Ce que Dieu choisit


Est-il possible de reconnaître ceux et celles que Dieu appelle, souvent en secret ? Comment les aider à se rendre disponibles à ses appels ?
Cette troisième et dernière intervention du cardinal Danneels a été donnée le jeundi 24 octobre après-midi dans les sanctuaires de Lourdes.

Cardinal Danneels

Troisième conférence

Dans notre dernier exposé, nous avons brossé un tableau des conditions météorologiques dans lesquelles nous vivons. C’est vrai, elles sont négatives. Quand il pleut, il pleut. Nous sommes sous la pluie. Il faut donc prendre son imperméable. Mais il ne faut pas se décourager.
Nous allons maintenant regarder d’un peu plus près la personne de celui ou celle qui est appelé, aussi bien le prêtre ou la religieuse que le laïc engagé qui suit ses v ?ux de baptême jusqu’à un certain degré de radicalité. Nous allons voir un peu plus en détail, en miniature, si vous voulez, ce qu’est l’appel de Dieu et ce qu’il signifie.

Le meilleur moyen pour se rendre compte de ce qui se passe dans la tête et le coeur d’un jeune, ou d’un moins jeune, appelé à la radicalité évangélique, c’est de se regarder un peu soi-même, en tant que prêtre, diacre, religieux, religieuse, consacré, laïc engagé. En d’autres termes, nous avons tous quelque chose d’un peu particulier dans notre âme et notre c ?ur que nous allons retrouver chez beaucoup d’autres. Tous ne disent pas oui, mais il ne faudrait pas croire que cette typologie du candidat, du disciple de Jésus, n’existe plus. Regardons donc un peu comment nous-mêmes, nous avons été appelés.

Comme le missile, l’appel de Dieu est muni d’une tête chercheuse qui cherche les sources de chaleur et se dirige irrésistiblement vers ces sources pour les toucher. Depuis vingt siècles et même depuis beaucoup plus longtemps, l’appel de Dieu cherche dans l’âme et le c ?ur de l’homme pareil foyer de chaleur. Essayons de retrouver les traces de cette source de chaleur qui attire l’appel de Dieu. L’appel de Dieu est adressé à tous, mais cet appel trouve dans quelques-uns et quelques-unes, ce que j’appellerais son correspondant, son poste d’écoute, sa source de chaleur.

Une première source de chaleur qui attire l’appel de Dieu dans le c ?ur de l’homme, c’est une certaine sensibilité pour l’Evangile. Je vous ai dit que certaines personnes, lorsqu’elles entendent une parole évangélique, se mettent à vibrer. Nous avons tous senti cela un jour, sinon nous ne serions pas ici. Une certaine sensibilité pour des choses qui laissent souvent d’autres plus ou moins indifférents - du moins à première vue - ; un certain goût pour la fraîcheur des paroles de Jésus, pour certaines p ?•h---.-+­-

L’émerveillement fait des disciples,
la curiosité fait des exégètes

Je parle ici d’une sensibilité un peu spéciale pour les paroles évangéliques. En effet, beaucoup de gens sont touchés l’une ou l’autre fois par l’Evangile. Même les incroyants. Peu échappent à la beauté de la figure de Jésus, de ce qu’il a dit et de ce qu’il a fait. Un innocent assassiné, martyrisé, quel qu’il soit, suscite toujours l’amour des hommes, et Jésus en est un. Mais il doit y avoir quelque chose de plus. C’est ce que j’appellerai le fait de pouvoir aller au-delà du texte pour rencontrer la personne de Jésus. Cela signifie que ce texte n’est plus seulement un texte, mais que nous le percevons comme une parole dite dans une relation interpersonnelle entre le moi et Jésus. D’autres peuvent être frappés par la beauté de la parole évangélique, mais frappés seulement jusqu’à devenir curieux : "Qu’est-ce qu’il a dit, cet homme-là ?". La curiosité est l’attitude du scientifique, du chirurgien, de celui qui analyse. Elle mène en général non à l’admiration et à la prière, mais à l’analyse. On dissèque le texte. C’est ainsi que procèdent les exégètes vis-à-vis de l’Ecriture : Menés par la curiosité, ils travaillent au scalpel. C’est un travail nécessaire dans l’Eglise. Mais il est tout à fait insuffisant.

D’autres passent pour ainsi dire à travers le texte pour apercevoir une personne qui leur dit quelque chose. Tout se transforme alors en un dialogue qui n’est plus de la curiosité mais de l’émerveillement. L’émerveillement fait des disciples, la curiosité des exégètes. Il faut se ranger dans l’une des deux catégories. Le disciple, lui, s’émerveille. Il voit derrière le texte de l’Evangile Jésus qui lui parle et qui l’interpelle. Voilà une première source de chaleur qui attire la tête chercheuse. Beaucoup plus de gens que nous le pensons ont cette sensibilité-là.

