"J’ai appris à faire confiance au Seigneur "


Claude COLOMBO
journaliste

La vocation d’un " quadra "

Quarante et un ans. L’âge où d’autres ont " réussi " ou sont " installés ". Un âge qui n’appartient déjà plus à la jeunesse et qui n’est pas encore celui de la vieillesse. Un âge qui, malgré tout, permet d’envisager un avenir terrestre toujours possible. Bref, ce que l’on désigne souvent autour de nous par le terme de " force de l’âge ".

Une personne ayant atteint la quarantaine, et c’est mon cas, et qui envisage de vivre pleinement la vocation religieuse qui étreint son âme et son cœur est, me semble-t-il, prise entre deux sentiments. Celui d’un commencement ou d’une nouvelle naissance. Celui d’une arrivée au port après un long parcours. Celui de l’enfant qui naît, face à celui d’un Ulysse qui " a fait un long voyage ". Le paradoxe à vivre étant celui de devenir neuf en étant vieux (mais pas tout à fait, je l’admets ! ).

Les obstacles ont été nombreux. Les apprentissages douloureux et les pièges plus souvent rencontrés que nécessaire. Les bons moments et les plaisirs même ont force d’expérience. La difficulté principale, alors, est de retrouver son âme d’enfant (si jamais on la perd vraiment, ce qui n’est pas sûr). Les souffrances emmagasinées formant un voile qui la cache à nos yeux intérieurs. Je l’avoue, dans mon humble cheminement d’homme, c’est bien la foi en Jésus-Christ qui m’a permis de franchir l’épais brouillard du temps qui passe. Qui me permet, aujourd’hui, d’envisager avec bonheur de vivre totalement ma passion du Christ avec mes frères chrétiens. Mais, on l’aura compris, l’angoisse du temps qui passe, et qui par conséquent est perdu, reste comme une profonde blessure pour un homme de mon âge.

L’accueil que l’on reçoit dans l’Église, et par les hommes d’Église, devient alors un moment vécu comme " considérable ".

Encore une fois, je précise bien qu’il s’agit là de pensées toutes personnelles, mais je crois que pour un jeune homme, l’accueil doit être vécu d’une manière différente. Plus proche de la " manière " élève-maître ou enfant-père. Pour moi, homme de quarante ans, il ne peut s’agir que d’une rencontre entre frères. Et frères aimants. Cela ne relève pas d’une exigence mais d’une attente. Je ne tiens pas à être jugé, car cela risque toujours de me reconduire à l’endroit d’où je viens et de me rejeter dans des sentiments de culpabilité et d’infériorité. Je veux être aimé par les hommes, comme je souhaite être pardonné par le Seigneur. Et je sais que pour être aimé il faut aimer soi-même. Que pour être pardonné il faut pardonner.

Si je dis au prêtre qui m’accueille : je veux être religieux, ce n’est pas du scepticisme, mais de la générosité que j’ai besoin de recevoir en réponse. Si, de plus, je fais part de ma vocation tardive au sacerdoce, c’est un homme de Dieu que je souhaite retrouver en face de moi. Au cœur " grand comme ça ". À l’esprit ouvert, à l’écoute douce et chaleureuse, à l’âme mystique. Bref, d’un homme qui appartient au " royaume de Dieu " à la frontière duquel je me présente charnellement et pour toujours. Ce n’est pas de morale que mon âme a soif, mais du Christ.

Dans le discernement nécessaire à toute vocation, il me semble particulièrement important pour un " quadra " de rencontrer des hommes d’Église à l’esprit formé et cultivé. Mais, surtout, ayant une expérience concrète de la vie et de la prière. Des esprits dans lesquels rayonnent l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Christ. Et l’amour avec un grand " A ".

 

Témoignage anonyme

" J’ai du apprendre à parler "

Entrer au séminaire s’est fait, pour moi, avec une certaine joie qui m’anime encore à ce jour jusqu’aux difficultés. S’engager, vers la quarantaine, nécessite de quitter, autonomie, train de vie, engagements professionnels et flottements affectifs..., pour un temps de séminaire bien établi sur quatre " piliers " : vie communautaire, travail intellectuel, vie spirituelle, insertion pastorale.

De là , une confrontation avec d’autres tranches d’âges : un salut à mes frères de vingt-vingt-cinq ans ; une reprise des études (admirons la baisse de nos capacités d’apprentissage) ; l’acceptation d’une vie rythmée par l’institution (adieu au resto-sur-le-pouce et au week-end au pied levé ! ) ; un approfondissement de notre vie spirituelle (bonjour aux doutes, fini le douillet ronronnement) ; la main mise à la pâte (les petites choses remplacent l’élans des grands projets).

C’est là aussi que le discernement s’effectue. Vivre avec une population non choisie, mais donnée , élargir nos moyens de raisonnement ; aimer une et dans une Eglise qui est celle-ci et non celle dont je rêvais ; trouver la relation à Dieu qui me tiendra dans cette vie choisie librement.

