L’Esprit Saint : une présence libératrice


Avant de laisser la parole à Cédric, du diocèse d’Angoulême, son évêque, Mgr Claude Dagens, nous partage son expérience à propos de la confirmation. Tout en présentant ce qui, chez les jeunes, permet d’accueillir pleinement aujourd’hui ce sacrement, Mgr Dagens en développe aussi les enjeux pour l’Eglise de France.

Claude DAGENS
Evêque d’Angoulême

C’était le jeudi 4 décembre dernier. J’assistais à la séance publique de l’Académie Française, à cause de la proclamation officielle des Prix, parmi lesquels celui du Cardinal Grente, décerné cette année à la " Lettre aux catholiques de France " et à son principal rédacteur. Je fus heureux de retrouver à cette occasion mon ancien professeur de grec à la Sorbonne, Madame Jacqueline de Romilly. Elle commenta à sa manière le discours sur la vertu prononcé par Jean-Denis Bredin, en disant à peu près : " Il ne faut pas se moquer de la vertu. Sa pratique est aujourd’hui difficile. "

Alors je n’ai pas hésité à prolonger ce dialogue, en évoquant l’Esprit Saint Paraclet, et en expliquant à Madame de Romilly comment j’avais découvert, depuis dix ans que je suis évêque, le sens du terme Paraclet (du grec paracletos), en donnant à des jeunes le sacrement de confirmation. On peut me croire : j’étais profondément heureux, ce soir là, de pouvoir parler, à l’Académie Française, de ma plus grande joie d’évêque, qui ne s’atténue pas avec les années : la joie de pratiquer ce sacrement qui révèle l’attente de jeunes de plus en plus nombreux et de plus en plus désireux de trouver des repères pour vivre, et pour pratiquer, sinon la vertu, du moins la liberté des enfants de Dieu.

L’Esprit Saint et la foi chrétienne du côté de la liberté

Car c’est sur ce terrain élémentaire, fondamental de la liberté humaine que l’Esprit Saint est reçu. Pour la simple raison que beaucoup de ces jeunes doutent de leur liberté personnelle : ils se sentent souvent conditionnés par leur vie familiale difficile ; ils doutent de leur avenir ; ils ruminent les discours inquiets que véhicule l’opinion publique à leur sujet. Demander le sacrement de confirmation est pour eux un acte primordial de liberté et de confiance, surtout s’ils sont portés à la méfiance à l’égard d’eux-mêmes et des autres. Comme ce garçon de 15 ans qui m’écrivait dans sa lettre de demande : " J’ai retenu cette phrase que j’ai lue dans un livre : " Le plus grand bonheur, ce n’est pas de se souvenir, c’est d’oublier ". " Et il ajoutait à cette citation une question personnelle et grave : " Est-on responsable de ce que l’on est ? "

Face à ces questions, à ces doutes, à ces incertitudes, dont tant de jeunes sont porteurs, le don de l’Esprit Saint apparaît comme une force pour vivre et pour aimer la vie, surtout lorsqu’elle est dure ou lorsqu’on craint qu’elle le soit.

Le geste même du sacrement vient concrétiser de façon sensible la confiance que Dieu fait à ces jeunes qui ont besoin de points d’appui pour avancer dans l’existence. En traçant l’onction d’huile sur leur front et en disant à chacun et chacune : " Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu ! ", c’est comme si je faisais entendre ceci, d’une manière personnelle : " Hélène ou Christophe, Antony ou Marie, ne doute pas de toi-même ! Tu es un enfant de Dieu ! Grandis dans sa confiance et va la communiquer à d’autres ! "

La manière dont ce geste sacramentel est reçu m’a fait comprendre, presque de façon sensible, le sens du terme Paraclet : oui, l’Esprit Saint est comme un avocat. Il vient défendre ces jeunes contre ce qui leur fait peur. Il va leur donner confiance dans leur propre liberté. Il va éveiller leur dignité d’enfant de Dieu. Je revois encore cette jeune fille de l’Assistance publique, formée dans un Institut médico-éducatif, et travaillant dans une boulangerie. Le sacrement de confirmation manifestait vraiment tout ce qu’elle portait en elle d’espérance, au milieu de ses blessures. Elle a participé à la célébration avec une attention intense, qui soutenait celle des autres.

