La vocation dans le judaïsme


Père Patrick Desbois
Secrétaire du Comité épiscopal pour les relations avec le Judaïsme

Plutôt que d’entrer dans un propos théorique, il m’a semblé préférable d’exposer comment, au quotidien, se pose la question de la vocation et en particulier devant quels choix le jeune juif est conduit à se prononcer dans son quotidien.

Vocation et catholicisme

La question de la vocation personnelle est centrale dans le christianisme et plus encore dans le catholicisme puisqu’elle constitue l’origine de l’Eglise et notamment le mystère des douze Apôtres. Ainsi l’appel engendre pour une part l’ensemble de la sacramentalité ecclésiale, puisque l’Eglise catholique ne se perçoit pas d’abord comme une administration, mais comme issue des dons et des appels de Dieu.

Par ailleurs, si le Christ appelle Matthieu, Pierre, Jean sur les chemins de Palestine, il s’adresse également à Saül sur la route de Damas alors qu’il est déjà mort et ressuscité. Ainsi, dans le christianisme, l’appel personnel de Dieu ne constitue pas seulement une condition originelle mais une composante présente et permanente de l’ensemble du peuple chrétien. L’appel qu’adresse le Christ Ressuscité constitue le présent, mais surtout l’avenir de l’Eglise. Les catholiques croient que le Christ ne cesse d’appeler pour des vocations diverses aujourd’hui et demain. Non seulement, le Christ a appelé mais il continue, aujourd’hui, d’adresser ses appels.

La théologie de l’appel chez les catholiques est indissociable de la théologie de la grâce. Ainsi, le jeune catholique est invité à discerner dans sa vie quel appel le Seigneur lui adresse et comment cet appel va prendre forme dans le tissu de l’Eglise.

Mais qu’en est-il pour les juifs ?

Tout d’abord, il est à noter que les communautés juives sont très diverses et qu’il n’existe pas de dogmes généraux définis par un magistère. Néanmoins, il est possible de distinguer quelques éléments concernant cette interrogation dans la tradition juive. Tout d’abord, rappelons que la plupart des juifs de notre temps sont issus de ceux que l’on appelait les pharisiens qui se distinguaient, notamment des sadducéens, par une triple affirmation :

  • l’affirmation de Dieu
  • la liberté individuelle
  • la foi en la résurrection des morts.

La croyance en la résurrection implique pour chacun une mission, une destinée à accomplir afin d’entrer dans la promesse de la vie éternelle. Mais peut-on pour autant parler de vocation au sens chrétien du terme ? Ou bien est-il nécessaire de s’ouvrir à une compréhension autre de la vocation ?

La vocation, acte de naissance du judaïsme

Prendre en compte la tradition biblique et notamment la Torah écrite, c’est-à-dire les cinq premiers livres de notre Bible, c’est se rendre au cœur du judaïsme. En effet, chaque samedi matin, à la synagogue, un passage de la Torah est lu et commenté longuement. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les juifs n’écoutent pas la Bible comme les chrétiens. Ils cherchent dans la Bible, à la lumière de la Torah orale, notamment le Talmud, ce qu’il faut faire dans leur vie pour accomplir les commandements de Dieu.

Dans la Bible, les juifs se reçoivent tout entiers comme nés par vocation. On peut songer bien sûr à la vocation d’Abraham. " Yahvé dit à Abram : "Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi se béniront tous les clans de la terre." "

L’appel d’Abraham est perçu dans la tradition juive comme l’intervention de Dieu pour arracher Abraham à l’idolâtrie et le faire entrer dans la foi monothéiste en Dieu. L’appel, la vocation est considérée par le peuple juif non seulement comme importante mais constitutive du peuple, de l’identité juive et de sa mission dans l’humanité. La mission du peuple juif se manifeste par la sanctification du nom de Dieu et la lutte contre l’idolâtrie, c’est-à-dire tout ce qui réduit Dieu à une chose et ainsi aliène l’homme dans sa liberté de fils de Dieu. Cette vocation n’est pas celle d’un juif particulier mais de tous collectivement ; elle est perçue comme celle du peuple juif dans son ensemble.

