Susciter toutes les vocations chrétiennes, dons de Dieu, appels de l’Eglise


Père Jean-Marie LAUNAY
Coordonnateur du Service National des Vocations

Nous le savons bien, les fruits apparents de tout ce qui a été semé depuis des décennies par la pastorale des vocations chrétiennes, semblent très maigres. Beaucoup de ceux qui ont reçu cette mission, au bord du découragement, viennent à se demander si les bons choix ont été faits.

Aussi, l’équipe du Service National des Vocations a désiré mettre au service des accompagnateurs trois numéros de Jeunes et Vocations autour du thème général « Former une Église qui appelle », s’inspirant ainsi de la dynamique de « La lettre aux Catholiques de France ». Au terme de la publication de cette trilogie, des lecteurs nous ont partagé leur bonheur à la lecture de ces riches contributions.

En guise d’épilogue à cette recherche jamais close, je tente ici une synthèse personnelle. Ce n’est pas une analyse scientifique, mais plutôt une sorte de relecture qui pourrait servir les pratiques pastorales actuelles, les enrichir, voire les renouveler...

Je me lance dans l’aventure avec un seul objectif : nous entraîner ensemble dans l’espérance. Outre l’éclairage des différents articles des derniers numéros, dont le rapport final du Congrès de Rome, l’exposé qui suit s’appuie sur les diverses interventions que j’ai pu faire depuis trois ans dans des diocèses. Ces interventions ont été enrichies par les partages réguliers en équipe avec Eric Julien, Suzanne David, Jean Schmuck, les délégués des régions, des diocèses et des instituts religieux en pastorale des vocations.

J’exposerai mon propos en deux étapes : le temps d’un regard le plus lucide possible sur les vocations chrétiennes, et le temps de l’audace apostolique dans la proposition de l’appel.

I. COMPRENDRE LE TEMPS QUI EST LE NÔTRE

La question des vocations chrétiennes soulève souvent des passions dans les milieux catholiques en Europe Occidentale. Tous sont d’accord pour évoquer la gravité de la situation. Quant aux remèdes à y apporter, c’est une autre histoire ! Aussi, comme nous y invitent les évêques dans leur Lettre aux Catholiques, il nous faut prendre le temps de l’intelligence de la situation avant toute initiative apostolique. Comprendre avant de proposer. Je propose ici trois pistes de compréhension : une société française contemporaine sans projet mobilisateur, un contexte ecclésial marqué par des peurs qui engendrent des tentations et des signes que l’Esprit de Dieu donne à profusion pour nourrir l’espérance.

1. Comprendre notre société peu ouverte au sens de la vocation

Le numéro 89 de Jeunes et Vocations nous aide à entrer dans l’intelligence de cette société que nous voulons servir. Guy Lescanne, Jean-Luc Brunin, Denis Villepelet, entre autres auteurs, nous aident à dépasser le climat de crise et les passions engendrées par la diminution quantitative des prêtres, des consacrés et, plus largement, des chrétiens dans notre pays. Ils nous aident à poser un regard de lucidité sur le monde où nous vivons. Je renvoie à ces passionnants articles, me contentant ici de relever, au risque de la caricature, cinq traits concomitants de notre société qui me semblent comme autant de défis pour la pastorale des vocations :

1. Une société de compétition basée sur la réussite à tout prix avec toutes les idolâtries inhérentes : argent, pouvoir, corruption, sexe. Tant pis pour celui qui ne suit pas le rythme : cette société génère des jeunes et des adultes qui ont le sentiment d’être de trop, inutiles ou complexés alors qu’ils sont généreux, authentiques et qu’ils recherchent l’affection et les rapports personnels. Nombre de ces jeunes demandent à l’Église des motifs d’espérer.

2. La complexité culturelle d’une société française génère un nivellement généralisé des différents courants de pensée. Tout se vaut, sans hiérarchie des personnes, des générations et des valeurs. Les points de repères sont flous ou inexistants. La tolérance est partout requise. Tout est éclaté, alors « On s’éclate ! ». Guy Lescanne souligne les limites de cette multiplicité des propositions : « L’éclatement casse la mémoire et enferme dans l’instant. Un présent sans histoire, un présent sans avenir ».

3. Une structure familiale ébranlée, marquée par l’instabilité affective, et une difficile transmission des valeurs. Les parents se sentent souvent démunis pour l’éducation de leurs enfants dès le plus jeune âge. Des jeunes sont laissés à eux-mêmes. Des psychologues comme Tony Anatrella dénoncent le rôle d’adultes que des parents veulent faire jouer à leurs enfants. La crainte de l’avenir ayant entraîné la diminution du nombre d’enfants (on sait que les familles nombreuses représentaient la source traditionnelle des vocations), on constate un surinvestissement affectif de parents inquiets pour l’avenir professionnel de leur enfant, souvent unique. Ou, encore, une démission devant le défi de l’éducation. « Le milieu n’est plus porteur ni éducatif pour les personnalités juvéniles qui sont incitées à se maintenir dans la précarité d’un provisoire qui dure et qui est source d’immaturité » souligne Anatrella.

De nombreux jeunes se retrouvent seuls. Plus que le chômage, la solitude est leur principale préoccupation. Ils sont fatigués car on leur demande de trouver en eux et en eux seuls, faute de référents, l’énergie nécessaire à toute décision. Ils sont de plus en plus caractérisés par une identité inachevée et faible entraînant une indécision chronique par rapport à de multiples choix même à court terme. Pour un engagement à vie, cela relève d’une difficulté plus grande encore. (cf. le Document final du congrès de Rome).

De plus, la société contemporaine vit une crise des institutions, comme l’école ou le politique, qui se trouvent dans l’incapacité de favoriser l’émergence de personnes humaines à part entière. La montée de la violence et de la peur en est une grave conséquence.

4. Une société en crise de confiance et de projets. Quand on a peur, on ne prend pas de risque : cette société est marquée par un souci de se préserver de de toute agression personnelle (rejet de toute différence) ou collective (méfiance de toute instance de régulation qu’elle soit politique, religieuse ou sociale), d’où l’absence de grands projets audacieux qui mobilisent.

Trop de jeunes déracinés privilégient alors le très court terme au détriment de grands projets mobilisateurs : « Tout, tout de suite, pour me sentir bien ». Ils sont marqués par la difficulté, voire l’impossibilité de croire en un avenir professionnel, en des temps meilleurs, en l’amour vrai. « Tout est pourri » disent-ils. Même ce qui a valeur à leurs yeux, comme le sport ou le milieu artistique. D’où le scepticisme généralisé, d’abord sur leurs propres capacités et sur leur valeur aux yeux des autres.

L’avenir se résume le plus souvent au choix d’une profession, au bien-être économique ou à la satisfaction sentimentale et émotive immédiate. C’est le primat du subjectivisme. Des accompagnateurs de jeunes disent combien cet individualisme touche la question de la vocation chrétienne qui devient trop souvent un projet individuel et subjectiviste, quelquefois déraciné de tout appel extérieur réel qui objective.

