Grandir dans la foi et discerner sa vocation


cette conférence, donnée à Lourdes, est disponible au SNV, en cassette audio, au prix unitaire de 50 F (franco)

Soeur Suzanne DAVID
Soeur de St Gildas, membre de l’équipe SNV

Il m’a été demandé d’intervenir sur : la finalité des groupes de recherche. Aujourd’hui, pour enraciner l’appel et le discerner, quels sont les appuis, les étapes d’une vie spirituelle et d’un discernement vocationnel ? Le titre que vous trouvez sur le plan qui vous est distribué est différent : "Grandir dans la foi et discerner sa vocation". J’ai conscience que ce que je vais développer ne correspond ni à l’un ni à l’autre. J’aurai peut-être en marge un "hors sujet" ! Pourquoi ? Parce que je n’ai pas voulu reprendre ce qui est développé dans un livre que vous connaissez désormais. Parler, d’entrée de jeu de "Grandir dans la foi et discerner sa vocation", c’était dire quelque chose de la finalité des groupes de recherche ou plus largement que les groupes eux-mêmes, de la finalité des propositions faites aux jeunes dans un SDV.

J’ai voulu rejoindre, à ma manière, la réflexion de ce forum et les questions qui l’ont suscité : quoi proposer, inventer, développer, abandonner, pour que des jeunes puissent entendre l’appel de Dieu dans leur vie, le discerner et prendre des décisions ? Qu’est-ce qui peut permettre que dans un chemin de croissance humaine et spirituelle, un appel puisse être entendu, un discernement se vivre, une réponse se donner ? Comment aider des jeunes à passer d’un appel perçu et discerné à une réponse à mettre en œuvre dans l’Eglise et l’histoire de ce temps ?

Nous portons également d’autres préoccupations : comment faire que ces propositions que nous faisons, ces moyens que nous proposons rejoignent des jeunes dans les divers lieux ecclésiaux : Aumôneries, mouvements, etc ?Comment faire pour qu’elles soient relayées par les divers acteurs de la pastorale et par la communauté chrétienne dans son ensemble ?

J’ai travaillé cette intervention en ayant à l’esprit de multiples visages, ceux et celles de jeunes que je connais, que j’accompagne ou rencontre en divers lieux ; les vôtres également. Et je me suis posée la question : à quoi est-ce que je tiens dans tout ce que je fais ? Qu’est-ce que je ne dois pas oublier ? Qu’est-ce qui revient souvent dans mon esprit après un accompagnement ? Y a-t-il des points d’appui et des repères importants qui questionnent nos propositions, peuvent baliser nos accompagnements de jeunes et leur discernement ? Je n’ai pas tout retenu, je n’ai pas forcément retenu le plus important. Je vous partage des convictions et des questions, comme une sœur qui, comme vous, je crois, aime l’Eglise et les jeunes au point de ne pas se satisfaire des statistiques et des discours fonctionnels et organisationnels. Et cet amour conduit à l’audace, celle de croire qu’inlassablement, il faut proposer, non notre "boutique", nos convictions si bonnes soient-elles, non des moyens éprouvés si bons soient-ils, mais proposer le Christ, proposer l’Evangile comme un chemin d’humanité réussie, comme un chemin de bonheur ! Nous ne proposons pas d’abord des programmes, des recettes ajustées. Et si nous devons agir en ce sens, c’est pour servir le mieux possible le mystère de la foi, le mystère de la foi en son centre, en son fondement et en sa source comme nous y invite la Lettre des évêques aux catholiques de France. Et la source, c’est le Christ. Un itinéraire chrétien de recherche, un itinéraire chrétien tout court, une aventure humaine et spirituelle d’homme ou de femme, de jeune c’est entendre dans l’aujourd’hui d’une histoire, ces paroles du Christ : "Toi, que dis-tu que je suis ?" "Toi, m’aimes-tu ?" "Toi, suis-moi". L’enjeu de nos propositions pour aider des jeunes en recherche est là. Il s’agira toujours d’aider à suivre le Christ, l’aimer, demeurer avec lui, mettre son cœur, ses bras, tout soi-même disponible pour son ouvrage.

1 - Trois pôles à garder présents à la mémoire du cœur

1.1. Le dynamisme de l’appel s’enracine dans une Eglise missionnaire

"L’Eglise qui va aux sources de la foi est en même temps une Eglise qui accepte d’aller au large pour annoncer l’Evangile" (rappelle la Lettre des évêques aux Catholiques de France - 3ème partie - I, 5). "de sa nature, l’Eglise est missionnaire" affirmait Vatican II. Née dans l’acte d’annonce de la Résurrection et du souffle de Pentecôte, l’Eglise au cœur du monde" ne peut taire ce qu’elle a vu et entendu" (Ac 4, 20).

De cette réalité incontournable, il nous faut tirer des conséquences pour la pastorale des vocations. J’évoque quelques points :

Nous accueillons des jeunes qui ont un attrait marqué pour la prière et les temps forts. Ils peuvent être très très éloignés de ce que nous considérons être des urgences missionnaires. Des vocations semblent même se structurer au cœur d’une opposition prière/action, consécration/mission. Nous accueillons des jeunes qui ont des conceptions individualistes et intimistes des vocations. On entend l’appel au cœur de soi, en soi et pour soi... ! Nous accueillons des vocations "missionnaires" de défenseurs de Dieu et de l’Eglise... des vocations qui cherchent à se protéger parfois d’un monde pervers et perverti.

Quoi proposer ? Nous avons à chercher quels moyens et quelles expériences peuvent permettre à des jeunes d’accueillir le mystère d’une Eglise qui n’est pas une fin en elle-même mais n’existe que pour le royaume. J’évoquerai trois implications pratiques parmi d’autres : Comme chemin d’ouverture à la cause du Royaume, je vois trois pistes :

L’immersion dans l’Evangile et tout l’Evangile. Donner à contempler Jésus qui se retire à l’écart pour prier et Jésus qui se laisse rejoindre par les foules...

Donner à la rencontre et à l’écoute des témoins qui savent dire ce qui les anime, qui est à la source de leur action et de leurs agendas surchargés. Le visage de prêtres ou religieux fatigués, submergés par les tâches multiples ne peut prendre sens, devenir objet de contemplation, ne peut attirer que si la source profonde est perceptible et partagée : parler de leur relation au Christ, de la place de la prière et de l’Eucharistie dans leur vie. Mais il faut moins chercher à faire défiler ces témoins, lors de rencontres organisées (même si c’est toujours nécessaire) qu’à provoquer la rencontre sur le terrain de vie quotidien et ordinaire. Il y a trop de décalage entre l’image idéalisée d’une vocation, renforcée pare le témoignage de quelqu’un dont on n’a que le discours et le réel, sa traduction possible et humble dans un lieu et sous une forme particulière et limitée.

