La communauté des Béatitudes


Fernand Sanchez
Communauté des Béatitudes

La Communauté des Béatitudes fait partie de ces communautés nouvelles qui sont nées dans la mouvance du Renouveau charismatique de l’Eglise catholique. Elle s’est développée depuis ces vingt dernières années et a largement dépassé le cadre français dans lequel elle est née. De spiritualité carmélitaine, la vocation première de la communauté est la vie contemplative. Chacun de ses membres vit dans une maison communautaire, donc la totalité de la communauté a un mode de vie communautaire résidentiel.

De cette vocation à la contemplation est né un développement d’accueil dans les maisons puis d’apostolat à l’intérieur de chaque maison, en vue de l’évangélisation à travers les médias et tous les supports : audiovisuels, cassettes, vidéo-cassettes, éditions, livres, revues, CDrom. Puis, toujours dans cette perspective, la communauté a été appelée à s’ouvrir à la demande venant de l’extérieur : "Venez et voyez" mais aussi en sortant et en allant là où les besoins sont les plus criants. La dimension missionnaire comme débordement de la dimension contemplative s’affirme donc de plus en plus.

Ainsi, actuellement, la communauté comporte environ mille deux cents adultes répartis dans soixante-dix maisons sur les cinq continents. L’âge moyen des communautaires est relativement jeune. Ceux qui nous rejoignent viennent de toutes origines ethniques mais aussi sociales. Depuis un certain nombre d’années, la communauté se tourne résolument vers la préservation des vocations des jeunes.

Depuis sa création, la communauté des Béatitudes a toujours été fortement interpellée par l’évangélisation des jeunes.
Si un certain nombre de jeunes qui nous rejoignent viennent de milieu traditionnellement catholique, il en est un bon nombre qui découvrent le Christ en même temps qu’ils découvrent la communauté. Ils viennent à nous parce que quelqu’un de leur entourage leur a dit qu’on pouvait peut-être les aider à résoudre leurs problèmes. En effet, on rencontre de nombreux jeunes qui ont perdu sens à leur vie, de nombreux jeunes qui sont particulièrement blessés par la vie, les déchirures familiales, les ruptures, les séparations. Beaucoup de jeunes sont blessés par de multiples expériences traumatisantes, par des expériences faites trop tôt ; beaucoup se sont lancés dans des fuites en avant, pensant trouver là une solution à leur problématique. Tous ces jeunes sont en recherche, attendent de trouver quelqu’un qui entende leur cri de désespérance, de trouver un lieu chaleureux qui les accueille, un lieu où ils puissent être écoutés sans a priori, où ils puissent tout dire. Ces jeunes cherchent aussi un lieu où ils se sentent aimés, un lieu où ils puissent retrouver le sens de la vie, le sens de la joie, le sens de la fête. Un lieu où ils puissent prendre conscience de tout ce qui les habite et, pourquoi pas, de Dieu .

Ce sont ces besoins qui ont conditionné notre réponse, réponse d’accueil inconditionnel, d’accueil chaleureux, d’accueil écoutant. Il fallait non seulement répondre pour accueillir en vue d’une guérison intérieure, mais il nous est rapidement apparu nécessaire, lorsque cela était possible, de faire de la "prévention" c’est-à-dire des propositions qui permettent de protéger ce qui est en germe. Ainsi, nous avons senti que notre vocation contemplative, notre vocation de vie communautaire forte pouvait répondre à un besoin des jeunes et, tout naturellement, nous nous sommes orientés vers la proposition de cette expérience de vie de prière auprès des jeunes de tout âge.

Mettre l’accent sur la nécessité du développement de la capacité à prier des jeunes...

Nous avons réalisé que la société propose de multiples activités aux jeunes en vue de leur développement humain mais que, parfois, la dimension spirituelle est totalement ignorée et nous rencontrons des jeunes blessés par la vie qui sont souvent amputés de cette dimension essentielle.

Il nous a paru important, en complémentarité avec d’autres types de prises en charge et sans les ignorer, de nous occuper préférentiellement de cette dimension spirituelle de l’être en mettant l’accent sur la nécessité du développement de la capacité à prier des jeunes et ce dès le plus jeune âge. D’autres expériences que la nôtre ont fait la même constatation, par exemple le mouvement des enfants adorateurs.

Parallèlement à ce besoin de prières, il faut répondre aux besoins de mystère et de sacré du jeune enfant sous peine de voir la place libre à toutes les propositions de la télévision ou des autres médias. De la même façon, un peu plus tard, nous sommes responsables de leur fournir des modèles d’identification forts à travers les saints, afin que leur idéal de l’homme ne se construise pas uniquement en fonction de la capacité à dominer par la violence.

Nous avons essayé de toucher des jeunes durant leur enfance et de leur proposer à différentes étapes de leur vie des camps, des sessions, des marches, des pèlerinages où la prière et la vie communautaire ont une place prépondérante à côté d’autres activités éducatives, jeux, travail, rencontres... Puis, plus tard, permettre à des jeunes qui ont une vocation en germe, qui se posent des questions mais n’ont pas encore de réponse, de leur laisser le temps de mûrir ces interrogations. Il nous semble important de la accompagner par exemple à travers une prise en charge (y compris au niveau scolaire) dans le cadre d’une éducation qui leur permette de suivre un cursus normal mais aussi de partager pour partie la vie de prière et de communauté qu’est la nôtre.

Pour ceux plus avancés, qui sont à une étape charnière - par exemple après le bac - nous proposons une ou deux années sabbatiques, années pour le Seigneur. Une des grandes difficultés des jeunes de notre temps est l’engagement, et surtout l’engagement dans le long terme, aussi une proposition sur un an ou deux permet de proposer quelque chose qui est beaucoup plus acceptable et qui permet de faire ce "premier plongeon". En effet, beaucoup de jeunes, après un an en pays de mission, découvrent l’appel qu’ils portent en eux. Pour d’autres encore, c’est la proposition d’un juvénat ou d’une propédeutique qui leur permet de mûrir une vocation plus spécifique par exemple au ministère ordonné.