5. Une société au « second seuil de la sécularisation » comme le souligne Jean-Luc Brunin. Beaucoup pensaient s’être débarrassé du religieux dans les années 60-80. En fait, les observateurs parlent d’un monde sécularisé, apparemment indifférent à la question de Dieu mais qui s’intéresse au religieux, à ses rites et ses « prêtres » (750 nouveaux groupes religieux sont déclarés chaque année au Journal Officiel de la république française, selon le père Yvon Bodin, du secrétariat de l’épiscopat).

Cette recherche religieuse manifeste-t-elle un désarroi basé sur le désenchantement, une quête de sens à l’existence ? Cette société qui se méfie des Église en tant qu’institutions d’un passé révolu qui font obstacle à la « liberté » de leurs membres, représente un terreau favorable pour de nombreuses sectes : des jeunes, fatigués de devoir toujours décider seuls s’en remettent à des groupes et des gourous qui proposent de penser et de choisir à leur place. Dieu peut aussi être présenté comme un « prêt à penser de plus » nous dit Guy Lescanne. Ce qui pourrait expliquer un certain succès des groupes traditionalistes, fondamentalistes, intégristes avec des crispations de toutes sortes (sur la liturgie et le costume, par exemple), en réaction face à un monde éclaté.

Cette description trop succincte, au risque de la caricature, je le répète, interroge la pastorale. Certes, tous ne retrouveront pas ici les caractéristiques des jeunes qu’ils accompagnent et c’est heureux, mais c’est bien à ce monde là tel qu’il est décrit par les sociologues et les psychologues que le Seigneur adresse ses appels. C’est bien cette société où nous vivons que nous voulons servir car Dieu aime tellement ce monde qu’il lui donne son Fils. Jean-Luc Brunin nous le rappelle : « Il ne sert à rien de se lamenter, la société moderne est le cadre dans lequel l’Église doit vivre sa mission ».

D’ailleurs, se demande Denis Villepelet, la complexité de la société est-elle vraiment un obstacle ? L’auteur pense, au contraire, qu’elle rend possible l’initiative et l’action : « L’incertain dont on décrit partout la montée aujourd ’hui est sans doute plus un tonique qu’un dissolvant... Le temps est favorable pour le passage de l’appartenance à un corps comme acteur à la construction de l’identité personnelle : en effet, la revendication d’être reconnu et de devenir des sujets à part entière est une nécessité sociale dans cet univers complexe en mobilité permanente. Il nous faut entendre cette quête d’intériorité. »

La Lettre aux Catholiques de France témoigne aussi des possibilités nouvelles qui sont offertes aujourd’hui par la société pour la proposition de la foi. La diversité culturelle et religieuse permet un dialogue nouveau de l’Église avec la société facilitée par les moyens de communication modernes. Presse, radios, télévision par satellite, internet sont autant de vecteurs possibles pour l’annonce de la Bonne Nouvelle. Ces rapides mutations sociales et culturelles nous appellent à « garder le cap de l’espérance, au prix du courage et de l’initiative » (Lettre aux Catholiques p.23).

2. Comprendre les peurs et les tentations de l’Eglise Catholique de France

Pour introduire ce deuxième temps de compréhension, je retiens la question posée par Denis Villepelet dans son article : le sentiment d’être en crise ne constitue-t-il pas la crise elle-même ? Est-ce que nous ne sommes pas conduits par la peur ? De fait, ce sentiment de peur semble habiter aussi le coeur de nombreux responsables de communautés d’Église. On le comprend aisément à la lecture des statistiques récentes concernant les vocations, en n’oubliant jamais, comme le rappelle Karl Rahner dès 1966 dans une conférence sur le Coeur de Jésus, « la puissance de la grâce ne s’évalue pas en terme de statistiques religieuses »...

Des historiens font remonter ce qu’on appelle communément - et à tort - la crise des vocations à la seconde moitié du XIX° siècle. Je m’en tiendrai à la période contemporaine, même s’il est très instructif de regarder l’évolution sur une plus longue période.

Des causes multiples

Après avoir connu une chute brutale de 1950 à 1975, les chiffres des entrées dans les maisons de formation au ministère presbytéral connaissent une relative stabilité depuis vingt-cinq ans. Les statistiques les plus récentes révèlent cependant une légère tendance à la baisse. Les chiffres sont très faibles : les ordinations presbytérales diocésaines dépassent de peu la centaine par an (550 en Italie). La vie consacrée est aussi marquée par un fort vieillissement et un tout petit nombre d’entrées en noviciat.

Les causes sont multiples, nous le savons, et dépassent le cadre français. Le document de travail du congrès de Rome, qui a été publié dans cette revue, relève des constantes dans nos pays d’Europe.

Je soulignerai ici quatre éléments qui ont marqué plus particulièrement les vocations spécifiques de la vie de l’Église Catholique en France ces trente dernières années.

  • Un contexte particulier de laïcité qui a beaucoup marqué les relations entre la société civile et l’Église Catholique. Dieu ne fait partie que de la vie privée. C’est seulement depuis peu que des éléments de culture religieuse sont réintroduits dans les programmes scolaires des lycées. Contrairement à leurs voisins européens, des générations de jeunes n’ont eu aucune clé d’interprétation du patrimoine artistique religieux de la France. D’où la difficulté de l’annonce de l’Évangile et donc des vocations chrétiennes.
  • Un mauvais concept de la liberté chez nombre d’adultes chrétiens : par crainte d’un recrutement qui embrigaderait et asservirait des libertés, l’appel aux vocations n’est plus transmis.
  • Le départ de nombreux prêtres et religieux qui a provoqué des blessures toujours vives chez ceux qui les ont vécues et ancré la conviction qu’un célibat consacré n’était plus crédible.
  • Les querelles théologiques et pastorales qui ont opposé les courants de la « Tradition » et de la « Mission ». Ainsi, les affaires « Lefebvre » et « Gaillot » ont divisé les communautés catholiques et donné une image négative de l’Église Catholique de France.

Devant ces très rapides mutations, des peurs et des angoisses ont surgi. Elles sont toujours mauvaises conseillères. Les acteurs d’une pastorale des vocations spécifiques se trouvent à la charnière de trois types d’angoisses :

  • celles des jeunes générations en attente de repères pour leurs choix de vie dans une société et une Église en mutation,
  • celle de leurs parents, chrétiens ou non, dans un contexte social et ecclésial difficile,
  • celles des évêques, de leurs conseils et des responsables d’instituts religieux qui cherchent des remèdes à la grave pénurie des vocations spécifiques.

Avec la peur, des tentations surgissent.

Qui d’entre nous, un jour ou l’autre, n’a été atteint par l’une d’elles, sinon toutes ? J’en relève un certain nombre comme autant d’obstacles à lever pour libérer la pastorale des vocations.

