Le groupe de recherche-filles de Strasbourg


Soeur Marguerite SCHMITT
SDV de Strasbourg

Cela fait 3 ans que j’ai été appelée à travailler au SDV . L’équipe diocésaine est composée de 3 personnes : un prêtre diocésain, responsable du service : Bernard Xibaut qui vient de succéder à Christian Kratz ; un religieux spiritain : Claude Brehm, un séminariste qui est présent ponctuellement, et moi-même.

Je porte plus directement la responsabilité du groupe de recherche filles en collaboration avec les deux prêtres de l’équipe. En Alsace, nous avons opté pour des groupes de recherche non mixtes. Le groupe des filles se caractérise par une grande diversité.

Les filles : qui sont-elles ? d’où viennent-elles ? par quel chemin sont-elles arrivées au SDV ?

Elles ont entre 19 et 30 ans, habitant chez leurs parents ou autonomes, étudiantes ou salariées, parfois en quête d’un emploi, faisant l’expérience du chômage ou du travail intérimaire ; ouvertes au monde, à la culture, à la foi de par les études, la formation, les engagements dans l’Eglise ou la société.

Certaines viennent des quatre coins de notre belle Alsace, mais plusieurs apportent leur accent chantant de diverses régions de France : de la Bretagne ou de la capitale en passant par les Ardennes.

Un courrier ou une demande à l’Evêché, un séminariste qui interpelle, une congrégation qui renvoie au SDV, une rencontre fortuite... les chemins sont nombreux. Parfois, il leur faut du temps pour faire la démarche. Pour l’une ou l’autre, les JMJ ont été l’occasion de faire un pas. Une autre dit qu’il lui a fallu du temps pour oser s’avouer à elle-même son désir de vie religieuse, puis elle a dû trouver les mots pour l’exprimer, prendre la décision d’en parler à quelqu’un, oser enfin le dire.

Le groupe de recherche : ce qu’il est ... un lieu de parole et de partage, qui permet de s’exprimer en toute liberté sans être jugé, où les filles découvrent qu’elles ne sont pas seules, que d’autres jeunes sont habitées par le même désir, les mêmes questions, où elles apprennent à nommer ce qui est encore confus, à livrer ce " quelque chose " dont elles n’ont guère osé parler, à partager leurs élans et leurs difficultés ;

un lieu de connaissance de soi, d’humanisation, d’épanouissement, qui permet de se connaître davantage, de découvrir ses qualités : audace, serviabilité, sens d’autrui, ouverture au monde, aptitude à la vie de groupe ou attrait pour la solitude......

  • d’exprimer ses fragilités et ses difficultés : timidité, peur de l’autre,
  • un lieu qui donne de s’ouvrir aux autres, de faire une petite expérience de vie communautaire, sur une courte durée, dans des choses toutes simples.

un lieu de réflexion, d’approfondissement de son projet, à travers les échanges, la confrontation avec la Parole de Dieu, l’apprentissage de la relecture, l’encouragement à l’accompagnement personnel.

En conclusion, un lieu de discernement à partir de moyens multiples qui sont : le partage, la réflexion, la confrontation des désirs, les apports et les témoignages, les temps de prière, d’écoute de la Parole de Dieu, la relecture.

En l’espace de 3 ans, une quinzaine de jeunes ont fréquenté le groupe. En juin 98, sur les 9 qui ont cheminé durant l’année : 1 a quitté en cours d’année, 2 ont pris du recul, 1 a discerné un appel à la vie religieuse suite à une retraite " choix de vie ", 1 autre poursuit son cheminement avec une congrégation, après avoir participé à 2 réunions, 4 ont décidé de continuer dans le groupe, 2 nouvelles les ont rejointes.

Comment le groupe chemine-t-il ?

Le lieu :

Tantôt au bureau du SDV au séminaire de Strasbourg, tantôt dans des communautés religieuses.

