Eucharistie, cœur de la vie de l’Eglise


Monseigneur François Favreau
Evêque de Nanterre

Homélie de la Messe charismale,
Mardi saint 2000

La route a été longue pour nous les aînés : j’espère qu’elle le sera pour vous les jeunes. La route a été accidentée pour nous les aînés : j’espère qu’elle le sera moins pour vous les jeunes.

Ce n’est ni la longueur ni la rudesse de la route qui importent. Ce qui importe, ce qui compte, c’est “Celui” qui a dit « Je suis la route... Je suis le chemin de la Vérité, de la Vie ».

Je rends grâce pour l’ordination reçue et pour les ministères vécus.

Je rends grâce pour les prêtres, frères de mission, pour ceux qui nous ont devancés sur l’autre rive, pour ceux qui vivent une étape de retraite ou un temps d’épreuve. Pour ceux qui sont sur le terrain. Pour ceux qui arrivent.

Merci à chacun de vous. Merci à vous tous, pour ce que vous êtes et pour ce que vous faites.

Les défis qui nous attendent sont immenses.

• Faire les déplacements nécessaires.. et, pour cela, renoncer à des façons de faire, à des habitudes, à des théories pastorales.

• Oser la mission dans un contexte difficile et pour cela :

    • oser proposer la foi au tout venant et au tout passant ;
    • oser inviter : « Venez et voyez… », « Venez et croyez » ;
    • oser sortir et aller à la rencontre des invités au repas des noces ;
    • oser défendre Dieu, oser défendre l’homme.

• Tenter une fraternité renouvelée et, pour cela, mettre en pratique une fraternité qui s’alimente dans la contemplation du Père, qui ne cherche pas des sosies, qui soit soutien, entraînement et réconfort, qui permette repos et fête.

Fêtant la naissance du Fils de Dieu devenant l’un de nous, je vous invite à naître.

Toute naissance est inévitablement, de quel- que manière, du passé. Mais la naissance peut être et demeurer actuelle, il est toujours temps, encore temps

    • de naître à la vie nouvelle de notre baptême ;
    • de naître à la vie apostolique de notre ordination ;
    • de naître au monde de notre humanité.

Cette naissance dont je parle est la capacité de rester toujours neuf en raison de notre rattachement à la source. A une source qui n’est pas derrière nous mais en nous, la source de l’Amour de Dieu : « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle » (Jn 4, 14).

Frères et sœurs, décidément, nous prêtres, nous ne pouvons pas nous passer de vous. Et parce que la fraternité baptismale nous unit, et parce que la mission est confiée à toute l’Eglise, et parce que la route à faire est à faire ensemble.

L’Eucharistie, cœur de la vie des fidèles du Christ

Cette année, dans le lieu où l’on fait mémoire de la dernière Cène, sur le Mont Sion, le pape Jean-Paul II a signé la lettre qu’il envoie aux prêtres au moment du Jeudi Saint.

« Le mystère de l’Eucharistie, dans lequel sont annoncées et célébrées la mort et la résurrection du Christ dans l’attente de sa venue, est le cœur de la vie de l’Eglise. Pour nous, il a une signification toute spéciale : il est en effet au centre de notre ministère. Certes, ce dernier ne se limite pas à la célébration eucharistique, car il implique un service qui va de l’annonce de la Parole à la sanctification des hommes par les sacrements, à la conduite du peuple de Dieu dans la communion et dans le service. Mais l’Eucharistie est le point à partir duquel tout rayonne et où tout conduit. Notre sacerdoce est né avec elle au Cénacle » (1).

Avec vous, prêtres, avec vous frères et sœurs, je voudrais cette année méditer sur cette Eucharistie « cœur de la vie de l’Eglise », comme l’écrit le pape Jean-Paul II.

L’Eucharistie est :

    • une histoire d’amour,
    • une affaire d’action de grâces,
    • une genèse du Corps du Christ,
    • un envoi pour servir.

1 - Une histoire d’amour

« Avant la fête de la Pâque » (Jn 13, 1) : l’Eucharistie se situe dans la continuité de la Pâque juive, accomplissant et renouvelant l’Alliance nouée entre l’humanité et Dieu à travers l’histoire du peuple élu. L’Eucharistie, histoire d’amour, est une histoire d’Alliance.