  • Le découragement, dû à la fatigue, à l’absence apparente de fruits après des apparente de fruits après des années de labeur.
  • La recherche de coupables. Quand les résultats ne sont pas ceux que l’on attend, il y a forcément un ou des coupables quelque part. D’où le doute sur soi-même et les soupçons sur la hiérarchie de l’Église, les services de vocations, les séminaires ou noviciats, les jeunes... il nous faut lutter contre la culpabilisation et le danger du « il y a une faute quelque part ». Nous ne pouvons avoir prise que sur une réalité concrète qu’il nous faut convertir.
  • Les recettes miracles ou les solutions hâtives. Pour éviter d’affronter chrétiennement le présent, la tentation est grande de regarder en arrière du côté du traditionalisme en posant des soupçons sur le Concile comme responsable de la situation, ou encore en se précipitant vers l’avenir, ou, enfin, en fondant « ce qui me convient », sûr que la nouvelle fondation attirera de nombreux disciples.

    Certes, de nouvelles communautés semblent porter quelques fruits et des bons fruits, mais la prétention à présenter la solution à tous les problèmes auxquels s’affronte l’Église permet d’éviter les débats de fond.

    Même si l’ordination presbytérale d’hommes mariés, les ministères féminins doivent être le sujet de débats sérieux en Église, le problème de la pénurie de ministres ordonnés et de consacrés se situe bien plus dans le mode de vie du célibat choisi, dont le sens n’est plus bien perçu aujourd’hui. D’ailleurs, il en est de même pour le mariage chrétien.

  • Le "recrutement" sans discernement. Devant la raréfaction des candidats, le risque existe d’appeler sans discernement. C’est un réflexe de panique. Car il ne s’agit pas seulement pour un jeune homme ou une jeune fille de « vouloir » devenir prêtre ou consacré. Encore faut-il qu’il ou elle présente les aptitudes requises. La formation s’attache à inscrire cette volonté personnelle dans le temps et les réalités sociale et ecclésiale.

Ce passage du « vouloir » au « pouvoir » doit inviter les évêques, les prêtres et leurs communautés à ne pas lancer l’invitation à donner radicalement leur vie sans un minimum de pédagogie de l’appel. De plus, on risquerait de donner l’impression que le petit troupeau de jeunes chrétiens représente le vivier dans lequel on puisera les vocations de demain.

  • La confusion des vocations qui tendrait à faire croire qu’on peut se passer des prêtres et de la vie consacrée. La diminution du nombre de prêtres pourrait conduire à raisonner en terme de substitution, en oubliant la nécessaire et belle complémentarité de toutes les vocations chrétiennes. La réorganisation territoriale peut donner l’impression que tout le fonctionnement est réfléchi à partir de la diminution du nombre de prêtres. En fonction de leur présence ou non, les tâches sont confiées à des personnes de bonne volonté quels que soient leurs charismes. L’utilisation effrénée du canon 517.2 au sujet de la participation à la charge pastorale conduit à cette confusion.
  • Le « rire de Sarah ». J’emprunte cette expression à Jean Vinatier pour illustrer cc que les responsables de services de vocations expérimentent souvent. Lorsqu’ils arpentent leur diocèse pour sensibiliser et éveiller aux appels du Seigneur et de son Église, ils perçoivent souvent un sourire entendu de la part de responsables chrétiens, sourire qui signifie qu’ils sont en train de perdre leur temps. « Les vocations, c’est fini ! » Ce sourire n’était-il pas celui de Sarah à l’entrée de la tente lorsque Dieu annonçaà Abraham la naissance d’Isaac ? N’étaient-ils pas trop vieux et usés, lui et sa femme ? Qu’il est difficile de croire à la promesse lorsque la fatigue se fait sentir dans l’apparente stérilité de la mission.
  • La jalousie et l’orgueil. Je n’insiste pas sur ces tentations qui empoisonnent la vie de toutes nos communautés.

Faire son deuil des recettes

Devant ces tentations, signes d’une inquiétude légitime, il nous faut garder la tête froide. On peut dominer l’angoisse quand on peut la nommer. Pour cela, nous devons faire le deuil de la recherche de recettes : il nous faut accepter de faire un long chemin de foi avec le Seigneur. Il nous faut garder le cap et « courir l’épreuve les yeux fixés sur Jésus » (Hébreux 12, 1-2), comme nous le rappelait le cardinal Danneels à Lourdes en 1996.

Que notre démarche soit humble. Ce ne sont pas seulement les jeunes qui sont atteints de subjectivisme, de peurs et d’angoisses. Nous sommes bien dans la même barque et n’oublions pas que nous avons une part de responsabilité dans les conséquences de leurs actes ou dans leur difficulté de décision d’engagement à vie.

3. Comprendre les signes que l’Esprit nous fait

Paradoxalement, alors que nous parlons souvent avec morosité de la vie de l’Église, nous participons avec le meilleur de nous-mêmes à la vie du corps du Seigneur. Reconnaissons-le : en dépit des statistiques et du vieillissement, les diocèses et communautés chrétiennes de France ont témoigné depuis vingt ans d’une réelle vitalité spirituelle et missionnaire. Conseils pastoraux et lieux de participation ecclésiale ont permis une répartition nouvelle des responsabilités. Un grand effort de formation en direction des laïcs s’est déployé dans tous les secteurs de la vie chrétienne. La vie liturgique et sacramentelle a connu un nouvel essor.

Aujourd’hui, pour rejoindre les mentalités contemporaines et proposer l’Évangile, l’Église de France a toujours le souci d’être au plus prés des préoccupations et des espoirs des personnes. La récente Lettre aux catholiques de France témoigne de ce dynamisme.

Aussi, on ne peut faire l’impasse sur ces réalités de l’Église qui est en France pour construire l’avenir. Après des années d’incertitudes et de blessures qui ont entraîné un certain mutisme au sujet des vocations spécifiques, les temps deviennent plus favorables pour une pastorale vocationnelle renouvelée. Depuis dix ans, nul ne peut ignorer (ni exagérer) les nouveaux signes que l’Esprit fait aux Église.

Quelques traits marquants de ce renouvellement

  • La fidélité, le courage apostolique, l’esprit missionnaire des évêques, des prêtres, des consacrés et de tous ceux qui donnent une bonne partie de leur vie pour l’annonce de la Bonne Nouvelle (200 000 catéchistes, animateurs de mouvements, d’aumônerie, permanents en pastorale et bénévoles).
  • Les chrétiens laïcs qui désirent vivre authentiquement l’Évangile en famille, au travail, dans la vie professionnelle, politique et sociale, engagés dans de multiples associations et mouvements au service des exclus de la société. Pour nourrir cet engagement, ils suivent une formation souvent longue. Depuis vingt ans, se sont multipliés les propositions de formation chrétienne pour jeunes et adultes (catéchèses, parcours de formation permanente, cours de théologie, presse chrétienne). La disponibilité et le bénévolat de nombreux retraités encore jeunes est un cadeau pour les communautés.
  • Le dynamisme de jeunes chrétiens  : ils sont bien de leur génération, une génération épidermique, dit Guy Lescanne, génération qui privilégie le ressenti. Ils cherchent l’authenticité, l’affection, les rapports personnels, la grandeur d’horizons. Ils manifestent leur goût pour partager et vivre l’Évangile et un certain attrait pour une vie chrétienne plus radicale dans la prière et le service des pauvres. La vie communautaire les attire. En raison de la grande ignorance des choses de la vie et de la foi qu’ils éprouvent, beaucoup d’entre eux demandent à comprendre leur foi et à être accompagnés spirituellement par des personnes et des communautés-témoins authentiques du Christ. Ils sont aussi souvent en difficulté devant la décision de l’engagement à long terme.

