L’appel dans le Nouveau Testament


Cet article fait partie d’une réflexion quant à l’appel aux ministères dans l’Eglise, proposée par le Père Jean-Paul Russeil. En sept articles, publiés dans La Semaine religieuse de Poitiers de 1997 à 1999, il propose une "petite catéchèse de la vocation à un ministère".

Père Jean-Paul Russeil
prêtre du diocèse de Poitiers

L’appel des Douze et sa portée symbolique

L’Evangile selon saint Marc (3, 13-19) donne le récit de l’appel des Douze. C’est parmi ses disciples que Jésus "appelle" (v. 13) et "fait" (v. 14) les Douze. Cette mention des disciples en Mc 3, 7 est plus explicite en Lc 6, 13 : " Il appela ses disciples et en choisit Douze. " Ainsi, le groupe des disciples préexiste aux Douze. Ce chiffre douze est lié aux tribus d’Israël (Mt 19, 28 ; Lc 22, 30). Jésus annonce que les temps eschatologiques sont proches et qu’il vient rassembler tout Israël. La symbolique des Douze (quelques-uns) ne peut être séparée du rassemblement de tout Israël. Les Douze sont nommés personnellement, soit en gardant leur nom, soit en prenant un nom nouveau, comme Pierre (v. 16-19). Ainsi, Jésus choisit quelques-uns parmi ses disciples : ils sont Douze pour symboliser le rassemblement de tout Israël.

Trois événements dans la communauté primitive de Jérusalem

Dès avant l’événement de Pentecôte, lors d’une réunion de la communauté, Matthias est élu et adjoint au groupe des Douze pour remplacer Judas (Ac 1, 15-26). Selon le texte, Pierre ne rassemble pas seulement les autres membres du groupe des Douze, mais il se lève " au milieu des frères - il y avait là, réuni, un groupe d’environ cent vingt personnes " (v. 15). Le groupe des croyants auquel participent aussi quelques femmes (v. 14), contribue à la reconstitution du groupe des Douze. En effet, le signe des Douze garde son sens pour tout le peuple. Selon le discours de Pierre, " il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a marché à notre tête, à commencer par le baptême de Jean jusqu’au jour où il nous a été enlevé : il faut donc que l’un d’entre eux devienne avec nous témoin de sa résurrection " (v. 21-22). " Les frères ", c’est-à-dire toute l’assemblée, en présentèrent deux (v. 23). Le résultat du tirage au sort (v. 26) est perçu comme élection divine (v. 24). Ainsi apparaît l’articulation entre le rôle d’un seul (Pierre) pour que tous s’expriment (les cent vingt frères) au sujet de la mission confiée à quelques-uns (les Douze).

La participation de la communauté apparaît plus clairement encore lors de la présentation du groupe des Sept (Ac 6, 1-6). Le nombre des disciples s’est multiplié et un " murmure " des Hellénistes contre les Hébreux se fait entendre (v. 1). Les Douze, ayant convoqué " l’assemblée plénière " des disciples, c’est-à-dire tous les disciples (v. 2), invitèrent ceux-ci à " chercher parmi eux sept hommes de bonne réputation, remplis d’Esprit et de sagesse et nous les chargerons de cette fonction " (v. 3). Ce discours fut agréé par " toute l’assemblée " (v. 5). Suivent les sept noms de ceux qui sont " choisis " (v. 5) et présentés devant les apôtres qui leur imposèrent les mains (v. 6). Ce n’est plus Pierre qui prend l’initiative comme pour l’élection de Matthias, mais les Douze. Ceux-ci sollicitent toute l’assemblée à " chercher " : elle n’est donc pas passive. L’authentification revient aux Douze qui imposent les mains. Ainsi, pour le service des Hellénistes, toute l’assemblée est consultée en vue du choix des Sept, ceci sous la responsabilité des Douze. Ici, l’Eglise innove. Les Douze ne se sentent pas liés seulement par l’exemple de Jésus. Un critère semble se dessiner : lorsque la situation est nouvelle, l’Eglise innove en fidélité à la Parole entendue et à la mission reçue. Dans cet exemple, il n’y a pas répétition, mais création selon les besoins de la communauté et de la mission reçue en tenant compte de la diversité culturelle (les Hellénistes et les Hébreux).