Dans ce discernement, le facteur temps (six ans) joue à plein. Si l’on peut tricher quelques mois, communauté, enseignement, vie spirituelle et insertion se chargent de me remettre à ma place. La vie communautaire révèle ce que je suis, l’intérêt des et aux études montre mon adhésion de raison à la foi de l’Eglise, l’accompagnement spirituel éclaircit cette foi telle que je l’expérimente, l’insertion pastorale me frotte à la réalité de la vie ecclésiale.

Les principaux problèmes de discernement sont venus du manque d’habitude à relire mes expériences : " Un fait est acquis. Point. " Or, ce n’est pas le cas. Il m’a fallu apprendre à parler, à me dire, comprendre, s’oser. Puis, une fois l’enthousiasme du départ dépassé, mon discernement fut obscurci par la volonté de conserver ce que je considérai comme important. Laisser filer les faits est une chose, en abandonner la valeur en est une autre. La difficulté était de passer d’une valeur à une autre. L’entre-deux n’est jamais confortable !

Il me semble qu’une certaine professionnalisation pourrait permettre à des 35-45 ans d’être plus à l’aise dans leur cheminement : objectifs plus nets, exigences (ce que je n’ose plus appeler " rentabilité ", ni " efficacité "), et ceci tant dans l’organisation de vie que dans la technique de l’enseignement et en insertion.

De même, prendre en compte que la vie de la personne dépasse le cadre strictement ecclésial et que, en dehors d’un pôle affectif et amical "ordinaire", la personne puisse avoir d’autres intérêts : les quatre " piliers " du séminaire, bénéficiant là d’un cinquième.

Enfin, il me semble que, parfois, une certaine crainte se manifeste face à des initiatives non ordinaires, non " habituelles ". Il y a là une question de confiance a-priori. La quarantaine est l’âge des réalisations, des affirmations de soi - non plus seulement de l’apprentissage.

Valoriser de telles initiatives - en lien avec les quatre " piliers " - , serait une aide au discernement et serait plus formateur que de les brider, que d’essayer de maintenir la personne dans le standard de vie commun aux plus jeunes.

Je crois que le séminariste, le novice, gagneraient à recevoir de vraies responsabilités dans leur différents lieux de vie.

 

Michel RIQUET
40 ans, religieux Camillien

" Le discernement est capital "

Les étapes décisives de mon cheminement

Je suis né dans une famille catholique avec une sœur aînée et un frère plus jeune. De 3 à 11 ans, j’étais à l’école primaire dans des petits villages aux environs d’Albi, où mes parents, instituteurs en un milieu public, enseignaient. De 11 à 18 ans, je quitte le milieu familial pour être interne dans un lycée d’Albi. J’ai obtenu mon diplôme d’état d’infirmier et j’ai exercé ce métier pendant cinq ans de juillet 1984 à octobre 1989.

Voici quelques moments importants de ma vie qui, je crois, ont influencé ma vocation :

Vers 5 - 6 ans, le curé de la paroisse, en plein mois d’août, m’interpelle : " Michel, viens me servir la messe ". J’en garde le souvenir d’une grande joie.

Vers 18 ans, dans l’angoisse du baccalauréat une pensée : " Si je ne réussis pas dans les études, je serai moine ". Je songeais aux moines bénédictins d’En-Calcat où j’étais allé avec mes parents dans ma petite enfance.

De 18 à 30 ans, participation à divers mouvements laïques comme la Croix Rouge Française - où j’ai côtoyé un prêtre oblat de Saint-Benoît- , ou des mouvements catholiques : Hospitalité, Action Catholique des Milieux Sanitaires et Sociaux, groupes bibliques...

A 29 ans, des événements, s’étalant sur une période de trois mois et demi, ont abouti à une prise de décision, celle d’entrer au séminaire.

A 30 ans, entrée au séminaire régional de Toulouse pour le diocèse d’Albi.

A 35 ans, entrée comme postulant chez les Religieux Camilliens, serviteurs des malades.

Problèmes et points positifs du discernement

Dans mon parcours, cinq ans au séminaire et cinq, à ce jour, en vie religieuse, je puis noter que le discernement est capital pour connaître en vérité ce à quoi le Seigneur nous appelle. Pour cela, j’ai pu noter quelques points importants.

Connaître son histoire personnelle.

Pour cela, il faut être aidé à faire mémoire de son passé, à faire anamnèse, afin de savoir d’où je viens, de pointer les événements-clé où Dieu veut me dire quelque chose. Cela sert aussi à prendre conscience que je suis dans une barque ballottée par les adversités de la vie quotidienne et faire confiance en Jésus Christ qui, lui, veille. Ce travail de relecture de ma vie s’est fait par étape depuis mon entrée au séminaire.

Être respecté dans ce que l’on vit.

J’ai beaucoup apprécié mon directeur spirituel du séminaire qui, dès les premiers entretiens au cours desquels je lui disais que mon ancien métier était passionnant et que je devais tout découvrir du ministère du prêtre, m’avait seulement signalé l’existence d’ordres religieux au service des malades. " As-tu entendu parler des Frères de Saint-Jean-de-Dieu ou des Religieux Camilliens ? " me dit-il un jour. A l’époque, pensant que ma vocation était d’être prêtre diocésain, je ne me suis pas sérieusement intéressé à la question. Ainsi, mon accompagnateur m’ouvrant simplement les yeux sur une autre vocation, m’a laissé progresser dans mon cheminement. Il était patiemment à mes côtés, ni en avant, ni en arrière.