Parmi eux, des milliers de nouveaux confirmands, 1050 jeunes hommes en formation vers le ministère de prêtre diocésain, 500 novices, des milliers de responsables de multiples mouvements, groupes de paroisses et de services anciens et nouveaux : Scoutismes, Action catholique, MEJ, servants d’autel, Hospitalité, aumôneries de lycéens et d’étudiants... .

  • Le développement de nouvelles communautés issues pour la plupart du Renouveau Charismatique. En 1997, 13.500 personnes adultes sont membres de 52 communautés (dont 37 charismatiques). 2300 d’entre elles résident en maisons communautaires. L’Emmanuel, les Béatitudes, Les Fondations pour un Monde Nouveau, le Chemin neuf, et Réjouis-toi, pour ne citer que les plus importantes, rassemblent 8000 personnes.
  • Les nouveaux lieux de vie chrétienne pour jeunes proposés par des diocèses et des instituts religieux comme les écoles de la foi, articulant temps de formation, initiation spirituelle, accompagnement personnel, vie communautaire et service de la charité.
  • L’appel renouvelé au diaconat permanent. Près de 1300 diacres ordonnés depuis 1970 revalorisent la figure du Christ serviteur dans de multiples lieux où l’Évangile est peu manifesté.
  • La croissance du nombre de catéchumènes et de « recommençants » et le renouveau et la beauté de la liturgie et des sacrements, beauté et joie souvent absentes de nos célébrations hebdomadaires.
  • Les rassemblements festifs lors de fêtes diocésaines comme les synodes, les ordinations et les pèlerinages, lors des visites du Pape et des Journées Mondiales de la Jeunesse, qui sont autant de rendez-vous qui « entraînent à l’espérance ». La Journée mondiale de prière pour les vocations est aussi un temps fort dans de nombreux diocèses.

Une vitalité qui ne touche que de petits nombres

Mais, reconnaissons-le, cette vitalité connaît des difficultés pour rejoindre le terrain paroissial. Les jeunes des ]M] ne sont pas ou peu revenus dans les communautés dominicales. Ils demeurent « pèlerins et nomades », comme le souligne Danièle Hervieu-Léger. SDV, séminaires et noviciats n’ont pas accueilli davantage de jeunes. Des convertis se sentent peu accueillis.

Des questions sont donc posées aux responsables d’Église, à l’image de celle de Claude Flipo : « Quel grand dessein l’Église propose-t-elle aux jeunes générations ? ». Les restructurations seront-elles l’occasion de refondations d’Église de Pentecôte ? Comment présenter et vivre l’Église« comme un tout articulé, différencié et structuré, qui ne peut vivre vraiment que dans la richesse des multiples charismes, services et charges » ?

I.e temps est favorable pour retrouver une parole libre et audacieuse qui réveille la vocation personnelle de chaque baptisé et attise son désir de former avec toutes les autres vocations le corps du Christ, l’Église. Pour susciter toutes les vocations dont l’Église a besoin pour sa vie et sa mission, il me paraît essentiel de respecter une certaine démarche pédagogique au service de l’appel du Seigneur et de son Église, pour éviter le soupçon de recrutement trop souvent porté sur la pastorale des vocations chrétiennes. La seconde partie de l’exposé tentera d’esquisser quelques étapes nécessaires pour éveiller les dons du Seigneur et les appels de l’Église dans toute vie chrétienne et oser la proposition de tous les chemins de bonheur possibles pour suivre le Christ.

II. UNE ÉGLISE QUI OSE ANNONCER TOUTES SES VOCATIONS

Le temps est favorable pour « signifier l’appel de Dieu » en redonnant du souffle à l’ensemble de la pastorale de l’Église. A partir de ce que j’ai pu entendre et partager depuis plusieurs années, je tente de présenter ici quatre étapes à la fois successives et simultanées, nécessaires pour oser annoncer en Église toutes les vocations chrétiennes.

l. Boire à la source de l’appel

Le cardinal Danneels à Lourdes et Mgr Rouet, dans Jeunes et Vocations s’interrogent : et si ce temps de désert et de pauvreté était un temps favorable ? la situation présente ne doit-elle pas être interprétée dans la foi et uniquement à partir d’elle ? Or, la foi est confiance et il ne peut y avoir d’appel sans confiance.

Dans un contexte de pauvreté, nous sommes conduits à puiser aux sources du mystère de la foi, dans l’accueil de la Parole, dans la prière personnelle, dans la liturgie, dans la nourriture des sacrements et dans le partage fraternel. Là, nous puisons aux sources de la confiance qui vient de Dieu.

Toute vie chrétienne doit laisser la première place à Dieu et à Sa liberté souveraine. A Lui seul l’initiative de l’appel. Toute pastorale digne de ce nom ne peut que se greffer sur l’écoute de Sa parole et sur la prière qui est première car le Seigneur Lui-même le demande.

A la source de toute vocation, se situe la rencontre personnelle du Seigneur qui invite à suivre son Fils et à annoncer son Évangile dans le vent de l’Esprit. Dans cette rencontre unique se vit une double attitude spirituelle : la contemplation et l’intercession qui invitent à la conversion. Cette double attitude vient ressusciter l’appel fondateur et chasser les tentations exposées ci-dessus

La contemplation du mystère de l’appel.

Chaque baptisé découvre un jour ou l’autre dans la foi qu’il vit une histoire sainte avec son Seigneur. Cette découverte fondatrice de l’amour de Dieu pour nous et tous nos frères est réanimée par la prière, la vie sacramentelle, l’écoute de la Parole et le service authentique des frères. Un jour ou l’autre - et il n’y a pas d’âge pour cela - naît la conscience d’avoir été choisi par amour pour devenir disciple. De manière subite ou petit à petit. Que nous faut-il donc contempler ?