Lors de l’assemblée de Jérusalem, il s’agit pour les chrétiens de reconnaître la mission de Paul et Barnabé qui n’imposaient pas la circoncision aux païens convertis (Ac 15, 1-35). Selon le texte, les envoyés de la communauté d’Antioche (v. 3) sont " accueillis par l’Eglise, les apôtres et les anciens " à Jérusalem (v. 4). Des fidèles issus du pharisaïsme et convertis à la foi au Christ demandent que l’on observe la circoncision pour les païens convertis (v. 5). Il s’agit ici d’un litige très sérieux concernant l’avenir de la mission. " Les apôtres et les anciens se rassemblèrent pour examiner cette affaire " (v. 6). La décision de ne pas exiger la circoncision des pagano-chrétiens récemment convertis est prise par toute l’assemblée, après l’avis décisif donné par Jacques. " Alors les apôtres et les anciens, d’accord avec l’Eglise toute entière, décidèrent de choisir quelques-uns d’entre eux et de les envoyer à Antioche avec Paul et Barnabé " (v. 22).

On le voit, ce récit exprime un enjeu lourd de conséquences pour la mission. L’assemblée est le lieu de la " discussion " (v. 7). Les voix de Pierre (v. 7-11), de Barnabé et Paul (v. 12), celle de Jacques (v. 13-21) se font entendre. L’unanimité de la décision est clairement établie (v. 22). Elle est confirmée par la lettre rédigée et par l’envoi de Judas et Silas choisis comme délégués auprès de la communauté d’Antioche (v. 23-29). Là, " ils réunirent l’assemblée pour lui communiquer la lettre" (v. 30). Si " tous " participent à la " discussion " à Jérusalem, c’est également l’assemblée d’Antioche qui constitue le lieu de réception de la décision. L’unité de mission manifestée par l’expression de tous s’articule avec la diversité des vocations personnelles que l’on voit en œuvre dans l’ecclesia.

L’articulation " un, tous et quelques-uns "

Ces récits du Nouveau Testament permettent de souligner deux points.

La participation de tous est clairement établie et s’articule toujours avec les appels personnels. Il y a corrélation entre l’expression de tous pour aboutir à une décision unanime et la diversité des vocations vécues dans la communauté. Ce rapport un / tous / quelques-uns est inhérent à la naissance de l’Eglise et aux actes décisifs qui ont marqué ses premières pratiques. Nous sommes en présence d’une structure fondamentale de toute la vie de l’Eglise. Les " mises à part " (cf. Ac 13, 2) ne constituent pas des " séparations " de la communauté. Elles sont l’expression d’une élection divine pour le bien de toute l’ecclesia. L’appel se fait donc " au nom du Seigneur ", en tenant compte de l’expression de tous sur l’initiative des responsables. L’envoi en mission se fait par imposition des mains (cf. Ac 6, 6 ; Ac 13, 3).

L’Eglise apparaît inventive. De ce point de vue, s’il est vrai que l’Ecriture constitue une norme (norma normans) de la vie chrétienne, nous ne pouvons pas oublier cette norme d’inventivité pour aujourd’hui en référence à la Parole de Dieu et en considération de la mission confiée.

Une pluralité des vocations aux ministères

Poursuivant notre lecture néo-testamentaire, on ne peut manquer de remarquer la pluralité des vocations aux ministères, pluralité attestée pendant l’époque apostolique (vers 43-65) et au temps des " évangélistes et des pasteurs " (vers 65-95). Les disciples prennent pour la première fois le nom de " chrétiens " à Antioche (Ac 11, 26). On connaît la liste des " prophètes et des hommes chargés de l’enseignement " (Ac 13, 1), témoignage confirmé par Paul pour qui " ceux que Dieu a disposés dans l’Eglise sont premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des hommes chargés de l’enseignement " (1 Co 12, 28). Les apôtres sont des itinérants, souvent " envoyés " deux par deux : ainsi Paul et Barnabé (Ac 13, 2) ou encore Judas et Silas (Ac 15, 27). Quant aux prophètes, ils sont généralement accompagnés de docteurs. La prédication de la foi nécessite une catéchèse de la foi pour son approfondissement.