Le fonctionnement

Au niveau du rythme des réunions, une adaptation est nécessaire en fonction des besoins et des possibilités des jeunes. Au début, lorsqu’elles n’étaient que 2, un après-midi par mois répondait à leur demande ; puis, j’ai proposé une journée mensuelle : Eucharistie , pique-nique, réflexion ; s’y ajoutait un week-end en début et en fin d’année et le week-end mixte en cours d’année.

En moyenne, 10 rencontres par an. Les filles souhaitaient des réunions pas trop espacées. Depuis la rentrée, nous fonctionnons par week-end et journées, ce qui réduit le nombre de rencontres. Le planning est établi en début d’année.

L’animation :

Habituellement, j’anime les réunions, mais une fois par an, les deux autres membres de l’équipe interviennent pour se mettre à l’écoute du groupe et pour un apport précis.

Régulièrement des témoins sont invités : religieuses d’autres congrégations, vierge consacrée, couple. Le week-end mixte est une expérience intéressante d’écoute, de partage, de confrontation des questions. C’est dans ces moments-là que je que je constate plus fortement la différence d’expression, de demandes et de besoins entre les gars et les filles.

Le contenu :

  • Une invitation personnelle précède chaque rencontre : lien avec la réunion précédente, ordre du jour comportant une préparation personnelle qui suscite à relire le mois écoulé : ce qui a évolué en elle, ce qui les a aidées à avancer, voir une décision qui a été prise : " A chaque week-end que je consacre à Dieu, je reçois un élément de réponse. "
  • La réuniondébute par un temps de prière
  • La prière qui ouvre à la Parole de Dieu et à l’écoute mutuelle.

Elle dure environ 15 minutes ; elle est préparée tantôt par l’une du groupe ou par moi-même ; chacune reçoit une fiche avec les textes : un chant, une Parole de Dieu, un Psaume, une prière de conclusion ; parfois une expression libre est proposée après un moment de silence ; mais il faut du temps, là aussi, pour apprendre à s’exprimer.

  • Le partage et l’écoute font naître la confiance mutuelle, favorisent l’expression. Les questions des unes et des autres suscitent la confrontation. Les filles ont besoin de temps de partage importants. Je dirais même que le groupe avance à " coups de partage ".
  • La réunion se conclut par un autre temps de prière, très court, action de grâce ou demande.

Au départ, leurs questions, leurs hésitations ou certitudes s’expriment ainsi :

  • Comment savoir que le Seigneur m’appelle ?
  • A quels signes puis-je reconnaître que c’est bien lui ?
  • Est-ce que je ne rêve pas ?
  • Je passe par des doutes ; ma vocation est partie, je ne sens plus rien, " il "ne me parle plus...
  • J’aimerais savoir ce pour quoi je suis faite...Je cherche ce que je veux faire de ma vie...
  • Une vie heureuse est une vie donnée, mais comment la donner ?
  • Je veux servir dans l’Eglise, mais comment ? On peut faire du bien sans être religieuse...
  • A l’âge de 10 ans j’ai fait une promesse d’enfant : Seigneur, je veux te donner ma vie. Je pensais à la vie religieuse. Aujourd’hui, je veux la donner à travers la médecine. Dieu, je l’ai mis de côté, à un moment donné ; ça m’a fait trop peur...mais l’idée m’est revenue. J’ai rencontré des jeunes du groupe , alors, j’ai décidé d’y venir aussi pour voir plus clair ; mais je n’écarte pas l’idée du mariage.
  • J’ai pris du recul par rapport à mes parents pour devenir plus libre.
  • Pour vérifier ce pour quoi je suis faite, je veux faire des expériences ; j’ai fait 2 stages chez des contemplatives.
  • Je suis attirée par les études et par la vie religieuse : est-ce conciliable ?
  • Je veux vivre en communauté et aussi en solitaire. Je cherche quelque chose de radical, je veux prendre les grands moyens pour rejoindre Dieu. Est-ce une vue égoïste ? Quel type de vie peut coller avec ma recherche à moi ?

