représentés au SDV, se montrait et se vivait tout entière intéressée à des vocations qui désignent le Christ et son œuvre de manière toute particulière, vocations qui vont soutenir et ressourcer, féconder toutes les vocations, toutes également dignes mais indirectement (ou "médiatement") seulement centrées sur Celui qui est, qui était et qui vient, le Créateur et le Sauveur, le Verbe par qui tout tient en vie. Des laïcs peuvent sans problème être responsables de tels services. J’en connais…

"D’où parles-tu ?" me demandera-t-on. J’ai été successivement en trois diocèses : à Luçon, à Annecy, actuellement à Bourges…

J’ai par ailleurs servi - ou je sers - en apostolat social (Secrétariat Social devenu Centre d’Etude et d’Action Sociales), en Action Catholique, en plusieurs de ses composantes, en pastorale de la santé, en pastorale de la charité, pour ici et pour là-bas comme on dit, en célébrations liturgiques et démarches sacramentelles et en formations diverses. J’ai appelé. J’appelle. Je fais des lettres de mission ou d’agrément. Je préside des reconnaissances ou des envois de responsables en divers services et groupes.

Et je ne manque pas d’optimisme. Sans doute aussi d’espérance. Les SDV ont, à mes yeux, tout un avenir, une urgence… Mais à condition de bien tenir leur mission. Peut-être de la mieux définir en chaque diocèse.

Par ailleurs, je n’ai pas de leçon à donner. Je veux demeurer humble. Comment ne pas l’être en la matière ?