Confiance, il t’appelle


Mgr Christophe DUFOUR
évêque de Limoges

" J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé" (Is 49,1). Le vieux prophète est appelé pour annoncer l’espérance dans le présent douloureux de l’Exil. Il relit sa vie et s’émerveille : Dieu pense à lui, Dieu l’aime, Dieu l’appelle dès le premier instant de sa conception dans le sein de sa mère. Cette découverte l’enchante et il la rend publique pour qu’elle devienne l’espérance de tout un peuple : il est appelé. Tel est aussi notre acte de foi : chaque garçon, chaque fille qui naît sur cette terre est appelé par Dieu, personnellement, dès avant même sa naissance, à un destin unique. J’aurais envie de murmurer à chacun cette parole : "Tu es aimé, tu es appelé ; si tu n’existais pas, il manquerait quelque chose dans l’univers ; écoute le Père, il t’appelle ; écoute-le et prends ta place, fais de ta vie une réponse à sa Parole." Prier pour les vocations n’est donc pas prier pour que Dieu appelle, ce serait manquer de foi. Prier pour les vocations c’est, bien sûr, demander la grâce de croire davantage en l’appel de Dieu au cœur de son peuple. Mais c’est aussi et d’abord s’émerveiller et rendre grâce : aucun être humain n’est exclu de l’appel du Père et cet appel possède une énergie capable de faire se lever les plus désespérés, aveugles et boiteux, paralytiques et tous ceux qui ne croient plus en leur avenir. La force de l’appel a sa source dans l’amour que Dieu offre à chacun de façon unique, l’appelant à prendre sa place unique dans l’histoire des hommes, unique au monde. "Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force" (Is 49,5). La prière pour les vocations est prière d’émerveillement devant l’appel de Dieu qui donne sa chance à tout être.

"Confiance, il t’appelle" (Mc 10,49). Voyez cet homme sur le bord de la route de Jéricho, le fils de Timée. Il est appelé mais il ne le sait pas. Jésus passe, mais il ne le voit pas. La rumeur de la Bonne Nouvelle parvient à ses oreilles, mais il ne l’entend pas, du moins pas pour lui. La masse des auditeurs habituels de la Parole lui barrent l’accès à la voix. La foule qui se presse autour de Jésus le prive d’une présence réelle. La souffrance de Bartimée n’est pas seulement de ne pas voir, elle est aussi de ne pas être vu.

Permettez-moi de vous conter cette anecdote vécue. Elle vous dira plus que tout discours le bouillonnement de mon cœur et de ma prière pour les vocations. Je célèbre la messe dans une communauté paroissiale dont c’est ce jour-là la fête patronale. Messe priante et fervente, bien chantée et animée. Public habituel : minorité de jeunes, majorité de retraités. Après la célébration, tous sont invités à la salle des fêtes pour le verre de l’amitié, bien agréable et convivial. Un seul jeune se risque à franchir la porte de la salle. Il a 20 ans. Autour de lui, beaucoup de cheveux gris. Manifestement il ne connaît personne, mais tous les autres participants l’ignorent, trop heureux de se retrouver entre eux, aveugles à ce qui n’est pas "eux". Il est seul. D’abord à quelques mètres de la table, à l’écart : seul. Il s’approche timidement et prend un verre : seul. Il boit, le nez dans le verre : seul. Par le plus grand des hasards, il se fait que je connais ce jeune. Quelques jours auparavant, il m’avait confié qu’il avait entendu à Lourdes l’appel à être prêtre. J’ai mal, très mal. Je voudrais lui dire : "Confiance, il t’appelle." Je lui glisse quelques mots à l’oreille et quitte la salle, meurtri. Dieu l’appelle. Quelle Eglise lui inspirera confiance et lui donnera envie de dire oui ?