Une deuxième source de chaleur qui attire le missile, ou si vous préférez, la flèche, c’est un certain goût de l’intériorité, du silence, de la prière. Il y a dans le genre humain, des personnes qui ont comme une sorte de virus que d’autres ne semblent pas avoir de la même manière : le virus du silence. Il y en a d’autres qui ont exactement le virus contraire : le virus du bruit. Très souvent on n’y peut rien. C’est pourquoi lorsque l’on possède cette source de chaleur, le virus du silence, on peut seulement rendre grâce. Il n’y a certainement pas de quoi devenir fier ou s’enorgueillir : on l’a reçu ou pas reçu ! Certains ont reçu le virus du silence, de la prière, de l’intériorité. De nos jours, il y en a beaucoup plus que nous ne le pensons. Les hôtelleries des abbayes sont archi-pleines et pas uniquement parce que les vacances y sont moins chères ! Parce qu’on veut quelque chose que les moines semblent avoir, quelque chose d’aussi précieux que l’eau pure et fraîche : le silence. Quand on a ce don-là, il se pourrait bien que Dieu appelle. Mais attention, il s’agit d’une intériorité, d’un virus du silence qui n’est pas celui du "cocooning", qui ne paralyse pas, qui ne rend pas paresseux. Ce virus nous demande de nous arrêter pour reprendre le chemin ensuite. Car il existe aussi une pathologie du virus du silence et de l’intériorité qui est simplement un cocooning spirituel. Il faut ne pas céder à cette tentation, car le danger existe. Je me souviens que, dans ma jeunesse, lorsque j’ai été appelé moi-même, le modèle du disciple qu’on nous proposait était le pilote et l’alpiniste. C’était Guy de Larigaudie, Gorgio Frassati et d’autres qui escaladaient les montagnes. Ils étaient des héros. Le modèle du disciple c’était l’alpiniste. Aujourd’hui, le disciple risque de devenir quelqu’un qui est blotti dans la chaleur d’un nid, à l’ombre d’un clocher, dans une belle petite église romane, genre San Damiano. Il ne faut pas y succomber. Mais il demeure vrai que d’avoir le virus du silence et de l’intériorité est un immese cadeau qu’on trouve chez beaucoup.

Une troisième source de chaleur qui attire l’appel de Dieu, qui est un terrain d’atterrissage favorable, c’est une tendance à se réjouir intérieurement - tendance que nous avons tous, je crois jusqu’à un certain point - lorsqu’on entend parler de choses dont on parle généralement peu dans les médias. Intérieurement nous nous réjouissons et nous nous disons, sans le dire à haute voix : "Voilà ce que je devrais et que je voudrais entendre plus souvent". Une certaine envie d’entendre parler à la radio, à la télévision, dans les moyens de communication, dans les médias, dans la conversation même, de certaines choses qu’on ne dit pas ou qu’on ne dit que très rarement. Une envie aussi de s’entendre poser des questions, car notre temps n’est pas un temps de questions : il est surtout un temps de réponses. Si je me plais à écouter des choses qui sont rarement dites à haute voix, peut-être que Dieu appelle.

Quatrième point d’ancrage où l’appel de Dieu, peut s’accrocher : c’est lorsqu’on découvre en soi, sans aucun mérite, un c ?ur porté à la compassion, au sens étymologique du terme compassion : souffrir avec. Non pas "pitié" au sens mièvre du terme. C’est plutôt au sens que je ne peux pas accepter que des gens soient dans le malheur et souffrent. Alors je veux les aider, souvent dans le plus grand secret, en étant même un peu honteux à l’idée qu’on puisse le savoir, car il se pourrait que je sois naïf ou du moins que je paraisse tel.

Un coeur porté à la compassion ou compatissant, parce qu’on veut donner à d’autres qui souffrent le meilleur de soi-même, tout en faisant de temps à autre des actes absolument gratuits, naïfs, inadaptés aux yeux du monde. Je me rappelle encore, il y a trente ou quarante ans, j’étais jeune prêtre et j’allais donner des conférences dans mon diocèse en hiver, devant des salles pratiquement vides, à 40 ou 50 km de chez moi. Le soir, en rentrant au grand séminaire où j’enseignais, je passais pas très loin de chez mes parents. Je savais que mon père regardait la télévision jusqu’à minuit. J’entrais un moment. Et ma mère me disait : "D’où viens-tu, par ce froid de canard ?", et je répondais : "Je viens de tel endroit ?" - "Il y avait du monde ?" - "Non, pas un chat. Si, il y avait une dizaine de chats, pas plus !" - "Mais tu es fou de faire cela" me disait-elle. Tout de suite après, elle ajoutait : "Mais les fous verront Dieu !". Je ne sais pas où ma mère avait été chercher cette neuvième Béatitude, mais elle est exacte ! Il y a certaines sources de chaleurs qui attirent l’appel de Dieu. Avoir un c ?ur compatissant jusqu’au point de faire des choses même pas très raisonnables. Je crois que si on ne fait que du raisonnable, Dieu, en nous jugeant à notre mort, dira : "Tu as été très raisonnable mais tu n’es pas un saint parce que les saints ne sont pas raisonnables. Ecoute, entre quand même, il y a beaucoup de place chez moi."

Avoir de la compassion, et pas uniquement pour les gens qui, sont malheureux physiquement, les malades, par exemple, les pauvres, les marginaux, les exclus, mais aussi pour une catégorie de gens malheureux qui méritent la compassion au moins autant qu’eux. Ce sont ceux qui souffrent de maladies psychiques, de dépressions. Il y en a des centaines de milliers à l’heure actuelle. Ils sont souvent peu connus. Et il est beaucoup plus dur de les accompagner du fait qu’ils demandent énormément de temps. Vous pouvez en accompagner un pendant dix, quinze ans, rien ne change. Il faut leur consacrer énormément de temps parce qu’ils répètent toujours la même chose et qu’il n’y a pas de progrès apparent. Ils ont consulté tous les médecins, vont d’un psychiatre à l’autre. C’est qu’après six mois, le psychiatre leur dit "Madame ou Monsieur, j’ai un collègue plus spécialisé que moi dans le mal qui est le vôtre" ; et le voilà le pauvre envoyé chez un autre spécialiste qui, au bout de quelques mois, devra faire la même chose. Finalement, ils aboutissent chez le prêtre, chez nous où il n’y a pas de remboursement par la Sécurité Sociale, où les consultations sont gratuites. Voilà une compassion pour des pauvres que j’appelle pauvres dans leur âme. Plus profondément encore, il y a la compassion pour les pécheurs, eux qui, souvent sous des dehors d’orgueil ou de bravade, tout en déclarant "Dieu ? C’est fini !", souffrent les tourments de l’enfer dès ici bas. Ils voudraient en sortir mais ils ne le peuvent pas.

