Les vocations en France


Mgr Hippolyte Simon
évêque de Clermont-Ferrand

Il m’a été demandé de vous présenter l’état de la situation des vocations en France. Par "vocations" j’entendrai ici, ce matin, essentiellement les vocations presbytérales. Je traiterai rapidement et schématiquement d’autres vocations (par exemple les diacres et les religieuses). Mais je ne parlerai pas de toutes les vocations baptismales. Je n’ignore pas que toute vie chrétienne est réponse à un appel. En ce sens, toute vie chrétienne peut être reçue et comprise comme une vocation. J’ai traité de cet aspect dans une conférence intitulée "Appeler, c’est servir une liberté [ 1 ]." Par décision de principe et en accord avec ceux qui m’ont invité, je bornerai mon intervention à la présentation de ce qu’il est convenu d’appeler "La crise des vocations sacerdotales".

<>Je noterai simplement au passage que le mot "crise" n’est sans doute pas adapté pour décrire notre situation. Voilà plus de 35 ans que je suis entré au séminaire, plus de 30 ans que je suis prêtre et l’on parlait déjà de cette "crise". Autant dire que je vis avec depuis longtemps. Je ne sais donc pas si c’est la crise qui a la vie dure, ou si c’est nous qui avons la vie encore plus dure puisque nous y résistons depuis trente ans !

I - Etat de la situation

Evolution du nombre des ordinations sacerdotales en France, de 1900 à 1999

Après les chocs consécutifs à la séparation de 1905 puis à la guerre 14-18, nous constatons une remontée de ce chiffre jusqu’à la seconde guerre mondiale. Si nous "lissons" la courbe pour les années 1939-1949 nous constatons que la courbe atteint son maximum à cette époque-là, puis qu’elle tombe régulièrement de 1949 à 1975.

Les ordinations en France depuis 1935

Avec un léger répit au début des années 60, la courbe baisse régulièrement de 1945 (ou de 1938 selon les interprétations, mais il convient de corriger les chiffres des années de guerre) à 1977. Depuis cette date, nous sommes sur un palier relativement stable. A ces chiffres des ordinations de prêtres diocésains, il convient d’ajouter, par an, environ cinquante religieux.

Les ordinations en France depuis 1900

Nombres de séminaristes (dont entrées en 1ère année)

Si nous regardons les chiffres des ordinations, ceux des entrées en première année de séminaire ou le chiffre global des séminaristes, nous constatons une baisse régulière depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à 1975-1977, puis un palier depuis 1977. Ce palier marque une très légère reprise au début des années 80. Mais il amorce une légère tendance à la baisse depuis 1995.

Document 5

Les ordinations depuis 1951

Les bacheliers depuis 1951

Je reprends ici une comparaison que j’avais publiée en 1992. Il s’agit de la courbe du nombre des bacheliers, en France, entre 1950 et 1985, et de la courbe des ordinations à la même période. Vous voyez qu’elles sont exactement inverses. Si on les superpose, elles se croisent en 1969. Je pense que cette comparaison est très éclairante. En 1951, on a ordonné un prêtre pour 30 bacheliers ; en 1967, 1 pour 300 ; en 1985, 1 pour 3000 ! Avec ces chiffres on mesure quelle est la visibilité - ou la non visibilité - de la vocation sacerdotale parmi les jeunes arrivés au baccalauréat. C’est dire aussi l’importance colossale du rapport à la culture universitaire pour l’évolution des vocations dans notre pays.

Nombre de religieuses

Filles en enseignement supérieur

Le document est lacunaire mais il confirme le précédent. Il s’agit du nombre des religieuses et du nombre de filles dans l’enseignement supérieur. J’ai classé le nombre des religieuses en fonction de leur année de naissance. Pour celles qui sont nées avant 1920, donc ayant plus de 80 ans, il est clair que le chiffre actuel ne rend pas compte du nombre de celles qui ont été religieuses, puisqu’il ne mesure que les survivantes actuelles. Il faudrait donc corriger la courbe pour avoir le nombre de novices autour des années 1930 ou 1940. Quoi qu’il en soit, vous voyez que les deux courbes se croisent brutalement entre 1950 et 1960. Il y a là aussi, et peut-être là surtout, une "révolution culturelle" considérable. Statistiquement, on ne peut que noter l’incidence du changement des conditions de scolarisation des filles sur le chiffre des entrées dans la vie religieuse. Je m’en tiens à cette indication, faute de statistiques plus précises sur les entrées au noviciat dans les années en question. Mais, intuitivement, je pense que des données chiffrées plus précises (si elles existent, ce qui n’est pas sûr, et en tout cas je n’ai pas pu les obtenir) n’infirmeraient pas l’hypothèse.

Réciproquement, et là aussi de façon intuitive, je suis convaincu qu’une analyse plus fine, congrégation par congrégation, permettrait d’établir une corrélation entre le développement ou la diminution de celle-ci en fonction de la manière dont a été pris en compte, ou non, le développement des études supérieures. Je cherche des étudiants pour faire un mémoire sur cette question...

Les ordinations diaconales en France depuis 1971

Progression du nombre de diacres en France depuis 1970

C’est une étude faite par Michel Jallade, ancien secrétaire du Comité National du Diaconat, sur l’évolution (hypothétique) du nombre des prêtres et des diacres permanents en France. Il faut noter que cette étude intègre les religieux (soit environ 50 par an). Si rien ne change dans le rythme actuel des ordinations de diacres et de prêtres en France, d’ici à 2029, cette étude montre que le rapport entre les prêtres et les diacres permanents, à l’intérieur du ministère ordonné, reste de 2,9 prêtres pour un diacre. Encore une fois si rien ne change. Cette projection - encore une fois hypothétique - a au moins le mérite d’infirmer le slogan selon lequel les diacres sont appelés à remplacer numériquement les prêtres. Reste que la réserve formulée par Guy Lescanne est pertinente : ce n’est pas la même chose, psychologiquement et spirituellement, d’appartenir à un groupe social qui augmente ou de faire partie d’un groupe social qui dépérit. Mais, sur le plan numérique, le slogan est faux et il convient, je crois, de le dire [ 2 ].

Voilà pour une présentation rapide des données chiffrées. Il faudrait y ajouter l’étude des religieux et celle des communautés dites "nouvelles". Là encore, s’il y a des étudiants candidats à un mémoire sur le sujet, qu’ils veuillent bien s’y mettre. Mais c’est une étude très compliquée qu’il faut entreprendre. En effet, les statuts de ces communautés sont très divers. Certaines présentent des candidats à l’ordination qui sont comptés parmi les prêtres diocésains, et d’autres qui sont considérés comme religieux. C’est un décompte très précis qu’il faudrait faire. Je crois cependant que ces données, pour partielles qu’elles soient, permettent déjà de poser les questions de fond.

