L’évêque et les instituts religieux


Mgr Fréchard, archevêque d’Auch, lui-même religieux, a par­­ti­­cipé à l’ensemble de la session et accepté de donner son point de vue sur le lien entre le diocèse et les instituts religieux.

Maurice Fréchard
archevêque d’Auch

Je dois préciser un point qui me semble important, dès le début de mon intervention. Religieux moi-même, et devenu évêque, je crois fortement à la valeur de la vie religieuse et à sa place constitutive dans l’Eglise diocésaine pour l’exercice de sa mission. Hommes et femmes chrétiens, catholiques, ont besoin de rencontrer, en plus des prêtres diocésains, d’autres hommes, d’autres femmes qui unissent toute leur existence sur leur engagement baptismal, et veulent suivre le Christ dans toutes les démarches humaines de leur existence. Cela comporte un engagement pour susciter des vocations religieuses d’hommes et de femmes.
Comment aborder cette question ? Nous nous situons tous dans la mission unique de cette Eglise qui est chargée de proposer la foi à tous les hommes. Depuis la Lettre aux Catholiques de France, en 1996, la conscience commune s’est réalisée autour de ce projet. Il ne s’agit pas de répondre seulement à la demandes des chrétiens ou des autres, il faut prendre l’initiative de la proposition. Or l’évêque est le responsable principal de cette mission, en dehors de laquelle l’Eglise n’a plus de raison d’être, si l’on est logique avec les paroles de Paul VI dans l’exhortation Annoncer l’Evangile de 1975.
Nous sommes tous concernés, personne ne peut échapper à cette perspective missionnaire. Evêque, prêtres et diacres, religieuses et religieux, laïcs de toutes tendances, tous et chacun nous devons œuvrer dans ce sens.
L’évêque apparaît alors comme une sorte de chef d’orchestre. Saint Ignace d’Antioche (martyr vers 110 à Rome) a quelques lignes sympathiques sur ce sujet : « Chacun a sa partition sous les yeux et exécute la partie qui lui revient, sous la direction du chef. Mais le risque est que chaque pupitre, chaque instrument, chaque voix ait composé sa propre partition sans en référer au chef d’orchestre. Quand ce travail d’ajustement est opéré, on peut frapper les trois coups et commencer le concert. »
Luc Crépy l’a bien souligné hier : la place des instituts religieux est essentielle pour rappeler à un diocèse, même petit, la mission universelle de l’Eglise. Les sœurs de la Providence comptent plusieurs religieuses au Bénin. Elles ont reçu des religieuses brésiliennes il y a quelques mois, y compris de congrégations très proches. Les contemplatives accueillent elles aussi des jeunes professes pour une période de formation. Des jeunes filles, un jeune aussi, se sont engagés dans des congrégations qui dépassent largement le périmètre du diocèse. Il convient de le signaler dans nos publications, de manière à faire connaître cette dimension vraiment catholique, c’est-à-dire universelle, de la mission d’évangélisation.
Le clergé diocésain occupe le terrain. Les religieux et religieuses sont mobiles au service de l’Evangile. Une ursuline enseignante arrivée à l’âge de la retraite a rejoint une communauté en Grèce, à l’âge où ses contemporains, gersois et autres, s’occupent de trouver un mode de vie moins contraignant.

Contexte actuel de nos Eglises diocésaines

Remodelage des paroisses

Un nouveau paysage d’Eglise est en train de se composer. Moins de proximité de la part des curés de paroisse. Une autre distribution des charges, une autre manière de travailler s’imposent. Il ne s’agit plus de répartir les tâches entre le curé et les religieuses, comme cela se faisait autrefois. Il faut faire place à tous. Car, s’il faut vivre aujourd’hui, il faut aussi préparer demain. Il y faut beaucoup de sens pastoral de part et d’autre pour imaginer les situations vraies et utiles pour la proposition de l’Evangile.
Je rencontre aussi la difficulté pour les communautés religieuses de pouvoir participer à la messe durant la semaine, lorsque l’une ou l’autre religieuse est moins mobile et qu’il faut parcourir une dizaine de kilomètres pour rejoindre le célébrant le plus proche.

Diminution du nombre de prêtres

Leur âge moyen est élevé : largement au-delà des soixante-dix ans, dans le diocèse d’Auch au moins. J’ai dû confier récemment la responsabilité d’une paroisse relativement importante au vicaire général, car je ne savais plus comment faire. Il y a de moins en moins de disponibilité matérielle, physique. Il y a bien quelques diacres. Leur nombre est en progression. Mais prêtres et laïcs ne sont pas toujours au clair sur la vraie mission du diacre !

