Oecuménisme et vocations


Père Emmanuel Pic
responsable du Service diocésain des Vocations de Périgueux

Le rapprochement de ces deux termes, "œcuménisme" et "vocation" peut surprendre et paraître artificiel. Il nous semble cependant important de souligner avec force combien chacune de ces deux réalités est en fait au service de l’unité, mieux, que la vocation et que la démarche œcuménique participent d’une même réponse à un appel vers l’unité : " Comme toi, Père, Tu es en Moi et Moi en toi, qu’eux aussi soient un en Nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé " (Jn 17,21).

LES BLESSURES DE L’UNITÉ

La vocation est un chemin vers l’unité de la personne

Avant de tenter une quelconque recherche d’unité sur un plan pluriel et ecclésial, restons dans le domaine du singulier et de la personne pour repérer cet appel à l’unité au sein de chaque personne. Le récent ouvrage sur l’accompagnement spirituel de Sœur Suzanne David [ 1 ] rappelle que la vocation est avant tout l’expression d’une liberté, liberté de celui qui est appelé, liberté de celui qui appelle. Cet appel de Dieu est une invitation au bonheur, un cheminement qui conduit la personne à faire l’expérience d’une unité de tout son être. Cette unité est souvent un long processus de découverte de soi, d’acceptation de ses propres limites et de réconciliation intérieure. Processus marqué par les étapes de la maturité à l’âge adulte. En effet, cette maturité n’est pas à comprendre comme un donné définitif que le jeune homme ou la jeune femme recevrait au sortir de l’adolescence après un parcours plus ou moins brillant, plus ou moins tortueux. Cette maturité est un acquis perpétuel, une cohérence toujours en mouvement - ou pour reprendre un terme cher aux maîtres de spiritualité - un combat. En ce sens, il est important de repérer les différentes étapes de croissance chez l’adulte [ 2 ].

Ainsi, l’unité de la personne n’apparaît plus comme une quête intérieure, mais d’abord comme un véritable appel, c’est-à-dire une convocation que Dieu fait à la personne humaine afin qu’elle s’engage de manière décisive dans cette direction. Envisager la pastorale vocationnelle sous cet angle, c’est ouvrir de nouvelles perspectives qui, loin de restreindre le champ des possibles, conduisent à la vraie liberté. Nous y reviendrons.

L’œcuménisme est un chemin vers l’unité de l’Eglise du Christ

Il s’agit bien d’un appel que le concile Vatican II, sous l’impulsion de Paul VI, a remis en valeur de manière spéciale. Et ceci en raison d’un double décentrement [ 3 ], qui n’est pas sans rappeler le travail qui doit s’opérer chez celui ou celle qui entame un travail de discernement vocationnel. Le premier mouvement de décentrement consiste à aller vers le Christ " fondement et centre de l’Eglise " et le second est celui qui conduit vers la " plénitude eschatologique " de cette Eglise. Cette démarche n’est pas facile et pose de nouvelles questions pastorales et théologiques. Elle a été jusqu’à aujourd’hui l’occasion d’un dialogue fécond et d’une découverte mutuelle entre Eglises séparées. L’œcuménisme n’est donc pas une mode passagère mais un appel de Dieu afin qu’à l’image même de la Trinité nos Eglises redécouvrent, au cœur même des divisions, l’appel à la communion.

Enfin, pour rester dans une optique vocationnelle, est-il besoin de rappeler combien une attitude d’accueil de nos Eglises favorise un climat de réceptivité au message évangélique, mieux il en est souvent la condition première. L’unité n’est donc pas une finalité à atteindre mais le point de départ de toute évangélisation. Si celle-ci n’est pas encore pleinement en acte dans la réalité, elle doit l’être déjà dans les cœurs comme une donnée fondamentale vers laquelle nous tendons.

Un même appel vers l’unité

Ainsi, la dimension vocationnelle et la démarche œcuménique apparaissent comme un don du Christ et un appel de l’Esprit Saint. La vocation et l’œcuménisme participent tous les deux au projet d’amour du Père pour l’unité de la personne et l’unité des chrétiens.

Il serait intéressant d’aller plus loin en montrant par exemple comment les exigences qu’impliquent pour l’Eglise catholique cette prière et ce travail pour maintenir, renforcer et parfaire l’unité des chrétiens s’applique à l’unité du chrétien dans sa recherche vocationnelle. Le catéchisme universel [ 4 ](article 821) reprenant le décret conciliaire Unitatis Redintegratio résume, en sept points, ces exigences dans la recherche de la communion. Nous pourrions tenter de voir si elles sont applicables au discernement vocationnel de la personne.