Jésus a eu ces sentiments. Il avait un c ?ur compatissant pour les malades, pour les possédés de plusieurs espèces, sans doute depuis les épileptiques jusqu’aux véritables possédés, pour les pécheurs. Si nous avons ces compassions en nous-même, c’est un immense cadeau que le Seigneur nous a fait. Ces formes de compassions avec ceux qui souffrent, avec les petits, les pécheurs et les malades, sont probablement des indices que Dieu a un projet sur ceux qu’elles habitent. Il faut sans doute déterminer ce projet, mais ce sont là des disciples qui appartiennent à un cercle plus intime. Dans l’Evangile, il y a trois cercles autour de Jésus : il y a les Douze, il y a les soixante-douze et il y a les foules, comme dit Luc. Ceux-là appartiennent au moins au deuxième cercle, celui des soixante-douze.

Une cinquième source de chaleur qui attire la tête chercheuse, c’est la sensibilité à ce que j’appellerai les valeurs typiquement évangéliques. Car il y a des valeurs que nous avons en commun avec l’humanité tout entière, par exemple la justice, la solidarité, la fraternité, l’égalité, la liberté, les droits de l’homme, la paix ? Mais il y a aussi d’autres valeurs dans l’Evangile celles dont il est question dans les chapitres 5, 6 et 7 de Matthieu - le Sermon sur la montagne - et qui sont la pauvreté, la miséricorde, la prière pour les ennemis, la prière continuelle, l’aumône - qui donne de la main droite sans que la main gauche le sache -, la patience, la pureté du c ?ur, la joie dans la persécution ? ces valeurs qu’aimait St François d’Assise. Tout ce à quoi nous attachons de l’importance n’en a aucune pour François. Tout ce à quoi nous n’attachons pas d’importance en avait beaucoup pour François. Il était aux antipodes de nos préoccupations habituelles, mais il restait profondément humain. Savez-vous que, quelques heures avant sa mort, il envoyait un petit billet à la dame Jacqueline chez laquelle il logeait toujours quand il rendait visite au pape : "Si tu veux me voir, viens vite parce que c’est la fin. Et apporte-moi un linge pour m’ensevelir, quatre bougies pour ma veillée de mort et une coupe de ces amandes que j’aime tellement et que tu faisais toujours". Il faut être un grand saint pour dire ces choses-là, pour avouer quelques heures avant sa mort qu’on désire des amandes.

Il nous faut viser un profil un peu plus haut.
Sinon à quoi servons-nous ?

Oui, il nous faut être sensible à toutes ces valeurs typiquement évangéliques. Parce que très souvent de nos jours nous adoptons le profil bas, nous attachons surtout de l’importance à ce que nous avons en commun avec le monde, le monde dans le bon sens du terme ; et c’est bien. Mais il faut aussi que nous attachions de l’importance à ce que en quoi nous nous démarquons par rapport au monde. Il nous faut viser un profil un peu plus haut. Sinon à quoi servons-nous ? Nous n’avons plus aucune originalité. Comme je l’ai déjà dit, l’Eglise devient alors une association philanthropique, une UNICEF spirituelle.

Là où le monde prétend qu’il faut avoir de l’argent pour vivre, ce qui n’est pas faux, on peut être attiré par la non-possession ; là où le monde dit : "Aimez le prestige", on peut n’attacher aucune importance au prestige ; là où le monde dit : "Mariez-vous", tout en respectant les autres et en appréciant beaucoup cette forme de vie, on peut voir quelque chose de beau dans la virginité, le célibat pouvant être un "plus" que certains reçoivent. La sensibilité aux valeurs typiquement évangéliques et pas seulement aux valeurs que nous avons en commun avec le reste du monde, est un terrain d’atterrissage pour l’appel de Dieu. C’est si beau de voir des jeunes, et il y en a, qui tout à coup sont fascinés par la pauvreté, la sobriété, la virginité.