Et j’entends encore cette mère de famille qui venait d’assister à la confirmation de son fils, et qui s’interrogeait sur elle-même en se demandant si elle avait été baptisée, elle qui était aussi de l’Assistance publique. Et pour dire à quel point elle percevait l’enjeu des sacrements de l’Église, elle a fait cette remarque superbe : " S’il n’y avait pas l’Église, le monde ne pourrait pas exister ! "

Ce qui s’est passé lors des Journées Mondiales de la Jeunesse ne m’a pas surpris. Depuis dix ans que je pratique le sacrement de confirmation, je mesure à quel point des jeunes cherchent et trouvent dans l’Évangile et dans les gestes sacramentels comme une source de vie et de liberté. Et je sais aussi que des parents sont éveillés ou réveillés à la foi en voyant leurs enfants selon la chair et le sang renaître ainsi de l’Amour de Dieu et de l’Esprit Saint. Dans les années 30, le grand théologien Romano Guardini avait écrit à peu près : " Il se passe aujourd’hui une chose extraordinaire : l’Église s’éveille dans les âmes. " Plaise à Dieu et à l’Esprit Saint que ce miracle s’accomplisse aussi de nos jours !

Mais ce qui est certain et que des jeunes nous révèlent - en tout cas en France - , c’est que la foi chrétienne est perçue désormais comme une expérience de liberté et que l’Esprit Saint est désiré et reçu comme une présence libératrice, comme une force personnelle qui vient soutenir et déployer la liberté personnelle de chaque enfant de Dieu.

L’Esprit Saint et la communion de l’Église

Ces jeunes m’ont aussi appris une autre caractéristique de la condition chrétienne dans la société actuelle. Etre chrétien, se dire chrétien, se réclamer de l’Évangile constitue pour eux un choix, un engagement, une manière de marquer sa différence. D’autant plus qu’autour d’eux, aussi bien dans l’enseignement catholique que dans l’enseignement public, on s’étonne ou on se moque de leur foi : " Comment ? Tu crois à tout cela ?... Encore ? "

Mais je constate que cette expérience assez fréquente du défi de la foi ne rend ces jeunes ni inquiets, ni repliés sur eux-mêmes. Ils comprennent simplement que l’adhésion au Dieu de Jésus-Christ ne s’impose pas de l’extérieur et qu’elle ne peut tenir que de l’intérieur de leur propre engagement.

Cette intériorité de la foi appelle encore davantage le rassemblement des croyants. Ces jeunes sentent assez spontanément qu’ils ne peuvent pas rester seuls : ils ont besoin de se reconnaître, de se parler, de confronter leurs expériences de baptisés et de confirmés.

Et même s’ils sont très attachés à leurs groupes, à leurs rassemblements et à leurs pèlerinages de jeunes, il me semble qu’ils désirent de moins en moins former une planète à part. Ils désirent confronter leurs questions et leurs expériences avec celles des adultes, comme si l’Esprit Saint, qui défend la liberté intérieure, était aussi en eux l’Esprit qui porte à la communion dans la foi et le témoignage. A charge pour les adultes d’entendre les appels dont ces jeunes confirmés sont porteurs pour nous tous.

Premier appel : le terrain de la foi chrétienne ne peut pas être séparé du terrain de l’existence humaine, avec tout ce qui la marque, la blesse et la soutient.

La foi en Jésus Christ mort et ressuscité s’affirme et s’approfondit pour tous en affrontant ces questions de vie et de mort que des jeunes nous adressent, parfois avec véhémence : " Pourquoi vivre ? Pourquoi ne pas se donner la mort ? Pourquoi donner la vie plutôt que de ne pas la donner ? Et à qui faire confiance vraiment ? Où trouver une Vérité et un Amour qui ne trompent pas ? "

C’est aussi à cause de ces questions vitales des jeunes que la Lettre aux catholiques de France appelle tout le peuple chrétien à aller plus résolument et plus solidairement au cœur du mystère de sa foi.

Nous avons tous besoin de nous rencontrer et de nous parler, pas seulement de la pluie et du beau temps, ni même de l’horaire des messes ou de l’âge idéal pour le sacrement de confirmation, mais de nos raisons durables d’aimer la vie, de nous faire confiance les uns aux autres et de nous appuyer sur la confiance du Christ Sauveur. Il y a aujourd’hui des initiatives à prendre avec des jeunes pour se laisser enseigner par l’Esprit Saint et pour rendre compte de l’espérance qui est en nous.

Second appel : celui qui concerne la vie de nos communautés, de nos paroisses, et la célébration de l’Eucharistie.