Il n’y a donc pas un moyen particulier qui permette d’aider les jeunes, mais notre expérience nous montre qu’il faut multiplier les lieux, les abords mais surtout assumer une continuité de prise en charge. Il faut souvent de longues années pour qu’une vocation dont on retrouve quelquefois les racines dès l’âge de neuf, dix ans, puisse s’épanouir dans un contexte porteur. A l’époque des grandes remises en question, elle demande à être protégée et à être enfin portée à maturité, sans que des blessures graves de la vie puissent devenir un obstacle majeur quelquefois définitif.

Les jeunes sont attirés par des groupes qui sont eux-mêmes jeunes. Ils ont besoin d’être touchés par des témoins de leur âge. Quelquefois, un jeune parti en camp, en marche, en pèlerinage en n’étant absolument pas convaincu, revient complètement transformé par le contact avec les autres jeunes et leur témoignage.

Nous avons également constaté combien l’école d’évangélisation, école de formation des jeunes à l’évangélisation, est un lieu où se vivent des événements très forts non seulement à travers l’enseignement que les jeunes reçoivent mais encore et surtout à travers le fait qu’ils sont amenés, après formation, à témoigner auprès d’autres jeunes et bien souvent les premiers évangélisés sont les évangélisateurs eux-mêmes. Les jeunes ont besoin d’évangéliser pour être évangélisés et ils ont besoin de l’être par des jeunes. Cela nous semble important.

L’exigence d’une réponse radicale ne freine pas les jeunes. C’est au contraire la seule chose qui puisse les mobiliser.

Un autre élément de mobilisation des jeunes c’est la proposition qui leur est faite : les jeunes sont disponibles, sensibles et peuvent même être enthousiastes lorsque la proposition est claire, mais également lorsqu’elle est exigeante. Les jeunes d’aujourd’hui - comme ceux de toujours - aiment ce qui est radical. L’expérience a montré que loin de croire que l’exigence d’une réponse radicale puisse freiner les jeunes, c’est au contraire la seule chose qui puisse les mobiliser dans la prise d’engagement. Lorsque ce qu’on leur propose est tiède ou en demi teinte, ils ne perçoivent plus la nécessité de changer de vie, de choisir une vocation, de devoir accepter des renoncements.

La proposition de sens est jugée à l’aune de l’exigence, elle seule les met en route. Il nous semble qu’aujourd’hui cette ouverture, cette disponibilité existent chez les jeunes. Peut-être les éducateurs sont moins audacieux dans leurs propositions que ce que les jeunes attendent. On a peut-être trop dit que les jeunes d’aujourd’hui n’étaient pas aussi capables, étaient plus longtemps adolescents, avaient moins de capacité à renoncer. Peut-être qu’on ose moins présenter le message du Christ de façon forte et que notre approche est devenue une approche trop intellectuelle. Beaucoup de jeunes sont saisis et décident de faire un pas d’engagement non pas après un enseignement pertinent mais, par exemple, au cours d’une liturgie forte, ample dans laquelle ils font une expérience pas intellectuelle mais qui les touche au niveau du coeur et pas simplement au niveau de l’intelligence.

La dimension de la liturgie, comme celle de la prière, comme celle de la vie communautaire, contient une part d’affectivité qu’il ne faut peut-être pas trop négliger. Les jeunes d’aujourd’hui ont besoin de cette chaleur humaine et de cette autre façon de parler à Dieu et d’écouter Dieu. Peut-être avons-nous trop culpabilisé le "senti", et nous sommes-nous trop méfiés des sentiments, de l’affectivité dans le domaine religieux. Les jeunes ont trop souvent compris que l’affectivité devait être réservée au seul domaine de la vie relationnelle en oubliant que la vie de relation à Dieu passe aussi par les sens. Il y a là, au niveau des éducateurs, à reconsidérer un certain nombre de concepts qui nous permettaient de ne pas dissocier les secteurs de la vie de relation humaine et ceux de la relation à Dieu. Il semble que l’ouverture à cette dimension se fait jour actuellement de plus en plus. Peut-être est-ce là un des apports plus spécifiques des communautés nouvelles.

Il nous paraît important, quant à nous, de continuer à travailler assidûment avec tous les Services de Vocations afin de partager nos expériences et de recevoir de l’Eglise cette sagesse et cette compétence que nous n’avons pas encore à cause de notre jeunesse. Vingt ans pour une communauté c’est encore très jeune.

La principale difficulté que nous rencontrons est de dégager des éducateurs qui ont une longue expérience ; il faut plusieurs années de vie en communauté avant de discerner un futur éducateur, puis il faut plusieurs années pour former cet éducateur et nous en sommes au tout début. Nous commençons seulement à avoir maintenant des éducateurs formés qui peuvent avoir une réflexion sur la pédagogie et sur les moyens, qui peuvent analyser. Jusqu’à présent, notre jeunesse, notre audace nous ont permis d’avancer, d’avoir des expériences heureuses et d’autres moins heureuses. Seules la prière et la présence de l’Esprit Saint nous ont permis véritablement d’avancer et d’acquérir cette expérience que maintenant nous commençons à avoir.

Ce que nous avons senti intuitivement, ce que nous avons vécu, nous avons besoin maintenant de le formaliser, de le conceptualiser et il est vrai que nous avons ce désir de rencontre et de partage avec d’autres communautés nouvelles - ce que nous faisons déjà -, mais aussi d’autres lieux d’Eglise et d’autres pédagogies.