Permettre à des jeunes une expérience effective d’engagement qu’ils puissent expérimenter, de responsabilité. Là, il nous faut inventer des "expériments" qui plongent dans une expérience susceptible d’aider à sortir de soi pour entrer dans le don et le service des autres, pour expérimenter l’engagement et sa responsabilité, pour contempler la beauté de l’aventure missionnaire de l’Eglise au travers de la vie des chrétiens.

1.2. Le dynamisme de l’appel se vit dans le contexte actuel

C’est une évidence. Et pourtant, il s’agit là encore de quelque chose qui s’enracine dans le mystère chrétien, dans la logique d’Incarnation. Dieu a pris chair dans le monde et c’est pourquoi nous ne pouvons que l’aimer profondément. Là l’Esprit est à l’œuvre, là les forces de Résurrection affrontent les forces de mort. Aujourd’hui qui n’est pas pire qu’hier.

Sur cette question des vocations et de l’appel, il nous faut délibérément sortir des pièges médiatiques qui ne cherchent que statistiques et comparaisons avec le passé : il y avait, il n’y a plus, il y a moins, etc. Nous sommes davantage invités à chercher à comprendre les questions actuelles, à approfondir leurs répercussions sur des jeunes, l’Eglise, nos propositions. Il y a là un vaste chantier. Nous sommes appelés à nous laisser travailler par l’Aujourd’hui de Dieu.

Les questions posées par Denis Villepelet, Guy Lescanne, Tony Anatrella, dans le "Jeunes et Vocations" d’il y a quelques mois qui nous ont aidés à mieux comprendre la situation, doivent être prises au sérieux jusqu’à en tirer des conséquences pratiques. Nous disposons de cela et de bien d’autres analyses tout-à-fait judicieuses mais il ne faut pas les laisser à l’état d’analyses. Au risque de l’échec, il nous faut prendre des initiatives nouvelles, modifier, développer des propositions qui prennent en compte de nouveaux processus de maturation humaine et chrétienne.

Nous disons volontiers et nous le constatons : des jeunes veules être prêtres ou religieux et ils sont à peine chrétiens ! Cela ne nous pousse-t-il pas à en tirer les conséquences : il ne s’agit plus de former de jeunes chrétiens à devenir prêtres ou consacrés, il s’agit de former des jeunes, futurs prêtres ou consacrés, séminaristes et novices, à devenir chrétiens. Cela interroge les SDV et tous nos lieux de formation. Nous avons à enraciner dans la foi des jeunes de ce temps, à leur donner accès au mystère d’une Eglise, signe du mystère du Christ et pas seulement une Eglise objet de critique et de rancœur, Eglise dans laquelle ils ont toute leur place. Comment aider les communautés chrétiennes à être des communautés heureuse et fières de leur foi, à cause du Christ ?

1.3. Le dynamisme de l’appel s’enracine dans la gratuité du don de Dieu

Accompagner des personnes ou des groupes c’est faire accéder un peu au mystère. Mystère des personnes et mystère de Dieu qui les rejoint. Je retiendrai deux implications pratiques.

La première est du côté de l’émerveillement ; du côté de tout ce qui peut permettre à des jeunes et à leurs accompagnateurs de ne jamais oublier Dieu dans leur recherche de vocation, de ne jamais laisser les questions, les informations, les documentations occulter la merveille de Dieu qui appelle. Dans les cheminements et les der recherche, comment donner part large à l’action de grâce, au silence étonné devant Dieu et ce qu’il est . Il y a même des dévotions et des piétés qui paraissent donner peu de place à Dieu et à la gratuité de sa grâce !

La seconde implication s’enracine dans le fait que Dieu appelle qui il veut, pas forcément les bons et les mieux disposés. Jusqu’à nouvel informé, il n’a pas changé de pratique vocationnelle ! Ceux qu’il a appelés ne faisaient pas partie obligatoirement de la famille des prophètes et des parfaits !

Nous sommes souvent placés devant l’inattendu de Dieu : tel jeune auquel nous pensons ne se manifeste pas ; tel autre pour lequel nous avons bien des questions se déclare prêt à entrer dans une recherche...

Le document final du Congrès de Rome nous incite à élargir notre domaine d’intervention habituellement réservé à certaines catégories de personnes : les "nôtres", ceux qui sont les plus proches des milieux d’Eglise pour "étendre courageusement et à tous, au moins en théorie, l’annonce et la proposition d’une vocation, au nom de Dieu qui ne fait pas de préférence. Nous restons perplexe devant une telle affirmation et nous sentons bien cependant qu’il y a là un appel, une audace, des initiatives à tenter. Appel qui rejoint les nouvelles audaces pour la proposition de la foi aujourd’hui.

Nous ne pouvons continuer à déclamer et à répéter inlassablement "Dieu appelle, c’est une certitude, c’est notre foi" sans relayer cet appel et trouver de nouveaux chemins, de nouveaux terreaux vocationnels.

II - Trois lieux à fréquenter assidûment

Nous voulons des points d’appui et des repères, et c’est normal. Ensemble dans ce forum, nous allons chercher des points de repère pour un itinéraire de recherche. C’est nécessaire et utile. Mais avant tout, nous devons être, toujours plus et mieux, des familiers de l’Ecriture et de la Tradition et nous avons à les rendre accessibles aux jeunes pour qu’ils puissent s’identifier, reconnaître en Moïse, Samuel, Jérémie, Pierre, Marthe, Madeleine, Marie ou Paul quelque chose de leur propre désir, de leur propre lutte, de leur propre projet. Nous devons être des familiers de la vie des jeunes, de leurs espoirs et de leurs angoisses, de leurs déceptions et de leurs projets...

2.1. L’ECRITURE

2.1. 1. Icône de nos propres routes, l’itinéraire du Peuple de Dieu

Revenons à la manière dont Dieu éduque son Peuple, se révèle à Lui. Ce qui advient au Peuple de Dieu, ce qui advient à quelques-uns de ce peuple est révélateur et éducateur de nos propres routes : s’ouvrir à un appel, se mettre en route, démasquer les idoles, dévier la parole entendue et se méfier, accepter d’être sauvés, être constitué en peuple dans la solidarité et la communion, prendre sa place et recevoir mission dans ce peuple, etc. Au fond, en parcourant "Moïse et les prophètes" nous accueillons quelque chose d’essentiel à l’aventure humaine et chrétienne, à un itinéraire de recherche donc : sur la route, nous avons sans cesse à revenir au vrai Dieu et à devenir vrai homme. Indissociablement.