Raréfaction des religieux

Je suis arrivé dans le diocèse fin 1995. Quelques congrégations féminines en avaient déjà disparu. Quelques mois avant mon arrivée, les Filles de la Charité étaient parties. Ce fut le cas des Ursulines de l’Union romaine durant la dernière année scolaire. Deux communautés de la Providence de Gap ont été fermées dans le même temps. D’autres communautés subsistent. Heureusement. Mais chaque fois qu’une communauté disparaît, c’est tout un ensemble de relations personnelles, importantes dans la pastorale, qui disparaît. Qui assurera alors cette part de ministère ?
Il y a trois ans, la dernière communauté des Frères des Ecoles chrétiennes a fermé. Cette année, les Assomptionnistes ont laissé une paroisse importante qu’ils animaient depuis plusieurs dizaines d’années. Ils avaient trois prêtres et deux frères. Puis un seul frère, ensuite deux prêtres âgés et en mauvaise santé, très courageux, mais qui n’en pouvaient plus. Reste une communauté de Frères Missionnaires des Campagnes, un prêtre et trois frères. Tous à la retraite. Mais ils rencontrent des personnes de tout bord, qu’un curé de paroisse n’a pas le temps de rencontrer habituellement.

Importance croissante des laïcs

Le Droit canonique demande aux paroisses de se munir de deux conseils : le conseil économique et le conseil paroissial pour la pastorale. Ici aussi, il va falloir trouver d’autres équilibres pour la vie des communautés paroissiales, comme pour les communautés religieuses elles-mêmes. Souvent, au cours du conseil paroissial, il faut prévoir un groupe restreint de personnes pour l’expédition des affaires courantes. Les nouvelles provinces ecclésiastiques nous obligeront prochainement à repenser nos dispositifs dans un service renouvelé. Dans ce bouleversement du donné ecclésial, je ne sais pas où se trouve la solution la plus juste. Nous sommes en pleine mutation. Je crois qu’il faut que tous, nous soyons attentifs en profondeur, de manière à n’exclure personne et à utiliser toutes les compétences, toutes les forces encore disponibles. Car notre commune raison d’exister, c’est la proposition de l’Evan­gile : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evan­gile ! » (1 Co 9, 16).
Une réflexion s’engage dans le diocèse sur l’approfondissement de notre enracinement baptismal. La promotion, parfois intempestive, de la vocation sacerdotale avait souvent réduit à la portion congrue baptême, confirmation et première eucharistie. Or, ce n’est pas un péage que l’on acquitte pour pouvoir continuer la route. C’est la grâce fondamentale, c’est le tronc nourricier qui va irriguer toute notre vie chrétienne dans les différents états de vie que nous choisirons, auxquels le Seigneur nous appellera. Il y a là un travail indispensable à accomplir. C’est un chantier conciliaire, dans la ligne de Perfectae caritatis.

Le discernement des vocations religieuses

Je voudrais partir de mon expérience de discernement de vocation. Car je suis religieux spiritain. Le fait que je sois évêque n’abolit pas du tout mon expérience personnelle, je n’ai pas perdu la mémoire de mon premier cheminement. J’étais en terminale au lycée public de la ville. Je baignais dans le scoutisme. Dans un premier temps, j’ai éprouvé le désir de devenir prêtre. J’ai demandé au vicaire s’il consentait à m’accompagner. Dans un second temps, j’ai désiré devenir missionnaire. J’en ai parlé à mon accompagnateur. Vu les conditions de vie des missionnaires, il m’a de suite conseillé de devenir religieux.
A peu près au même moment, j’avais lu un article de La Vie catholique qui relatait un voyage en Afrique du cardinal Liénart. Il avait effectué un voyage au Cameroun pour y consacrer l’évêque de Douala, Monseigneur Bonneau. A cette occasion, l’article mentionnait les Pères du Saint-Esprit. Ce titre m’avait semblé vraiment étrange. Je m’en souviens comme si c’était ce matin.
Ce qui a été déterminant pour mon accompagnateur et pour moi, ce fut son amitié pour un religieux spiritain, jeune prêtre, avec lequel il avait partagé plusieurs mois de ministère, à la fin de la guerre. « Ça me semble sérieux, la formation est solide. Va voir, et puis vérifie si cela correspond à ce que tu cherches. » C’était déjà la démarche des deux disciples de Jean-Baptiste qui avaient rencontré Jésus : « Venez voir » leur avait dit Jésus. « André et l’autre disciple allèrent à la suite de Jésus, il virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là » (Jn 1, 39). Je suis allé, j’ai vu et je suis resté, évidemment avec l’accord de la communauté.
La conclusion que j’en tire, c’est qu’une connaissance superficielle de la vie religieuse masculine ou féminine n’est pas suffisante. Tant de la part de l’accompagnateur que de la part du jeune qui cherche. Il y faut une meilleure approche, plus précise, plus incisive. L’accompagnateur ne pourra pas connaître toutes les communautés. Mais l’approche précise de l’une d’elles lui permettra de se faire une idée, de percevoir ce que, depuis Vatican II, nous appelons le charisme, et puis d’apprendre quel genre de vie mènent ces hommes ou ces femmes. A partir de là, l’approche des autres communautés sera largement facilitée. Il faut consentir à cette approche. Les communautés se prêtent volontiers à cette démarche exigeante.
C’est Dieu qui attire à lui, à son service ; il attire intérieurement. Mais il appelle aussi à travers des médiations humaines. Evidemment, ça ne semble pas de la même eau. Et pourtant ! Si nous relisons la vocation de Matthias à devenir le douzième apôtre, pour recevoir la part de ministère de Judas, c’est bien ce qui se passe (Ac 1, 21-26). « Pierre dit : ”Il faut que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu’au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection.” On en présenta deux, Joseph dit Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias. Alors, il firent cette prière : “Toi, Seigneur, qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi pour occuper, dans l’apostolat, la place qu’a délaissée Judas.” Alors on tira au sort, et le sort tomba sur Matthias. » Une telle prière exaucée par un tirage au sort !