II - Analyse

Si l’on revient à l’évolution du nombre des séminaristes et des ordinations en France, on constate une diminution régulière des chiffres, de 1945 à 1975, puis un palier de 1975 à 2000, légèrement à la baisse ces dernières années. Les courbes appelleraient beaucoup de commentaires. Je m’en tiendrai à ceci.

a) Si certains pensaient que la baisse des vocations, en France, date du concile Vatican II, il est clair que la courbe démontre le contraire. Cette baisse est amorcée depuis au moins les années cinquante et n’a donc rien à voir avec le concile. Au contraire, la courbe se stabilise dix ans après la fin du concile.

b) Cette baisse, si on la rapporte à l’évolution du nombre des bacheliers, explique ce que j’ai appelé "l’effet de cisaille" des années soixante. C’est à cette époque-là que la scolarisation a été rendue obligatoire jusqu’à 16 ans. Ce qui a entraîné la création de collèges dans tous les cantons et la disparition consécutive de presque tous les petits séminaires. Autrement dit, c’est tout le système antérieur de l’accompagnement des vocations sacerdotales - avant le grand séminaire - qui a été cassé.

c) A la suite de la guerre d’Algérie, et au moment de la réforme de la scolarité (et de ce que j’ai appelé par ailleurs le "mascaret des années 60"), tous les grands séminaires ont connu une refonte quasi complète. Beaucoup ont été fermés et les diocèses se sont regroupés pour ouvrir des séminaires interdiocésains. La carte actuelle des séminaires, sauf quelques exceptions, date des années 1975-80. On constate que cette refonte de la carte des séminaires est contemporaine du palier numérique observé. Je rappelle que la première ébauche de la Ratio des séminaires est de 1975.

d) Il convient aussi de se souvenir que ce palier est consécutif à la grande vague des départs de prêtres, au début des années 70. Il n’en est donc, à mes yeux, que plus étonnant. J’y reviendrai.

e) Peut-on se contenter de dire que la baisse de la courbe est enrayée depuis 25 ans ? Evidemment non. Car il est bien clair que les effets de la diminution du nombre des prêtres, en France, depuis 1950 au moins, va faire sentir ses effets à très long terme. C’est inscrit dans le corps de l’Eglise qui est en France plus profondément qu’une entaille dans le tronc d’un arbre. Il convient donc d’analyser maintenant les conséquences déjà là de cette situation qui dure depuis un demi-siècle.

III - Conséquences déjà là

Au risque d’être schématique, je dirai que cette évolution longue du nombre des prêtres catholiques en France, depuis 1950, a déjà eu comme effet, au moins ceux-ci :

a) L’effet de cisaille des années 60 : moins de prêtres (et de religieuses, l’évolution étant parallèle) jeunes pour évangéliser des jeunes qui deviennent de plus en plus nombreux en situation scolaire nouvelle. La cisaille devient alors une spirale puisque la proposition peut se lire à l’envers : moins de prêtres (et religieuses) jeunes pour les jeunes <=> moins de jeunes qui deviennent prêtres (ou religieuses).

b) A terme, et nous y sommes, obligation de refondre le maillage territorial de l’Eglise. Le tissu des paroisses, hérité de plus d’un millénaire, est remis en question et se façonne à nouveaux frais dans la majorité des diocèses de France.

c) Une redistribution des responsabilités à l’intérieur des communautés catholiques : paroisses, aumôneries, mouvements et services.

Il faut dire clairement que ces deux refontes ont été entreprises sous la contrainte de l’évolution numérique des prêtres dans nos diocèses. Mais pour autant, l’occasion suffit-elle à donner toutes les raisons ?
Je reposerai cette question ailleurs, à un autre moment. Qu’est-ce à dire ? Même si nous entreprenons ces refontes - ou ces réformes, comme vous voudrez - à l’occasion de cette pénurie, celle-ci n’explique peut-être pas toutes les raisons que nous avons de les entreprendre. Je m’explique.

Refonte du tissu paroissial

Travailler à refondre le tissu paroissial de nos diocèses ce n’est pas seulement obéir à la contrainte numérique liée à l’évolution du chiffre des prêtres. La société civile fait la même chose alors qu’elle trouve encore des candidats à la mairie dans toutes les communes. Et certains élus disent que ceci est un frein à l’évolution nécessaire du nombre des communes dans notre pays.

Autrement dit, faire des paroisses nouvelles, c’est aussi répondre à un impératif lié à l’évolution de nos modes de vie depuis cinquante ans. Je note en particulier un point qui me paraît décisif : s’il est vrai que le "divorce" ou le "décalage" entre le dispositif paroissial antérieur et la société civile date de la création des collèges, au début des années 60, alors il peut être intéressant de constater que le nouveau maillage paroissial, auquel nous travaillons, revient, de facto, à remettre en cohérence la géographie de nos paroisses et la "géographie spontanée" des jeunes de 15 ans. Car la géographie de ces jeunes, ce n’est plus l’espace de leur commune natale, c’est le territoire d’où viennent leurs copains du collège. Si nous voulons que ces jeunes soient remis au centre de notre dispositif pastoral, il faut que nos paroisses nouvelles soient en cohérence, le plus possible, avec la carte des collèges, et peut-être même avec celle des lycées. Ce doit être aussi cohérent avec les moyens de transport et les autres aspects de nos modes de vie. Ce doit être aussi, encore une fois, en phase avec les recherches de l’Etat et des collectivités territoriales.

J’ajoute que le christianisme, qui est né dans les grandes villes de l’Empire Romain, ne doit pas avoir peur de nos modes de vie actuels, qui sont fondamentalement urbains. Le christianisme est né dans les villes. Il est chez lui dans une forme de sociabilité où l’on choisit ses relations. La transition d’une Eglise bien adaptée au monde rural où les voisins vous sont imposés vers un monde urbanisé où l’on choisit son réseau, ne se sera pas faite sans douleurs ; c’est pourtant ce qui est en train de se réaliser sous nos yeux et dont nous sommes les acteurs. Je crois que c’est décisif pour notre avenir à tous.

Refonte des responsabilités

Travailler, en même temps, à redéfinir le partage des responsabilités dans l’Eglise c’est obéir là aussi à la contrainte. Mais c’est aussi, j’en ai la conviction, travailler à inventer une figure de l’Eglise cohérente avec ce monde dans lequel nous sommes entrés.

Au XVIIe siècle, la majorité des baptisés que rencontrait saint Jean Eudes dans ses missions étaient illettrés. Cela a donné, dans notre pays, une certaine figure d’Eglise. Au XIXe siècle, le renouveau catholique s’est fait à partir des congrégations religieuses éducatives et/ou hospitalières. Cela a donné une autre figure d’Eglise.

Aujourd’hui, l’Etat et la société civile ont pris à leur compte ces fonctions éducatives et hospitalières. Et les laïcs ne sont plus des illettrés. Une autre figure d’Eglise est en cours de constitution. C’est la loi de la vie ecclésiale depuis 2000 ans. Je vous renvoie ici à la lecture du "Rapport Dagens" et à la Lettre aux Catholiques de France. Sachons regarder ce qui émerge et pas seulement ce qui meurt. Il y a en permanence "deux diapositives dans le projecteur", si vous me permettez cette image. Ne les confondons pas.

Nous venons d’un temps, pas si lointain, où toutes les responsabilités ecclésiales étaient portées soit par des prêtres, soit par des religieux ou des religieuses. Puis voici que la pénurie nous oblige à inventer. Et que se passe-t-il ? On peut lire la situation comme une perte ou une détresse. On peut aussi la lire comme un défi à relever. De mon point de vue, il se passe comme une décantation, qui n’est pas terminée. Il apparaît alors de plus en plus nettement qu’il existe des responsabilités qui sont liées au ministère ordonné et d’autres qui relèvent du baptême. Nous n’avons pas fini ce discernement entre ce qui relève du ministère ordonné et ce qui relève du baptême. Il nous faut encore du temps pour clarifier nos idées sur ce point. Mais Vatican II nous a donné les outils conceptuels pour procéder à cette réévaluation et à ce rééquilibrage. Pour ma part - je sais que ce que je vais dire maintenant n’est pas bien reçu partout, mais puisque je le pense je le dirai quand même - je pense qu’il convient d’aller plus loin dans la clarification des rôles, des responsabilités et des ministères, à l’intérieur de nos diverses communautés. Nous n’avons pas fini d’explorer. Et je regrette que l’on pose trop vite la question en termes d’ordination à propos de toutes les responsabilités et services dans l’Eglise. Cette attitude me paraît revenir à penser le neuf dans les catégories de l’ancien. Puisque, jusqu’à nous, au moins en Occident - dans les pays de mission c’est très différent - il fallait être "ordonné" ou "religieux" pour exercer une responsabilité dans l’Eglise, alors il paraît nécessaire à certains "d’ordonner" - fût-ce pour un temps limité - ceux et celles à qui l’on voudrait confier une responsabilité ecclésiale. Je ne suis pas sûr que ce soit le bon chemin.