  • Contempler le mystère de Dieu-Trinité qui appelle car il est Parole d’Amour : le Père appelle à la vie, le Fils appelle à le suivre pour être avec lui et agir comme lui, l’Esprit appelle au témoignage qui appelle d’autres disciples.
  • Contempler le mystère de l’Église« Peuple de Dieu », corps aux membres différents, appelé et rassemblé pour « être saint comme Lui est Saint », et envoyé pour « baptiser toutes les nations » dans l’amour libérateur du Père. L’Église qui authentifie chaque vocation et la prend en charge pour l’articuler avec les autres vocations.
  • Contempler le monde qui nous est donné et qui nous appelle par les cris des hommes auxquels nous sommes envoyés.
  • Contempler le mystère de ma vocation sans cesse ranimée au contact de la Parole de Dieu, au contact de la parole des hommes. Lieu de la mémoire de mon histoire sainte. J’aime ces temps d’assemblées de responsables diocésains de toutes vocations, qui, dans un silence prolongé, sont invités à faire mémoire de ces multiples appels qui jalonnent leur vie chrétienne et de ces trésors spirituels qu’ils portent en reconnaissant que tel ou tel verset de l’Écriture les a soutenus dans leur fidélité.
  • Contempler le mystère de la vocation de mon prochain : oui, l’appel est reçu dans le coeur d’autres, même là où, a priori, je ne décèle pas d’histoire sainte... dans le coeur d’enfants même très jeunes, de jeunes et de moins jeunes aujourd’hui et chez nous, au parcours chaotique, comme le relief du Sinaï. Qui peut dire : « il n’y a plus de vocations » ? Chaque fois qu’une personne est venue confier au prêtre que je suis son histoire avec le Seigneur et avec ses frères, à chaque fois, je me suis entendu dire : « Jean-Marie, enlève tes ’chaussures’, car la terre où tu te tiens est une terre sainte ».

L’ intercession auprès du maître de la Moisson

La contemplation mène naturellement à la prière de demande. Cette prière pour les vocations est souhaitée par l’Église en réponse à la prière de jésus lui- même. Intercéder auprès du seul Maître de la Moisson, c’est d’abord rendre grâce. Rendre grâce pour ma vocation, pour celle de mon prochain, pour celle de toute l’Église. Une intercession à vivre personnellement, en assemblée dominicale notamment lors de la journée mondiale de prière, dans les groupes de prière pour les vocations, dans toutes les communautés d’Église. Une prière incessante. Qui réveille l’appel.

2. Retrouver le sens perdu de la vocation

Une prière pour les vocations qui ne rendrait pas à l’orant la conscience de sa propre vocation et le désir d’y répondre jusqu’au bout risque d’être stérile, car extérieure.

Or, le problème majeur de la pastorale des vocations se situe ici. Mgr Rouet l’exprime ainsi : « Le peuple chrétien a perdu le sens de la vocation, trop perçue comme histoire individuelle, intime, à l’écart de toute vie ecclésiale. La vocation est encore ressentie comme une donnée exceptionnelle et non plus comme le fondement même de la vie de l’Église qu’il constitue. Du coup, l’exception, c’est pour les autres. Les chrétiens désirent les vocations qui surgiraient d’on ne sait où, mais les racines de l’appel lui sont étrangères. »

C’est pourquoi une tâche immense de réconciliation avec sa vocation personnelle et celle des autres est nécessaire. C’est l’une des missions les plus longues et difficiles des équipes des services diocésains des vocations.

Mais cette prise de conscience est en train de s’accomplir. Des assemblées diocésaines de prêtres, de religieux, de laïcs en responsabilité sont de plus en plus organisées au sujet des vocations. Il y a encore dix ans, cela n’était guère pensable. Je pense qu’une salutaire prise de conscience du « tous appelés » doit se vivre à plusieurs niveaux.

D’abord et surtout, révéler ou réveiller la vocation personnelle de chacun à témoigner pour l’Évangile.

Combien de chrétiens ignorent ou ont oubliés qu’ils sont appelés par le Seigneur, que leur vie chrétienne est vocation dans le sens où Mgr Tessier, l’archevêque d’Alger l’entend de si belle manière « ... cette orientation profonde de sa vie que le croyant découvre comme un don de Dieu et un appel de l’Église ».

Certes, le concile avec Gaudium et Spes, puis Paul VI, dans Populorum Progressio, invitait à réaliser toute vie humaine comme réponse à une vocation.

Mais le christianisme donne à cette vocation humaine sa dimension la plus profonde. Oui, tous les chrétiens, sans exception, sont « les appelés de Jésus-Christ ». Le document final du congrès de Rome insiste : « Tout comme la sainteté s’adresse à tous les baptisés en Jésus-Christ, de même il existe une vocation spécifique pour tout vivant ».

Il convient donc de donner vie à une « culture vocationnelle » qui fait que chacun entende ou réentende l’appel de son nom par le Seigneur, pour vivre avec lui et de lui.

  • Une prise de conscience des paroisses et des communautés de leur responsabilité pour les vocations est tout aussi nécessaire et urgente. « Tous les membres de l’Église, sans exception, ont la grâce et la responsabilité du souci des vocations » (exhortation apostolique Pastores Dabo Vobis n° 41). Le pape ajoute : « Nous devons de nouveau commencer à préparer un terreau fertile dans lequel l’action de Dieu va se développer avec force afin que son appel puisse être entendu et suivi » Car il ne s’agit pas de la survie d’une institution , mais bien de l’avenir des communautés de l’Église et de Dieu lui-même.

    Pour appeler des jeunes, Dieu a besoin de toutes les médiations. En ce domaine, il convient d’accentuer cette prise de conscience auprès des couples engagés dans le mariage sacramentel et des familles chrétiennes.

    Le sacrement du mariage et le célibat consacré s’appuient mutuellement. L’état de vie du mariage et du célibat sont en relation l’un à l’autre et peuvent s’enrichir mutuellement en vue de leur réussite. Les couples chrétiens ont besoin des prêtres et des consacrés et peuvent intervenir comme médiateurs efficaces de l’appel au sacerdoce et à la vie consacrée. Des prêtres et des religieux disent leur bonheur de vivre l’amitié profonde de familles qui enrichissent leur propre vocation.

  • Pour annoncer les vocations, encore convient-il de les connaître. Trop de chrétiens engagés ignorent tout des vocations spécifiques. D’où les efforts à déployer pour donner à voir et à connaître ce que vit un séminaire ou un noviciat, des prêtres et des diacres, des communautés religieuses, des laïcs consacrés, un service diocésain des vocations... Une nouvelle initiation à la spécificité de chaque vocation chrétienne est nécessaire pour une connaissance approfondie et une annonce audacieuse des diverses vocations en Église, toutes nécessaires pour la vie du corps, articulées harmonieusement les unes aux autres. En complémentarité et non en concurrence.
  • L’importance du témoignage. Ceux et celles qui sont en formation vers le ministère ordonné et la vie consacrée insistent beaucoup sur l’importance du témoignage de chrétiens de toutes vocations et de toutes générations. Beaucoup de prêtres et de religieux confient que c’est à travers tel ou tel visage de prêtre ou de religieux qu’est né son désir du sacerdoce ou de la vie consacrée.

    Or, beaucoup de prêtres et de consacrés vivent une réelle solitude humaine et spirituelle qui se traduit par des difficultés affectives. Par un souci constant de toutes les communautés d’Église, tout doit être mis en oeuvre pour ranimer le courage et la confiance des ministres ordonnés et des consacrés, premiers médiateurs et accompagnateurs des vocations : les prêtres appellent les prêtres par le témoignage d’une vie épanouie.