2.1.2. Icône de nos propres routes, l’itinéraire de Jésus

Je devrais nous renvoyer aux Evangiles ! Point ! Sans commentaire ! Je vais cependant pour remplir la tâche qui m’a été confiée mettre en évidence deux aspects fondamentaux de cet itinéraire (sachant qu’il y a bien d’autres manières de dire mieux les choses).

Je dirai d’abord, et cela me semble suggestif lorsqu’il est question de vocation, que Jésus traverse l’histoire, "grandit" à partir de deux attachements-clé : son Père et la cause du Royaume. Il devient lui-même et répond à sa vocation-mission à partir d’un décentrement permanent qui le tourne vers le Père et le donne aux frères.

Et il y a Pâques ! La place centrale et décisive de Pâques. Manifestation et révélation du jusqu’au bout de son attachement au Père et à la cause du Royaume. Le jusqu’au bout d’un amour d’homme ! Celui de cet homme Jésus qui ne s’est pas payé de mots pour dire l’amour de Dieu et l’amour des frères mais y a engagé librement toute sa vie.

Permettez-moi une digression qui n’en est pas une. Des jeunes qui disent aimer Dieu et les frères, j’en connais, j’en accompagne. Lorsque vient le temps de sortir des enthousiasmes, lorsque vient le temps des hésitations et des tergiversations, lorsque vient le temps de décider, il m’arrive de renvoyer telle ou telle à la lecture de Jean 13 et de l’un des récits de Passion. C’est bien plus fort que tous les mots et les phrases que je pourrais dire.

2.1.3. Icône de notre propre route, l’itinéraire des disciples

J’attirerai l’attention sur trois étapes de cet itinéraire. Tout d’abord, les disciples sont appelés et attirés par quelqu’un : "Si tu veux, viens !" Appelés pour être avec le Christ et envoyés. Si manque ce dynamisme premier de la séduction, de l’attrait, de la joie qui naît d’une ardeur à suivre quelqu’un et à s’investir, rien de durable ne pourra se construire.

Cette "joyeuse" conversion va s’inscrire dans la durée et connaîtra des seuils et des étapes. A partir de ce moment-là, Jésus commença de leur montrer qu’il lui fallait souffrir, être mis à mort, ressusciter. Temps ou il faut apprendre à ne pas rêver, à ne pas se fabriquer des images idéales. Temps pour apprendre à reconnaître faiblesse, fragilité, péché. Temps pour changer de Dieu. Il faut pouvoir le reconnaître et l’adorer sur le visage d’un Crucifié.

Il y aura le souffle de Pentecôte, l’Esprit qui rassemble en Eglise ceux qui, au cœur de la Pâque, ont fait l’expérience de leur grande faiblesse. Ils n’ont pas su tenir. Et Pentecôte les rassemble pour les envoyer sur les places publiques, "dehors", pour annoncer la Bonne Nouvelle du Ressuscité. Ils deviennent effectivement apôtres car ils ne sont plus forts de leur seule assurance, mais de celle de l’Esprit qui leur est donné.

Nous avons dans l’Ecriture un trésor inépuisable qui peut féconder nos recherches et nos propositions.

Pour faire de nos pédagogies des pédagogies évangéliques qui éduquent l’homme selon Dieu, nous devons être toujours plus ces familiers de sa Parole, rendre les jeunes familiers de l’Ecriture et de la Parole de Dieu. S’il est important qu’ils prennent la parole sur leur vie pas seulement sur eux-mêmes (pas seulement sur Dieu !), partagent leurs questions et leur réflexion, il importe que cette parole soit fécondée, ouverte, interrogée par la Parole de Dieu priée, partagé en, goûtée. Entre nos propositions et les jeunes, entre nous et les jeunes, laisser place à la Parole de Dieu. Il m’arrive de penser que nous sommes de trop bons pédagogues. Nous sommes extrêmement attentifs aux jeunes (il le faut !). Il ne faudrait pas que cette attention nous conduise à manquer d’audace, à présenter un Evangile affaibli, édulcoré, réduit aux textes et passages dont nous décidons qu’ils sont seuls susceptibles d’être reçus par eux ! Comment les conduisons-nous à une lecture assidue, entière de l’Evangile ? Comment les conduisons-nous à Jésus qui parle au cœur, interpelle, propose, guérit, pardonne ?

2.2. LA TRADITION

2.2.1. Des étapes, des passages, des lois de croissance

La Tradition peut nous être précieuse de bien des manières. J’en retiendrai deux. Très vite, on a éprouvé le besoin de traduire l’expérience de vie chrétienne et de croissance dans la foi en termes d’étapes et de passages. Trois étapes tout particulièrement : celle des commençants, celle des progressants et celle des parfaits. A partir du XIIIème siècle, on va développer la théorie des Trois Voies en prenant trois termes : purification, illumination, union. Purification, car grandir, c’est devenir libre en se libérant des entraves. Illumination, car la lumière est donnée en Christ et l’Evangile devient lampe pour les pas. Union, car Dieu, au cœur des faiblesses et des refus, des réponses et des générosités, attache à Lui. Thérèse d’Avila préférera parler de Demeures, Jean de la Croix, de Montée au Carmel, etc.

Tout cela peut paraître formel. Ce qui nous est signifié cependant ici c’est qu’il s’agit d’une vie, d’une croissance et nul ne peut grandir sans lois et sans étapes à passer. Aujourd’hui, nous disons que nul itinéraire de vie chrétienne ne peut faire l’économie de vivre la Pâque, que tout itinéraire chrétien relève d’une structure pascale et d’un ajustement permanent à l’Evangile.

2.2.2. La fréquentation des saints et des fondateurs

La seconde manière de trouver précieuse la Tradition, c’est de fréquenter les saints et les fondateurs, les approcher au travers de leurs biographies et de leurs écrits. Avoir nos préférés. Repérer ceux qui pourraient être les préférés de jeunes en recherche. Leur proposer la pluralité de ces chemins, depuis les vedettes internationales et universelles, jusqu’aux petits saints et fondateurs locaux. Assurer la mise en lien entre eux et nous, non par nostalgie, mais pour quitter notre culture et notre monde, mais pour accueillir, quelque chose d’eux, comment ils ont été saisis par le Christ, saisis par des besoins profonds de leur temps, accueillir quelques chose de leur aventure humaine et chrétienne.

