Le célibat des prêtres et le célibat dans la vie consacrée


Le frère Eric de Clermont-Tonnerre, dominicain et président de la Conférence des supérieurs majeurs de France, précise la complémentarité et les différences entre le célibat sacerdotal et les célibats religieux..
Une invitation à accueillir, à reconnaître et à servir un don précieux fait à l’Eglise et au monde.

Fr. Eric de Clermont-Tonnerre
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Ces quelques lignes ne forment pas un petit traité sur le célibat dans l’Eglise. D’ailleurs, pour être complet il faudrait parler aussi de tous les célibataires chrétiens qui ne sont ni prêtres, ni religieuses, ni religieux.
Je voudrais, ici, offrir au lecteur quelques réflexions permettant de distinguer le célibat, ou mieux, des célibats dans la vie consacrée, du célibat qui est demandé et choisi pour le ministère presbytéral.

Le prêtre diocésain

• Dans cette même revue, "Jeunes et Vocations", il y a quelques années, un prêtre du diocèse de Meaux, Jean de Montalembert, caractérisait la vocation du prêtre diocésain par ces mots : "Se mettre au service de son évêque pour la charge pastorale qu’il nous confiera et se donner cœur et âme à cette population confiée pour qu’elle s’ouvre au Salut et s’attache à Jésus-Christ". Dans les lignes qui suivent, je m’inspire beaucoup de cet article, qui ne traitait pas directement de la question du célibat des prêtres diocésains mais des caractéristiques propres de leur ministère et de leur spiritualité.

• Ce qui guide l’action du prêtre diocésain, c’est le soin du troupeau qui lui est confié : une population, des gens précis sur un territoire défini. Celui qui répond à l’appel de Dieu et à l’appel de l’Eglise pour devenir prêtre dans un diocèse doit être saisi par le Christ et sa charité pastorale. "Je suis le bon pasteur : je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Le vrai pasteur donne sa vie pour ses brebis." Il y a chez le prêtre diocésain un appel à se conformer au Christ-pasteur qui prend soin d’un troupeau, de tout le troupeau, de toutes les brebis. Doit se développer en lui un cœur pastoral qui s’ouvre à chaque être humain qui compose ce peuple.

Sur le territoire qui lui est confié "toute personne, quelle qu’elle soit, a le droit à sa sollicitude, à sa miséricorde et à l’annonce de l’Evangile" (Jean de Montalembert, "Prêtre diocésain", op. cit. Jeunes et Vocations n° 62, juillet 1991).
Cette population qui lui est confiée est, surtout lorsqu’il est curé d’une paroisse, composée de toutes sortes de personnes : enfants et personnes âgées, couples et célibataires, riches et pauvres, chômeurs, artisans et commerçants...

"Un diocèse est une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le pasteur (...). Chaque évêque à qui a été confié le soin d’une Eglise particulière paît ses brebis au nom du Seigneur" (Décret Christus Dominus sur la charge pastorale des évêques au n° 11 - Concile Vatican II). L’évêque, avec ses collaborateurs, les prêtres - et à un autre titre, les diacres - reçoit la charge pastorale d’une population située dans un environnement géographique, économique, social et culturel. L’évangélisation et l’œuvre de sanctification que le Christ opère par les sacrements de l’Eglise se réalisent concrètement au profit des personnes dans toutes leurs dimensions.

Les prêtres diocésains participent, pour une partie du diocèse, au ministère de l’évêque, successeur des apôtres. C’est à lui que revient, en premier, la charge de rassembler le peuple de Dieu au nom du Christ, de l’enseigner, de le sanctifier et de le gouverner. L’évêque est signe de l’alliance entre le Christ et l’Eglise, qui est l’épouse du Christ. Il porte l’anneau, symbole de la fidélité avec laquelle il doit garder son peuple, l’Eglise, veiller sur lui, donner sa vie pour lui. C’est dans cette charité, dans ce service fidèle du peuple qui lui est confié (qu’il n’a pas choisi) et auquel il doit consacrer toutes ses forces qu’il se sanctifie lui-même par une union intime au Christ "qui a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle".