C’est pourquoi, à titre provisoire, j’aurais donc tendance à réserver le terme "ministère" pour les ministres ordonnés et le terme "responsabilité" pour les baptisés laïcs. Cela simplifierait au moins le vocabulaire.

Cette distinction a le mérite... d’être claire, même si elle est schématique. Elle a aussi le mérite de ne pas enfermer le ministère dans les seuls actes accomplis au service de la communauté rassemblée. Elle permet en effet de penser aussi, par exemple, le ministère des prêtres ouvriers et des diacres lorsqu’ils travaillent en dehors de l’assemblée liturgique. Réciproquement, en ne posant pas le problème de l’ordination des laïcs elle permet de confier des responsabilités à tous les laïcs, y compris donc... aux femmes. Je reviendrai plus tard sur la question de l’ordination des femmes. Je retiens ici que nous n’avons pas encore déployé toute la recherche pour penser un nouvel équilibre entre les ministères et les responsabilités au sein de l’Eglise. Or cet équilibre est comme celui d’un mobile : il peut changer selon que l’on déplace les points d’appui et les curseurs. Nous avons évidemment à progresser encore pour définir, organiser, préparer, célébrer et reconnaître ces diverses responsabilités dans l’Eglise. Mais nous pouvons encore progresser largement si nous posons la question en termes de responsabilités liées à une compétence (qui s’acquiert et se perfectionne) plutôt qu’en termes de revendication de l’ordination.

Pour résumer, il me paraît que, pour l’instant, les conséquences actuelles de la pénurie numérique des prêtres nous obligent à un travail de recherche et d’invention plutôt passionnant. Je n’ignore pas toutes les contreparties en souffrances, en inquiétudes et surtout en termes d’absence du ministère ordonné dans de larges secteurs de notre société, en particulier parmi les jeunes. Mais je veux retenir que cette pénurie - qui a un lourd revers - nous oblige à être inventifs. Que ceci arrive au moment où le corps profond de l’Eglise est "fatigué" au dernier degré ne peut pas nous étonner si nous sommes lecteurs de l’histoire d’Abraham et de Sarah ou de l’Evangile selon Luc, au chapitre 5 : "Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : "Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche". Simon répondit : "Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole, je vais jeter les filets."" (cf. Jean 21, 1-6)

Je ne sais pas si nous aurons la force de jeter les filets, mais je suis sûr de la fatigue qui est aujourd’hui celle de tous les acteurs ecclésiaux. Elle ne doit pas cependant nous empêcher de nous projeter vers l’avenir. Il est vrai qu’à vues humaines l’avenir paraît fermé. Je viens de parler des réformes ou des refontes auxquelles nous sommes contraints. Je crois qu’il est possible - aujourd’hui- de transformer ces contraintes en chances de renouvellement. Mais, disant cela, j’ai bien conscience de jeter une arche sur un fleuve sans savoir si l’autre moitié de l’arche viendra se positionner en face de la première, à partir de l’autre rive. Il y a là, dans cette situation, quelque chose qui peut donner le vertige. Il convient cependant d’exorciser celui-ci et de regarder vers l’avenir.

Il est clair que si rien ne se passe dans les années à venir, il deviendra très difficile, pour ne pas dire impossible, de tenir même les dispositifs que nous inventons aujourd’hui. Autrement dit, nos réformes appelleront bientôt, pour être et rester positives, l’arrivée de nouveaux ministres ordonnés.

IV - Conséquences à venir

A partir de ce constat, à supposer que nous nous accordions sur lui, que pouvons-nous faire pour l’avenir ? Si nous sommes d’accord pour dire qu’il nous faut trouver de nouveaux ministres ordonnés, reste à savoir ce que nous pouvons proposer pour y parvenir. Je crois qu’il n’y a pas mille solutions, il n’y en a que trois et elles sont régulièrement énoncées dans tous les débats où vient la question des ministères ordonnés. Je vais donc les explorer avec vous.

o Chemin A : des séminaristes se présentent et se mettent au service de l’Eglise, selon le dispositif actuel, tel qu’il a été confirmé par le concile Vatican II et par le Pape depuis le concile.

o Chemin B, hypothétique celui-là : l’Eglise latine change sa discipline et ordonne des hommes mariés pour le ministère presbytéral.

o Chemin C, encore plus hypothétique : l’Eglise catholique accepte, comme les anglicans l’ont fait, d’ordonner des femmes pour le ministère ordonné. Mais ici il faut noter que la question de l’ordination éventuelle de femmes comme prêtres se dédouble. Il faut en effet se demander si ces trois chemins sont consécutifs, ou s’ils interagissent les uns sur les autres. Personne, à ma connaissance, ne l’a jamais écrit, mais il faut pourtant se le demander, compte tenu des deux questions qui précèdent : en effet, si l’Eglise catholique devait un jour décider cette ordination, appellerait-elle des femmes mariées ou des célibataires ? Je crois qu’il faut y réfléchir, car, contrairement à ce que j’entends souvent, la signification du célibat n’est pas du tout secondaire.

Ces débats sont posés partout, il serait vain de le nier. Je crois qu’ils sont souvent posés de travers et qu’ils empoisonnent la vie de nos communautés. Je pense qu’il est donc préférable d’essayer de les clarifier. Toutefois, pour qu’il soit bien clair, dans l’esprit de tout le monde, que les deux derniers chemins - B et C - sont hypothétiques, je vous dis dès maintenant ce que je réponds lorsque la question m’est posée, et elle l’est régulièrement, dans des réunions publiques ou privées, dans mon diocèse. "Le pape Jean-Paul II ne m’a pas envoyé évêque à Clermont pour que je fasse la "secte" d’Hippolyte Simon à Clermont. Donc, je ne le ferai pas !"

Ceci étant clairement posé, et il serait démagogique de ma part de répondre autrement, il n’est pas interdit de réfléchir à des hypothèses. Prendre acte d’une décision et l’assumer n’interdit pas de réfléchir à ses attendus.

Je ferai remarquer, en préalable, que si l’on devait un jour changer la discipline sur le chemin B - et encore plus sur le chemin C - je souhaiterais qu’il y ait d’abord un concile. Je sais bien que le Pape pourrait décider seul, après consultation des évêques, de changer cette discipline. Mais il me semble que cette décision serait terriblement lourde de conséquences. C’est pourquoi je pense qu’un concile ne serait pas inutile pour en parler d’abord.

Il est clair que le concile n’est pas à l’ordre du jour. Donc, ce que je dis ici est purement de l’ordre de l’hypothèse. Mais à supposer qu’un concile soit annoncé, que pourrais-je dire ? Au moins tenter de poser les problèmes dans le bon ordre. Car, comme disait Marx, "la position d’un problème constitue sa solution", et il avait raison sur ce point. Je vais donc essayer de mettre à jour les enjeux de ces trois ou quatre questions et de les exposer dans un ordre qui permette d’en mesurer les conséquences.