2.3. LA VIE DES JEUNES

2.3.1. Dieu était là et je ne le savais pas

Fréquenter assidûment la vie des jeunes, c’est la connaître, la rejoindre, entrer en communication avec eux... Cela veut dire contempler l’œuvre de Dieu en ce temps, Dieu engagé dans l’histoire de ce temps, dans l’histoire de ces jeunes que nous rencontrons ou qui descendent dans la rue ! Dieu est là... et je n’y crois pas. Pas assez. Pas au point de penser que Dieu peut choisir et appeler parmi eux des prêtres et des consacrés. Lorsque nous en restons au stade des analyses et que nous faisons l’inventaire des difficultés pour qu’un appel naisse, s’épanouisse, nous pouvons aller jusqu’à l’incroyance, la non-foi en Dieu. La connaissance des jeunes peut devenir un réquisitoire et alimenter un pessimisme contraire aux lois du Royaume. Nos questions et nos préoccupations, au sortir d’un temps avec des jeunes en recherche ou accompagnés, laissent-elles place à la contemplation du de Dieu à l’œuvre, à la foi e en Dieu qui et fait Alliance aujourd’hui.

2.3.2. Un amour lucide

Aimer, aimer à la manière de Jésus : un amour lucide qui connaît ce qu’il y a dans l’homme mais qui aime tellement ! Ceux qui suivent Jésus ne sont pas les meilleurs et les parfaits. Ils se sont laissés touchés. Ils ont pris la route sans tout connaître, "les yeux fixés sur Jésus"... Ils ont fait confiance... leurs faiblesses et leur péché, il les ont tournés vers Quelqu’un... Et Jésus en a fait des disciples et des Apôtres. Jésus et le jeune homme riche :" L’ayant regardé, il l’aima !"

2.3.3. "Viens et vois"

Fréquenter assidûment la vie des jeunes et les aimer, c’est proposer un chemin, le chemin de l’Evangile. De tout l’Evangile. Un chemin exigeant. Nos propositions vocationnelles doivent conduire au Christ, enraciner en Christ, mettre à la suite du Christ. Il y a des questions de jeunes concernant les vocations qui sont comme des catalogues de ce qu’il faut savoir. On peut en oublier Celui qui appelle !

III - Trois approches à développer et à prendre en compte

Et une quatrième par laquelle je commencerai ! Toute conscience d’un appel, d’une vocation doit plonger dans l’étonnement et la crainte au sens biblique du terme. Xavier Thévenot parle de "Stupeur devant l’appel de Dieu". C’est un repère important. Que Dieu fasse confiance au point de nous appeler, c’est fou et étonnant ! Nos propositions doivent prendre en compte cela pour contrer deux tentations : celle de s’approprier une vocation comme un dû, celle de l’accueillir comme un chemin contraignant et ascétique, une sorte de devoir un peu terrible.

Aider des jeunes à vivre l’étonnement émerveillé, l’étonnement joyeux, l’étonnement plein de réalisme. C’est une clé de discernement et d’accompagnement : Rends-tu grâce, dis-tu merci ?

J’ai parlé de trois approches à développer et à prendre en compte. En effet, je dirais volontiers qu’un appel au ministère ordonné et à la vie consacrée, c’est un appel à la vie, un appel à la foi et un appel à vivre le mystère chrétien selon un mode de vie évangélique et une mission spécifique.

Une vocation, c’est un appel à la vie

Toute vie est vocation

Ainsi s’exprimait Paul VI dans l’encyclique sur le "Développement des Peuples". L’amour de Dieu créateur appelle, suscite. Dans une civilisation mortifère par bien des aspects, avec des jeunes qui ne savent pas si leur vie a un sens et va quelque part, nous avons là un appui fort. Dieu appelle à la vie, à l’amour et à la liberté. Et, comme nous y invite le Document final du Congrès de Rome, nous sommes appelés à travailler pour l’émergence d’une "culture de la vocation : culture de vie, de l’ouverture à la vie, du sens de la vie et de la mort". L’Eglise entière et nos services ont à rendre ce service d’humanité redonner goût à la vie, redonner à toute vie une dimension vocationnelle. "Cette culture, et c’est toujours le Congrès qui parle, devient probablement le premier objectif de la pastorale des vocations ou peut-être de la pastorale en général. Que serait, en effet, une pastorale qui ne cultiverait pas la liberté de se sentir appelé par Dieu et qui ne ferai pas naître une nouveauté de vie ?" Lorsque l’Evangile nous dit que Jésus grandit en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes, ce n’est pas seulement une remarque édifiante, c’est l’affirmation et la promesse d’une croissance que seul "le juste" selon Dieu peut connaître.

Encourager les désirs

Encourager, faire confiance, donner confiance a toujours été une clé de l’éducation, des pédagogies d’éducation. Le contexte actuel appelle à renforcer et déployer ce point d’appui. Trop de désirs de jeunes sont brisés avant même qu’ils en soient conscients : "Cette filière m’est impossible... il n’y aura pas de débouchés... je ne trouverai pas quelqu’un qui m’aime suffisamment pour vivre avec moi... etc. Trop de désirs sont limités à l’immédiateté des besoins et d’une situation, sans ouverture possible sur l’avenir, sur un sens, sur Dieu.

Toute histoire d’homme est l’histoire d’un désir, de désirs. Désir de vivre, de réussir, de faire et vivre quelque chose de beau, de bon, etc. Très marquée par la crise de confiance des jeunes - peu de confiance en eux-mêmes -

Dieu suscite et rejoint le désir : "Que cherchez-vous ?", dit Jésus aux disciples qui se sont mis en route sur la parole de Jean. "Nul ne vient à moi si mon Père ne l’attire" (Jn 6, 44). Comment se mettre en marche, vivre une recherche s’il n’éveille le désir ? Dans le contexte actuel, sans mettre de côté la dimension d’engagement et de mission bien sûr, cela nous conduit à miser sur la dynamique personnelle, le désir d’être et de se réaliser, de vivre à plein un projet. Il nous faut chercher comment mobiliser les énergies des jeunes et leurs désirs. Je crois que là, les communautés chrétiennes ont à inventer, les communautés religieuses ont à inventer et prendre des risques...

Prêter attention aux refus de grandir

Grandir, c’est toujours prendre des risques, et faire des choix. Quitter le point où l’on est arrivé, marcher vers l’inconnu. Cela ne va pas de soi : Israël se prendra à regretter le temps de l’esclavage, le jeune homme riche hésitera à quitter ses sécurités... etc.

Des peurs ou des refus de grandir, nous en connaissons dans le contexte qui est le nôtre : se réfugier dans le rêve ou demeurer dans l’expérience d’une émotion forte, multiplier les expériences et les essais successifs, disparaître derrière des lois et des dogmes, s’en remettre à des gourous, endosser des spiritualités, demeurer dans l’indécision, mettre en avant des attitudes spirituelles qui peuvent masquer la peur de soi, des autres, de Dieu.

