Vers une décision de vocation responsable


Bernard Mendiboure
aumônier d’une maison d’étudiants jésuites
accompagnateur des exercices spirituels de Saint Ignace



Comment aider un jeune à trouver le chemin de sa vocation ? Il n’y a pas d’accompagnement spirituel sans accompagnement humain et sans accompagnement pastoral.
Je partirai de l’histoire du jeune homme riche, au chapitre 10 de l’Evangile de Marc, que vous pouvez retrouver chez Luc au chapitre 18 et chez Matthieu au chapitre 19.


Etre appelant comme Jésus

Avoir la même attitude que Jésus avec le jeune homme riche. En contemplant l’Evangile, nous voyons apparaître trois points :
• Jésus était en route, il n’était pas installé dans une maison.
• Jésus était avec ses disciples, il n’était pas seul. L’Evangile parle des Douze, des soixante-douze disciples.
• Jésus appelle des hommes et des femmes. Il appelle tout le monde. On voit dans l’Evangile Marie-Madeleine, Lazare avec Marthe et Marie…

Les disciples étaient eux aussi ensemble. Ils suivaient Jésus, ils étaient nombreux, très différents les uns des autres. Ils vivaient une vie fraternelle (oh pas toujours !). Ils étaient disciples : le disciple est à l’école d’un maître. Ils écoutaient, ils apprenaient, ils servaient, ils travaillaient manuellement. Ils étaient disponibles.
Lors de la multiplication des pains, Jésus les associe : « Donnez-leur vous même à manger. » Aux Rameaux, il les envoie préparer la Pâque, chercher l’âne…
C’était une communauté de service. Jésus lui-même servait ; il a servi à table, il a lavé les pieds de ses disciples, il a été diacre avant d’être prêtre.
C’est une communauté itinérante ; les disciples sont disponibles à l’imprévu. Jésus accepte les invitations de tous : Zachée, Simon le Pharisien, Lazare…
Pour être appelant, il faut être soi-même en route, avec une communauté et une communauté en marche.

Du côté des jeunes : il faut les aider à devenir soi-même, homme ou femme. Quels sont les jeunes que nous pouvons accompagner au niveau du premier appel ?
• Des jeunes généreux : ce jeune homme était « riche » ; il se posait des questions sur le sens de sa vie, sur la vie éternelle ; il était riche matériellement. Les jeunes que nous rencontrons sont souvent « riches » en humanité, ce sont « ceux qui en veulent » comme on dit, qui refusent le slogan qui avait fleuri en France en 1968 : « Métro, boulot, dodo ».
• Ils sont ouverts à la recherche de Dieu. Ils ont une certaine maturité humaine et spirituelle.
• Au minimum, il faut devenir homme ou femme. Avant de devenir disciple, il faut sortir de l’individualisme.
Certains temps sont plus favorables à l’émergence des questions sur le sens de la vie, parce qu’on est moins installés, accompagnateurs et accompagnés : ainsi marches, pèlerinages, temps de services, temps forts à Paris, Toronto, Cologne, Loyola…

Dans ce contexte, le jeune homme riche pose une bonne question et appelle Jésus : « Bon Maître ». Il fléchit même le genou devant Jésus. Jésus est un bon accompagnateur. Il ne se laisse pas séduire, il est un bon pédagogue : « Pourquoi dis-tu bon ? » Il ne refuse pas la question, mais reconduit ce jeune au point de départ de sa question à son origine : « Dieu seul est bon. »
Il est important d’accueillir une question, même si elle est encore mal posée. On met toute sa vie pour devenir ce à quoi on est appelé, homme ou femme, fils ou fille de Dieu. Cette étape, qu’on pourrait appeler l’étape zéro, ou d’éducation, ou pédagogique, est très importante, elle mérite qu’on y passe du temps, surtout aujourd’hui, qu’on crée des lieux pour la rendre possible et la favoriser, avant même de parler « religion ».


Devenir disciple

Après ce temps « éducatif » préalable, le travail de l’accompagnement sera d’indiquer un chemin, celui de la tradition dont il vit lui-même, de la rappeler ou de l’enseigner : « Tu connais les commandements. » Jésus rappelle au jeune homme riche la tradition qui est la sienne, celle de la Loi donnée par Dieu à son peuple au Sinaï après la libération d’Egypte. Les jeunes que nous rencontrons sont en principe de tradition chrétienne : leur rappeler « la Loi du Seigneur », c’est leur indiquer le chemin à suivre pour « devenir disciples », un chemin qui n’abolit pas celui du Premier Testament, mais l’accomplit.
Ainsi procède d’abord Jésus. Et le jeune homme répond : « Tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Et Jésus l’aima (Marc 10). Marc est le seul évangéliste à souligner cela. Jésus aime les gens tels qu’ils sont. Il l’aime parce qu’il observe les commandements.