Contacts entre services diocésains et instituts

Les liens existent, ils sont nombreux et sympathiques. Ils concernent la catéchèse, l’aumônerie de l’enseignement public, les jeunes adultes, les adultes tout court. Dans le diocèse d’Auch, il y a encore bon nombre de religieuses apostoliques, dont la moyenne d’âge est certes élevée. Mais l’accueil reste chaleureux. Il y a encore quelques religieuses apostoliques en catéchèse.

Catéchèse

Durant cette période de la formation chrétienne des enfants, posons-nous la question des endroits qui sont choisis pour faire une retraite de profession de foi, par exemple.

Aumônerie

C’est en vue de la confirmation que l’on cherche une communauté d’accueil pour une retraite, ou du moins pour entrer en dialogue avec des hommes ou des femmes qui consacrent leur vie à Dieu.

Jeunes adultes

Pour un temps de recueillement, pour une retraite au sujet des vocations.

Les adultes

Ils cherchent eux aussi souvent des endroits paisibles, l’aide d’une communauté stable qui soutiendra leur prière. On fréquente beaucoup les communautés du diocèse ou d’ailleurs. Le plus souvent ce sont des communautés monastiques. On frappe aussi à la porte des communautés nouvelles.
J’ai pris conscience, ces jours-ci, du déséquilibre qui se crée entre les différents types de communautés. Je crois qu’il conviendrait de demander aussi à des religieux, à des religieuses apostoliques. Il faudrait aussi imaginer d’autres types de rencontres.
Il est vrai que les capacités d’accueil ne sont pas les mêmes. Mais au moins pour le dialogue et le témoignage, il me semble que l’on pourrait avoir recours aux communautés apostoliques. Et l’idée de faire comme ces hommes, ces femmes rencontrés, pourrait germer dans la tête de ceux qui auraient engagé le dialogue avec eux.

Les écoles

Autrefois, nombre d’établissements scolaires étaient confiés à des congrégations religieuses. L’âge des religieux, des religieuses, a fait que plusieurs d’entre eux ont cessé leur activité. Le service des gros établissements des capitales régionales impose des regroupements. Nécessairement, les diocèses moins importants sont vite démunis.
Quoi qu’il en soit, que les établissements demeurent sous tutelle congréganiste ou non, la question des vocations religieuses demeure posée à ces établissements scolaires comme aux autres établissements catholiques. Restent bien sûr des fraternités établies pour garder l’esprit des instituts religieux fondateurs. En veillant à l’éveil et à la formation religieuse des jeunes qui fréquentent ces établissements, il est urgent d’y susciter des vocations religieuses.
Il faudrait aussi évoquer d’autres domaines où la vie religieuse est précieuse pour la vie chrétienne de nos diocèses : la prière, la charité inventive. Pourquoi nos contemporains ont-ils en si grande estime les maisons de retraite tenues par les religieuses ? Dans le diocèse d’Auch, il y en a encore trois. Le service religieux y est assuré : la messe, l’office, le rosaire (par Radio Présence ou autrement). Une qualité d’attention humaine et chrétienne y est également présente. C’est incomparable pour tant de personnes qui se savent proches de la fin de leur vie. Ce n’est plus de l’ordre du confort, mais de celui du témoignage de la foi.

Conclusion

Les évêques pensent d’abord aux vocations sacerdotales et diaconales. Question immédiate de vie ou de mort des paroisses. L’avenir nous cause beaucoup d’inquiétudes. Par ailleurs, les diocèses sont de gros consommateurs de vie religieuse. Il y a longtemps que nous sommes attentifs à respecter les charismes des instituts religieux qui sont engagés dans nos diocèses. Peut-être faut-il encore progresser sur ce chemin.
Pour ma part, je rends grâce au Seigneur pour tant de dévouement au service de l’Evangile dans l’abnégation souvent admirable. J’en remercie très profondément les congrégations qui ont travaillé dans le diocèse, et celles qui y travaillent encore.
En retour, j’estime de mon devoir de proposer la vie religieuse aussi bien aux filles qu’aux garçons et aussi d’appeler au ministère de prêtre ou de diacre.Afin que l’Evangile continue d’être annoncé avec la force de l’Esprit.