Une compréhension protestante de la vocation


Pasteur Bernard Antérion
Président de la commission des Ministères de l’Eglise Réformée de France

Un appel reçu et accepté, une conviction, un désir, pour un service reconnu. Telle pourrait être une première définition assez générale pour qu’elle concerne tout homme, toute femme. C’est, me semble-t-il, une marque de l’approche protestante de ne pas restreindre le terme de vocation à sa dimension religieuse ou cléricale.

Vocation : une notion élargie

Le langage courant manifeste cet élargissement nécessaire ; ne parle-t-on pas d’activités ou de professions à vocation sociale, médicale, artistique, politique et bien d’autres encore. Il ne s’agit pas là d’un abus de langage mais bien plutôt l’attestation centrale et décisive que ce qui caractérise l’humain - c’est-à-dire une femme ou un homme précis, situé dans le temps et l’espace - c’est qu’il est appelé, nommé par quelqu’un : ses parents sans doute d’abord, mais aussi par le corps social ; elle ou il est appelé à être quelqu’un d’unique et d’irréductible pour devenir un sujet actif de reconnaissance. On constate d’ailleurs facilement les désastres occasionnés par cette absence d’appel et de reconnaissance lorsque manque cet appel ou lorsqu’il n’est plus perçu. Comment dire et manifester aux exclus de nos sociétés qu’ils ont vocation à être et à devenir des êtres reliés ? Comment faire entendre qu’on les attend pour un service et une vie d’hommes et de femmes ?

Cet élargissement de la notion de vocation doit être mis en relation avec une conviction théologique repérable aussi bien dans les textes bibliques que dans les traditions ecclésiales. Dieu appelle, il livre et donne sa Parole qui nomme, qui envoie et qui convoque. Il se révèle en appelant ; il appelle Israël dans une particularité au service de tous les peuples, il appelle en Jésus Christ tous les hommes et toutes les femmes à recevoir sa Parole dans la singularité de chacun au service de tous. En ce sens, vocation particulière est en tension avec vocation universelle. Quelqu’un toujours appelle, l’autre fait entendre sa voix pour nommer, distinguer et envoyer ; Dieu comme Tout Autre appelle et établit - ou rétablit - une relation d’alliance, de confiance et de reconnaissance. La marque judéo-chrétienne est ici celle de Dieu comme appelant, qui se fait connaître par son unique Parole, dans un peuple et dans une personne. Sa distance, comme sa proximité, se manifestent et se révèlent dans l’énoncé et la prédication d’une Parole. L’Eglise sera le lieu et l’outil de cette annonce. Elle sera annonciatrice et non détentrice de cette vocation manifestée par des personnes concrètes dans des situations précises où se vivront à la fois fidélité et renoncement. La foi sera ce mouvement et l’expression de cette vocation.

On sait qu’au XVIe siècle, cette lecture et cette compréhension de la vocation auront des effets particulièrement importants et parfois radicaux ; en livrant leurs compréhensions de la vocation, les Réformateurs, en particulier, vont donner au peuple de l’Eglise - c’est-à-dire à chacun de ses membres - dans sa relation avec Dieu, une importance égale à celles des clercs ou des religieux. Ils vont contester, chacun à leur manière, les états presque immuables où chacun était positionné dans un ordre social rigide. En contestant l’état religieux classique comme état et moyen éminent de salut, ils vont bouleverser non seulement la société religieuse de leur temps, mais aussi la société civile et préparer, sans le savoir, la naissance et le développement de ce qui est nommé aujourd’hui modernité, où sera valorisée la responsabilité individuelle dans les tâches profanes, sous le regard et l’appel de Dieu et dans le meilleur des cas au service du prochain.

Ainsi pour Calvin, la vocation sera comprise comme un état qui parcourt tous les états profanes et comme une nouvelle façon de vivre. Chez Luther, la vocation sera la manière visible par laquelle le chrétien traduira sa reconnaissance de la grâce reçue. La notion de vocation n’est pas inerte. Sa compréhension comme son expression provoquent dynamisme et changement, aussi bien pour la personne appelée que pour l’ordre social ou ecclésial. La vocation n’est en rien confinement, mais bien plutôt attestation et risque de l’Evangile au travail et en action.

Vocation et ministères

Dans l’Eglise Réformée, nous tentons de vivre cette manifestation de l’Evangile de Jésus Christ en reconnaissant cet appel, cette vocation toujours passive, puisqu’elle est l’initiative d’un Autre, dans les services ou ministères où elle s’incarne.

Ministères locaux

Dans une communauté locale, tous les baptisés sont qualifiés comme témoins de l’Evangile et quelques-uns exercent des services afin que l’Eglise accomplisse sa mission annonciatrice de l’Evangile : catéchèse, visites, gestion de groupes, aumôneries, prédications ; ces ministères sont reconnus ainsi que ceux et celles qui les animent, par une célébration liturgique ; ces ministères sont discernés, coordonnés et suscités par un conseil presbytéral qui a charge et vocation de diriger et animer la communauté locale.

Ministères collégiaux

Ce sont ceux des conseils élus à tous les niveaux de la vie de l’Eglise : ils ont la charge et ils ont reçu vocation à veiller sur la communion, la solidarité et en quelque sorte à l’universalité de la réalité ecclésiale.

Ministères personnels

Ils concernent des hommes et des femmes, célibataires ou mariés, qui engagent toute leur vie pour être au service de l’ensemble des Eglises locales, comme permanents, dans un ministère en général à plein temps, comme celui de pasteur.