De plus, on ne grandit pas seul. On grandit dans une relation. Relation aux autres, à Dieu. Nous connaissons l’importance, pour des jeunes, d’avoir des liens d’amitié, d’appartenir à un groupe ecclésial. Les autres, leurs réactions, leurs interrogations poussent et aident à grandir. On peu se réfugier dans des relations fusionnelles et narcissiques. On n’aime que ce qui ressemble, est semblable, on n’affronte pas la différence, on n’entre pas dans l’amour de charité auquel l’Evangile invite.

On peut se réfugier dans la prière, comme lieu d’empêchement à grandir. On refuse l’absence de Dieu. On aime la prière pour le bien qu’elle nous fait et pour ce que nous ressentons. "Il vous est bon que je m’en aille" dira Jésus à ses disciples.

Les exigences, les échéances, les moyens proposés dans un itinéraire de recherche sont à la fois éducateurs de la croissance humaine et spirituelle ; la manière dont les jeunes les acceptent, les intègrent est indicateur des refus possibles de grandir.

Conduire au Christ chemin, vérité et vie

"Si tu savais le don de Dieu... et celui qui te demande à boire !" Le don de Dieu, c’est justement son Fils et son Esprit ; cet Esprit de Jésus qui, seul, peut conduire notre désir au vouloir, à un engagement libre et responsable. Ouvrir les Ecritures, initier à une prière chrétienne, accéder à une vie sacramentelle qui saisit tout l’humain, proposer des moyens pour qu’un désir se transforme en réalité (Ex. dès le départ d’une recherche et d’un accompagnement : tu désires être prêtre, consacré ? Que vis-tu aujourd’hui, un peu, de ce que tu désires être ? Comment actualises-tu quelques chose de ce projet ? Que risques-tu déjà ? Te tiens-tu toujours au bord du chemin , toujours en recherche ?

Le Christ et l’Evangile doivent être au cœur de nos propositions. Si nous voulons que le jeune entre dans un chemin de vie et de bonheur, découvre sa vocation comme un chemin de vie et de bonheur, il faut faire connaissance ave Jésus, le suivre en son propre itinéraire, en accueillir la logique, se laisser attirer par lui. Il faut du temps pour décider de sa vie. Il faut beaucoup de temps pour être éveillé par lui, chaque matin, comme un disciple. Il faut du temps pour s’attacher à lui comme à quelqu’un qui fait vivre et conduit à la vérité. Il faut du temps pour l’accueillir au travers de tous les chrétiens, dans et par l’Eglise. Il faut du temps pour que vivre signifie devenir fils et frère, parmi d’autres et avec d’autres... Deux tentations : demeurer toujours en recherche, être déjà prêt avant même que d’avoir grandi dans la foi et discerner. Il m’est arrivé, à partir d’un itinéraire qui n’en finit pas d’être en recherche, ou d’un jeune qui est déjà prêtre ou consacré avant même que d’avoir discerné, d’inviter à une lecture continue d’un Evangile.

Une vocation, c’est un appel à la foi

Je ne reprendrai pas ici toutes les étapes d’initiation et de formation nécessaires pour grandir dans la foi. Je vais simplement mettre en évidence des points que je considère comme importants aujourd’hui, dans le contexte où nous sommes.

se risquer parce que notre confiance est en Dieu

L’expérience de la foi et donc d’un appel de Dieu sur sa vie, l’expérience de l’irruption de Dieu dans sa vie ou une conscience renouvelée de son baptême, c’est se mettre en mouvement, partir, risquer. Non par simple goût de l’aventure mais aussi parce que l’on fait confiance à Quelqu’un. Ce qui a fait partir Abraham, Moïse, les disciples, les Benoît, François, Thérèse, Angèle et les autres, c’est la force de la confiance, la confiance faite à Dieu sans tout savoir, sans tout maîtriser de l’avenir. On s’en remet à quelqu’un de sa vie et de son avenir. Risquer sa vie, risquer sa foi, cela ne peut se faire sans cette base de la confiance.

La foi fait passer de la préoccupation de se défendre et de se protéger, de s’assurer, de la prétention à ne faire que des choix sûrs, au courage de s’aventurer parce qu’il y a Quelqu’un qui nous attend, nous attire, nous donne de marcher vers Lui. Impossible de "marcher sur les eaux" s’il n’y a le regard de Jésus qui fait avancer dans la confiance. Cette logique vient battre en brèche tous les besoins excessifs de sécurité et de protection bien orchestrés par nos sociétés.

Mais si une vocation ne se greffe pas sur cette logique de foi confiante et risquée, qu’en sera-t-il demain ? Quel futur peut s’offrir à celui qui ne peut aller au-delà des calculs prudents, humains et peureux ? Se mettre en mouvement et risquer fait partie du dynamisme de la foi confiante. Nous avons à chercher comment faire droit aux besoins de sécurité tout-à-fait légitimes, comme nous le dit Guy Lescanne, et comment éduquer à une confiance en Dieu, libre, assumée de manière responsable (car nous voyons aussi des confiances en la Providence qui ne sont pas des démarches humanisantes), qui permette de prendre la route en se risquant soi-même pour s’en remettre à Dieu. Cela nous demande d’être attentif à tous nos "d’abord". Tu penseras à cela plus tard, finis d’abord tes études... travaille d’abord un temps, etc. Ils sont nécessaires pour être sérieux avec l’humain. Mais ils n e doivent pas éluder tout risque.

jouer à qui perd gagne ou entrer dans une logique pascale

Tout itinéraire de foi connaît la lutte. Bien souvent, dans un itinéraire de recherche, nous sommes témoins des luttes que mènent des jeunes. Nous disons : ils luttent pour s’autonomiser par rapport à un milieu familial, pour remettre une décision prise trop hâtivement, pour sortir de l’indécision, etc. Lutte qui se joue à l’intérieur d’eux-mêmes. Lutte qui signifie, parfois, pour eux, s’attaquer à tout ce que leur moi a décidé n’être pas ajusté à l’idée qu’ils se font du chrétien, du prêtre, du consacré. Et souvent ce moi est terrible : intransigeant et culpabilisant. On arrive à se condamner sans appel, on ne s’accepte pas dans ses faiblesses, on se dépite.

La lutte chrétienne, c’est se trouver confronté, non à soi-même, mais à Dieu. Dieu qui semble avoir des exigences, des appels qui dépassent ce que nous pouvons penser et désirer. L’itinéraire de recherche d’une vocation passe obligatoirement par cette étape : demeurer dans la confrontation psychologique avec soi-même et avec d’autres ou entrer en lutte avec Dieu, avec Quelqu’un qui aime, qui seul peut demander ce qu’il demande ; qui seul peut appeler l’homme à être vrai homme, à aller jusqu’au bout de lui-même. Lutte, non pas seulement entre de bonnes et de mauvaises tendances, entre ce qui est bon ou mauvais dans un caractère, mais combat, confrontation aux exigences d’un amour. Lutte entre l’appel de Dieu qui donne et qui demande et la peur de l’homme qui hésite entre l’amour gratuit de Dieu et la prétention de l’homme à le mériter.