Quels sont ces commandements ?
• la vie : tu ne tueras pas ;
• l’amour authentique entre un homme et une femme (le mariage) : tu ne commettras pas d’adultère ;
• le respect du prochain : tu ne voleras pas, tu ne feras pas de faux témoignage ;
• puis « honore ton père et ta mère » : c’est la relation aux parents, à la famille, à « l’héritage », à la « tradition ».

Quel est le sens de ces commandements ? Avant de passer au Nouveau Testament, il faut entendre le « Premier Testament » (premier plutôt qu’ancien). Accompagner des jeunes, c’est leur « transmettre une tradition ». C’est l’enjeu de l’accompagnement pastoral. Les commandements de la Genèse sont faits pour tous et ils concernent les domaines essentiels de la vie humaine :
• l’amour, la vie affective : « Homme et femme, il les créa. » « Croissez et multipliez. » Cet amour est fécond.
• le travail, la transformation du monde pour le rendre habitable : « Emplissez la terre et soumettez-la. »
• le repos : reposez-vous comme Dieu qui, le septième jour, arrête son œuvre et se repose. Il crée le « sabbat ». Se reposer, c’est se re-poser, poser à nouveau sa vie sur ses fondations, reposer son existence en Dieu : c’est le sens du dimanche, jour de la semaine où l’on va à la messe, on chante, on loue, on dit les psaumes, on peut rencontrer les autres dans la gratuité.
Pour dessiner un visage, il faut trois traits, si on en croit le livre de la Genèse : l’amour, le travail, le repos. Si un seul vient à manquer, le visage est défiguré.

Ces trois domaines sont importants pour la pastorale des jeunes :
• la vie affective, le rapport à l’autre sexe, à la famille, à l’amitié, à la vie relationnelle en somme. Il ne s’agit pas seulement « d’être ensemble », mais de respecter les différences de chacun.
• la vie civique, le travail. Beaucoup de jeunes sont au chômage aujourd’hui et c’est un mal. Le travail avec les autres, pour les autres, avec son lot de souffrances, permet de sortir de l’individualisme, de bâtir la cité, de prendre sa place de « citoyen » (« la politique, une bonne nouvelle », c’est le titre d’une rencontre inventée pour des jeunes ; cf. Jeunes et Vocations n° 117, p. 75-78).
• le rapport à la tradition religieuse : le temps du sabbat, un temps pour louer, remercier, faire la fête, chanter, se reposer. Le dimanche, jour du Seigneur pour Lui rendre grâces dans l’Eucharistie. Aujourd’hui ce n’est pas évident. Le temps du « re-pos » est à retrouver pour nous et pour les jeunes.


Témoigner de la préférence pour Dieu : être apôtre

Mais Jésus va plus loin que la Loi qui pourtant est bonne. Il témoigne de la préférence pour Dieu, pour son Père. Il ne s’agit pas seulement d’être un bon juif, un bon chrétien mais d’aimer Dieu par-dessus tout.
Le jeune homme a observé tous les commandements depuis sa jeunesse et dans la première alliance, il est parfait. Mais il lui manque encore quelque chose : entrer dans la nouvelle alliance que propose Jésus. Jésus vient annoncer la Nouvelle Alliance qui accomplit l’ancienne. Il montre que Dieu est préférable à tout.
• La richesse est un bien dans la Première Alliance. C’est même un signe de bénédiction. Et pourtant, la richesse peut être un empêchement pour entrer dans la Nouvelle Alliance. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Mc 10, 25). Il faut se détacher de la richesse pour aimer Dieu davantage.
• La famille est un bien mais elle n’est pas le bien absolu. Le jeune homme est sans doute trop attaché à sa famille. Il doit se détacher du passé, de son « héritage ».
• L’autonomie, la liberté sont des biens, mais pas des biens absolus. Suivre le Christ, en risquant de perdre sa liberté (c’est le sens de l’obéissance) est mieux.