Telle est donc ma prière de supplication pour les vocations. Je ne demande pas que Dieu appelle, j’y crois intensément. Mais toute vocation ne peut éclore que dans une terre travaillée par l’Evangile. Sa germination, sa croissance et son fruit dépendent de la qualité de terreau dans laquelle elle est née. Dieu parle. Dieu sème sa parole dans l’intime des cœurs. Mais il a besoin de la médiation d’une parole humaine qui valide, confirme, révèle la sienne, et d’une communauté qui accompagne l’appel et le fait grandir. L’engagement d’un jeune à la suite du Christ s’appuie sur une foi, mais aussi sur une communauté. Prier pour les vocations, c’est prier pour la conversion et la réforme de nos communautés pour qu’elles soient plus ferventes, plus fraternelles, plus évangéliques.

Et voici le dernier temps de ma prière. "Que sera cet enfant ?" C’est la question des gens au-dessus du berceau. Elle nous est rapportée à propos de la naissance du Baptiste. Chaque naissance porte son mystère. L’histoire de l’humanité est faite de ses hommes et de ses femmes qui s’y sont engagés. L’histoire de l’Eglise est marquée par des saints et des saintes. Et l’histoire de nos communautés est elle-même façonnée par des figures entrées dans les mémoires. Ces figures sont engendrées mystérieusement par l’Esprit. Elles sont données. Elles sont pure grâce. Elles apparaissent un jour dans l’histoire, comme ces graines qui germent soudainement sans que l’on ait véritablement préparé la terre pour les semer. Jean, fils de Zacharie et Elisabeth, est de ceux-là : il ne pouvait plus être attendu, il vient contre toute espérance. Paul de Tarse est aussi de ceux-là, comme un cadeau de la grâce ; que serait le christianisme sans Saint Paul ? Oserions-nous dire que Marie elle-même fut le fruit de la sainteté d’un peuple ? Elle jaillit de la terre des hommes comme une fleur unique, merveille que le ciel lui-même n’avait jamais portée. Ainsi notre prière pour les vocations se fait toute humble, entièrement soumise à Dieu : "Père, que ta volonté soit faite."

Béni sois-tu, Père Créateur,
Tu mets tout ton amour en tes fils bien-aimés,
Tu aimes et tu appelles chacun par son nom,
Dès l’instant de sa conception.
Le plus petit des enfants des hommes est grand devant toi,
Cher à tes yeux et d’un prix infini,
Unique au monde et irremplaçable.
En le créant, tu l’aimes.
En l’aimant, tu l’appelles.
Ton amour donne sa chance à chacun.
Ton appel inspire force et confiance au cœur de l’être.
Qui le fera entendre à ceux qui cherchent leur chemin ?
Qui leur dira que tu comptes sur eux ?
Seigneur donne-nous de croire davantage
Que tu es un Dieu qui appelle
Donne-nous de contempler en tout être
La force de ton appel.
Mais nous étouffons ta voix, Père très Saint,
La voix de ta confiance en tes fils bien-aimés.
Tu sèmes et la terre que nous sommes
Demeure sèche et dure.
Tu appelles et nous n’inspirons pas confiance.
Donne à nos communautés d’être comme le sein d’une mère,
Nourricières et fortifiantes.
Donne à ton Eglise d’être fervente et fraternelle,
Evangélique et configurée à ton Fils,
Engagée au cœur du monde sous le souffle de l’Esprit.
Nous croyons que tu appelles aujourd’hui des jeunes
A donner leur vie pour le Christ.
Puisse ton Eglise leur donner envie de dire OUI.
Père très bon et généreux,
Depuis l’origine tu conduis ton peuple
Et suscites en son sein des prêtres et des prophètes,
Des apôtres et des saints.
Tu les fais naître parfois de la femme stérile.
Isaac né de Sara, Samuel né de Anne.
Jean né de Zacharie et Elisabeth.
Toi qui, des pierres, peut susciter des enfants à Abraham,
Vois ton Eglise pauvre et fragile,
Pécheresse et sourde à tes appels,
Veille sur elle et suscite en elle
Les pasteurs qui la conduiront,
Les apôtres qui porteront ta parole.
Père,
Que ta volonté soit faite.