1 - Un renouveau permanent

Cette renovatio Ecclesiæ implique, selon le texte [ 5 ], une réforme permanente de l’institution parce qu’humaine et terrestre. On comprend la portée de ce texte dans un contexte d’unité des Eglises mais il semble plus difficile d’en percevoir immédiatement l’implication concernant les vocations. Qui, en effet, porte le souci au sein de nos communautés et de nos diocèses, de poser de manière nouvelle la question de la vocation ? Il est clair que ce rôle est en partie dévolu aux Services Diocésains des Vocations et au Service National des Vocations. Par leur présence et leur action, ils invitent à temps et à contretemps à se poser de manière nouvelle la question de l’appel. Les SDV ne sont pas composés d’agents recruteurs ou de merveilleux publicistes qui travailleraient pour le compte d’une multinationale à but non lucratif. Ils n’inventent, ni ne créent de vocations. Ils réveillent les appels endormis et accompagnent ceux qui sont déjà éveillés. Le discours sur la vocation change au fil du temps car il s’adresse à des hommes et à des femmes qui vivent dans un contexte en continuelle mutation, mais l’origine de l’appel reste toujours le même, c’est un don que Dieu fait à chaque baptisé pour son propre bonheur et le service du monde.

2 - La conversion

Cette " conversion du cœur [ 6 ]" est un élément essentiel dans la dynamique œcuménique, mais elle est aussi primordiale dans le cheminement vocationnel. Cette étape est souvent liée dans le cheminement spirituel du jeune avec une redécouverte nouvelle de la Parole de Dieu. Lors d’une enquête effectuée auprès des séminaires de France [ 7 ], nous avons pu constater qu’une grande majorité des candidats au sacerdoce avait cheminé, avant leur entrée en formation, avec une famille spirituelle à laquelle généralement ils restaient attachés profondément. Ainsi, le lien de réciprocité entre institution et charisme apparaît comme fondamental. Il ne s’agit pas d’exclure l’un au profit de l’autre mais de montrer l’apport mutuel de chacun dans le cheminement vocationnel. Il n’y a donc pas concurrence entre les propositions d’un SDV et celles que propose un mouvement de spiritualité, bien au contraire. Les spiritualités qui jaillissent dans l’histoire de l’Eglise sont autant d’outils qui permettent l’appréhension de l’Evangile par un prisme particulier qui colorera sans doute la vocation du jeune mais lui donnera aussi les éléments nécessaires pour grandir dans toutes les dimensions de sa vie chrétienne.

3 - La prière en commun

Le Christ prie son Père pour l’unité des siens et il nous invite à faire de même en son nom [ 8 ] . C’est donc toujours lui qui se tourne vers le Père dans les groupes de prière œcuméniques : " Tout ce que vous demanderez en mon nom, il vous l’accordera ". Quel enseignement pour la pastorale vocationnelle ? On lie trop souvent et trop vite la vocation au cheminement personnel en oubliant qu’elle est avant tout un don pour le service et la mission de l’Eglise tout entière. Peut-être est-il nécessaire d’être plus audacieux dans ce domaine ? " Demandez au maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers pour la moisson. " La prière pour les vocations est une supplication collective, celle d’un peuple, d’une communauté et non de quelques individus touchés par la raréfaction des prêtres et des religieuses sur leur paroisse. La journée mondiale de prière pour les vocations invite chaque année l’Eglise catholique à entrer dans ce mouvement.

Ce temps fort d’intercession ne dispense pas d’une prière régulière et continue mais elle crée un élan renouvelé d’intercession pour les vocations au sien des communautés chrétiennes : paroisses, aumôneries, mouvements, etc.

4 - Connaissance réciproque fraternelle

Le décret sur l’œcuménisme fait ici allusion aux groupes de réflexion entre chrétiens de différentes confessions (UR 9) qui se sont créés pour parvenir ensemble à un éclairage plus vrai les uns sur les autres et à une meilleure connaissance réciproque. La similitude de la démarche de ces groupes œcuméniques et des équipes de recherche vocationnelle diocésaines ou interdiocésaines est frappant même s’il est vrai que la finalité et la composition de ces groupes diffèrent. Il est intéressant de noter par exemple qu’à la suite des Journées Mondiales de la Jeunesse, au cours de l’été 1997, les groupes de recherche vocationnelle se sont multipliés, leur nombre a vraiment explosé sur tout le territoire français. Dans la région Sud-Ouest, sur dix diocèses, désormais six possèdent un groupe de ce type. C’est une espérance nouvelle mais aussi une exigence redoutable car il faut, tout en prenant la mesure de l’événement, se lancer sans attendre dans l’aventure avec ces jeunes en attente d’un lieu de parole et d’échange pour approfondir ce qu’ils ont découvert au fond d’eux-mêmes.