3. Devenir l’Église en état de vocation, l’Église de l’Évangile

Nous le savons : la joie du témoignage de la foi reçue, célébrée et proposée est la fondation de la vocation. Or, la réconciliation souhaitée ci-dessus avec toutes les vocations chrétiennes serait théorique s’il n’est pas donné à chaque baptisé de pouvoir découvrir et vivre son appel au coeur d’une Église de Joie, de Foi et de Relation ; une Église toute entière en « état de vocation ».

Claude Flipo le souligne : « Un jeune ne peut entendre l’appel, y trouver un sens à sa vie, un dynamisme pour son désir de se donner, que s’il voit de ses yeux, dans le signe sacramentel de l’Église, la beauté du Christ, son corps ressuscité, sa puissance de communion et de relèvement. Ce signe-là est l’unique que le Christ ait laissé. Il nous est confié. Peut-être façonnons-nous trop le signe à notre idée, pas assez selon la sensibilité de la jeune génération. Le signe a besoin d’être beaucoup plus clair qu’autrefois, beaucoup plus sensible aussi, pour traverser l’indifférence du monde et la diversion qu’organisent à une échelle jamais connue, l’idolâtrie du sexe et de l’argent ».

La conversion de toute l’Égliseà sa vocation est sa seule condition de survie dans une société massivement indifférente, défi plus grand que l’hostilité. Nombre de diocèses ont compris qu’il fallait appeler toutes les composantes de l’Égliseà de nouvelles manières de vivre et célébrer la foi de façon engagée et joyeuse.

Inventer de nouvelles manières de faire

Peu à peu, la conviction qu’il faut induire de nouvelles manières de faire habite le coeur des responsables de la vie ecclésiale : les dynamiques pastorales mises en oeuvre un peu partout, grâce aux démarches synodales, manifestent une Église qui vit de manière visible, et crédible sa relation au Christ, une Église qui prend la Parole pour donner sens à des vies désorientées, une Église qui appelle à suivre Jésus pour être avec lui et agir comme lui, pour donner la vie.

Pour que toute pastorale et principalement celle des jeunes soit réellement vocationnelle, l’Église Catholique et les autres confessions chrétiennes doivent accepter de redevenir nomade dans un monde qui n’arrête pas de bouger. Une Église qui accepte de vivre dans un certain provisoire, à l’unisson des gens de cette fin de siècle. Une Église qui accepte de se laisser surprendre. Une Église qui a le souci de « promouvoir la foi » et non pas de la « défendre » comme une citadelle assiégée.

Des structures au service de l’appel et non l’inverse

Nous avons bien conscience que le chemin est encore long pour que l’Église soit visage d’Évangile. A cause d’un fonctionnement trop souvent rigide qui a du mal à accueillir la surprise, la nouveauté et les charismes de chacun, des catéchumènes, des jeunes et des adultes qui entendent l’appel de l’Évangile n’ont pas ou peu de place dans de nombreuses communautés paroissiales.

Or, rappelle Monseigneur Rouet, « les structures doivent suivre l’appel et non le précéder ». Pour oser inviter des jeunes à risquer toute leur vie pour l’Évangile, il faut continuer patiemment à oeuvrer au changement des mentalités et à une autre image de l’Église. Souvent, on fait encore comme si toutes les tâches pouvaient être assurées de la même manière qu’hier. Avec de moins en moins de chrétiens disponibles pour ces tâches. Comme le disait un vicaire épiscopal : « Les nominations ? c’est la dernière année qu’elles sont difficiles. Demain, elles seront impossibles ! ». Cela est assurément vrai dans la perpétuation d’un fonctionnement qui privilégie la structure sur l’esprit qui l’anime. Or, poursuit Mgr Rouet dans son article passionnant, « on ne peut faire des restructurations sans modifications du fonctionnement. En effet, dans des espaces plus larges, prêtres et laïcs s’épuisent et ne sont guère appelants. En gardant un même cadre, on subit l’obsession du nombre qui empêche de penser. Il conviendra tôt ou tard de modifier le fonctionnement de l’Église en revenant aux questions fondamentales : qu’est-ce qui est nécessaire à l’Église pour qu’elle vive comme Église du Christ ? »

Je renvoie à l’article pour la suite de la réflexion de Mgr Rouet qui donne vraiment à penser. Dans le même numéro, Claude Flipo va dans le même sens : « Entre les jeunes qui désirent être appelés, et l’Église qui appelle, il manque de toute évidence un maillon. Ce maillon, selon Claude Flipo, pourrait être la dimension charismatique de la vie chrétienne. Construire l’Égliseà partir des charismes dont tous sont gratifiés, c’est favoriser l’éclosion et le développement des dons que l’Esprit répartit entre tous. Trop de chrétiens ne trouvent pas de lieu où faire fructifier leur talent. »

Retrouver du souffle au contact des Église d’autres pays et continents

Pour développer ce dynamisme vocationnel et missionnaire, je crois que l’ouverture de nos communautés aux dimensions de l’Europe et de l’universel permet de retrouver souffle. D’où l’importance de cc que les vocations missionnaires rappellent à toutes les autres vocations. Une Église vivante est une Église qui envoie. Pour relativiser beaucoup de nos difficultés franco-françaises, mettons-nous à l’écoute de ce que l’Esprit nous dit par la vie des autres Église et particulièrement des pauvres et des martyrs.

Le témoignage de l’Église d’Algérie est particulièrement appelant. Mettons-nous aussi à l’écoute des communautés chrétiennes étrangères chez nous. Le dialogue oecuménique et le dialogue interreligieux nous provoquent aussi à la conjonction de nos paroles et de notre agir.

4. Oser proposer les vocations

Pour proposer la foi et donc toutes les vocations, dons de Dieu et appels de l’Église, nous sommes acculés à être inventifs. La nouvelle pauvreté que nous recevons ouvre sans doute des possibilités nouvelles de créativité pour la proposition de l’évangile. Boire à la source de toute vocation, réveiller la vocation de chacun en Église, préfigurer l’image d’une Église de l’Évangile nous amènent à sortir à la rencontre des nouvelles générations de croyants et de chercheurs de vérité.

Des étapes nécessaires pour entendre l’appel

Pour cette rencontre, cette proposition des appels du Seigneur au don de soi, j’esquisse une série d’étapes qui peuvent conduire des jeunes à entendre, à écouter, à recevoir un appel et à y répondre. Mon propos est greffé sur mon expérience de l’accompagnement de jeunes, particulièrement en paroisse et dans une École de la foi à Valenciennes, ainsi que de séminaristes du diocèse de Cambrai. J’écris ces lignes en pensant aux jeunes de 18-35 ans.

  • Rencontrer connaître, aimer écouter les jeunes tels qu’ils sont.

Je suis frappé du nombre important de chrétiens, y compris des prêtres et des religieux qui ne rencontrent pas ou peu de jeunes.

  • Leur donner le droit de penser à l’appel

    Comme le rappelle avec force Hippolyte Simon, l’évêque de Clermont-Ferrand, nous avons le devoir de présenter aux jeunes tous les chemins de bonheur possible pour vivre du Christ.