Une des rencontres portait sur les " peurs " qui les habitent et qui sont des freins dans leur avancée :

  • une grosse peur est de fabriquer ma vocation, de me faire un film et de me leurrer...
  • peur d’entrer dans un moule ou un cocon...
  • je porte en moi des étiquettes négatives de " bonnes soeurs "...
  • j’ai besoin d’être avec des jeunes de mon âge ; et il y a peu de jeunes dans les congrégations que je rencontre ;
  • peur de perdre un certain lien avec ma famille et mes amis, peur que la relation change , puisque les gens ont leur idée toute faite sur la vie religieuse.
  • peur que l’habit bloque la relation : qu’on ne puisse plus se parler comme avant, alors que d’autres demandent à entrer dans une congrégation où l’on porte un habit religieux ;
  • peur du regard des autres, de certaines réflexions désobligeantes - " Comment, toi, au Couvent ... " -

En conclusion de cet échange l’une d’elle nous renvoie à l’Evangile : Jésus nous dit : " N’ayez pas peur. " La confiance chasse la peur.

Suite au partage, je ressaisis les points importants

  • pour apporter un éclairage spontané en complément de ce qu’elles ont exprimé,
  • pour reprendre les témoignages  : " Je me retrouve bien dans tel témoignage

ces paroles ont fait tilt en moi ; j’ai pu parler à une moniale de ce que je recherchais ; la sensibilité charismatique de l’une ou de l’autre me choque un peu, mais la congrégation, ce n’est pas telle ou telle soeur. "

  • pour faire un approfondissement :

- à partir de la Parole de Dieu (des appels de Dieu dans la Bible),

- d’un texte ou d’un document sur la vie consacré (extraits choisis de Vita Consecrata )

- une réflexion occasionnelle sur les voeux

- une initiation à la prière personnelle ; certaines y sont peu formées ;

- une approche du charisme qui consiste à donner des points de repère quand elles

rencontrent une congrégation ;

Elles emportent chaque fois un document :

  • des textes pour réfléchir ou prier,
  • des pistes pour découvrir différentes manières de prier : à partir d’un Evangile d’un Psaume, d’un événement, de la vie...
  • un petit dossier pour apprendre à relire sa vie.

Les niveaux de culture, de formation, leur expérience humaine et spirituelle sont très différents : les unes connaissent les retraites ignatiennes , d’autres ont fréquenté les Foyers de Charité, ou se donnent des temps de retraite personnelle dans un monastère, les unes se font accompagner, d’autres pas ; certaines n’ont jamais fait de retraite...

Le chantier est vaste, les demandes diversifiées. Dans tout cela il faut déceler les attentes, marcher " avec ", à leur rythme, respecter chacune, sans trop bousculer, tout en les provoquant à avancer.

Les questions que je porte :