5 - Formation

Dans le décret on parle d’une formation ayant une visée œcuménique (UR 10) afin, en particulier, d’éviter toute polémique et surtout de permettre une meilleure connaissance mutuelle entre frères séparés. Sur un plan vocationnel, la formation chrétienne des jeunes est également primordiale car elle permet d’éviter les impasses ou de sortir d’une certaine confusion intérieure, en tout cas d’acquérir progressivement les éléments nécessaires pour un réel discernement. Bien souvent, on reste stupéfait devant l’ignorance des jeunes dans le domaine religieux, il arrive souvent qu’ils n’aient aucun port d’attache ecclésial ou que leurs connaissances bibliques se résument à un seul verset du Nouveau Testament. La mise en place d’une année de propédeutique dans la formation des candidats au sacerdoce, tout comme l’allongement du noviciat pour certains ordres religieux ou encore la création d’Ecoles de la Foi ne sont pas les signes d’une plus grande exigence des autorités ecclésiales mais la prise en compte de cette réalité nouvelle où le sécularisme n’a pas permis aux jeunes d’acquérir tous les trésors de la foi chrétienne. C’est donc respecter leur liberté que de leur offrir un temps de formation supplémentaire avant toute décision et tout choix au sujet de la vocation.

6 - Dialogue

Le décret sur l’œcuménisme incite les chrétiens à rechercher " une connaissance plus profonde et une manifestation plus évidente des insondables richesses du Christ " (UR 11), tout en prenant conscience qu’il existe un " ordre et une hiérarchie des vérités ". Cette recommandation vaut également sur un plan personnel et on peut penser à juste titre que l’accompagnement spirituel relève de cet apprentissage au dialogue. En effet, la première conséquence de la relation entre l’accompagnateur et l’accompagné est de permettre une parole. Or on sait combien il est difficile de dire, de trouver les mots pour exprimer sa vie spirituelle. L’accompagnement est donc une école d’expression. Bien entendu c’est aussi dans ce cadre que la personne entre dans une connaissance approfondie du mystère de sa propre vocation. La parole est créatrice. Elle met à distance et permet de voir, de mettre de la perspective et donc de hiérarchiser en soi les appels, les désirs, les attentes, les uns par rapport aux autres. Ainsi progressivement s’opère un éclaircissement intérieur qui permet de comprendre, par exemple, les raisons profondes qui motivent un choix pour le célibat plutôt que vers le mariage.

7 - Collaboration

Enfin Unitatis Redintegratio développe l’idée d’une collaboration de tous les chrétiens " soit en faisant estimer la personne humaine, soit en travaillant à promouvoir la paix, soit en poursuivant l’application sociale de l’évangile ou par le développement des sciences et des arts dans une atmosphère chrétienne, ou encore par l’apport de remèdes de toutes sortes contre les misères de notre temps. " (UR 12) Cette perspective trouve son application concrète dans le discernement et l’accompagnement vocationnel. En effet, la réponse à l’appel passe par la dimension du service et donc par un engagement concret au sein de la société. Si la vocation reste un don fait à l’Eglise, elle l’est pour le service de tous les hommes et de toutes les femmes. Il n’est pas rare en effet aujourd’hui que nombre de jeunes découvrent au cœur même de leur engagement social ou professionnel l’appel de Dieu pour une consécration ou vers une donation dans le sacerdoce ou la vie religieuse. La redécouverte de la place des diacres permanents dans cette optique apparaît comme providentielle.

Conjuguer ces deux appels

Au cours de ce rapide parcours, qui mériterait de plus longs développements, nous nous sommes contentés d’appliquer des exigences repérées par le concile Vatican II pour la démarche œcuménique à la pastorale vocationnelle actuelle en nous basant sur un principe commun : celui de la quête de l’unité. Cependant ne faut-il pas aller plus loin et oser passer de la juxtaposition à une conjugaison des deux facteurs ? Nous ne justifierons pas ici cette proposition, nous pouvons juste l’illustrer par des faits concrets qui témoignent par eux-mêmes qu’une démarche œcuménique est vocationnelle, et qu’une recherche vocationnelle est en soi œuvre œcuménique.