Lutter, accepter la confrontation entre Dieu et soi, jouer à "qui perd gagne". Apprendre à lâcher prise, perdre,se perdre, dire non, renoncer, dire oui... ; entrer ainsi dans la Pâque, à la manière de Jésus. Perdre alors qu’on ne parle que de réussite. Perdre, alors que tant de jeunes se considèrent et se vivent comme des perdants. ? Nous ne pouvons parler de cela n’importe comment. Mais il n’y aura pas de croissance humaine et spirituelle si on n’entre pas dans cette logique pascale ; si, ayant un peu risqué de perdre, on n’éprouve pas profondément la vie, l’ouverture à des horizons insoupçonnés.

Ce "perdre" là, c’est apprendre à désirer ce que Dieu veut, à goûter la liberté de faire confiance. C’est apprendre à accueillir ce que l’on est, "sa vocation". Etrange chemin que celui-là ! Folie aux yeux des hommes : Celui qui vient à moi, je vais le conduire à la vie par l’étrange chemin de la perte. Nul ne peut suivre Jésus, dire oui au Père, si l’Esprit ne lui fait prendre la décision de faire confiance à un Autre, de courir le risque d’exposer sa vie entière à une Parole qui est tranchante comme un glaive et fait sauter les limites des sécurités, des protections, des logiques humaines. Jouer à qui perd gagne et entrer dans la Pâque, cela peut prendre du temps (cf. expérience avec une jeune) !

être donné à l’Eglise et aux frères

Qui se lève et prend la route, qui risque sa vie et sa foi, qui joue à qui perd gagne, en peut demeurer dans la logique du chacun pour soi. S’il devient fils, il accède à la fraternité et à la charité. Sinon, c’est un menteur !

La foi conduit à la communauté, conduit aux frères, conduit à une nouvelle appartenance à l’Eglise, qui rassemble tous les chercheurs de Dieu, tous les disciples et missionnaires de l’Evangile dans leurs différences et leurs diversités.

Croire, dire "je" en confessant sa foi, c’est accueillir un "nous", une Eglise plurielle animée du souffle de l’Esprit. Nous connaissons les points d’attention propres à cette maturation humaine et spirituelle : est-ce que grandir dans la foi, avancer dans la recherche d’une vocation fait grandir en amour et charité ? Est-ce que grandir dans la foi me soude à un Corps et à un Peuple, reconnaissant que c’est là que je deviens ce que je suis : fils et frère ?

Vivre de foi, c’est aussi grandir dans la sensibilité aux détresses humaines. Cela va de paire avec la découverte et l’acceptation d’un Dieu qui prend parti pour l’homme opprimé, esclave, le sans-voix, le sans-poids, etc. Là encore quelques points qui ne trompent pas : a-t-on réellement cotoyé la misère ? Quelles places ont les cris des hommes, leurs révoltes et leurs souffrances, dans notre prière et notre vie ? Certaines expériences d’immersion dans des mondes de pauvreté et de misère permettent de faire mûrir des suites du Christ ou des désirs d’être prêtre ou consacré par trop éthérés !

Jusqu’au bonheur d’être avec Lui et de dire à tous la Bonne Nouvelle

Si un itinéraire de foi, un itinéraire vocationnel ne débouche pas, ne se vit pas, comme l’expérience d’un bonheur donné, trouvé au terme de réponses et de refus, de dons et de reprises de soi, de confiance et de méfiance, de relations et de replis sur soi, il risque de demeurer un programme à la mesure de l’homme. Qui prend la route, qui prend des risques avec d’autres et parmi d’autres, dans la confiance, les yeux fixés sur Jésus, s’en remettant à l’Esprit, expérimente quelque chose de la joie de croire, de cette joie des Béatitudes, de cette expérience que Dieu bénit, fait du bien à ceux qui se tournent vers lui, suivent son Fils.

Expérimenter cette joie que nul ne peut nous ravir ! Si difficile que soit le chemin, si onéreux que soient les passages à vivre, ce qui advient et grandit, c’est un bonheur ! Critère fondamental de justesse chrétienne.

Si un itinéraire de foi, un itinéraire vocationnel, fut-il orienté vers une vocation de chartreux ou de moine, ne débouche pas sur le désir irrésistible de retourner vers les frères leur annoncer la Bonne Nouvelle, il risque de demeurer un programme de perfection et de sainteté à usage personnel.. "Nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu du Verbe de Dieu !" La première des missions de l’Eglise, c’est de partager un trésor, l’Evangile en le rendant accessible, attrayant pour nos contemporains, acculturé et inculturé comme nous aimons à dire. Ce qui demeure inaccessible, en particulier aux plus petits, risque d’être un Evangile falsifié et faussé. Les jeunes connaissent mieux que nous les codes de communication contemporains. Mais nous ne nous trompons pas. Il ne suffit pas d’être au top niveau de l’informatique, d’être un internaute chevronné, d’appartenir à une culture pour traduire les trésors de l’Evangile. Il faut des mystiques, qui savent à la fois participer à tout ce qui est humain, vivre un compagnonnage réel avec les hommes dont on ne sort pas indemne, et prendre de la distance pour apprendre à chercher et à reconnaître dans la nuit, le Dieu qui vient, pour écouter dans le silence et sous sa Parole, ce que Dieu dit de l’homme et de lui-même.

un appel à vivre le mystère chrétien selon sa vocation propre

Je ne vais pas ici développer tout ce qu’il serait important de dire concernant le discernement d’une vocation. Je vais me contenter d’évoquer quelques points déterminants dans le discernement et l’avancée vers une décision. Il aurait été utile de distinguer ministère ordonné et vie consacrée. Mais cela demanderait un autre exposé !

un attrait irrésistible : "A qui irions-nous, Seigneur ?"

Découvrir que l’on et appelé à devenir prêtre, consacré, s’enracine, prend sa source dans cette sorte de conviction intérieure que le Seigneur doit avoir la première place, qu’Il peut combler une vie. Attrait irrésistible, attachement fort qui ne relève pas d’analyses rationnelles et évidentes. C’est comme un amour qui ne s’explique pas. Et l’on en retrouve les traces dans la vie concrète, non seulement par des paroles mais aussi par des choix. Tel jeune se sent libre désormais de parler avec ses parents ; tel autre envisage sereinement de quitter son travail ; telle autre choisit de partir une année dans le Tiers-Monde ; et celui-ci accède à la prière régulière au-delà des ressentis.

Au milieu des questions, des peurs, des dynamismes et des attraits, il a ce réflexe qui jaillit, un peu comme chez Pierre : "A qui irions-nous Seigneur ? C’est toi qui est au cœur de ma vie, que je veux suivre, servir...".