A partir d’ici, je vous propose un cheminement qui ne sera pas linéaire, mais qui a sa logique. Je vais d’abord explorer avec vous les deux chemins hypothétiques, B et C, pour les confronter à leurs conséquences potentielles. Puis je reviendrai au chemin actuellement ouvert, le chemin A, pour voir si nous pouvons le sortir du discrédit dont il se trouve actuellement frappé. Il me semble que cette confrontation entre les hypothèses B et C et leurs conséquences, d’une part, puis la ré-évaluation de la pertinence de A, d’autre part, nous permettra de sortir de l’attitude "mythique " qui consiste à penser que de toutes façons, il n’y a rien à faire actuellement pour les vocations sacerdotales.

Chemin B : l’ordination d’hommes mariés comme prêtres

Je demanderais en préalable que les Eglises orientales catholiques fassent un bilan de leur pratique, puisqu’elles connaissent bien cette situation. Je demanderais aussi que les Eglises des autres continents fassent l’évaluation de leur situation.

Pour ce qui est de la France, dans l’état actuel des choses, je ne sais pas ce que je dirais. Mais je vois bien ceci : si, il y a 35 ans, le concile avait rendu possible l’ordination d’hommes mariés comme prêtres, je crois que cette mesure - pardonnez-moi si je vous surprends - eût été profondément conservatrice. Nous aurions pu trouver, dans chaque paroisse d’alors, un homme capable de célébrer la messe, les baptêmes, les mariages et de présider les funérailles. Et bien des catholiques n’auraient pas demandé autre chose.

Du coup, nous n’aurions pas modifié le tissu paroissial mais nous aurions sans doute déformé le ministère presbytéral en le tirant quasi exclusivement vers le pôle de la liturgie. Nous n’aurions pas, non plus, rééquilibré de la même façon le ministère ordonné et les responsabilités des baptisés laïcs.

Après que ces deux réformes, dont j’ai parlé, auront été faites, mais c’est déjà pour demain, si ce n’est pas pour aujourd’hui, la question pourra être posée à nouveaux frais. Je ne refuse pas d’y réfléchir. Mais il faudra alors, et c’est une troisième remarque à propos de ce chemin B, s’interroger sur ce que deviendra le diaconat permanent. Si l’on cherche des hommes, célibataires ou mariés, pour les ordonner prêtres, on pensera, bien souvent, à ceux qui sont déjà susceptibles d’être ordonnés diacres, ou qui le sont déjà. Dès lors, le diaconat permanent disparaîtra une seconde fois par absorption dans le presbytérat. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire. Mais, même si je n’ai pas la place ici pour développer cet aspect, je ne suis pas complètement sûr qu’il faille se précipiter sur ce chemin, car le diaconat me paraît apporter des perspectives missionnaires intéressantes, si on sait le regarder attentivement. Et je ne souhaite pas que l’on y renonce trop vite. Et puis, d’ailleurs, que diraient eux-mêmes les diacres ? Pour en avoir parlé avec beaucoup, je ne préjuge pas leur réponse.

Voilà pour le chemin B. A priori, comme vous le voyez, je ne refuse pas d’y réfléchir, mais je ne donne pas à cette décision le caractère prophétique, ou progressiste, qu’on lui prête généralement, et, à mon sens, trop superficiellement. Si l’on ne veut pas réduire le ministère presbytéral à une simple fonction d’animation, autrement dit, si l’on veut penser ce que signifie l’ordination en tant que telle, on ne peut pas se contenter d’une réflexion à partir du seul critère du nombre des ministres.

Chemin C : l’ordination de femmes comme prêtres

Je laisse ici la question de l’ordination au diaconat qui est différente, mais sans doute pas sans analogie. Tout le monde connaît la réponse du pape Jean-Paul II à cette question. Comme je l’ai dit, je ne la remets pas en question. Mais le fait de prendre acte d’une décision et de l’assumer n’interdit pas de réfléchir à ses attendus. Aujourd’hui, cette question ne se pose pas de façon pratique, pour les raisons que j’ai déjà dites, mais l’opinion publique la pose. Il faut donc l’envisager.

Il y aurait, de toute façon, un préalable institutionnel. Compte-tenu de l’enjeu d’une telle tradition, plus encore que de la précédente, il faudrait au moins un concile de tous les évêques catholiques avant de remettre en question. Je dis au moins, car il y faudrait peut-être un concile complètement œcuménique regroupant tous les chrétiens. Ce qui suppose, si l’on ne veut pas ajouter de difficultés sur le chemin de l’unité avec les orthodoxes, que cette unité soit réalisée antérieurement. Ce qui permettrait aussi de faire le bilan des expériences anglicane et protestante. A vues humaines, cela nous laisse donc le temps de réfléchir. Mais, même si c’est clairement sur des hypothèses, il n’est pas interdit de le faire.

Serait-il possible, serait-il opportun d’ordonner des femmes comme prêtres dans l’Eglise catholique ? La question est agitée dans tous les milieux et sur la place publique. Elle reçoit souvent des réponses simples, par oui ou par non. Mais quels sont les enjeux de ces réponses ?

On peut évoquer les faits, l’histoire, la tradition pour répondre non. On peut aussi faire observer que, sur la base du baptême, il n’y a pas de différences entre les chrétiens car, dit saint Paul : "Parmi vous il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus" (Ga 3, 26).

Dans le Christ, pour les baptisés, toutes les déterminations antérieures, qu’elles soient religieuses, politiques, économiques ou sexuelles, sont "dépassées". Tous les baptisés sont revêtus d’une égale dignité. Ceci est comme une anticipation de la situation selon la Résurrection. Mais, dit le même saint Paul, ce que nous serons, ce qui est déjà réalisé, n’est pas encore manifesté. Même si nous sommes déjà ressuscités dans le Christ, nous sommes encore dans l’opacité de la société avec toutes ses déterminations. Et ceci commande la réponse à la question posée, car les ministères sont faits pour la vie présente, pour notre pèlerinage sur la terre, pas pour l’eschatologie.

Pour transcender ou dépasser la détermination maître / esclave, il a fallu des siècles. Lorsque mon saint patron, Hippolyte de Rome, au début du IIIe siècle, a vu élire un esclave affranchi comme pape, Callixte, il a "vu rouge"... et il a fait un schisme. En prime, cet ancien esclave prétendait utiliser la langue vulgaire du temps, le latin, pour la liturgie ! Alors que depuis "toujours", l’Eglise priait en grec ! C’était au IIIe siècle. Mais chacun sait que l’esclavage n’a été aboli - en théorie - qu’à la fin du XVIIIe siècle. Je ne dis pas que la Parole chrétienne n’a pas été efficace dans ce combat pour l’abolition. Je pense au contraire qu’elle en a constitué le ressort, parfois caché et occulté, mais toujours là. Avec Hegel, je pense qu’elle a permis ce travail, parfois conscient, parfois inconscient, dans la culture occidentale, qui a ouvert le chemin et débouché sur l’idée de l’abolition. Ici peut parfaitement s’appliquer l’exclamation : "Bien travaillé, vieille taupe !"

Mais il aura fallu dix-huit siècles de travail dans la culture, c’est dire la capacité de résistance de la culture à l’action du ferment évangélique. Et il faut observer que cette détermination maître / esclave est purement historique. C’est une donnée de fait, inscrite dans l’histoire humaine. Nous en avons hérité de l’état de nature, mais ce n’est pas un fait de nature.