  • par rapport au temps de présence dans un SDV : 3 ans me semblent un maximum ; 1 an, c’est court, vu que les filles sont plus lentes à s’exprimer, qu’il faut du temps pour s’apprivoiser, que les questions essentielles viennent souvent en fin de réunion.
  • par rapport à leurs fragilités humaines : l’importance de la connaissance de soi qui va parfois jusqu’à proposer discrètement à l’une ou à l’autre une aide psychologique ; comment faire quand il y a refus ? quand la progression semble difficile ? quand il y a blocage, fixation sur un point précis et qu’une difficulté personnelle risque de peser sur le groupe ?
  • par rapport au brassage entre anciennes et nouvelles et l’arrivée échelonnée de " nouvelles " en début d’année ; temps d’adaptation , de patience, de vigilance pour avancer sans brûler les étapes.
  • par rapport à un certain " suivi " entre les rencontres : les filles fonctionnent davantage par l’écoute et le partage ; il est nécessaire de tenir compte de leurs réactions, de ce qu’elles vivent entre les réunions ; d’où la difficulté de donner un apport : lequel ? que faut-il privilégier ? Il me semble avoir favorisé la réflexion à partir des questions existentielles posées par les filles, en même temps demeure en moi une insatisfaction : comment aller plus loin ?
  • d’autres difficultés ressenties : parfois une très grande générosité, mais peu de réalisme...
  • les longues hésitations à risquer un pas, à prendre une décision,
  • parfois du volontarisme : difficulté à " recevoir " sa vocation, à distinguer entre " Je veux, je désire, je reçois... "
  • le manque de formation biblique, d’initiation à la vie spirituelle : prière personnelle, relecture.
  • les expériences répétées dans différents monastères, comme une abeille qui butine de fleur en fleur,
  • en ce qui concerne le discernement : la tendance à regarder vers les congrégations avant d’avoir discerné l’appel du Seigneur ; quand leur regard se porte vers telle ou telle congrégation, où et comment s’arrête mon rôle d’accompagnatrice ?
  • parfois la difficulté à s’engager dans le groupe : j’ai eu le cas d’une jeune qui a voulu cheminer toute seule, en lien avec un monastère et avec moi-même ; j’ai regretté le manque de confrontation avec le groupe ; mais la vie s’en est chargée : les épreuves familiales l’ont aidée à mûrir au plan humain et spirituel.

Le SDV un service gratuit, décapant , passage " non obligé " ; et pour moi, une expérience décapante.

Trois points d’attention qui me tiennent à coeur :

Il me semble essentiel :

  • d’aider les jeunes à progresser dans une meilleure connaissance de soi et de les éduquer au choix,
  • de les pousser à s’ouvrir aux réalités du monde et de l’Eglise en vue de susciter en elles un engagement réel au quotidien,
  • de les orienter sans cesse vers la personne du Christ, pour qu’Il soit ou devienne le " coeur " de leur existence.
  • Tout en étant à l’écoute de leurs questions et de leurs désirs, j’essaie de centrer leur recherche sur la personne du Christ, de susciter en elles le désir d’une connaissance plus intérieure qui leur fera découvrir ce à quoi Il les appelle pour que retentissent en elles les appels du monde, les cris des hommes "d’aujourd’hui " et que naisse une réponse libre et personnelle en accord avec leur être profond.

    Je souhaite que leur choix de vie, quel qu’il soit, devienne une réponse à un appel intérieur qui se reçoit comme un cadeau du Seigneur, dans la foi et l’humilité, fruit de la prière, de la lecture de la Parole de Dieu, de l’ouverture aux événements du monde et de la vie de l’Eglise. Mon souci est que cette double dimension humaine et spirituelle soit intimement liée, lent travail d’unification intérieure qui se fait progressivement avec l’aide de la grâce et la collaboration personnelle.

    En conclusion

    Une conviction : Dieu conduit chacun, chacune de nous vers son bonheur ! Expérience faite, cela se passe bien souvent à notre insu. Le groupe de recherche n’est pas un passage " obligé " et pourtant je suis convaincue du bienfait qu’il apporte aux filles qui osent s’y risquer.

    Pour ma part, je me sens bien petite dans cette Aventure. J’essaie d’accompagner le groupe avec mes richesses et mes faiblesses, de rester ouverte et disponible à leurs attentes dans une attitude d’écoute et de disponibilité, alliant exigence et compréhension.

    Dans cette recherche, je fais l’expérience d’un Dieu qui nous accompagne, qui sans cesse nous appelle à lui donner notre confiance ; un Dieu dont la Grâce supplée à nos manques.

    J’avance à tâtons, remettant entre ses mains, les jeunes qu’Il met sur ma route, offrant ma collaboration à son oeuvre pour aider chacune à découvrir son Chemin de bonheur pour la Vie !