    Qui pourrait confisquer aux jeunes le droit de savoir que leur vie pourrait servir le Christ et leurs frères ? La rétention dans l’annonce de certaines vocations condamne ces vocations à la disparition du champ de l’Église.

  • Voir les vocations pour entendre l’appel.

    ’Venez et Voyez’, c’est très bien.., mais que donnons nous à voir ? Sans prosélytisme ni esprit marketing, mais sans timidité, il est vital de nous donner à voir, à connaître, à expérimenter, à vivre et à aimer comme chrétiens adultes qui ne gomment pas la différence.

    Que notre joie de chrétien soit visible, lisible et crédible afin que « le courant puisse passer ». Aujourd’hui, on ne peut plus se payer de mots. Il nous faut rendre compte et manifester de manière authentique notre attachement à Dieu, l’authenticité de notre foi, notre sens, notre goût de l’Église, notre humble fierté de participer à l’histoire du peuple de Dieu, notre présence aux fractures de la société.

    Mais, se demande Paul Agneray, dans quels lieux les jeunes peuvent-ils voir des vocations « de l’intérieur » ? Qu’entendent-ils quand, le plus souvent, nous parlons de l’Église, des prêtres, des consacrés, des chrétiens ?... Denis Villepelet nous rappelle cette évidence : « Pour appeler des jeunes et leur proposer des chemins d’exigence et de dépassement sans sûreté dans la marche, encore faut-il être quelqu’un qui y va et y trouve son bonheur ». Tony Anatrella insiste : « si les adultes ne sont pas animés de projets, d’ambitions et d’idéaux pour agir sur les événement et l’histoire, comment des vocations peuvent-elles s’éveiller ? »

  • Leur donner la possibilité de commencer à répondre, en confiance.

    C’est encore Denis Villepelet qui invite les lecteurs de Jeunes et Vocations à appeler les jeunes générations à un commencement, pour les accompagner ensuite avec une pédagogie renouvelée de la décision. En effet, explique-t-il, « l’idée même de décision absolue, irréversible, définitive est hors propos dans un univers mental de jeune où tout est affaire de transformation, d’adaptation et de mobilité. Nous sommes trop souvent dans le tout ou rien. On doit pouvoir proposer une conception de la décision plus ouverte à l’aléatoire et au jeu des possibles. La complexité et l’incertitude indiquent que l’action créatrice est possible. Nous mettons trop l’accent sur l’engagement et la fidélité et pas assez sur l’aventure des commencements et le risque de la promesse. Pour l’être humain, il est vital de commencer, d’être à l’origine de quelque chose. Mais la personne ne commence jamais d’elle-même ; il faut qu’elle y soit invitée ou appelée. ». Et ce, dès le plus jeune âge, rappelle Tony Anatrella.

    Mais, reconnaissons-le, la confiance dans les jeunes et particulièrement dans leur capacité de répondre fait cruellement défaut. Les chrétiens manquent d’air pour inviter et appeler. « On n’a besoin que de successeurs ! Ce n’est pas très appelant ! » s’exclame Mgr Rouet.

    Pour passer de la défiance à la prudence, ne convient-il pas de développer une pédagogie de la confiance ? Personnellement, c’est ce qui m’a le plus marqué lors de mes nombreux séjours à Taizé et que m’ont appris les frères.

    De son côté, Jean-Marie Peticlerc invite à « une pédagogie de l’alliance qui considère le jeune non comme destinataire mais comme acteur du processus éducatif. Le plus grand don que l’on puisse faire à l’autre, c’est de lui permettre de donner. Faire retentir un vibrant appel au partage est à la source de toute véritable pastorale des vocations ». En même temps, rappelle Mgr Tessier, il ne s’agit pas de leur mentir : toute vocation implique une rupture et une fidélité qui « traverse les épreuves et conduit jusqu’au terme la vocation reçue ».

  • Leur donner d’expérimenter une première réponse dans des espaces vocationnels.

    Guy Lescanne invite les accompagnateurs à mieux entendre le besoin de sécurité des jeunes générations. « Paralysés par l’insécurité, des jeunes ont besoin de lieux de sécurité libérants, des lieux suffisamment solides pour libérer des capacités d’initiatives. Pour permettre une meilleure articulation entre un légitime souci de protection et une véritable éthique de la responsabilité, Guy Lescanne invite à proposer des lieux d’écoute et de parole. Des lieux qui donnent place à la sensibilité tout en la mettant à distance. Des lieux qui inscrivent les temps forts dans une histoire. Des lieux de vie chrétienne dans la durée : mouvements, vie diocésaine, paroissiale.

    Jean-Luc Brunin le rappelle : des jeunes sont « disponibles à des propositions dans l’ordre du croyable ». Claude Flipo poursuit : « Une vocation ne peut éclore que si elle est mobilisée par un grand dessein qui mobilise les énergies durablement ». Il nous faut donc donner à expérimenter et à vivre un cheminement spirituel personnel pour une rencontre fondatrice de Dieu et de l’Église dans des lieux où ils se sentent « exister » dans la durée, où ils peuvent demeurer avec l’autre, avec Lui. Des lieux de fête et de pardon, comme le dit Jean Vanier. Lieux de consentement à une réalité quotidienne.

    Comme le souligne Paul Agneray à partir de quatre expériences de vie communautaire dans le Nord : ce sont des lieux de gratuité et de désintéressement pour éviter tout soupçon d’embrigadement de la part « d’une Église qui pense à ses propres besoins avant de penser aux besoins des jeunes » pour éviter les dérives sectaires. « De même que Jésus est venu chez les hommes pour les hommes, de même, nous nous tournons vers les jeunes pour les jeunes », même si l’on ne peut nier l’effet boomerang de tout accompagnement de jeunes et d’adultes sur les accompagnateurs.

Cinq dimensions marquées par le "beau"

Dans la mission qui m’a été confiée au Service National des Vocations depuis trois ans, à la suite de six années au SDV de Cambrai, je perçois de plus en plus l’attente de jeunes chrétiens pour des lieux et des temps leur permettant d’entrer dans une dynamique chrétienne de réponse à un appel du Christ et de son Église, je nomme « lieu vocationnel » une maison, un temps fort, un mouvement ou service d’Église, une paroisse, ou tout simplement, une famille chrétienne qui met en oeuvre cinq dimensions articulées les unes aux autres et toutes marquées par le « beau » : beauté des gestes, des regards, des symboles, des paroles, des lieux... beauté de Dieu et de l’Église qui appelle...

  • La dimension « mystique » : les accompagnateurs le savent : des jeunes chrétiens sont attirés par des propositions spirituelles fortes : école de prière, lectio divina, découverte du silence prolongé, vie sacramentelle avec l’Eucharistie, la confirmation, la Réconciliation... Bref, tout ce qui favorise une rencontre personnelle forte avec le Seigneur est un appel à vivre en Lui, par Lui et pour Lui. Chaque rencontre de Dieu est un Buisson Ardent où chacun se sent rejoint par Quelqu’un qui l’aime, lui fait confiance et lui confie une mission unique que nul autre ne pourra accomplir à sa place. Perception d’une histoire sainte entre l’homme et son Créateur. Écoute permanente d’une vocation unique pour chacun et naissance du désir d’y répondre.