• Le sens du célibat demandé aux prêtres diocésains dans la discipline de l’Eglise latine est à trouver dans le sens profond du célibat de l’évêque. Celui-ci est, par la consécration épiscopale, tout entier donné au peuple de Dieu et à une Eglise particulière.

A la suite du Christ, et comme lui, il est invité à vivre sa charge pastorale dans un don total, non partagé, de lui-même. Et c’est donc dans un lien profond avec son évêque que le prêtre diocésain trouve sens à son célibat. Car il collabore avec lui, il partage avec lui le souci du troupeau, il agit avec lui et sous son autorité. Pour le peuple qui lui est confié il est invité à ce même don total qui se réalise dans une communion intime au Christ-pasteur qui demeure la source et le principe de l’unité de sa vie.

Dans la vie consacrée

• Les religieuses et les religieux, et plus largement les personnes engagées dans la vie consacrée font l’expérience d’une toute autre sorte d’alliance.

En effet, si le candidat au sacerdoce se propose pour exercer un ministère presbytéral dans l’Eglise, s’il se lie, par obéissance à l’évêque qui le choisit pour participer à sa charge pastorale, la religieuse et le religieux choisissent une forme de vie particulière dans l’Eglise et un groupe de femmes ou d’hommes qui, eux aussi, ont choisi ensemble de vivre selon cette forme de vie.

Le candidat s’engage par obéissance à organiser toute sa vie selon cette forme qui ne se caractérise pas seulement par une tâche (ou des tâches) mais par une manière d’être au Christ, avec des sœurs ou des frères, et dans l’Eglise, au sein du peuple de Dieu.

• Il convient de souligner d’emblée la multiplicité et la diversité de ces formes de vie particulières, de ces manières d’être, des activités et des tâches qui contribuent à l’Evangélisation, au service du peuple de Dieu et à l’avènement du Royaume. La vie consacrée est vécue par des femmes (beaucoup plus nombreuses) et par des hommes, par des prêtres et des non-prêtres. De plus, le terme "vie consacrée" est un terme générique qui désigne des communautés et des instituts fort différents les uns des autres.

On ne choisit pas la vie consacrée. On choisit une forme de vie parmi d’autres, le plus souvent par une sorte de séduction qui peut être signe de l’appel du Seigneur.

Cette forme de vie choisie est déterminée par une règle et/ou des Constitutions qui la précisent, la structurent et l’animent. Elle a un objet principal, des exigences ou observances particulières, une organisation spécifique, des coutumes ; elle s’exprime dans des types précis de communautés ou de regroupements et par des activités, communes ou diversifiées selon les individus, mais toujours caractéristiques du charisme propre de l’Institut.

• Cette forme de vie est choisie par l’individu, même si ce choix doit être ratifié d’une manière ou d’une autre par la communauté ou l’institut qui la reçoit ou par ses représentants. Il y a un discernement à faire pour vérifier qu’un même charisme anime les sœurs ou les frères unis par la même profession et celui ou celle qui demande à mener cette vie-là.

Chez les Frères prêcheurs on utilise, au début du noviciat, une formule un peu curieuse pour signifier au candidat qu’il doit lui-même vérifier que c’est bien cette forme de vie qu’il veut adopter, et que, de son côté, la communauté devra se prononcer sur ses aptitudes à mener cette vie. Voici cette formule : "Au terme de votre année de noviciat, si vos manières de vivre nous plaisent, vous pourrez vous engager par la profession ; sinon, vous êtes libre et nous sommes libres".

Bien sûr, le discernement ne se limite pas à ce qui plaît ou ce qui ne plaît pas. Mais ce qu’indique cette formule, plus profondément, c’est que la religieuse ou le religieux se lie par la profession à une communauté ou à un institut. En quelque sorte il (elle) fait alliance avec un groupe d’hommes (de femmes) et adopte leur genre de vie pour être plus totalement en communion avec le Christ et pour grandir à sa suite, dans l’amour de Dieu et du prochain.