Avant de souligner le caractère spécifique de ce type de ministère, manifestation d’une vocation originale, il faut bien apercevoir la solidarité et les nécessaires interactions entre ces divers ministères - locaux, collégiaux et personnels - où les uns ne vont pas sans les autres, comme si des vocations diverses s’appelaient et ne pouvaient se vivre sans la présence, la stimulation ou la reconnaissance des autres. La diversité des vocations qui deviennent ministères dit la réalité d’une communauté vivante où se vit la nécessaire reconnaissance, la solidarité du travail commun, où se manifeste la joie commune de l’annonce de l’Evangile inséparable des difficultés et des tensions qu’il faut parfois surmonter. Une Eglise vivante, c’est-à-dire incarnée dans l’espace et le temps, est aussi celle où peut se vivre le choc des vocations.

Vocation et cheminement

Vocation personnelle...

Le ministère personnel, celui du pasteur, est l’expression d’une vocation personnelle dont la spécificité tient en la mise en œuvre d’une dimension professionnelle. Ici, vocation et profession, loin de s’opposer, vont s’appeler et se supporter. Le pasteur, homme ou femme, est une personne qui a reçu de Dieu, par des cheminements parfois très inattendus et souvent difficiles à exprimer, une conviction, un appel, une vocation pour se mettre au service de l’Eglise dans le cadre d’un ministère centré sur l’annonce publique de la Parole, la célébration des sacrements, la vigilance sur une communauté locale et qui, avec le conseil presbytéral, y vit un ministère d’unité en relation avec toutes les autres Eglises locales. Comment traduire en gestes et vie professionnelle une vocation de service ?

…en Eglise

Le candidat - ou la candidate - à un ministère pastoral dit à l’Eglise, à ses représentants élus par un synode national, sa conviction, son désir, ou l’expression de sa vocation interne et personnelle. L’Eglise, dans un long cheminement commun (sept années en général), dira sa reconnaissance, c’est-à-dire merci à Dieu et au candidat - ou à la candidate ; il reconnaîtra ses aptitudes, ses qualités personnelles qui lui permettront de vivre un ministère en relation avec ceux et celles qui sont déjà au travail, vivant leur vocation.

Ce long cheminement prend corps par une réelle insertion dans la foi en Jésus Christ (une personne croyante), par une bonne connaissance de l’Eglise qu’elle veut servir (une personne engagée), par de solides études de théologie au niveau universitaire, au minimum cinq années d’études (une personne théologienne), par des stages et des temps probatoires d’insertion dans la réalité ecclésiale (une personne professionnelle), enfin par une cohérence entre une vie personnelle et familiale et l’exercice public d’un ministère (une personne équilibrée).

Ici on ne recrute pas, on n’embauche pas ; ici il s’agit, avec des frères et des sœurs, pasteurs et laïcs, aux divers niveaux de la vie de l’Eglise, d’apprendre à discerner ensemble avec celles et ceux qui connaissent - ou croient connaître - les besoins de l’Eglise et les candidats et candidates au ministère. La prière, des évaluations et des entretiens sont les marques du discernement. Ce travail de discernement commun s’étend aux responsables laïcs de la vie de l’Eglise qui, eux aussi, localement, donnent un avis sur l’avenir possible d’une vocation qui se qualifie et anime un ministère personnel et professionnel.

La première grande étape de ce cheminement se manifeste par la célébration liturgique de reconnaissance d’un ministère ou ordination.

Résumons : la vocation n’est pas réservée à quelques-uns, elle concerne tous les témoins de la foi. Elle est toujours d’abord reçue comme une grâce dans une passivité, une acceptation, en vue du service de l’autre. Quelques-uns et quelques-unes sont appelés à des ministères spécifiques qui engagent l’ensemble de l’Eglise et l’ensemble d’une vie d’homme ou de femme. Cette vocation requiert convictions, qualifications et compétences au niveau professionnel comme au niveau personnel.

La vocation personnelle et interne relève de la foi reçue et transmise, elle peut s’exprimer dans un service spécifique ou dans une vocation externe qui réclame un suivi, une formation continue, une créativité au service de la communauté ecclésiale.

Devenir pasteur de l’Eglise Réformée de France concerne toute la vie de celles et ceux qui s’y engagent. Si la vocation personnelle peut avoir un caractère permanent, la vocation ministérielle peut connaître des arrêts, des changements de direction et parcourir d’autres types de ministères ou prendre fin. L’accompagnement personnel et ministériel des ministres demeure une préoccupation constante de notre Eglise. Cette attention est une donnée exigeante de la situation actuelle : en effet, les demandes à l’égard des ministres sont très fortes et très diversifiées ; leur statut dans notre société s’est parfois banalisé et a perdu son évidence ; ainsi la personnalité des ministres est parfois mise à rude épreuve tant elle est sollicitée.

L’Eglise Réformée de France ne connaît pas actuellement de crise des vocations au sens où le renouvellement des générations des ministres s’effectue dans de bonnes conditions (la moyenne d’âge des ministres pasteurs en activité est de 45 ans) et où chaque année nous avons la joie de vivre une vingtaine de nouvelles célébrations de reconnaissance de ministère. 380 ministres sont au travail dans l’Eglise Réformée de France aujourd’hui. 20% sont des femmes.

Cependant la crise est toujours au cœur de la vocation au sens où elle exprime à la fois confiance en Dieu et fragilité personnelle, grâce reçue et incarnation à vivre, solitude et vie communautaire, témoignage individuel et mission de l’Eglise. Comme une promesse du Seigneur, la vocation exprimée par une personne au service de l’autre dans la communauté ecclésiale est toujours source d’inattendu et de renouvellement ; elle nous invite à sortir du cadre de la répétition pour être attentif aux nécessaires et nouvelles interprétations de nos vies et de nos Eglises à la lumière de l’Evangile de Jésus Christ qui donne à son Eglise les ministres dont elle a besoin.