La seconde détermination, juif / grec (ou païen), est elle aussi, historique. Mais elle est plus profonde que la première, car elle est à la fois un héritage reçu et un choix de conscience. Toutefois, même si elle n’était qu’un héritage, disons "culturel" pour faire bref, même si elle n’était qu’une appartenance native, car on ne choisit pas de naître juif ou grec, il reste qu’il n’est pas si facile de transcender cette appartenance première. On peut choisir de changer de religion. En rigueur de termes, tout chrétien a dû le faire puisque, comme le dit Tertullien, "nul ne naît chrétien", mais tout n’est pas dit pour autant. La première communauté chrétienne de Jérusalem, dont nous parlent les Actes, montre bien que les différences de culture et que les références religieuses continuent de traverser la communauté. Même si chacun, personnellement, fait un choix de conscience pour devenir disciple de Jésus, il reste que les autres, le regard des autres, nous renvoient souvent, que nous le voulions ou non, à notre groupe de première appartenance. Il n’est donc pas aussi facile que le dit Paul de dépasser notre identité religieuse première. Mais l’expérience montre que c’est possible. Grâce à Dieu, et Dieu merci.

Reste la troisième détermination, homme / femme. J’espère ne choquer personne ici si je dis, contrairement à Simone de Beauvoir, que cette détermination n’est pas seulement historique. Je ne refuse pas de réfléchir à toute la part culturelle, ou construite, qui entre dans notre identité sexuée, masculine ou féminine. Je suis même prêt à admettre, parce que je suis un homme, que je suis moins sensible à cette question que toutes mes sœurs présentes dans cette salle. Mais je crois cependant pouvoir dire que cette détermination, parce qu’elle est inscrite dans notre corps, sera certainement la plus difficile à transcender. Je ne parle pas ici des fonctions liées à la compétence personnelle, entendez les professions. C’est ici un autre principe chrétien qui s’applique : la singularité de chaque personne. Que la culture ait résisté, et résiste encore, à son application, c’est évident. Je ne suis pas adepte de Spinoza qui écrivait dans le Tractatus théologico-politique : "La preuve que les femmes sont moins intelligentes que les hommes, c’est qu’on leur fait faire moins d’études."
Mais je me permets de penser qu’il en va autrement des fonctions symboliques. Et le ministère ordonné n’engage pas que la seule compétence d’une personne. Il a une portée symbolique qui dépasse la personne qui l’exerce. Il est vrai que cette portée change selon les cultures. Peut-on penser que nous irons vers un temps où la différence des sexes ne sera plus symbolisée dans la culture, et sera donc renvoyée à la seule sphère de la vie privée ? Très honnêtement, je ne sais pas. Mais je sais que l’enjeu est considérable, et pas seulement ni d’abord pour l’Eglise. Mais bel et bien pour la société tout entière, pour chaque personne en général et pour les enfants en particulier.

Pour chaque personne tout d’abord. Je ne n’oublie pas que je suis évêque de Clermont, et que l’un des clermontois les plus célèbres, Pascal, a écrit : "Qui fait l’ange, fait la bête." Autrement dit, si nous étions tentés quelquefois de faire comme si cette détermination n’existait pas, c’est elle qui se rappellerait vite à nous.

Pour les enfants surtout. Car cette détermination en supporte une autre : père / mère. Et c’est peut-être là le fond de la question. Que la tradition juive ait, à la différence de la plupart des traditions païennes, mis l’accent sur le pôle paternel de l’expérience religieuse ne suffit évidemment pas pour dire que l’ordination sacerdotale devrait être réservée à des hommes. En effet, ce que dit Paul me paraît juste : dans la perspective de la Résurrection, à laquelle nous sommes promis, et dans laquelle nous sommes déjà engagés par notre baptême, il n’y a plus, en Christ, ni l’homme ni la femme. Sur la base du baptême, cette détermination est transcendée. Mais comment le signifier dans la culture, qui reste toujours en deçà de ce dépassement ? Et puis, surtout, reste à penser le dépassement de la surdétermination que constituent la paternité et la maternité. Dans une société où la paternité est en crise généralisée, est-il opportun de toucher à l’un de ses derniers points d’appui symboliques ? Quoi que l’on en pense, on ne peut pas traiter la question d’un seul revers de main. Est-il si indifférent au devenir, non pas seulement de l’Eglise, mais aussi de la société, que l’on nous appelle si facilement "Père" ? Mon expérience pastorale, et surtout le séjour que j’ai fait, à l’été 1968, chez les jeunes du Foyer des Epinettes, avec le Père Michel Jaouen, me laissent penser qu’une réflexion sur la violence juvénile ne pourra pas faire l’économie de la réponse à cette question.

Je ne veux pas, et je ne peux pas, aujourd’hui, conclure sur ce point. Mais je serais démagogue si je ne pointais pas ici les questions qui me semblent se poser pour que le débat soit posé dans toutes ses dimensions. Et celles-ci ne sont pas seulement ecclésiales, car l’Eglise catholique ne peut pas se contenter de résoudre ses seuls problèmes particuliers. Elle se reconnaît aussi en charge, pour sa part, des problèmes qui se posent à toute société humaine.

Si je devais indiquer une perspective de réflexion, je dirais pour ma part, mais ce n’est que mon avis, que si un jour cette ordination devait être envisagée, elle se ferait probablement par appel à des célibataires. Vous allez voir pourquoi je dis cela, puisque j’en viens maintenant à la question du célibat et de sa signification.

Voilà donc, en tout cas, ce que je souhaitais dire sur le chemin C. Ces analyses, encore une fois, ne règlent pas toute la question de l’ordination des femmes. Mais puisque celle-ci n’est pas d’actualité pour l’Eglise catholique, ceci nous donne le temps et l’obligation d’y réfléchir posément. Ce que le débat de ces deux jours nous permettra peut - être. Du moins je le souhaite.

Chemin A

Revenons maintenant au premier chemin, le chemin A. Pourquoi l’ai-je gardé pour la fin ? Parce qu’il a une double particularité : il est ouvert et peu de monde s’y bouscule ! Du moins pour le moment. On peut donc y réfléchir sans craindre la cohue de la foule. C’est déjà un avantage.

Le temps du deuil est fini !
Je dois dire que j’ai toujours été étonné, pour ma part, devant la manière dont certains posent ici une sorte d’ultimatum : "Tant que la question de l’ordination d’hommes mariés comme prêtres ne sera pas réglée positivement, je refuserai d’aider un jeune à s’engager dans le célibat en vue de devenir prêtre." Ne me dites pas que ceci n’a pas été dit, je l’ai entendu souvent. Ceci revient à dire que, tant que les chemins B et C ne seront pas ouverts, il faudrait refuser d’aider des jeunes à se poser la question d’un éventuel engagement sur le chemin A. Je trouve étonnant que l’on veuille rester assis devant un chemin fermé, et que l’on refuse d’aller sur un chemin ouvert. Je crains que ce ne soit un alibi mais je crois cependant qu’il y a des raisons à cette attitude. Reste à savoir si elles sont bonnes.

La première de ces raisons tient à notre histoire récente. Dans les années 60 et 70, beaucoup de prêtres ont quitté le ministère. Il y a eu là une vraie souffrance pour tout le monde, quoi que l’on en dise. Et le traumatisme est toujours là, en particulier pour nous, les prêtres, car nous avons tous de bons amis dans cette situation. Et qui sont toujours des amis. Je peux comprendre que cette souffrance ait amené à l’attitude que je viens de dire. Mais en même temps, je dis que nous avons changé d’époque. Déjà en 1992, lorsque j’ai été amené à présenter mon article de Documents Episcopat, j’ai dit, et je le redis encore plus aujourd’hui : le temps du deuil est fini ! Nous ne devons pas prendre en otage une génération de jeunes au nom des souffrances que nous avons rencontrées dans la nôtre. Car ce n’est pas à nous de décider si des jeunes pourront ou non s’engager dans le célibat. C’est à eux d’en décider. Mais comment le pourront-ils si personne ne les aide à en discerner le bien-fondé ?