Je connais un pauvre garçon, fils d’avocat, qui, à peine terminé le lycée, il y a quinze ans de cela, est allé vivre seul dans un bois, quelque part dans les Ardennes, et a commencé à construire une petite église et un petit couvent pour lui tout seul, en attendant que d’autres viennent mais pas spécialement pour qu’ils viennent. Il a vécu ainsi pendant dix ans au moins sans voir quelqu’un venir. Beaucoup de monde venait le dimanche, aux vêpres qu’il chantait seul. Il distribuait ensuite du pain et de la viande qu’il recevait des gens des environs, de sorte que le lundi matin il n’avait plus rien pour lui-même ; et il donnait des enseignements. J’ai assisté plusieurs fois à ces enseignements. Il n’y avait rien de spécial, c’était d’une grande naïveté se retrouvant comme St François, dans les bois, au dehors. Puis tout à coup, il y a eu des garçons qui sont venus, un, cinq, huit et ils sont restés auprès de lui, qui n’avait rien d’un fondateur. Il a été ordonné prêtre voici cinq ans, parce que nous avons très fort insisté auprès de son évêque. Il l’a été sans même faire de théologie, parce qu’il n’en était pas fort capable. Il me disait l’autre jour : "J’ai dix frères et un âne". Le jour des Rameaux, il organise dans le village une procession avec son âne sur lequel il assied le plus petit enfant capable de se tenir sur l’âne. C’est Jésus ! C’est d’une naïveté extraordinaire. C’est un Saint François. Quand il vient me rendre visite, deux fois par an, qu’est-ce qu’il m’apporte ? Un pain qu’il a cuit lui-même et, la dernière fois, cinq ?ufs dont deux s’étaient cassés durant le voyage en auto-stop. Les nombreuses personnes qui passent le voir en été, le dimanche après midi, viennent de tous bords.

Autre point sensible à l’appel de Dieu, l’insouciance devant la question : "Où est-ce que tout cela va me mener ?". L’absence de calcul en d’autres mots. Si bien que, parfois, il est bon qu’il y ai à côté de ce genre de personnes quelqu’un qui garde un peu les pieds sur terre. Le bon sens, il faut que ce soit l’accompagnateur qui l’ait. L’accompagné, s’il a trop de bon sens, n’ira nulle part. Mais il faut quelqu’un à côté de lui. L’audace du risque ! Contrairement à ceux qui veulent des assurances contre tout et pour tout, qui veulent être sûrs de tout avant d’agir : ils calculent, sont raisonnables et intelligents, ils ont du bon sens mais que du bon sens. Si je me sens à l’aise, dans cette absence de calcul, si j’estime pouvoir me risquer, il y a un feu qui s’allume et qui peut me mener loin.

Autre élément : découvrir en soi tout à coup l’amour de l’Eglise. Aimer l’Eglise en un temps où l’on dit tant de mal d’elle et où moi-même, évêque, j’aperçois en elle bien des fautes, bien des choses dont je souffre et qui font que je peux parfois devenir dur vis-à-vis d’elle. Mais je ne peux pas me passer de l’Eglise. Je suis un peu envers elle comme on peut l’être envers ses parents quand ils vivent encore. Les parents, en tout cas les miens qui étaient de très braves gens, m’ont fait souffrir avec leurs petites manies. Bien sûr, lorsqu’ils meurent, on dit : "Papa avait peut-être raison malgré tout".

Je me rappelle encore cette anecdote. Mon père était instituteur. A midi, il rentrait toujours plus tard que moi de l’école parce qu’il avait accompagné les enfants dans la rue qui était dangereuse. Il rentrait une dizaine de minutes après moi. Le facteur avait apporté le journal dans le courant de la matinée. Je le prenais et regardais tout de suite la bande dessinée ou les sports ; je devais avoir neuf, dix ans. Puis, je repliais le journal et le mettais devant son assiette de mon père. Il rentrait et il disait : "Qui a touché à mon journal ?" . C’est qu’une fois qu’on a ouvert un journal, on ne peut plus jamais le replier parfaitement, parce que cela se remarque. Je lui réponds : "Moi". J’étais d’ailleurs le seul de mes frères et s ?urs à savoir lire à ce moment-là. "Hé bien, écoute, me disait-il, ce journal, je le paie. Je le veux donc intact !". Dans mon for intérieur d’enfant de 10 ans, je me disais : "Il est tout de même mesquin ! Quand je serai grand et que j’aurai un journal, tout le monde pourra le lire".

Quelques années plus tard, j’enseignais dans un séminaire où nous étions cinq ou six professeurs. Un matin, le portier avait mis comme d’habitude les journaux sur la table du petit déjeuner. C’étaient d’ailleurs tous les mêmes journaux ! J’entre dans la salle à manger et qu’est-ce que je vois ? Qui a touché à mon journal ? Je me fâche, intérieurement, parce que devant ses collègues on ne se fâche pas ! Je commettais la même faute que mon père, mais intérieurement. Lui il l’avait dit ! Papa avait raison : on ne touche pas à un journal quand ce n’est pas le sien !

Par rapport à l’Eglise il en va très souvent de même. On finit par attraper toutes ses manies et maladies. Comme disait ce propriétaire de chiens : "Je finis par attraper tous ses tics !". Mais je ne peux pas me passer de l’Eglise parce que tout ce que j’ai, je l’ai reçu d’elle : l’Ecriture, le sacerdoce, l’épiscopat, les gens, les fidèles. En quoi serais-je crédible, si l’Eglise n’était pas derrière moi ? En rien. Quand on a cet amour de l’Eglise, même quand elle fait des choses qui ne sont pas tellement intéressantes, même quand on connaît un peu les trucs de cuisine et de cuisinier, on ne peut pas s’en passer. Comme disait l’abbé Portal, ce lazariste français qui, avec le cardinal Mercier et Lord Halifax, fut l’un des premiers à avoir entamé des conversations entre catholiques et anglicans dans les années vingt : "L’Eglise, il faut s’y asseoir, il faut y aller à l’Eglise, il faut la porter sur ses épaules, il faut aussi de temps en temps la supporter", et c’est vrai. Quand l’Eglise est mal aimée, à tort ou à raison, ça me fait mal ?.