Il entre dans une famille spirituelle qui s’engage vis-à-vis de lui. Cette famille lui donne un soutien réel par la stabilité de sa forme de vie, par les grâces propres qui la caractérisent, par la communion fraternelle qui lie les membres les uns aux autres. Avec l’aide de ses frères (de ses sœurs) il (elle) peut mener avec fidélité le combat de la foi avec le Christ et pour le Christ.

• Le sens du célibat dans la vie consacrée est à trouver dans cette alliance que l’individu fait avec d’autres pour maintenir vivant au cœur de l’Eglise le charisme de l’institut dont ils sont membres et pour poursuivre la mission qui le caractérise. Cette alliance est au service d’une union totale avec le Christ. Le célibat dans la vie consacrée est à mettre en rapport avec la forme de vie choisie qui a sa cohérence interne. Le désir de se donner totalement au Christ "aimé par dessus tout" se traduit concrètement non pas par le célibat seul, mais par la pratique concrète et harmonieuse des conseils évangéliques, d’obéissance de pauvreté et de chasteté, pratique qui structure l’individu et développe en lui l’amour pour lequel il a choisi de donner sa vie.

• Le célibat est vécu dans des situations et des circonstances diverses : vies fortement marquées par la solitude ou au contraire très actives ; travail professionnel ou tâches pastorales ; dans sa région d’origine ou loin de son pays... Il prend des aspects bien différents selon qu’on est une femme ou un homme, un prêtre ou un non-prêtre.

De plus, il y a des formes de vie consacrée qui ne comportent pas la vie communautaire. Pensons à certains instituts séculiers, aux vierges consacrées ou aux ermites. C’est pourquoi je me suis permis de donner comme titre à cet article : le célibat du prêtre diocésain et les célibats dans la vie consacrée.

Certes, il y a des points communs au sein de la vie consacrée malgré ses formes multiples et diverses. Il y a aussi des points communs entre le célibat du prêtre diocésain et celui qui est vécu par les personnes consacrées, en particulier, bien sûr, les religieux-prêtres. Reste que le sens du célibat n’est pas le même selon la place que l’on occupe dans l’Eglise et la société, les fonctions que l’on exerce ou que l’on n’exerce pas, les tâches qui sont confiées.

Le Père Xavier Thévenot rappelle souvent qu’il n’y a pas un sens au célibat chrétien, mais de multiples sens. En effet, les modes de vie et les formes de vie orientent l’individu dans le don de lui-même. Et chacun dans son aventure personnelle et en communion avec ses frères ou ses confrères trouve, par le Christ, avec lui et en lui, sa manière d’aimer et d’être au service des autres.

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Sans doute d’autres que moi auraient abordé ce sujet très différemment. J’ai essayé d’exprimer au mieux ce qui, d’emblée, distingue les célibats dans la vie consacrée du célibat du prêtre diocésain. Le choix du célibat ne peut être fait que si l’individu lui donne sens en fonction de la vie qu’il devra mener et des responsabilités qu’il devra assumer.

Il n’est pas bon que l’homme soit seul - le célibataire chrétien quel qu’il soit ne peut donner sens à son célibat et bien l’assumer que s’il découvre la fécondité en terme de communion, d’unité, d’alliance.

Le célibat du prêtre diocésain est marqué par le sacrement de l’Eucharistie où le Christ ne cesse de façonner son Eglise, de l’unir à lui en rassemblant dans la communion les baptisés.

Le célibat du religieux et de la religieuse se vit au cœur d’une communion fraternelle qui fait du frère et de la sœur des êtres de communion au service de "l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain".

Et c’est en mesurant mieux ce qui nous distingue, en s’émerveillant des chemins différents pris par d’autres que nous apprenons la caractère particulier spécifique de notre propre chemin. Et ces découvertes bienfaisantes sont, elles aussi, source de communion, dans le service du même Royaume.