Après la création des communautés chrétiennes dans les grands centres du bassin méditerranéen et la mort de Pierre et Paul, les responsables des Eglises doivent avant tout veiller à la fidélité à l’enseignement reçu et à l’unité des communautés. C’est le temps des " évangélistes et des pasteurs " (Ep 4, 11). Des recommandations sont adressées aux responsables des communautés (cf. Ac 20, 28-31 ; 1 P 5, 1-4). C’est dans ce contexte que sont écrites les épîtres "pastorales" à Timothée et Tite qui précisent les qualités requises de ceux qui exercent une fonction. Il en est ainsi pour les "épiscopes" (cf. 1 Tm 3, &-7 ; Tt 1, 7-9), pour les "diacres" (cf. 1 Tm 3, 8-13 ; 2 Tm 4, 5), pour les "presbytres" (cf. 1 Tm 5, 17 ; Tt 1, 5). Pour autant l’organisation des ministères n’est pas encore fixée.

Dans ces lettres pastorales, l’imposition des mains et le don de l’Esprit sont clairement affirmées (cf. 1 Tm 4, 14 ; 2 Tm 1, 6). C’est dans la ligne des dons de l’Esprit que les ministères se situent. En effet, pour Paul "il y a diversité des dons de la grâce, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité de modes d’action, mais c’est le même Dieu qui, en tous, met tout en oeuvre. A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous. (...) Tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui le met en oeuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut" (1 Co 12, 4-11). Selon l’épître de Pierre, "chacun selon le don qu’il a reçu, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons intendants d’une multiple grâce de Dieu" (1 P 4, 10). Après avoir écrit que les dons de l’Esprit existent "en vue du bien de tous" (1 Co 12, 7), Paul utilise l’image du corps pour expliciter la diversité des membres et l’unité du corps (1 Co 12, 12-14). Ainsi, parmi les dons de l’Esprit, il en est qui sont reconnus comme des ministères et qui structurent l’Eglise comprise comme un corps ou encore comme une maison (1 Co 3, 10-15).

Cette pluriformité des vocations aux ministères vise à réaliser la tâche confiée. Selon Paul, il s’agit "de mettre les saints en état d’accomplir le ministères pour bâtir le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude" (Ep 4, 12-13). Ainsi, comme on le voit, la pluralité des vocations aux ministères, attestée par les textes cités, n’a de sens qu’articulée sur le " bien de tous " (1 Co 12, 7) ou encore comme " service les uns des autres " (1 P 4, 10). Il s’agit, en effet, de " bâtir le corps du Christ " (Ep 4, 12).

Ce parcours néo-testamentaire met en évidence plusieurs caractéristiques. Il constitue autant de questions posées sur notre accueil de la diversité des dons de l’Esprit, sur l’inventivité des services qu’ils font surgir selon les champs de la mission confiée, sur la responsabilité de tous et les appels spécifiques… L’enjeu pastoral est vital : il s’agit de susciter aujourd’hui - selon le témoignage scripturaire - des communautés chrétiennes qui prennent activement en main leur avenir et l’annonce de la foi, dans une saine articulation des ministères et fonctions pour le service de tous. C’est donc en amont des questions de pouvoirs que nous sommes invités à porter notre réflexion. Partir de la nature de l’Eglise et de la mission qui lui est confiée, c’est reconnaître, en premier lieu, que l’Eglise est confessée dans le troisième article du Credo : c’est l’Esprit qui fait l’Eglise du Christ.