Un autre terrain d’atterrissage : la disposition à admettre facilement ses torts et à les avouer spontanément. Quand je ne peux jamais, ou à grand’peine, dire que j’ai mal fait, que j’ai commis une faute, quand ça me coûte trop de me confesser, de faire l’aveu de mes fautes, il y a quelque chose qui ne va pas. Surtout, ne nous rangeons pas parmi ceux qui disent :"Je me suis trompé, mais je n’ai pas péché." Ce qui se fait régulièrement presque toujours, actuellement : on réduit - réduire au sens technique du terme - ses péchés à une erreur, ce qui signifie qu’on n’en est pas responsable. Quand, par inadvertance, je laisse la porte ouverte, qu’il y a un courant d’air et que quelqu’un attrape un rhume, ce n’est pas un péché c’est une erreur : on peut la réparer en fermant la porte ! Le péché, c’est vraiment plus qu’une erreur, c’est de la mauvaise volonté.

Et le pardon est plus qu’une psychothérapie. Je veux bien admettre que certains criminels soient psychopathes, mais pas tous. Ils ont besoin d’autre chose que du psychologue ou du psychiatre, même si, parfois, ils en ont besoin aussi. Ne réduisons pas le péché à l’erreur, ni le pardon dans la confession au traitement psychologique, ni le criminel au psychopathe ni le prêtre à un psychiatre.

C’est un mythe que de penser et de dire que les jeunes n’aiment pas se confesser.
Personne n’aime se confesser

La générosité avec laquelle je peux dire que j’ai mal fait, que je le regrette et que je m’en repens est, peut-être l’un des points les plus forts de l’appel. Car nous sommes tous un peu dans le cas de Lévi-Matthieu. Or là, Jésus a fait une chose inacceptable. Passe encore qu’il appelle le pauvre Pierre (pécheur et pêcheur), après la pêche miraculeuse, mais qu’il appelle le pécheur en plein milieu de son péché, pendant qu’il est en train de recevoir les impôts et de tromper le peuple au nom de l’occupant romain, c’est un peu fort tout de même. Or, il a appelé Matthieu en plein exercice de son péché.

Le sens du péché et du pardon, le bonheur d’avoir reçu le pardon et la facilité, la spontanéité, la générosité avec laquelle on dit "Je suis un pauvre pécheur, ayez pitié de moi", est un signe d’appel. C’est pourquoi, dans les services des vocations, il est si important de donner sa place au sacrement de réconciliation.

C’est un mythe que de penser et de dire que les jeunes n’aiment pas se confesser. Personne n’aime se confesser. Il faut plutôt dire qu’ils ne veulent pas. Au contraire, quand on les y amène simplement, c’est, pour certains, une véritable libération. Le ministère de la confession et de la réconciliation dans des camps de jeunes, lors de pèlerinages ou de marches de jeunes, est d’une extrême importance pour le service vocationnel. Pourquoi ? Parce que là, devant Dieu qui écoute ce que j’ai fait de mal et qui pardonne, on ne peut pas jouer la comédie. Là, l’homme est vraiment ramené à sa taille initiale de pauvre pécheur. En toute autre occasion, on peut dire de belles choses, on peut jouer la comédie. Mais devant Dieu, comme pécheur, je ne peux pas jouer la comédie. L’homme est le plus sincère quand il est en confession. Les jeunes ne sont pas contre la confession, c’est même une libération pour eux, mais nous leur en parlons très peu parce que nous pensons empiéter sur leur conscience, les utiliser et les manipuler. Soyons tranquille, aucun jeune ne se laisse plus manipuler de nos jours par la religion. Par autre chose, oui, par la religion, non. Aucun jeune ne va tomber dans le piège. S’ils viennent, c’est parce qu’ils veulent venir. Il y a une grande beauté dans l’homme qui dit : "Seigneur aie pitié de moi".

Regardons notre propre prière. A côté de beaucoup de prières de demande, "Seigneur donne-moi ceci ou cela ?", nous avons de temps en temps aussi une prière de louange : "Je te bénis, je te loue, je te rends grâce". Mais quelle est la proportion de prières de pardon, combien de fois disons-nous : "Seigneur ayez pitié de moi, pauvre pécheur" ? Très rarement. Certes à chaque messe, il y a "Kyrie Eleison", mais nous chantons ces mots à la manière un concerto imposé. Ce n’est pas le morceau que nous avons choisi nous-même. Pouvoir admettre facilement ses erreurs, ses torts et ses péchés, avouer que je ne suis qu’un pauvre petit homme et que j’ai fait mal, voilà certainement une source de chaleur que l’appel de Dieu recherche en particulier, et qui est de très grande importance dans le service vocationnel.

 

Seulement il convient d’apprendre aux jeunes à se confesser parce qu’ils ne sont pas contre la chose, ils sont démunis, ils ne savent pas comment s’y prendre. A un bambin de quatre ans, qui venait à la suite de son frère de huit ans, venu se confesser, je demandais : "Qu’est-ce que tu viens faire ?" - "Je viens faire ce que mon frère vient de faire" - "Et c’est quoi ?" - "Je ne sais pas". Je lui ai expliqué un petit peu, et il a reçu l’absolution avant sa première communion. Il était tout à fait prêt, mais il fallait lui expliquer.

Les différentes dispositions que nous venons d’énumérer,
comment pouvons-nous les favoriser dans le sens d’une vocation, d’un appel ?