Accompagnement, discernement et propositions doivent aider le jeune à se déterminer pour Dieu, pour l’Evangile. S’il n’y a pas ce déclic, cette réponse un peu folle, cette audace, il risque d’y avoir un itinéraire trop mesuré, trop lié à soi seulement. La relecture de vie est très importante pour cela. Dans la durée, peut-on y déceler la préférence pour Dieu ?

Une disponibilité confiante : "Montre-nous le chemin !"

Cet attrait irrésistible cohabite avec une disponibilité confiante, une remise de soi et de son projet. Etape importante tant pour ceux et celles qui ont des certitudes quasi définitives quant à leur vocation, que pour ceux et celles qui ont de la peine à sortir des doutes et des hésitations. Est-on capable de sortir de si pour demander la lumière ? Accepte-t-on de discerner, en vérité, si ce que l’on veut et désire est possible ? Possible pour soi, tel que l’on est. Accepte-t-on d’accueillir l’appel qui transforme notre désir en une initiative première de Dieu ?

Deux lieux deviennent importants à pendre en compte et à relire pour y déceler ce passage : la prière et l’importance accordée à la parole de ceux qui nous connaissent.

La prière personnelle ? Elle peut être vécue comme une conviction sûre : "Seigneur, je te remercie de m’avoir appelé à... Ou dans une attitude d’humble confiance et d’étonnement : Seigneur se peut-il que tu m’appelles à... éclaire-moi, fais que je choisisse ce qui te plaît, etc. La prière que nous proposons dans les rencontres : comment éduque-t-elle à cette disponibilité ? Quelles figures bibliques faut-il proposer à la méditation pour que s’ouvre un espace à la liberté de Dieu et à la liberté de l’homme ?

La parole d’autrui : elle est à accueillir et à peser. Les autres, c’est l’entourage habituel : familles et amis. C’est le groupe ecclésial auquel on appartient. C’est le groupe de recherche. A-t-on affaire à quelqu’un de tellement assuré que rien ni personne ne peut questionner ? Sait-on écouter ce que dit Dieu au travers des paroles humaines de ses frères chrétiens ?

Cette attitude est à éduquer en profondeur ; sinon, nous risquons de nous trouver demain de nouveaux prêtres, et nouveaux religieux qui vivent et agissent comme si rien ne les avaient précédés et comme s’ils n’avaient pas de partenaires et de collaborateurs, de frères et de sœurs.

Cela nous conduit à regarder également le rapport à la loi. La liberté grandit par le désir spirituel qui l’habite. Mais la loi est le pédagogue qui conduit au Christ : que dois-je faire pour entrer dans la vie ? Quoi proposer, quels "commandements" vont être chemins de vie ?

un désir de vivre comme ...

Un discernement permet de mettre en évidence des attirances, des résistances, des connivences, des désirs. Tel prêtre a marqué, ou telle communauté, ou telle personne. Lorsque le désir d’être prêtre ou consacré se concrétise par des figures et des images enracinées dans le réel, l’avancée dans une recherche et vers une décision paraît plus simple et surtout s’effectue avec plus de justesse. On ne demeure pas dans une projection idéale sans aucun lien avec une réalité.

Pourtant, aujourd’hui, pour bien des raisons, beaucoup de jeunes sont sans modèles et n’ont aucune présentation vivante et réelle qui puisse donner forme à leur désir, et ce, alors même qu’ils ont contact avec des prêtres ou connaissent une communauté.. Cette absence d’image concrète, ou la confusion des images en ce qui concerne le prêtre et la vie religieuse apostolique et laïque met à mal ce qui a joué et joue encore un rôle important dans la structuration d’un désir et la possibilité d’un choix : l’attirance vers, le désir de vivre comme... quelque chose que, pour ce qui concerne la vie religieuse on a appelé "la contagion évangélique". Ce peut être une des raisons de l’attrait contemporain pour des groupes très visibles et repérables dans le paysage ecclésial et la société. Mais il peut y avoir des idolâtries adolescentes.

Nous avons là, dans nos processus d’accompagnement personnel ou de groupe un point d’attention important. On ne peut se décider que pour quelque chose qui a visage concret, réel. Une liberté a besoin d’une certaine clarté. Je ne pense pas que dire à des jeunes : mais vous inventerez ! soit le plus propice à une maturation de leur réponse qui a besoin de racines et d’une colonne vertébrale.

Par ailleurs, nous sommes paralysés par les processus de vieillissement du presbyterium et des Instituts de vie consacrée. Nous pensons que s’il y a figure réelle dans le paysage ecclésial, cette figure est trop vieille pour être attirante et proposée à des jeunes. Il y a certes des précautions à pendre. Mais nous ne pouvons en rester à une problématique trop humaine. Qu’importe la vieillesse si elle est ouverte et rayonne l’Evangile ? Qu’importe au fond de savoir la durée de vie de tel institut si ses membres sont décidés à vivre jusqu’au bout le don de leur vie au Christ et aux frères ?

Il me semble que dans nos propositions nous devons chercher et réfléchir à ce que j’appelle (j’ai dû l’emprunter à quelqu’un ! ) des pédagogies d’osmose. Ces temps où on vit avec ceux et celles qui ont déjà pris la route ; ces temps qui vont permettre à un idéal et à un désir de trouver les chemins humains et quotidiens de la réalisation. Il y a trop de vocations qui sont narcissiques ou schizophréniques ! Trop de vocations qui se pensent toujours pour un ailleurs toujours meilleur que ce qui est plus proche. Mais le problème est que l’on risque d’aller longtemps en ailleurs sans jamais trouver ce qui convient sauf à se déclarer fondateur soi-même !

une décision personnelle : me voici

Répondre à une vocation, décider d’avancer, d’entrer au séminaire ou au postulat, n’est pas une décision intimiste et privée. C’est une décision prise par une liberté qui dit "je". Or, nous expérimentons combien certains ont du mal à engager une parole et une vie dont on est le véritable sujet. On a du mal à renoncer à tous les possibles. On a du mal à décider. Or, grandir dans la foi, c’est apprendre à dire je, à se compromettre : devenir sujet de sa propre histoire et donner à sa vie la forme d’une réponse. Une des premières difficultés à laquelle on se heurte est du côté du croire en soi, d’avoir confiance, de croire que l’on a de la valeur aux yeux des autres et à ses propres yeux, croire que des adultes peuvent tenir, etc. Combien sont précieux les appels à vivre des responsabilités, si minimes soient-elles dans leur groupe d’appartenance, leur paroisse ou dans leurs lieux d’études ou professionnels. Des lieux où les jeunes expérimentent qu’ils peuvent être utiles et sont importants pour d’autres.