L’Eucharistie manifeste que la vie chrétienne n’est pas seulement une relation personnelle avec Dieu, ni seulement un engagement de service.
La vie chrétienne est une Alliance conclue, célébrée et vécue avec le Dieu de Jésus-Christ. Elle a donc une dimension ecclésiale qui lui est essentielle. C’est en Eglise que nous faisons route, telle une caravane dans le désert. C’est en Eglise que nous témoignons du salut en Jésus-Christ. C’est en Eglise que nous accueillons les nouveaux baptisés.

Le peuple de Dieu n’est pas qu’un peuple de croyants. C’est un peuple de célébrants et un peuple de témoins. L’Eucharistie est le sacrement de ce peuple, le sacrement qui donne corps à ce peuple.

2 - Une affaire d’action de grâces

Ce n’est pas à vous que j’ai à apprendre que le mot “eucharistie” veut dire action de grâce. Simplement, je voudrais vous dire comment je présente cette action de grâce à celles et ceux qui font le parcours diocésain de formation.

Trop souvent des hommes se veulent rois et se refusent à être prêtres ; autrement dit, ils entendent maîtriser le monde et diriger l’histoire mais ils refusent d’établir un lien entre ce monde, cette histoire et Dieu (selon une réflexion d’Olivier Clément).

Membres du Corps du Christ, nous sommes un peuple sacerdotal ; nous avons charge de la communication entre l’homme et Dieu, entre la terre et le ciel, entre le temps et l’éternité, communication que Dieu engage dans l’Alliance.

Nous avons une mission sacerdotale pour rendre grâces et pour réconcilier, autrement dit :

• En luttant pour guérir et libérer l’homme, nous avons à faire de la vie une offrande, une action de grâce. En d’autres termes : nous recevons la grâce, nous lui permettons de faire son chemin et nous la rendons. L’action de grâce est la circulation de l’Amour.

• En ayant la courage de reconnaître ce qui abîme et détruit, nous avons à être des ambassadeurs de la réconciliation (réconciliation avec soi-même, avec autrui, et avec Dieu, réconciliation entre les personnes et les groupes, réconciliation avec la vie).

Nous nous épuisons parfois à chercher comment faire le lien entre la vie et l’Eucharistie (entre la vie et la messe). Alors nous disons : il faut apporter la vie des hommes et la nôtre pour l’offrir et pour intercéder. Nous disons aussi : à la messe nous faisons provision de forces pour la semaine. Ce n’est pas faux.

Mais ce qui simplifie, c’est d’œuvrer pour que nos existences soient elles-mêmes eucharistiques, c’est-à-dire qu’elles soient inscrites dans tout le mouvement d’amour de l’Eucharistie. Menons nos vies dans la foi au Fils de Dieu qui nous a aimés et qui s’est livré pour nous ; le lien se fera tout seul entre vie et célébration. Rendre grâce, offrir, intercéder tout cela peut se vivre avec ou sans parole lorsque nous sommes branchés sur Jésus-Christ.

Mettons-nous à l’école de l’action de grâce. Je le sais : l’action de grâce est insupportable lorsqu’elle s’exprime dans l’ignorance des drames et des souffrances. Insupportable lorsqu’elle ne s’achève pas en charité concrète. Mais l’action de grâce donne à l’existence sa véritable orientation.

J’aime que le psaume 21, « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné », s’achève dans un cri de joie : « Je te loue en pleine assemblée… Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés : ils loueront le Seigneur ceux qui le cherchent… A vous toujours la vie et la joie » (v. 23 et 27).

3 - Une genèse du Corps du Christ

« La coupe d’action de grâce que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1 Co 10, 16-17).
« Or, vous êtes le corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps » (1Co 12, 27).

Si l’Eglise fait l’Eucharistie, l’Eucharistie, elle fait l’Eglise. Elle fait l’Eglise en lui donnant forme de peuple de Dieu :

  • elle rassemble les enfants de Dieu dans leur diversité ;
  • elle fait entrer les fidèles dans le mouvement qu’exprime admirablement la quatrième prière eucharistique ;
  • elle le nourrit et de la Parole et du Pain de Vie.