• Première chose. Si un jeune ressent un appel, il faut l’inviter à ne pas rester seul. L’inviter à rejoindre d’autres personnes qui regardent les même étoiles au firmament pour se guider, qui ont une même sensibilité. Si un jeune reste seul avec sa lampe à huile allumée, celle-ci va s’éteindre, car un chrétien, et en particulier un jeune chrétien, qui reste seul aujourd’hui est en danger de mort. On ne peut pas vivre seul. Que ceux et celles qui ont une vocation, quelle qu’elle soit, y compris une vocation de laïc engagé, se regroupent, qu’ils se rassemblent pour prier, pour réfléchir, pour lire l’Evangile ensemble, pour s’encourager mutuellement, pour vivre les sacrements de la réconciliation et de l’Eucharistie. Nous sommes si isolés dans le monde. Si nous nous intéressons à Dieu et à l’Evangile, nous ne pouvons pas tenir seul.

Essayons de former des petits groupes de deux, trois, quatre jeunes, avec un accompagnateur. A la rigueur un seul mais avec un accompagnateur. Ne jamais rester seul : on serait en danger de mort, car les valeurs évangéliques sont beaucoup trop fragiles. Beaucoup de jeunes ressentent ce que je viens de dire jusqu’à maintenant, mais ils restent isolés ou ne sont pas accompagnés. Or la Bible déjà nous avertit : "Malheur à celui qui reste seul".

• Deuxième élément : parler à quelqu’un, chercher de l’aide chez quelqu’un qui est un peu plus âgé et qui peut m’aider. Il ne faut pas nécessairement que ce soit un prêtre, ça peut l’être, et peut-être de préférence. Mais il faut voir qui est là. Il est inutile de rêver à un prêtre accompagnateur qui ne serait pas là. Prenez alors quelqu’un d’autre, mais qui est là. D’ailleurs, les prêtres sont tellement occupés que, lorsqu’on va chez eux, il y a au moins quatre coups de téléphone pendant la conversation, si ce n’est pas le sacristain qui vient demander la clé de la salle paroissiale ! Comment voulez-vous qu’il y ait une conversation sérieuse ? C’est le drame de beaucoup de prêtres.

Choisir donc un prêtre, de préférence. Non pas parce que le prêtre est plus saint, mais parce qu’il a été formé pour aider les autres et pour discerner ce que Dieu veut de moi . De toute façon, il faut quelqu’un à côté de moi. Si je n’ai que moi-même, je serai toujours d’accord avec moi-même bien sûr, et je ne serai pas guidé, ou bien alors je vais me décourager. Un interlocuteur, il en faut un. Car il est absolument nécessaire qu’on parle de l’appel perçu à quelqu’un : en effet tous les grands sentiments et émotions intérieurs ne s’épanouissent, ne deviennent mûrs que lorsqu’ils sortent des lèvres. On peut avoir un énorme repentir de ses péchés à l’intérieur de son c ?ur. Aussi longtemps qu’on n’a pas dit de la bouche et des lèvres qu’on a péché, le repentir reste fragile. Quand des enfants jouent quelque part dans une pièce et que, dans la pièce d’à côté, la maman entend tout à coup un vase qui se casse, elle entre et dit : "Qui a fait ça ?". Personne ne dit rien. Alors tous contre le mur, en rang d’oignons :"C’est toi ?" - "Non" - "C’est toi ?" -"Non" - "C’est toi ?" - "Oui". Quand le coupable se met-il à pleurer ? Quand il a dit "Oui". Quand un criminel, un malfaiteur, un assassin commence-t-il à pleurer dans le bureau de l’enquêteur ? Quand il a dit "Oui, c’est moi". L’aveu exprimé par la bouche est extrêmement important.

Il en va de même pour les vocations. Tant qu’on n’en a pas parlé à quelqu’un, tout reste ouvert, on ne s’est dévoilé à personne. La parole est un signe que le fruit a mûri et qu’il est tombé de l’arbre, parce qu’elle a pris assez de poids. Ce n’est qu’à partir du moment où la chose a été dite à quelqu’un, qu’elle commence à mûrir : il faut donc en parler, et il faut quelqu’un à qui en parler ; un accompagnateur ou, en tout cas, un poste d’écoute. Le long des autoroutes, en Belgique, il y a tous les deux kilomètres un poste d’écoute d’où on peut atteindre la gendarmerie ou un garagiste - pas la tante Euphrasie évidemment -. Quand on est en panne dans l’âme, il n’y a pas de poste d’écoute, ou très peu. A Bruxelles il reste l’un ou l’autre capucin dans une église de Pères ; toutes les autres sont fermées. Faciliter la parole, offrir un poste d’écoute, c’est un peu notre devoir à nous qui nous occupons de servir les vocations.

• Troisième élément quand on ressent quelque peu l’appel : il faut se mouiller. Ça veut dire qu’il ne faut pas rester éternellement sans faire un pas. Le pas c’est souvent aller en parler à quelqu’un, mais de toute façon il faut faire un pas. Faire un pas réel : entrer ou sortir, prendre sa bicyclette ou son téléphone, convenir d’un rendez-vous avec quelqu’un. C’est déjà énorme que faire un pas.

• Un quatrième élément, c’est d’aller voir. Aucune vocation n’arrive à un degré sérieux de maturité à force de dépliants et de publications uniquement. Je ne dis pas qu’il n’en faut pas, mais, pour le moment, il y a partout et dans tous les domaines, des dépliants à volonté. Nos dépliants sur les vocations figurent dans cette profusion comme noyés dans l’océan et, de toute façon, ils ne peuvent pas faire concurrence aux couleurs et photos des magazines. Je ne dis pas qu’il n’en faut pas, puisqu’un dépliant peut, au moins, donner une adresse ou un numéro de téléphone. Mais la chose qui importe vraiment, c’est d’aller voir soi-même quelque part des prêtres, des religieux, des laïcs engagés, des catéchistes.