 

Par ailleurs, nous nous trouvons également devant des jeunes qui se réfugient en Dieu, dans une vocation, une spiritualité et qui sont comme absents d’eux-mêmes, qui ne demeurent pas chez eux. Comment leur faire entendre l’appel du Christ : je veux demeurer chez toi ! Il m’est arrivé d’utiliser un texte d’Yves Raguin (Chemins de la contemplation - 1ère partie - chap.2 - pp 28-30 - DDB 1969, Coll. Christus n° 29 "Quand tu partiras").

Or, une décision se base sur un attrait discerné et pesé. L’autonomie de la décision et du choix vocationnel doit faire part juste au désir et au réel (principe de plaisir et de réalité !). Tout n’est pas possible. Choisir et décider, c’est tracer son chemin singulier et unique dans un paysage composé de multiples chemins, ceux des autres.

Se décider, c’est avoir la capacité de peser ce qui permet de dire oui, ce qui est point d’appui pour une route à venir, en étant conscient de sa finitude et de ses limites. C’est assumer que l’Eglise, les groupes qui l’habitent et que l’on rejoint vont permettre de déployer le dynamisme qui nous habite et sont en même temps imparfaits et limités.

Appel à vivre le mystère chrétien comme prêtre, comme consacré

Pour que la communion à la pastorale du Christ, pour qu’une suite du Christ pauvre, chaste, obéissant structure une personne dans sa route humaine, spirituelle, apostolique ou non, nos propositions doivent faire droit à plusieurs requêtes.

- L’intelligence de ce qui est en jeu pour un homme, une femme sur ce chemin spécifique du ministère ordonné ou de la vie consacrée. La générosité ne suffit pas, les dévotions pieuses ne suffisent pas. Il faut donner à penser, à connaître, à comprendre. Il faut donner place à l’intelligence, à la raison. J’ai relu avec intérêt le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, tout particulièrement les n° 13, 14 et 15. Il y est question des catéchumènes, et trois mots-clé apparaissent dans ces textes : conversion, initiation, formation.

1) Comment les propositions que nous faisons à des jeunes en recherche contribuent-elles à les attacher au Christ, à les conduire à Lui, à les faire entrer dans un chemin permanent de conversion  ?

2) Quelles initiations rendons-nous possibles ? Initiation chrétienne à la prière, aux sacrements, à la vie en Eglise, comment les aidons-nous à annoncer, vivre et célébrer avec l’Eglise ? Comment ces trois pôles fondamentaux de la fois sont-ils pris en compte dans les chemins proposés à des jeunes qui avancent vers une décision. Initiation à la vie . Quelles possibilités d’expérimenter, de l’intérieur, et dans l’ordinaire du quotidien, la vie future envisagée. Dans le contexte actuel, il me semble qu’il faut non seulement que ces jeunes rencontrent des témoins qui défilent devant eux, qu’ils puissent partager leur vie un temps, simplement. Ouvrir les presbytères, ouvrir nos communautés.

3) Quelle formation ? Comment formons-nous l’intelligence de ces jeunes ? Le Christ chemin, vérité et vie.

"QUAND TU PARTIRAS…"

Conduire au Christ, chemin, vérité et vie, n’est-ce pas la finalité des accompagnements personnels de jeunes en recherche comme celle des groupes de recherche ?

Je propose tout simplement en conclusion le texte d’Yves Raguin mentionné plus haut.

"Quand on a décidé de partir à la recherche de Dieu, il faut faire ses bagages, seller son âne, et se mettre en route. La montagne de Dieu est à peine visible dans le lointain ; à l’aube, il faut partir.

C’est un grand départ, il faut dire adieu. A qui ? à tout et à rien. A rien, car le monde que l’on quitte sera toujours là près de nous, en nous, jusqu’à notre dernier souffle, toujours aussi près de nous. A tout, car en partant à la recherche de l’absolu, nous coupons les ponts avec tout ce qui pourrait nous en détourner, avec ce qui, en nous et dans les êtres tend à former un corps d’opposition à l’action divine. Finalement, ce qui est le plus dur à laisser, c’est ce nous-même qui sans son besoin fondamental d’autonomie s’oppose à Dieu.

La séparation, finalement, n’est pas dans l’éloignement, mais dans le détachement. Il faut à tout prix empêcher notre personnalité de se replier sur elle-même, de se construire en face de Dieu une citadelle où Dieu ne sera admis que comme hôte.

Oui, quand ut veux prier, il faut ouvrir ta maison et dénouer ton âme en Dieu. Avant de partir il y a quelques coups de serpe et de hache à donner. En tranchant autour de soi on voit immédiatement que l’on tranche en soi… mais il ne faut pas attendre d’être détaché de tout et de soi pour partir. Il faut partir et, peu à peu, à mesure que nous avancerons, les choses qui nous sont les plus chères prendront de la distance.

Qu’emporter avec soi ? Tout soi-même et rien de moins. Etrange réponse après avoir dit qu’il faut tout laisser et surtout se laisser soi-même. Et pourtant c’est vrai, il faut s’emporter tout entier. Beaucoup ne partent qu’en apparence. Ils n’emportent avec eux qu’un fantôme d’eux-mêmes, une maquette abstraite. Ils se mettent eux-mêmes en sécurité avant de se mettre en route. Ils se font une personnalité artificielle, ce robot, cette ombre d’eux-mêmes qu’ils envoient à la recherche de Dieu. IIs n’entrent jamais vraiment de tout leur être dans l’expérience. C’est déjà une sorte de saint qui s’embarque pour l’expédition, un personnage modelé d’après les traités de la perfection. Ils envoient un double d’eux-mêmes tenter l’aventure, et s’étonnent ensuite de ne pas retirer de tout cela que déception.

En partant, il faut mettre sur son âne tout ce que l’on est ; sa carcasse, son esprit, son âme, il faut tout prendre, les grandeurs et les faiblesses, le passé de péché, les grandes espérances, les tendances les plus basses et les plus violentes… tout, tout, car tout doit passer par le feu. Tout doit finalement être intégré pour faire un être humain capable d’entrer corps et âme dans la connaissance de Dieu.

Comme le bout du chemin se perd en Dieu, et que personne ne connaît le chemin sinon celui qui vient de Dieu, Jésus-Christ, il faut, tout en écoutant les maîtres que nous rencontrons, fixer les yeux sur Lui seul. Il est la Voie, la Vérité et la Vie. Lui seul a d’ailleurs parcouru le chemin dans les deux sens. Il faut mettre notre main dans la sienne et partir…"

Yves Raguin, sj, Chemins de la contemplation - 1ère partie, chap.2, pp.28-30, Ed. DDB, 1969, coll. Christus n° 29).