L’appel d’Abraham ne peut être isolé des autres appels, notamment celui de Moïse et par conséquence du don de la Loi au Sinaï. C’est en étudiant à l’école des maîtres juifs que le jeune religieux juif peut comprendre comment aujourd’hui accomplir les commandements de la Loi et ainsi répondre à l’appel qui leur a été adressé en Abraham, Moïse et les autres patriarches. Le rabbin Léon Askénazi, l’un des maîtres à penser du judaïsme francophone, déclarait : " Les chrétiens doivent entrer dans la grâce qu’ils croient avoir reçue, les juifs, eux, doivent mériter leur élection. "

Ainsi, le jeune juif ne se pose pas directement la question : à quoi Dieu m’appelle-t-il ? mais plutôt comment concrètement, chaque jour, sanctifier le nom de Dieu et observer ses commandements ? L’appel est antérieur à sa propre naissance et il ne peut être séparé du don de la Loi, Loi écrite et Loi orale. La réponse à l’appel de Dieu va consister pour lui à accomplir les commandements divins.

Les choix d’un jeune juif

Comme tout jeune, il doit évidemment orienter l’ensemble de son existence. Pour ce qui est du judaïsme, il est confronté à une succession de décisions. Tout d’abord, veut-il être religieux ou non ?

On appelle religieux‚ un jeune qui va engager sa vie dans une existence croyante. Il peut très bien s’engager dans la communauté juive dans un mouvement de jeunesse non religieux sans pour autant être croyant. Certains mouvements de jeunesse juive n’intègrent pas la dimension croyante mais insistent davantage sur l’héritage culturel, historique et la mission qui en découle.

S’il veut être religieux, il va chercher dans quelle école s’inscrire et ainsi quel rabbin il va choisir. Ce choix aura beaucoup de conséquences. Notamment, il va respecter les règles de la casherout, le shabbat, les fêtes, les temps de prière avec des accents très divers selon le maître qu’il a choisi. Par exemple, son école religieuse sera sioniste ou ne le sera pas. Dans un cas comme dans l’autre, son souci de la vie en Israël ne sera pas du tout le même. S’il entre dans une mouvance de pensée sioniste, il devra se demander s’il se rendra en Israël pour y vivre ou bien s’il demeurera en diaspora. Ce choix est parfois difficile et douloureux pour les familles qui, restant en France, voient l’un de leurs enfants les quitter pour s’installer en Israël. Le moment du mariage représente lui aussi une étape décisive. Selon qu’il se marie ou pas avec une fille juive, ses enfants seront ou pas reconnus comme juifs par le rabbinat.

Dans une même famille, il n’est pas rare de voir une jeune fille choisir l’ultra-orthodoxie, un garçon devenir sioniste non croyant et un troisième ne pensant guère à son identité juive. Ce n’est pas parce que les parents appartiennent à une école de pensée ou de foi que les enfants choisiront la même destination. Les décisions impliquent par la suite des différences conséquentes sur le mode de vie, notamment sur les pratiques alimentaires et de respect du shabbat. Il n’est pas facile à une maman de gérer la maison lorsqu’un fils veut absolument manger casher alors que ce n’est pas un souci pour les autres membres de la famille.

Dans tous les cas, le jeune ne perçoit pas sa vie en réponse à un appel de Dieu qui lui est adressé personnellement mais comme une mise en œuvre de son identité juive tel qu’il la perçoit.

Il est également utile de préciser que, si un jeune se forme pour devenir rabbin, ce n’est pas parce qu’il se sent choisi par Dieu mais parce qu’il souhaite tout simplement être rabbin pour servir une communauté. De plus, le rabbin n’est pas nécessairement président de communauté ni de liturgie. Il est par contre celui qui est consulté, notamment pour la jurisprudence, afin que ses disciples sachent comment interpréter précisément la Loi dans les situations les plus diverses.

En conclusion, si l’ensemble des juifs est inscrit dans le choix du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, dans le quotidien de l’existence religieuse, il est important de saisir les différences entre la vocation particulière d’un chrétien et les choix d’un jeune juif.

Le rabbin Ashkénazi disait : " Il y a une différence entre un athée juif et un athée chrétien : un athée chrétien ne croit pas que Dieu existe ; un athée juif croit que Dieu n’existe pas, il croit quand même… "