Aller voir, c’est la pédagogie de Jésus. Lorsqu’il appelle ses deux premiers disciples (probablement Jean et André), ils lui demandèrent : "Maître où habites-tu ?" Jésus ne donne pas son adresse ni son numéro de téléphone, il dit : "Venez voir". Ils voient et ils restent. L’événement l’a tellement frappé que Jean se rappelle encore l’heure : quatre heures de l’après-midi. Le lendemain, ils rencontrent Pierre. Un peu plus tard, Philippe rencontre Nathanaël et lui donne un "dépliant". Il lui dit : "Celui dont parlent Moïse et les prophètes, nous l’avons trouvé, le Messie, Jésus de Nazareth". Résultat du "dépliant", Nathanaël dit : "Qu’est-ce qui peut venir de bien de Nazareth ?" Alors Philippe applique la même politique, la même pédagogie que Jésus. Il dit : "Viens voir". Nathanaël vient voir et Jésus lui dit : " Mais je t’ai vu sous ton figuier, là." Et Nathanaël, le sceptique, qui ne se fiait pas du tout au dépliant, dit alors : "Oui Seigneur, tu es le Messie, le fils de Dieu". C’est sans doute exagéré, parce que je ne vois pas comment il a pu dire ça tout de suite. L’évangéliste a vraisemblablement embelli l’expression pour souligner la méthode pour se convertir, pour devenir apôtre : "Aller voir." Et aujourd’hui, c’est par exemple aller voir dans une abbaye, aller voir des mamans catéchistes, aller voir chez des jeunes en recherche, aller voir dans un séminaire, aller voir dans un noviciat, aller voir dans un sanctuaire ? ce qui s’y passe.

• Dernier élément lorsque nous parlons de vocation, et en particulier de vocation de prêtre out de consacré, c’est la nécessité de définir de façon sérieuse et précise ce qu’est un prêtre, ce qu’est un ou une consacrée. En d’autres termes, on ne peut pas rester indéfiniment dans le flou. Or il y a un grand flou sur ce qu’est le prêtre, le consacré, la consacrée. Comme dit St Paul, si la trompette donne un son incertain, personne ne va prendre les armes pour aller à la bataille. Si nous ne disons pas ce que fait le prêtre et surtout ce qu’il est, personne ne va plus devenir prêtre, c’est évident.

Il faut donc pouvoir définir tranquillement, sereinement, sans polémiques, qui est le prêtre : il annonce l’Evangile, il célèbre les sacrements, il est le berger de la communauté. Faut-il être prêtre pour cela ? Annoncer la Parole, tout le monde peut le faire ; pour célébrer la liturgie, certains laïcs sont de bien meilleurs animateurs que le prêtre, à vrai dire il y a des prêtres qui sont de piètres animateurs, qui n’animent pas du tout, qui désaniment plutôt de temps à autre. Et pour ce qui est de prendre la direction d’une communauté, il y a certes des laïcs qui, d’un point de vue humain et psychologique, sont meilleurs.

Alors pourquoi un prêtre ? Parce que le prêtre n’est pas un orateur ; il parle très souvent moins bien que d’autres. Il est un prédicateur. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que lorsqu’il est en communion avec les évêques et l’Eglise tout entière, il a un mandat et une garantie de Jésus derrière lui. Cela ne garantit pas l’éloquence mais bien l’authenticité du message. Le prêtre peut être aussi un pauvre animateur, mais ce n’est pas animateur du message qu’il est, mais célébrant. Sa mission n’est pas d’animer une liturgie, c’est de rendre présents sur l’autel le corps et le sang de Jésus et le pardon de Dieu pour les hommes. Non par ses propres forces mais parce qu’il va en puiser l’énergie ailleurs, dans le Christ. Dans ces conditions, il peut être un pauvre animateur du point de vue anthropologique. Le prêtre, enfin, n’est pas le chef de la communauté, il en est le berger, c’est tout à fait autre chose. Le berger peut être un pauvre homme, mais il donne sa vie pour ses brebis. Il faut oser le dire. Parfois, des laïcs me disent : "Je comprends, bien mais vous mettez-vous pas le prêtre sur un piédestal ?" - "Oh que non, je me connais suffisamment moi-même ! Le prêtre n’est pas meilleur, il est autre".


Il est temps que nous parlions vocations et que nous invitions.
Nous devons être prêts à essuyer un non

Il faut aussi de même définir le sens de la consécration religieuse, chose très floue et très peu perçue. Or, ce qu’on peut faire de plus beau dans ce monde, c’est d’offrir sa vie, son âme, son corps, son intelligence, sa volonté, sa fantaisie, sa générosité, de tout offrir à Dieu en sacrifice spirituel. Voilà ce qu’est la profession religieuse : s’offrir comme disciple du Christ qui l’imite de tout près, radicalement. En ce sens le ou la consacrée a sa place plus haut que le prêtre dans le Royaume. Les consacrés ne sont pas au service du ministère sacerdotal ; c’est ce ministère qui est au service des consacrés. En pratique, mais en apparence seulement, c’est parfois exactement l’inverse, quand c’est la religieuse en paroisse qui sert le prêtre dans sa maison. Elle peut le faire, bien sûr, mais ce qu’elle fait intérieurement, offrir sa vie, c’est le but de tout sacerdoce.