Mystérieusement, ce pain de vie, ce Corps du Christ nous transforme en son Corps, ce que saint Augustin dit merveilleusement bien.

« Si tu veux savoir ce qu’est le corps du Christ, écoute l’Apôtre dire aux fidèles : “Vous, vous êtes le corps du Christ et ses membres” (1 Co 12, 27).Puisque donc vous, vous êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre mystère à vous qui est placé sur la table du Seigneur ; c’est votre mystère que vous recevez. C’est à l’affirmation de ce que vous êtes que vous répondez : Amen, et votre réponse est comme votre signature. On vous dit : “Le corps du Christ”, et vous répondez : Amen. Soyez donc membres du corps du Christ, pour que soit vrai votre “Amen”.

Et pourquoi ce mystère est-il fait avec du pain ? Ne disons rien de notre invention ; écoutons l’Apôtre lui-même qui dit, en parlant de ce sacrement : « Nous sommes, nous les nombreux, un seul corps, un seul pain » (1 Co 10, 17). Comprenez et réjouissez-vous. Unité, piété, charité. “Un seul pain”, et qu’est ce pain unique ? Un seul corps fait de beaucoup. Songez que le pain ne se fait pas avec un seul grain, mais avec beaucoup. Pendant les exorcismes, vous étiez, en quelque façon, sous la meule. Au baptême, vous avez été comme imbibés d’eau. L’Esprit-Saint est venu en vous, comme le feu qui cuit la pâte. Soyez ce que vous voyez et recevez ce que vous êtes.

Voilà ce que l’Apôtre nous dit au sujet du pain. Quant au calice, s’il ne dit pas la manière de le comprendre, il l’enseigne assez clairement... Mes frères, rappelez-vous comment on fait le vin. Beaucoup de grains pendent à la grappe, mais la liqueur qui coule de tous se confond dans l’unité.

Ainsi le Seigneur nous représente-t-il nous-mêmes en lui, il a voulu que nous lui appartenions, et il a consacré, sur son autel, le mystère de notre paix et de notre unité » (2).

4 - Un envoi pour servir

Saint Jean ne raconte pas le repas pascal : il en décrit le geste initial, le lavement des pieds des apôtres par Jésus.

« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous » (Jn 13).

L’envoi de la fin de la célébration devient un envoi en mission. Pour garder le signe du pain partagé, disons que nous avons à être pour nos frères et sœurs un pain pour leur vie, pain d’amitié, pain de pardon, pain de soutien, pain de compréhension, pain d’écoute, pain d’humanité.

« Mais il ne suffit pas que nous soyons unis entre nous. Le Christ nous demande de concrétiser autour de nous ce qu’il nous donne dans l’Eucharistie. Le pain partagé nous convertit en hommes de partage. La communauté eucharistique devient ainsi une force de transformation du monde, à la manière du levain qui soulève la pâte.

La solidarité humaine a une dimension sacramentelle. On ne peut pas être uni au Christ et se tenir à distance des hommes qui ont faim et soif, qui sont étrangers, emprisonnés, malades, désarmés devant ceux qui les exploitent. Parce que le Christ s’identifie à ces hommes. Mais on ne peut pas davantage agir comme si le « sacrement du pauvre » remplaçait l’Eucharistie : en fait, il s’enracine en elle, il l’exprime, il en est le fruit. Les deux sont comme les deux faces d’une unique réalité, celle du Christ qui vient s’unir à toute l’humanité et à chaque homme, celle d’une existence humaine renouvelée et fécondée par le don de Dieu » (3).

Notes

1 - Jean-Paul II, Lettre aux prêtres pour le Jeudi Saint 2000. [ Retour au Texte ]
2 - Saint Augustin, Patrologie latine, t. XXXVIII, col. 1247. [ Retour au Texte ]
3 - Jésus-Christ pain rompu pour un monde nouveau, Document théologique, Congrès eucharistique 1981, Centurion, p. 83. [ Retour au Texte ]