Au-delà de l’histoire événementielle, il y a d’autres raisons, me semble-t-il, et qui sont plus profondes encore. Je pense que la manière dont on a posé les questions, à ce moment là, n’était pas la bonne. Par exemple, les trois revendications des prêtres réunis dans "Echanges et dialogue" étaient les suivantes : le droit d’exercer un travail salarié, de se marier et de faire la politique. Ces revendications correspondent aux trois grandes catégories de la vie sociale : l’économie, la famille et la politique. Mais le fait de revendiquer ces droits comme ultérieurs à un engagement ecclésial signifie que l’on s’engagerait dans l’Eglise "avant" d’être parvenu à la pleine maturité de sa liberté. Cela suppose que l’Eglise serait "antérieure" à la société civile. Or, c’est l’inverse. Que l’Eglise soit historiquement antérieure à la société civile moderne et à l’Etat, c’est un fait. Mais la chronologie ne dit pas la logique.

Dans l’Etat moderne, nous naissons citoyens, nous devenons chrétiens et, a fortiori, nous choisissons de devenir prêtres. Nous n’avons pas à retrouver des droits civils ou sociaux que nous aurions perdus. Nous avons seulement à nous demander pourquoi nous avons librement renoncé à exercer ces droits. C’est donc "marcher à l’envers" que d’aller de l’Eglise à la société civile. Ceci ne peut se comprendre que pour des gens qui "sortent" d’une situation de chrétienté, où l’Eglise est une culture totalisante, antérieure à la modernité. Cette situation, sauf exceptions, n’existe plus depuis au moins trente ans. Je crois vraiment que nous avons changé d’époque depuis trente ans. Nous sommes sortis de la situation matricielle décrite par Marcel Gauchet. Nous sommes passés de "Mater et magistra" à "Lumen Gentium". La problématique n’est plus la même, et nous ne sommes plus simplement dans le cadre de la sécularisation. Pour les jeunes générations, il s’agit d’autre chose.

La fin du "hégélianisme pour le peuple"
Mais, comme Tocqueville l’a bien vu à propos de la Révolution française, les schémas ont la vie dure. Ils persistent longtemps après que la situation qui les a générés ait disparu. Ici nous trouvons ce que j’appelle "le hégélianisme pour le peuple", c’est-à dire l’idée selon laquelle la modernité serait purement et simplement "l’accomplissement" du christianisme. Elle en réaliserait le noyau rationnel, tout en rejetant la gangue mythologique. C’est l’idée la plus communément répandue aujourd’hui. On la trouve jusque chez les enfants qui préparent leur profession de foi ou leur confirmation. Ces célébrations sont vues comme la fin du temps (infantile) où l’on pouvait croire, et comme le début du temps où l’on accède enfin à la vraie liberté. En d’autres termes, pour devenir libre, il faut en finir avec l’Eglise. Tout se passe comme si la fin d’une figure d’Eglise signifiait la fin du christianisme. Mais l’Eglise mue et ne s’identifie pas à la forme qu’elle quitte à tel ou tel moment de son histoire.

En attendant que cette perception se renverse, comme nous le font comprendre les catéchumènes, il n’est pas étonnant que le nombre de candidats au ministère presbytéral soit aussi faible. Il est clair que l’on ne peut pas penser à consacrer sa vie si le ministère est pensé comme une simple fonction d’animation, dans un corps en voie de disparition. Je ne développe pas ce point, j’ai déjà eu souvent l’occasion de le faire. Il y a nécessairement une dimension mystique, ou mystérique, comme on voudra, dans toute vie chrétienne : toute vie chrétienne est ancrée sacramentellement dans le mystère du Christ, Bon Pasteur, et dans celui de l’Eglise. C’est encore plus vrai pour le ministère ordonné.

Si l’on ajoute à cela tous les débats internes à l’Eglise de France pendant cette même période, il n’est pas surprenant que des jeunes aient eu du mal à se retrouver dans le chemin vers le ministère presbytéral. J’en signale simplement deux.

Comme supérieur de séminaire dans ces années-là, j’ai gardé en mémoire les attaques systématiques de journaux ou de revues qui se voulaient plus catholiques que les évêques. A les lire, il était clair que l’on ne pouvait pas se préparer à devenir prêtre dans les séminaires diocésains. Mais en réglant des comptes relatifs aux séminaires des années 68 sur le dos des séminaristes des années 80, ces gens faisaient comme les artilleurs de 1917 qui tuaient leurs propres fantassins parce qu’ils ne les croyaient pas si avancés dans la bonne direction ! Il paraît qu’on a réglé la hausse depuis ce temps-là. Je veux bien en donner acte.

Il y a eu aussi le "syndrome des émigrés". Vers 1960-70, comme en 1789, des groupes sont allés s’établir aux frontières. Puis, les événements étant passés, ils sont revenus dans le pays. Je crains qu’ils n’aient, comme les émigrés de 89, "rien appris et rien oublié." Mais je crois qu’il serait illusoire de penser que l’on refera l’Eglise en France selon les formes d’organisation qui étaient les siennes avant 1960. Et je pense que, si un renouveau de l’Eglise doit arriver, il viendra, comme au XIXe siècle, par les catholiques qui auront traversé la tourmente sur place. Autrement dit, s’il y a un avenir du ministère presbytéral, il passe par les diocèses. Ceci dit sans aucun préjudice pour les ordres religieux. Ils ont bien entendu un rôle éminent à jouer, mais leur capacité à travailler dans les diocèses sera primordiale.

Il me paraît donc de la plus grande urgence de travailler à faire redécouvrir l’importance de cet aspect diocésain du ministère presbytéral. Les prêtres, en tant qu’ils sont ordonnés, sont les premiers collaborateurs des évêques. Ils sont les "coopérateurs dont nous avons besoin", dit la grande prière de l’ordination. Ils ne sont pas ordonnés pour être "le pape de leur paroisse", si vous me permettez cette expression triviale, mais pour porter avec l’évêque le souci de la vitalité de toute l’Eglise diocésaine, de chacune de ses communautés, et des personnes qui les constituent.

Un célibat aliénant ou prophétique ?
Le nombre actuel des prêtres oblige à redécouvrir cette dimension diocésaine qui fait le fond de leur ministère. C’est important.

Mais, puisque nous cheminons sur le chemin A, celui de l’appel d’hommes célibataires, il est aussi important de réfléchir à la signification du célibat. Je n’accepte pas, pour ma part, l’idée selon laquelle le célibat serait le "cadeau Bonux" du ministère presbytéral, celui que l’on accepte passivement, comme passage obligé vers le ministère. J’observe en effet que, parmi les premiers à avoir quitté leur ministère, dans les années que j’ai évoquées, il y avait beaucoup de religieux. Pour eux le lien entre le ministère et le célibat n’était pas extrinsèque, mais ils l’ont cependant remis en question. Comme la même difficulté est apparue aussi chez les religieux non-prêtres et chez les religieuses, il faut bien admettre que le problème est ailleurs. Là encore, je ne peux pas développer. Mais il me semble qu’il faut libérer la réflexion sur le sens du célibat choisi ou librement ratifié.