Respecter le temps de Dieu.

Dieu sait être patient. Dans un premier temps, il a mis en moi le désir d’être prêtre : j’ai pris cette décision au cours d’une retraite personnelle après un temps de prière et d’action de grâce, suite à l’eucharistie du dimanche. Puis, n’ayant pas l’expérience de la vie du prêtre diocésain, je demandais de faire un stage d’un an à mi-temps en paroisse. L’essai fut positif. Je poursuivis donc mes études de théologie en second cycle. Mais, au cours des grandes vacances entre la première année et deuxième année de théologie, quelques inquiétudes vinrent me troubler. Or, sachant que la retraite d’élection, proposée à tous les séminaristes au cours de leur formation, approchait, je pensais que ces inquiétudes étaient liées à cette retraite. A l’issue de cette dernière, une nouvelle question se pose à moi : " Prêtre, oui, mais comment ? ". C’est à partir de ce moment-là que je me suis rappelé l’existence des Frères de Saint-Jean-de-Dieu et des Camilliens. Après avoir lu un livre sur saint Camille de Lellis, j’ai pris la décision d’entrer chez les camilliens où je pourrais être prêtre au service des malades. Mon accompagnateur, sans précipiter les événements, m’a appris à faire confiance au Christ.

Respecter ce que Dieu veut nous dire.

Dieu est pédagogue. Il veut que tout homme découvre son visage. Mais, plus on s’approche de lui, plus on est amené à vivre de purifications et cela se vit dans des épreuves. Là, il m’est arrivé de perdre pied et de ne plus savoir où je devais aller. Grâce au recul que j’ai pu prendre lors des accompagnements, j’ai pu en toute sérénité avancer sur mon chemin à la suite du Christ et découvrir comment répondre à l’appel du Seigneur.

Accompagner tout l’être.

Au fur et à mesure de ma formation théologique et religieuse, un désir grandissant se développait en moi : celui de devenir de plus en plus transparent à la vérité. Non pas que j’avais l’impression de mentir ou de vouloir cacher volontairement quelque chose, mais, du fait de l’arrachement de mon être (cœur et esprit), ce que je vivais, ce que je disais était forcément une vérité tronquée. Aujourd’hui, le Seigneur me donne de vivre une année de formation à l’accompagnement psycho-spirituel. Au fil des séminaires et des accompagnements, un travail de réunification de mon " être " se fait. Je prends conscience de ce que je suis, un être blessé, aimé de Dieu et que seul le Christ peut me guérir et me pacifier. Petit à petit, mon regard sur moi-même, sur les autres et sur Dieu a changé.

Les points d’attention

Selon ce que je viens de dire, il me semble important de faire attention dans l’accompagnement à certains points :

  • Apprendre à faire mémoire sous le regard du Seigneur, afin de découvrir les traces de Dieu dans sa vie.
  • Rendre grâce à Dieu des merveilles qu’il fait dans l’histoire de chacun.
  • Accepter la personne telle qu’elle est sans la juger et sans l’enfermer dans ses jugements.
  • Rejoindre la personne là où elle en est de son cheminement.
  • Être vrai et dans le réel. Ne pas faire de programme pré-établi, ni faire des promesses qui ne pourront jamais être tenues.
  • Faire advenir la vérité et savoir l’accueillir.
  • Prendre du recul face aux problèmes ou conflits qui surviennent.
  • Aider la personne à vivre dans " l’être " plutôt que dans " le faire ".
  • Dieu ne cesse de me recréer

    Je pense, à travers mon histoire personnelle, que ma vocation a pris naissance entre cinq et dix ans. En faisant mémoire, j’ai pu constater qu’à cette époque je voulais être prêtre, je voulais aussi être au service des autres et que j’aimais être seul pour " rêver ".

    Dix ans se sont écoulés depuis mon entrée au séminaire. Je prends conscience du travail effectué par le Seigneur en mon cœur. Tel un potier, il ne cesse de me recréer grâce à sa Parole.

    J’ai appris que Dieu m’aime tel que je suis avec mes richesses, avec mes pauvretés. Il est celui qui ne cesse de venir à notre rencontre et, dans sa bonté et sa patience, il attend ma réponse pour aller plus loin.

    Ainsi, j’ai appris à faire confiance en celui qui est " le chemin, la vie et la vérité " (Jn 14, 6). J’ose, aujourd’hui, avancer en eau profonde comme il me le demande, car je sais maintenant que, malgré les tempêtes, si violentes qu’elles puissent être, le Christ est là qui dort dans la barque.

    Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, rien n’est acquis. Il faut sans cesse se tourner vers le Christ et devenir chaque jour encore plus fils comme il nous l’a montré.

    Je vis aujourd’hui chaque jour comme un don de Dieu et j’en rends grâce.