C’est le cas de nombreux lieux de rencontre où des chrétiens se retrouvent ensemble pour un partage autour de l’Ecriture dans des équipes œcuméniques au niveau diocésain ou paroissial (cercle ou groupe biblique). Il en va de même pour les groupes de prière. Ici il faut mentionner l’impact en ce sens de la communauté de Taizé qui reste aujourd’hui, en Europe et dans le monde, un pôle spirituel très apprécié des jeunes et des moins jeunes. Enfin, cette double démarche œcuménique et vocationnelle est présente dans des actions communes pour le respect et le développement des points fondamentaux de la personne humaine. On peut citer pour mémoire des groupes comme l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) mais on pourrait multiplier les exemples.

Enfin il faut noter l’apparition de nouveaux courants spirituels religieux, qui sont marqués par une très forte connotation œcuménique, encouragés et reconnus officiellement par l’Eglise de Rome. Ces nouveaux mouvements possèdent deux caractéristiques fondamentales : ils sont constitués en majorité par des laïcs et possèdent une très large diffusion internationale. Naissent en leur sein des vocations d’un type nouveau avec des engagements divers suivant les états de vie (personnes mariées ou célibataires) et une invitation à rejoindre sa communauté d’origine (catholique, anglicane, réformée, orthodoxe, etc.). Le Mouvement des Focolari, la communauté de San Egidio ou encore celles issues de la mouvance du Renouveau charismatique offrent un éventail varié de réponses à cet appel vers l’unité. Ce sont des voies nouvelles parfois surprenantes et déroutantes mais qui colorent de manière nouvelle le paysage ecclésial.

En conclusion, il convient de ne pas abandonner le champ de l’œcuménisme et la question des vocations aux mains des spécialistes. Ce serait renoncer à une dimension essentielle de l’être chrétien, sa quête d’unité. La recherche de l’unité est l’œuvre de toute une vie. Ce travail ne peut se faire qu’au plus près de la réalité, sur le terrain de nos communautés, par des actions simples mais réelles de dialogue et de rencontre mais aussi de travail et de prière. C’est en apprivoisant progressivement la différence en moi et la diversité qui m’entoure que je peux parvenir à une plus grande communion avec le Père, par le Fils et dans l’Esprit. Bien entendu, une clé est nécessaire pour ne pas se décourager ou s’impatienter devant une porte apparemment close. Cette clé, c’est le mystère pascal qui peut permettre d’entrer dans cette compréhension nouvelle de la vie de l’Eglise et du monde.

Notes

1 - " Bien souvent l’accompagnement permet tout simplement de devenir soi-même. Il est utile au surgissement d’une liberté humaine qui s’engage et assume des choix (...) l’accompagnement conduit en effet à vivre sous le régime de la liberté des enfants de Dieu. " Suzanne David, Laissez-vous conduire par l’Esprit, SNV 1998, p. 71 et 72. [Retour au Texte]

2 - " Ainsi, on n’est pas adulte on le devient. Et c’est bien la manière de vivre ce processus, d’en devenir le sujet au lieu d’être le jouet des circonstances, qui constitue le défi et la tâche de l’âge adulte (...) Un adulte est en constant mouvement : biologiquement, psychologiquement, socialement et culturellement. Ce processus dynamique en indique aussi la direction et la vocation. " Ambroise Binz et Sylviane Salzmann, Documents d’Andragogie, Institut Romand de Formation aux Ministères de Fribourg, 1996, Chapitre 11.22 : " Qui sont ces adultes ? " [Retour au Texte]

3 - Initiation à la Pratique de la théologie, Volume III, Cerf 1983, p. 367.[Retour au Texte]

4 - Catéchisme de l’Eglise Catholique, Mame/Plon 1992, article n°821, p. 180-181 [Retour au Texte]

5 - " Un renouveau permanent de l’Eglise dans une fidélité plus grande à sa vocation " (UR 6). [Retour au Texte]

6 - La conversion du cœur " en vue de vivre plus purement l’évangile ", car c’est l’infidélité des membres au don du Christ qui cause les divisions. (UR 7) [Retour au Texte]

7 - Emmanuel Pic, Mouvements de Spiritualité et Formation au presbytérat, Faculté de Théologie de l’université des sciences humaines de Strasbourg, Avril 1996. [Retour au Texte]

8 - La prière en commun car " la conversion du cœur et la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l’unité des chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout œcuménisme et peuvent être à bon droit appelées œcuménisme spirituel " (UR 8). [Retour au Texte]