Un regard parmi d’autres


père Edouard O’Neill
jésuite

Religieux et prêtre, j’ai travaillé dans l’aumônerie scolaire, dans l’aumônerie étudiante, les retraites et les autres activités d’un centre spirituel. Ici et là, j’ai eu l’occasion de rencontrer des prêtres diocésains, de collaborer avec plusieurs, de parler davantage avec certains, d’avoir des relations d’amitié durable avec tel ou tel. Ce qui suit n’est qu’un témoignage personnel que j’écris en pensant à une dizaine d’entre eux que j’ai davantage connus et appréciés. Leurs profils sont différents, les régions de France où ils travaillent également. Je ne les ai fréquentés, somme toute, que peu souvent, et de façon irrégulière, je ne les rencontre que rarement, mais une présence demeure, vivante, significative. De quoi est-elle faite ? Sans doute d’une certaine combinaison réussie, chez eux, de l’homme et de ses fonctions, une harmonie entre l’intérieur et l’extérieur.

En déplacements fréquents ou pas, ce sont des piliers stables, et ils acceptent de l’être. Nombreux sont ceux et celles qui s’appuient sur eux, se réfèrent à eux, se souviennent d’eux. Ce sont des permanents locaux qui accueillent ceux qui passent, qui soutiennent ceux qui séjournent sur place, qui servent l’Evangile dans la continuité des jours et les réalités concrètes d’un terrain, d’un secteur, d’un terroir. Repères pour les uns, plaques tournantes pour d’autres, autorité pour ceux-ci, éveil ou réconfort pour ceux-là, ils sont un visage vivant et une voix familière dans un périmètre donné, à l’Eglise ou à la maison, en réunion de travail ou dans les rassemblements plus larges. On compte sur eux.

Ces piliers sont des relais. La vie de l’Eglise les déborde ; ils ne cherchent pas à tout maîtriser, mais elle passe par eux. Ils sont mêlés à tout ce qui fait la vie et l’animation des communautés. Il leur faut organiser les activités, les rencontres, les célébrations, même si c’est avec d’autres, et toujours dans le souci de constituer et de reconstituer sans cesse des liens, des réseaux, de susciter de nouvelles collaborations. Chacun le fait avec ses moyens et ses caractéristiques propres, à sa manière et selon l’esprit qui l’anime, mais non sans y engager des forces intérieures. Car relayer c’est aussi réguler, relancer, rassurer, redonner une perspective, une inspiration. On revient vers eux, sans trop le dire, comme vers une source. Jeunes ou vieux, personnes ou groupes, il leur faut accueillir, écouter, aider, consoler, proposer des moyens d’avancer. Ils doivent puiser, sans cesse, au fond d’eux-mêmes l’Espérance qui se renouvelle, et trouver les mots pour la dire.

Ceux auxquels je pense, je les sens à leur place, portant en eux-mêmes l’évidence de leur utilité. Comment ferait-on s’ils n’étaient pas sur nos routes ? Car les plus belles structures ne suffisent pas, il faut des hommes. Dieu nous rejoint à travers des visages, et c’est souvent le leur.

La qualité humaine joue ici un grand rôle, au-delà des talents et des dons particuliers propres à tel ou tel. Souvent ils aiment travailler sérieusement une question, ils écoutent avec attention et humilité, ils jugent avec bon sens et bienveillance à la fois. Mais surtout ils sont dotés d’une bonne assise personnelle, d’un équilibre intérieur et d’une saine autonomie qu’il fait bon rencontrer. Est-ce par nature, par formation, par fonction, par grâce ? La diversité des tâches, des sujets traités, des interlocuteurs rencontrés, l’alternance des réunions et des moments de solitude, des activités ou déplacements et des temps morts, requièrent en effet un centre de gravité suffisamment paisible. Sinon ce serait vite l’épuisement.

Plus encore leur assise intérieure est un enracinement. L’arbre est planté dans une terre. Eux font corps avec une population, plus sans doute que des religieux qui sont souvent situés d’abord dans une dynamique transversale par rapport à une implantation territoriale. Connaître le terrain est un réflexe constant. La proximité aux uns et aux autres, la compréhension de ce que vivent les gens, l’attention à ce qui se passe ne font qu’un avec le souci de l’Evangile et de l’Eglise. Leur capacité d’autonomie personnelle se conjugue avec une sensibilité à l’humain.

Reste le vrai défi de tenir dans la durée, alors que les conditions de vie ou de travail ne facilitent pas les choses. Pour cela chacun doit trouver par lui-même les moyens adaptés de son propre ressourcement. Dans la vie religieuse on est stimulé spirituellement et intellectuellement par la communauté et par une tradition propre. Là il faut trouver soi-même les appuis nécessaires. Les prêtres diocésains auxquels je pense savent se ménager du temps à eux ; ils ont une pratique régulière de la prière personnelle ; ils continuent à lire ; ils ont des amis. Quand on les rencontre, on a quelqu’un en face de soi, et leur humanité respire une joie discrète.

Dans la dizaine de ceux auxquels je pense, il y a de la diversité, et certains auraient peut-être du mal à vivre ou à travailler avec d’autres ; chez tous je constate cette capacité humaine nourrie de l’intérieur qui accompagne tranquillement la succession des tâches et des rencontres, des célébrations et des événements au long des années, et qui est la saveur propre de leur existence. C’est du dedans d’eux-mêmes qu’ils habitent les paroles et les gestes de leur ministère.

Ce que je viens de dire à propos de quelques prêtres diocésains que je connais, je l’ai retrouvé aussi chez des séminaristes que j’accompagnais au cours de retraites selon les Exercices Spirituels. Je me souviens de la joie manifeste, chez plusieurs de ceux-ci, de pouvoir, à cette occasion, habiter plus clairement de l’intérieur leur vocation de prêtre diocésain et un avenir dont la variété des aspects leur tenait à cœur. La surface communiquait avec une source. Et chez ceux-là on devinait aussi cette même capacité d’autonomie, avec une note de simplicité et de modestie, et ce même sens de l’humain constatés chez leurs aînés. On peut en attendre de bons fruits s’ils peuvent garder cet équilibre dans la durée, et parfois dans des conditions difficiles.