Les consacrés resteront consacrés pour toute l’éternité, les prêtres ne sont pas prêtres pour toujours, puisque "C’est le Christ qui est seul prêtre depuis toujours et pour toujours". Le prêtre cesse d’être prêtre le jour de sa mort. Lorsqu’après notre mort il n’y aura plus de gens à sanctifier, qui sanctifierons-nous encore ? Le sacerdoce est provisoire, la consécration ne l’est pas. Il y a une consécration baptismale qui est l’essence même de tout ce que nous faisons comme chrétiens, et il y a une consécration plus radicale, dans la ligne du baptême d’ailleurs, qui est la consécration religieuse. Nous devons définir clairement tout cela pour que les jeunes connaissent et la beauté du sacerdoce ministériel et la beauté de la vie consacrée.

Ce qu’il faut absolument c’est que, nous tous, prêtres, laïcs, nous osions parler à des jeunes de vocations, de toutes les vocations et ce, dans un dialogue inter-personnel. Nous nous taisons beaucoup trop à ce sujet, attendant qu’ils se présentent comme ça, presque automatiquement. Il est temps que nous en parlions et que nous invitions. Nous devons être prêts à essuyer un non. Mais nous n’osons pas en parler, parce que nous pensons que ce sera non ; et nous nous sentons nous-même un peu mal à l’aise dans ce contexte. Il est normal que quelqu’un dise non. Le jeune homme riche a dit non à Jésus. Mais, de grâce, parlons-en ! Et que mes collègues et évêques, eux aussi, en parlent de temps à autre. J’ai l’impression qu’eux-mêmes sont complexés, qu’ils n’osent pas en parler, et inviter les gens à en parler à leurs jeunes et moins jeunes.

Attendons-nous donc que des jeunes viennent après avoir regardé des dépliants, des émissions religieuses, des vidéos, des publications, des affiches ? Rien ne vaut la parole personnelle et inter-personnelle, l’appel inter-personnel. Jésus ne s’est pas servi de dépliants. Un jeune, l’autre jour, me disait : "Dieu n’est pas très intelligent" - "Pourquoi ?" - "Réfléchissez, il envoie son fils il y a deux mille ans, en Palestine. Pour diffuser son message ses disciples ont dû traverser la Méditerranée, puis les océans pendant des siècles, et le message n’est pas encore parvenu partout sur la terre. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas attendu l’époque de l’Internet ? Cela aurait été fait tout de suite ! Le soir on saurait déjà su en Australie qui est Jésus, avec tout le message de sa vie". Il ne faut pas s’imaginer que la diffusion du message en serait devenue plus efficace ! Internet n’aurait rien arrangé. Il faut un contact personnel comme Jésus l’a fait avec ses disciples. Question vocations, il en va un peu comme l’oiseau dans ce beau poème de Prévert : "Comment attraper un oiseau ?" Prévert dit à peu près ceci : vous peignez une cage avec de belles couleurs, vous ouvrez la porte de la cage peinte, vous l’attachez à un arbre, vous vous cachez derrière un autre arbre, et vous attendez que l’oiseau entre dans la cage ; puis vous fermez doucement la porte et vous aurez l’oiseau. Nous faisons la même chose pour les vocations. Nous peignons une cage, nous nous cachons derrière un arbre et nous pensons : "Une fois qu’il sera dedans, nous fermerons la porte et nous l’aurons." Voilà comment nous agissons, avec tous nos complexes.

Pour conclure tout ce que je viens de dire aujourd’hui, il n’y a qu’une phrase : nous parlons trop peu des vocations au cours de dialogues inter-personnels. Nous écrivons beaucoup, nous publions, nous imprimons ; tout cela est bon et indispensable, mais en écrivant, en publiant, en imprimant, en faisant des affiches, en organisant des réunions, nous ne nous mouillons pas entièrement. On ne se mouille entièrement que lorsqu’on a dit à un jeune : "Ecoute, as-tu déjà pensé à ça ?" - "Non, je ne veux pas" - "Bien", et on peut être triste comme Jésus est triste. Ou bien la réponse sera : "Qu’est-ce que je dois faire ?" - "Hé bien, parlons-en un peu".


Grille de travail
A partir de la troisième conférence du cardinal Danneels

• Au point de départ, sommes-nous capables de repérer chez nous, adultes engagés dans l’Eglise, comment Dieu nous a appelés d’une manière particulière au service de l’Eglise et du monde ?

• Parmi les différents "points d’ancrage" cités, quels sont ceux que nous repérons assez facilement chez les jeunes que nous rencontrons ? Assez difficilement ?
D’autres points d’ancrage ?

• En examinant nos manières d’accueillir et d’orienter un jeune dans son cheminement, sommes-nous attentifs à le mettre en équipe avec d’autres (dimension ecclésiale du discernement), à lui proposer un accompagnement spirituel (maturation personnelle), à lui donner les moyens de découvrir et d’expérimenter une rencontre en profondeur avec le Christ (expérience spirituelle), à poser peu à peu des choix et engagements précis (mise en oeuvre de sa liberté) ?

• Comment parlons-nous des différentes vocations (prêtre, religieux, religieuse, consacré(e) ?
Sommes-nous suffisamment précis et en lien avec ce qui se vit dans l’Eglise ?