  • L’initiation au mystère chrétien. C’est pourquoi, plus que jamais, la dimension spirituelle ne peut faire l’économie d’une solide formation au mystère chrétien, à la tradition, à la vie des grands spirituels, au témoignage de ceux qui ont donné leur vie : les martyrs et les saints. Leur fidélité absolue fait signe, connue en témoigne l’impact de l’assassinat des moines de Tibhirine (relire l’article de Mgr Tessier).

    Combien de jeunes marqués par un gouffre culturel religieux demandent aujourd’hui de comprendre pour croire et témoigner ! Un peu partout des formations en une ou deux années voient le jour dans de nombreux diocèses, mouvements, aumôneries et paroisses.

  • L’expérience de l’altérité. Dans une société basée sur la revendication de l’autonomie personnelle, un lieu vocationnel doit permettre aussi l’expérience de l’altérité. La confrontation des questions, des différences et des espérances permet au jeune chrétien de mieux se situer dans sa recherche de réponse à l’appel de Jésus. C’est dans une vie de communauté que le « nous » de l’Église surgit au contact du « je » avec le « tu ». Des camps d’été, des pélés diocésains, des temps forts ou plus régulièrement la vie en paroisse et en mouvement ou aumônerie permettent cette vie avec l’autre avec l’importance des petits riens qui favorisent la connaissance de soi, de l’autre, des autres.

  • Le service du prochain. Ces trois premières dimensions de spiritualité, de formation chrétienne et de vie avec l’autre doivent s’éprouver dans l’exercice d’une réelle responsabilité dans le service du prochain, particulièrement des plus démunis. C’est dans la durée qu’un jeune se découvrira détenteur de talents qu’il ignorait ou dont il doutait. Ou alors il éprouvera son incapacité à vivre la fidélité à un engagement au-delà de trois mois.., alors qu’il était très sûr de lui. « L’évangélisation, c’est d’abord le service, rappelle Jean-Marie Petitclerc. Dire à Dieu ’Père’, c’est dire à son prochain ’tu es mon frère’ ».

  • Enfin, tout ceci doit être relu dans l’accompagnement personnel et collectif. Dans un monde de zapping, des temps forts se succèdent les uns aux autres et risquent de s’occulter s’ils ne sont pas relus avec des accompagnateurs. Trop souvent, la vocation est perçue comme aventure intérieure, intimiste, privée, avec le risque de devenir revendication : « Dieu m’a dit que je serai carmélite... » d’où la nécessité de faire entendre une autre parole qui ose dire l’appel. Plus important encore que la fréquentation d’une personne, « c’est l’effet de résonance produit dans la durée par de multiples contacts qui se révèleà la relecture. D’où l’importance d’accompagnateurs personnels et d’équipes d’adultes formés à cet art difficile et passionnant de l’accompagnement spirituel.

  • Des tremplins, des escales nécessaires. Si des temps forts comme Taizé, Lourdes ou Paray le Monial ne peuvent honorer de manière réelle ces cinq dimensions, ils sont comme des tremplins ou des escales nécessaires pour la construction d’une vie chrétienne comme une réponse à un appel privilégié du Seigneur à la mission évangélique. Des lieux de vie quotidienne, comme des paroisses, des mouvements, des aumôneries mettent en oeuvre de plus en plus ces cinq dimensions nécessaires à l’éclosion et la croissance d’une vocation chrétienne. Je signale volontiers ces lieux de vie communautaire proposés à des jeunes par des diocèses, des instituts religieux ou des groupes charismatiques. Ces « écoles de la foi » regroupent mille jeunes cette année en France et choisissent de baser leur pédagogie sur ces cinq dimensions de la vie chrétienne.

Leur donner le droit d’être appelé personnellement

 

Cette vie ensemble peut alors - et seulementà ce moment là - laisser place à l’audace de l’interpellation, personnelle et communautaire. Depuis le questionnement sur le sens de la vie « Ta vie, t’en fais quoi ? » comme demande la JOC, jusqu’à la proposition des ministères ordonnés et de la vie consacrée.

Les communautés (paroisses, mouvements et services) se posent-elles suffisamment la question de savoir si - dans le cadre d’une véritable vie de communauté chrétienne qui honore les cinq dimensions d’un lieu vocationnel elles peuvent interpeller, accompagner et présenter elles-mêmes de jeunes personnes pour le service ordinaire de la communauté, jusqu’à appeler certains pour le ministère presbytéral et diaconal et à interpeller d’autres pour une consécration de vie ? Mais peut-on interpeller sans vie chrétienne réellement appelante ?

Cultiver le goût d’appeler

Une « culture de l’appel » qui fait défaut dans la société et même encore trop souvent dans l’Église, commence par des appels pour des petites tâches au service de la vie de la communauté. Habitués à être appelés - et à transmettre l’appel - pour de petites choses, des enfants, des jeunes et des adultes apprennent à ne plus avoir peur d’être appelés pour de grandes tâches.

La mise en oeuvre de cette « culture de l’appel » que le Père Rouet appelle de ses voeux, est à la portée de toutes nos communautés. Le service de l’autel, le scoutisme, des mouvements d’Action Catholique, entre autres, développent cette dynamique qui éveille à toutes les vocations.

Découvrir que nul n’est appelé pour soi

On n’est pas appelé pour soi. Il est essentiel que le jeune qui perçoit un appel à donner sa vie découvre que, s’il est appelé, c’est pour en appeler beaucoup d’autres : « Je ne savais pas que je pouvais, moi aussi, vivre une telle intimité avec Dieu. Et cette intimité me pousse à oser témoigner de ma foi, que ce soit au sein de ma promo, de l’aumônerie, de ma paroisse, de ma famille... » (témoignage d’un jeune d’une école de l’Évangile).

JOYEUX COURAGE POUR LA MISSION !

Au terme de ce long propos, la mission d’un service diocésain des vocations peut mieux se définir. Le SDV, rappelle Mgr Rouet est encore trop perçu comme spécialisé des vocations, à côté des autres services de la vie diocésaine. Il est trop coupé de la vie habituelle du diocèse. Loin d’être spécialiste de l’appel, un SDV se doit de rappeler à temps et à contretemps que c’est tout le Peuple de Dieu qui a été choisi comme destinataire et médiateur de l’appel du Père à la vie, de l’appel du Christ à le suivre, de l’appel de l’Esprit à témoigner.

La route est encore longue pour que toute l’Église diocésaine soit visage authentique et service de toutes les vocations, mais la pauvreté retrouvée inscrit dans une dynamique évangélique à laquelle Saint Paul nous convoque tous dans sa seconde lettre à Timothée :

« Je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison. N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi qui suis en prison à cause de lui. Mais, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile, avec la force de Dieu qui nous a sauvés et appelés par un saint appel, non en vertu de nos oeuvres, mais en vertu de son propre dessein et de sa grâce » (2 Tm 1, 6-9).