Il est clair qu’il n’y a pas de lien absolu entre le ministère ordonné et le célibat. Mais il faut bien comprendre comment le problème se pose. L’Eglise, contrairement à l’expression courante sur ce sujet, n’interdit pas aux prêtres de se marier. Le mot "interdit" est ici inapproprié, même s’il est usuel. Il crée une équivoque, et je le vois pratiquement à chaque fois que je rencontre un groupe de jeunes qui préparent leur confirmation. L’Eglise a choisi, pour ce qui concerne l’Eglise latine, de n’appeler au sacerdoce que des hommes qui acceptent librement, avant l’ordination, de rester célibataires. Nul n’étant obligé d’être chrétien, nul n’étant obligé d’être catholique, a fortiori, nul n’est obligé de devenir prêtre, et donc encore moins de rester célibataire. On me dira : "Mais si l’on veut devenir prêtre, on est obligé de rester célibataire !" Que veut dire, ici, "si on veut devenir prêtre" ? Etre prêtre ne constitue pas un droit. On peut contester le bien fondé de la décision de l’Eglise. J’ai déjà dit que l’on pouvait en discuter, et comment, à propos du chemin B. Mais l’éventualité du chemin B n’invalide pas le chemin A.

Il est vrai que, sans cette décision de l’Eglise, des prêtres, dont je suis, ne se seraient peut-être jamais posé la question d’un engagement dans le célibat. Mais, je l’ai dit au début, l’occasion d’une question ne fournit pas sa réponse. Il faut sortir ici d’une perception purement subjectiviste de ce que peut être une vocation, au sens de réponse à un appel. Il faut aussi se méfier d’une conception de la vocation comme déploiement linéaire d’un désir juvénile. C’est peut-être vrai pour Thérèse de Lisieux ou pour Louis de Gonzague. Mais n’oublions pas que la vocation peut être aussi la réponse d’un adulte à un événement historique qui le détourne de sa voie première : Paul était un zélé persécuteur, Augustin, Charles de Foucauld et d’autres étaient occupés à autre chose.

Je parle ensemble ici de vocation à la vie religieuse et de vocation au ministère, en tant que l’une et l’autre impliquent un état de vie particulier, quel que soit le lien entre les deux. Dans les deux cas, il faut bien qu’il s’agisse d’autre chose que d’une inclination évidente. Que voudrait dire une vocation perçue comme une évidence limpide, où l’on n’aurait pas eu à se poser de questions ? C’est bien parce que l’on aurait pu faire autre chose, et que l’on s’est interrogé profondément à ce sujet, que l’on peut parler de réponse, et donc de vocation. On ne répond pas à ce type de vocation uniquement à défaut d’avoir pu exercer une autre profession ou à défaut d’avoir pu se marier.

La décision de rester célibataire est une décision historique. Il n’y a pas de chromosome de la vocation sacerdotale. Ce n’est pas une fatalité intérieure. "Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende" dit à ce sujet Jésus de Nazareth. Alors, je crois qu’il y a une originalité chrétienne au sujet du célibat. Sauf exceptions, les civilisations païennes, comme la tradition juive et la tradition musulmane ont beaucoup de mal à le reconnaître et à le comprendre. Ceci n’est pas surprenant. Car, en dernière instance, le choix du célibat, pour les chrétiens, se fonde sur la Résurrection du Seigneur. S’il est vrai que c’est lui qui porte notre destin, et qui ouvre le chemin de la Vie dans son Royaume à toute personne singulière, alors c’est tout notre rapport à notre mort, à notre postérité, et donc notre relation à notre corps et à la sexualité qui se trouvent transformés. Je l’ai dit, ne croyons pas qu’il soit si facile de transcender ces questions. Mais il reste, pour tous les chrétiens, qu’elles sont à vivre, dès maintenant, sous le signe et dans le dynamisme intérieur de la Résurrection qui est déjà à l’œuvre en nous, grâce à l’Esprit que nous avons reçu.

Pour la plupart des sociétés, sinon pour toutes, le mariage (quelles que soient ses formes de célébration) est considéré comme nécessaire à leur survie et à la postérité des personnes. Chacun vit dans ses descendants. Et la loi juive fait même obligation au frère survivant de donner une postérité à son frère mort sans enfant. On voit alors que le statut de la femme est fondamentalement lié à sa capacité de donner naissance à cette postérité. Elle ne vaut qu’à la condition d’avoir des enfants. Pour les chrétiens, ce n’est plus le cas. Mais alors, et c’est une bonne nouvelle pour le mariage, il n’est plus nécessaire. Donc il devient libre et c’est pourquoi, chez les chrétiens, il n’est pas considéré seulement comme une fait de société : il est élevé à la dignité de sacrement. C’est pourquoi on peut parler de vocation au mariage. C’est une décision de personnes libres qui fait l’Alliance. Ce n’est plus la nécessité de la survie collective. Mais alors, et c’est peut-être une bonne nouvelle pour toute personne, et d’abord pour les femmes : même celles qui n’ont pas d’enfants ont "valeur personnelle".

Si l’on prend cette perspective, on ne s’étonne pas que les femmes aient plébiscité le christianisme, dans l’Empire romain comme dans bien d’autres sociétés, encore aujourd’hui. Il leur dit qu’elles ne se réduisent pas à leur capacité à garantir la survie de l’espèce. C’est une vraie révolution culturelle, politique et spirituelle. C’est en ce sens que le célibat chrétien peut être considéré comme prophétique. Il n’est ni simple ni évident à vivre, mais quel état de vie chrétien est simple et évident ? Contrairement à l’évidence immédiate, il faut dire que le mariage n’est pas plus progressiste que le célibat. La question n’étant d’ailleurs pas de savoir s’il existe une état de vie meilleur que l’autre. La question posée est toujours posée à une personne singulière : en conscience, à quoi suis-je appelé, en Christ ? A ce stade - mais c’est toute la force prophétique de l’Evangile qui est là - tout se conjugue, en dernière instance, dans une décision à la première personne du singulier.

Lisez n’importe quel magazine grand public : vous y verrez une apologie de la fatalité, du coup de foudre, de l’inéluctabilité de l’échec, en un mot de la non-responsabilité dans ces domaines de la vie affective. Devant cela, nous avons besoin d’une théologie de la décision et de l’alliance. C’est cette perspective qui, dans le nouveau conformisme ambiant, sera vraiment subversive.

Pour les chrétiens, la question du célibat fait du mariage une vocation. Paradoxalement, alors que le célibat choisi ou librement ratifié est plus contesté que jamais, (mais il l’a toujours été), nous constatons qu’il n’y a jamais eu autant de célibataires que maintenant. Cela signifie que l’on accepte bien que le célibat existe, par défaut ou par malheur, mais on n’admet pas que l’on puisse en décider. Mais je dis que si le célibat n’est pensable que par défaut ou par malheur, alors le mariage est nécessaire, et il ne peut pas être ni une vocation ni un sacrement. Par contre, et là vous voyez bien que, dans l’Eglise, célibataires et personnes mariées ont partie liée : si certains font la preuve, dans la culture, que le célibat est pensable par choix ou par ratification personnelle, alors le mariage devient une vocation. Ce qui suppose que chacun s’interroge, en conscience, devant Dieu, pour découvrir sa vocation singulière. Avant que l’on ne se soit posé la question d’un éventuel célibat, et que l’on y ait répondu non, en conscience, le mariage n’est pas une vocation, c’est un destin. La réciproque pouvant être vraie dans certaines situations familiales.

C’est en inscrivant la question du célibat consacré, choisi ou librement ratifié, dans cette perspective, que l’on a une chance, me semble-t-il, d’entendre ce que l’Eglise veut dire lorsqu’elle dit, comme au concile, qu’il existe une convenance entre ce célibat et le ministère presbytéral. Il n’est pas dénué de sens de dire que des hommes ayant librement renoncé à leur fécondité selon la chair peuvent signifier, au-delà même de leur action ministérielle, que notre vie vient d’un Autre que nous. (C’est pourquoi j’ai posé la question des célibataires à propos de l’ordination hypothétique des femmes : sur ce point, la signification peut être manifestée identiquement par toute personne humaine, au-delà de sa détermination particulière.) Ceci étant dit, je n’ignore pas que cet état de vie n’est pas facile à choisir, qu’il n’est pas si simple à vivre, car il ne s’inscrit pas directement dans l’ordre de la nature. Je n’ignore pas non plus que le mariage a aussi d’autres fins que la survie de l’espèce. Vous comprendrez que je n’aie pas le temps ici de développer tous ces aspects de la question. Sachez au moins que je ne les ignore pas.