Nous ne pouvons évidemment pas nous résigner à ce que des jeunes qui n’ont plus peur de se dire chrétiens se tiennent habituellement à l’écart de nos messes, qu’ils trouvent ennuyeuses ou routinières. Mais nous devons aussi entendre leurs requêtes, surtout quand ils nous disent, comme je le lisais l’autre jour dans une lettre : " Je ne vais pas tous les dimanches à la messe. Mais quand j’y vais, je trouve que les participants ont l’air endormis. Ce qui n’est pas normal. Cela devrait être tout le contraire. "

D’autant plus que ces mêmes jeunes, lorsqu’un de leurs camarades vient à mourir d’une façon brutale, n’hésitent pas à se rassembler pour la messe, en sachant très bien qu’ils n’y viennent pas pour oublier ou pour s’éclater, mais pour participer à un événement de Vie et d’Amour plus fort que la mort et que la violence.

Ces jeunes nous mettent tous face à nos responsabilités de baptisés : que faire pour que l’Eucharistie soit proposée et vécue non pas comme le tout de l’Église, mais comme cet acte crucial de l’Église rassemblée, qui fait mémoire de son Seigneur pour devenir son corps vivant au milieu d’un monde qui attend ? Face à cet appel, ne faut-il pas redonner son autre sens au terme Paraclet qui définit l’Esprit Saint : non pas seulement Celui qui défend, mais Celui qui console, c’est-à-dire qui nous rend plus solides que tout ce qui nous détruit et solidaires pour témoigner de cette action ?

Ce ministère de la consolation, ce service permanent de la solidité et de la solidarité chrétiennes est inséparable de l’Eucharistie, qui est elle-même le don du Christ pour que nous devenions solides et solidaires dans son Corps, pour la vie du monde. Je remercie tous ces jeunes qui, depuis dix ans, m’ont appris que, par l’Esprit Saint, Défenseur et Consolateur, la dignité des enfants de Dieu est indissociable de l’Évangile et des sacrements du Christ.

 

" La confirmation c’est la rencontre du prochain, c’est la vie dans un monde libre, avec Dieu. "

Cher Père,

Par cette lettre, j’aimerais prendre contact avec vous avant le but de notre cheminement dans la confirmation.

Tout d’abord, je pense qu’il est nécessaire que je me présente : je m’appelle Cédric, j’ai 16 ans et je fréquente le lycée où s’est formé notre groupe de confirmation. Assez calme de nature, j’adore la lecture et les langues vivantes. Je fais partie d’une équipe du Rosaire mais, malheureusement, cette expérience semble "au point mort", car nos emplois du temps font qu’il nous est difficile de nous retrouver. Il y a deux ans, on m’avait déjà proposé d’être confirmé ; cependant, j’estimais devoir attendre d’être plus mûr, plus conscient de ce que cela impliquait. Aussi ai-je attendu et je réponds donc présent aujourd’hui.

En effet, il me semble que je dois reprendre la promesse de mes parents à mon baptême et m’engager de plain-pied dans l’Église. Non que je considère avoir vécu en "demi chrétien" jusqu’ici, mais je désire y ajouter un serment personnel, qui soit conscient et librement choisi. J’ai donc envie d’être le témoin de Dieu : jusqu’ici, j’ai reçu le témoignage de mes parents, de mes amis... Aujourd’hui, c’est à moi de témoigner, d’aller vers les autres, de dire ce qu’est la Foi.

Pour moi, la confirmation, qui m’a déjà beaucoup apporté par la formation de notre groupe, c’est l’engagement de se comporter en vrai chrétien, de son propre chef. C’est donc vivre la Foi en actes et non plus en mots ou en théorie, comme le dit Saint Jacques. Aussi, j’aimerais être ce chrétien confirmé et agir pour la tolérance, pour l’œcuménisme, ne plus médire, ne plus blesser mon prochain. C’est une tâche difficile, presque surhumaine, cependant, elle vaut la peine d’être tentée : la confirmation c’est la rencontre du prochain, c’est la vie dans un monde libre, avec Dieu.

Ce monde, il n’est pourtant pas très libre : il se bat pour son ethnie en Yougoslavie, pour sa religion en Irlande du Nord ou pour sa race en Afrique du Sud... Aussi, j’aimerais, avec la confirmation, être un point positif, entretenir la lueur d’espoir dans ce monde : en bref, être un enfant de Dieu parmi les enfants de Dieu. Voilà comment j’envisage ma confirmation et surtout mon après-confirmation. Je désire devenir un chrétien actif, adulte, en un mot, être un chrétien vivant et non pas un "tiède", un "fade" ou un poids mort. Certes, le chemin est encore long, mais il faut un début à tout.

En souhaitant vivre avec vous des moments forts.

Cédric