« Honore ton père et ta mère » : des exégètes ont suggéré que Jésus plaçait ce commandement à la fin car le problème de ce jeune homme était l’attachement à sa famille, à son héritage. Comment honore-t-on ses parents ? Peut-être en les quittant : le jeune homme, la jeune fille quittent leurs parents pour s’attacher à leur conjoint. N’est-ce pas aussi le même chemin, quoi que de façon différente, que doit prendre celui qui veut devenir prêtre ou religieux ? Se détacher de ses parents pour « faire alliance » avec une communauté ecclésiale, religieuse ? « Nous naissons liés, pour nous délier et nous allier » (Marie Balmary).
« Laisse-moi d’abord enterrer mon père » demande un disciple à Jésus. L’attachement affectif à la famille peut être un obstacle majeur. « Va, vends tes biens, donne-les aux pauvres, puis viens et suis-moi. »
La Nouvelle Alliance ouvre à une aventure radicale où l’on part avec d’autres pour une vie nouvelle, celle du disciple qui suit Jésus, puis celle de l’apôtre qui désire le suivre et l’imiter. Le fondement de cette « vocation » est le désir d’aimer Dieu par-dessus tout. Jésus manifeste son amour préférentiel pour Dieu notre Père.
Osons-nous poser la question du sens, du chemin ? Choisis la vie et non pas d’abord « l’état de vie ».
« Que me faut-il pour avoir la vie éternelle ? » Jésus montre sa préférence pour Dieu. « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur n’aura pas de repos tant qu’il ne repose pas en toi » (saint Augustin).

Jésus le redit dans d’autres passages de l’Evangile :
• la parabole du trésor et de la perle ;
« Celui qui aime son père, sa mère, sa femme plus que moi ne peut pas être mon disciple. » Jésus dit cela en s’adressant aux foules. Entrer dans la Nouvelle Alliance suppose des renoncements. Tout amour (filial, conjugal, parental) est bon mais l’amour de Dieu est meilleur et préférable. Une préférence qui nous conduit à nous faire « indifférents » (ce qui ne veut pas dire insensibles) à tout ce qui ne nous conduit pas davantage à notre fin qui est « d’aimer Dieu de tout notre cœur, de tout notre être et de toute notre force » (Dt 6, 4-5). « J’ai rendez-vous avec vous, tout le restant m’indiffère » : c’est la chanson de l’amoureux selon Brassens, et cela nous aide à prendre le mot « indifférent » dans le bons sens.


Signifier la question « du choix de vie »

Après avoir choisi la vie, il faut choisir l’état de vie. Pour bien choisir, il faut retrouver la fin. Saint Ignace de Loyola le rappelle au début de ses Exercices : l’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu et ainsi sauver son âme (son corps aussi, c’est-à-dire tout lui-même). Tant que l’homme ne retrouve pas ce désir fondamental de la fin qui le constitue, il ne lui est pas possible de choisir.

Le jeune homme riche ne peut pas (encore ?) choisir car il n’a pas quitté l’Ancien Testament pour suivre Jésus dans le Nouveau. Il aurait pu sans doute choisir ensuite : se marier comme Zachée ou le premier Simon-Pierre ou devenir « apôtre à plein temps » comme Pierre encore, les Douze ou les soixante-douze.
« Viens, suis-moi » n’implique pas immédiatement l’entrée dans la vie religieuse ou le ministère ordonné. Jésus n’appelle pas tous ses disciples au même « état de vie ». Comme le disait Madeleine Delbrêl, il y a au moins deux sortes d’appels : un pour les gens des maisons, un pour les gens des rues.
A Zachée, Jésus dit : « J’ai besoin de ta maison pour venir chez toi. » Jésus aime s’arrêter dans la maison de Lazare, Marthe et Marie. Mais les « apôtres » quittent tout pour suivre Jésus. Les chemins sont différents : Dieu n’a pas créé le monde en noir et blanc mais en couleurs.