Et la liberté dans tout cela ?
Là devant, je veux insister seulement sur un point. Nous devons nous poser la question : comment les jeunes catholiques de notre pays, ici et maintenant, peuvent-ils se poser en vérité ce genre de questions ? Qui va les accompagner sur les chemins d’une expérience spirituelle assez profonde pour qu’ils puissent répondre en conscience à la question d’un éventuel célibat, religieux ou en vue du ministère presbytéral ?

J’ai assez rencontré de mères de séminaristes et de mères de novices religieuses pour savoir ce que représente pour elles l’idée qu’elles n’auront pas de petits-enfants. Cette souffrance est respectable. Et je veux dire par là que la question de ces vocations n’est pas simple à poser dans le cadre de la société française actuelle. Quant au climat intellectuel et spirituel qui domine l’opinion publique de notre pays, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne peut pas encourager ce genre de questionnement. J’ai souvent eu l’occasion de dire et d’écrire ce que je reprends ici : dans ce climat, les jeunes n’ont pas le "droit", d’un point de vue moral ou psychologique bien entendu, de penser à devenir religieux(se) ou prêtre. Ils en ont la liberté formelle, ils n’en ont pas la liberté réelle, comme auraient dit en 1970, quelques-uns de mes petits camarades d’université. Il faut donc casser cette espèce de "vernis" qui imprègne les esprits et les empêche de considérer comme pertinente la question d’une vie consacrée. Il faut lever les intimidations implicites et explicites qui pèsent sur cette perspective.

C’est la raison pour laquelle je continue de penser que la courbe des entrées au séminaire n’est pas normale. Qu’elle reste stable, ou quasi, depuis maintenant 25 ans m’intrigue depuis autant de temps. Car de deux choses l’une : ou bien il y en a trop ou bien il n’y en a pas assez. Compte-tenu des vents dominants dans la société depuis quarante ans, il ne devrait plus y en avoir. Or il y en a, bon an mal, un peu plus de cent cinquante. Mais alors, s’il y en a un qui vient de quelque part, et qui n’est pas complètement malade, pourquoi n’y en a t-il pas deux ? Et si demain, il s’en présentait deux pour un, nos débats changeraient de sens. J’ai lu, voici trois semaines, dans Le Nouvel Observateur que la guerre était déclarée entre les trentenaires et les quinquagénaires. J’ai cru entendre là le craquement de la banquise. Ce peut être une bonne nouvelle. Car si cette génération décide d’en finir, selon les termes de ce manifeste, avec le "paternalisme sans père" qui règne dans notre pays depuis quarante ans - au fait, pourquoi précisément quarante ans ? - il peut se passer des choses intéressantes.

Conclusion

En conclusion, j’insiste simplement sur ceci. Je ne refuse pas d’ouvrir les débats sur les hypothèses B et C. Mais je ne voudrais pas que les débats sur les hypothèses viennent parasiter la recherche sur le chemin A, qui est ouvert. Je ne voudrais pas, surtout, que les débats théoriques, qui ont leur légitimité, nous dispensent d’aider tous ceux qui sont en situation, dans l’ici et le maintenant de leur vie singulière et concrète, de se poser la question d’un choix de vie en terme de vocation. C’est une affaire qui ne se joue pas avec des slogans mais en conscience, devant Dieu. C’est leur liberté. Ne répondons pas à leur place.

Ceci étant, nous avons aussi et en même temps à réfléchir et à travailler à toutes les refontes auxquelles la contrainte numérique, de toutes façons, va nous obliger. Si l’Eglise décide un jour de revoir les conditions d’admission au ministère ordonné, je ne refuse pas de l’envisager. Mais en attendant, et en toute hypothèse, cela ne doit pas nous servir d’alibi. Plutôt que de passer notre temps à poser des problèmes que nous ne pouvons pas résoudre, essayons, plus simplement, et plus efficacement, de résoudre les problèmes que nous pouvons poser. Et que chacun s’examine, en conscience, devant Celui qui est l’unique Pasteur de son Eglise.

Et si j’évoque maintenant la prière, que l’on veuille bien m’accorder qu’il ne s’agit pas, pour moi, d’une échappatoire, mais bien du fond de l’expérience spirituelle et pastorale. Je ne l’ai pas dit jusque-là, mais cela va de soi, la prière est ici évidente. Elle ne sera jamais que réponse à l’injonction du Seigneur : "Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson." Cette prière ne nous épargnera sans doute pas quelques angoisses, lorsque revient la saison de procéder à des nominations pour la vie de nos communautés, mais elle nous permettra du moins de nous rappeler celle d’Isaac, et la réponse qu’il obtint : "Dieu y pourvoira, mon Fils.".

Notes

1 - Comme il m’a été demandé ici de synthétiser une recherche que j’ai déjà exprimée à plusieurs reprises dans des articles dispersés et comme je ne peux pas approfondir tous les points, je me permets de renvoyer les lecteurs intéressés aux différents articles que j’ai publiés sur ces sujets. En particulier dans la revue Jeunes et vocations et dans Documents Episcopat, avril-mai 1992. [ Retour au Texte ]

2 - Pour une étude plus précise, cf. Michel Jallade. Secrétariat du C.N.D., 6 avenue Vavin, 75006 Paris. [ Retour au Texte ]

3 - Je me permets de renvoyer à Vers une France païenne ? Cana, 1999, p. 181. [ Retour au Texte ]

4 - Proposer la foi dans la société actuelle, Paris, Cerf, 1994 et 1996. [ Retour au Texte ]

5 - Cf. les analyses du Père Gaston Fessard, in De l’actualité historique. [ Retour au Texte ]

6 - Je n’aborde pas ici la question de l’infirmité de la langue française, qui ne connaît que deux termes là où il en faudrait trois pour désigner les humains, les femmes et les hommes. Si j’avais le temps je vous raconterais comment le prétendu concile médiéval relatif à "l’âme des femmes" est un canular, une pure fiction. Cf. Guillemette de Sérigné, Le Monde, 13 Mai 1989. [ Retour au Texte ]

7 - On peut déjà réfléchir à ceci : l’évolution de la société française a fait disparaître pratiquement tous les codes, les repères sociaux, les rites, le folklore, etc... qui permettaient naguère aux jeunes de construire leur personnalité à l’intérieur soit du groupe des filles, soit du groupe des garçons. Le résultat, c’est que chacun doit aujourd’hui découvrir et construire sa personnalité dans une solitude certaine. Ce n’est peut-être pas plus simple... [ Retour au Texte ]

8 - Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1984. [ Retour au Texte ]

9 - Cf. Hippolyte Simon, Chrétiens dans l’Etat moderne ou Comment peut-on être chrétien après Marx et Hegel ? Paris, Cerf, 1984. [ Retour au Texte ]

10 - Pour dire les choses clairement, je fais référence ici à des articles de Famille Chrétienne, de France Catholique, de L’Homme Nouveau, qui illustrent mon propos. Mais il paraît qu’il y a prescription. Dont acte.[ Retour au Texte ]

11 - Cf. Luc 20, 27. [ Retour au Texte ]

12 - Cf. "La révolte des trente ans contre les quinquagénaires", Le Nouvel Observateur, 11 janvier 2001. [ Retour au Texte ]