Suivre Jésus

Saint Ignace, dans les Exercices spirituels, fixe le moment de l’élection (ou du choix) au milieu de la retraite. Une retraite de choix de vie dure huit jours. On commence par contempler la vie du Christ afin de mieux le suivre et l’imiter. Les disciples ont longuement suivi le Christ avant de le choisir : en fait, ils ont été choisis (Jn 15). Dans la retraite, l’essentiel est de contempler la vie du Christ depuis l’Annonciation, la vie cachée, la vie publique puis quand la grâce en est donnée, on choisit de répondre à l’appel qu’on a reçu. On peut alors l’offrir, en demander confirmation, puis entrer dans la contemplation du mystère de la Passion et de la Résurrection de Jésus, puis dans le Mystère pascal de la vie ordinaire qui s’ouvre devant soi, comme disciple et apôtre ; il est important aujourd’hui plus que jamais d’apprendre aux jeunes (par différents chemins) à « contempler la vie du Christ » racontée par les Evangiles, et pas seulement à « méditer ».
Sinon, comment choisir ? Pourquoi choisir ? « Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie » ou, comme le dit une autre tradition, la Méthode (odos = route) pour unir la théorie (la Vérité) et la pratique (la Vie). Alors pourra se poser la question sous forme d’alternative : afin de mieux servir Dieu, est-il préférable pour moi de me marier ou de « prendre un bénéfice » (ecclésiastique) ? C’est-à-dire d’entrer dans un état de vie dit « spécifique ». Mais il arrive souvent que nous choisissions d’abord de nous marier ou de devenir prêtre au lieu de mettre en premier notre volonté de servir Dieu. Ce qui est premier, c’est la fin et non les moyens.
Pour bien choisir, il faut donc retrouver le sens de notre vie (louer, respecter et servir Dieu) et ensuite choisir le moyen qui me permettra, à moi, d’atteindre ma fin : le mariage, la vie religieuse, le ministère de prêtre sont des moyens pour servir Dieu. Aucun n’est préférable en soi aux autres.
Si, en dehors d’une retraite, il est bon et méritoire, dit saint Ignace, de louer la vie religieuse et les vœux, pendant la retraite, l’accompagnateur doit laisser le Créateur se communiquer lui-même à sa créature immédiatement, sans influer en rien, en étant « indifférent », en « équilibre » comme les deux plateaux de la balance. C’est Dieu qui fera pencher la balance du côté où il le voudra. Le travail de l’accompagnateur est d’être à l’écoute de Dieu.

L’accompagnateur aidera le jeune à écouter ce que Dieu lui dit dans la prière : il l’aidera à bien poser sa question puis à « recevoir son appel ».
« Il faut que l’œil de notre intention soit simple » (saint Ignace). Tout le début de la retraite consiste à acquérir cet œil simple, en contemplant la vie du Christ. Nul ne peut servir deux Maîtres ! Il arrive que certains veulent d’abord se marier et ensuite servir Dieu. C’est le service de Dieu qui est la fin. D’autres posséder un « bénéfice » et ensuite servir Dieu. C’est la même chose.
C’est pourquoi nous devons d’abord avoir le désir de servir Dieu, ce qui est la fin, et ensuite de nous marier ou de prendre un bénéfice, ce qui est un moyen en vue de la fin.
Rien ne doit donc me pousser à me marier ou à prendre un bénéfice si ce n’est le service de Dieu. Le discernement, c’est la liberté. Si mon intention est simple, alors le choix sera possible. Je pourrai choisir ce qui est « préférable » (« si tu veux » est différent de « il faut »).
Ignace parle pour des personnes (jeunes, mais pas seulement) qui n’ont pas encore choisi un « état de vie », qui sont « indéterminés », se posent des questions. La retraite de « choix de vie » peut les aider à bien les poser, dans le silence et la prière, avec l’aide d’un accompagnateur et si possible avec d’autres jeunes se posant des questions similaires (pédagogie oblige).

Mais, la plupart du temps, avant de faire une retraite de choix de vie le jeune devra faire des marches d’approche, une retraite plus courte (« Tibériade », « Jéricho », « Horeb ») ou cheminer dans la durée de la vie ordinaire avec un groupe de recherche. Cette retraite arrive en fin de parcours. Elle aide à bien poser la question selon Dieu et à se décider.
Rien n’est magique. Il faut respecter les étapes :
• devenir homme ou femme (« accompagnement humain ») ;
• devenir disciple grâce à la catéchèse, aux groupes de recherche, la « transmission » (« accompagnement pastoral ») ;
• devenir apôtre à la suite du Christ, annoncer aux autres la Bonne Nouvelle dans l’état de vie du mariage, du ministère ordonné ou de la vie « consacrée » (religieuse ou non) (accompagnement spirituel).

Il est bon que les jeunes soient d’abord sur une route (et non sur plusieurs) avant de se poser la question. Jésus est un bon accompagnateur. Le jeune homme riche n’a pas besoin de faire une retraite. Jésus lui a montré la route. Plus tard peut-être ?
Les Pères du désert étaient également de bon accompagnateurs. Un jeune s’adresse à l’un d’eux :
– Abba ! Dois-je me marier avec une telle ?
– Si tu l’aimais, tu ne serais pas venu me le demander.
Cela montre l’importance d’une retraite et en même temps sa relativité. Mais cela peut aider in tempore opportuno. C’est en ce sens que nous pouvons aider les Services des Vocations.