Où en est le diaconat en France, 40 ans après son renouveau ?


Alain Desjonquères
diacre du diocèse de Paris,
secrétaire du Comité National du Diaconat


Restauré dans l’Eglise comme un ordre permanent par la constitution Lumen Gentium (1964) puis par le Motu Proprio de Paul VI Sacrum diaconatus ordinem (1967), le diaconat, tout en se référant à des pratiques ecclésiales anciennes, est encore une réalité nouvelle. Or, le processus d’innovation dans l’Eglise est fortement différent de ce à quoi on assiste généralement dans les institutions de la vie civile. Comme le rappelait Mgr André Vingt-Trois, nouvel archevêque de Paris, au moment de sa prise de fonction : « Dans l’Eglise, on ne procède jamais par définitions qu’on appliquerait par la suite ; on pose des définitions sur une réalité expérimentée. »

Etant moi-même, depuis 1992, diacre du diocèse de Paris, j’ai été mis en octobre 2000 à la disposition de la Conférence des Evêques de France comme secrétaire du Comité National du Diaconat. A ce titre, j’ai reçu la mission de Mgr Hippolyte Simon – archevêque de Clermont et, à cette époque, évêque accompagnateur du diaconat – de réaliser une étude ayant pour objectif d’apporter des éclairages sur la vie concrète des diacres. Mgr Simon précisait sa question en ces termes : « Quelle est, quelle peut être la place des diacres dans la proposition de la foi aujourd’hui ? » On reconnaîtra dans ces termes l’écho de la Lettre des évêques aux catholiques de France, publiée à la fin de 1996.
Il se trouvait que, jeune retraité, j’avais dans ma vie professionnelle de consultant indépendant, beaucoup pratiqué ce type de recherche, allant sur le terrain pour faire remonter aux dirigeants d’organisations diverses, aussi bien publiques que privées, ce qui se passait réellement et en tirer, avec eux, un certain nombre de conséquences. Toutefois, il était précisé que je ne devais pas travailler seul, mais soumettre ce que je recueillerais, aussi bien aux évêques qui accepteraient que l’étude soit menée dans leur diocèse, qu’à l’ensemble des membres du Comité National.
La recherche à conduire avait un caractère exploratoire. Je n’avais donc pas à établir un questionnaire détaillé, mais je devais partir de l’unique question qui m’avait été posée. De plus, il était essentiel de ne pas se contenter de recueillir ce que les diacres pourraient dire de leur expérience, mais il fallait écouter aussi ce que ceux qui les voient vivre ont à en dire, en premier lieu leurs épouses, mais aussi les prêtres, les laïcs, les religieuses. Il fallait également tenir compte de l’opinion de ceux qui se disent eux-mêmes éloignés de l’Eglise.
Concrètement, il n’était pas possible d’aller dans tous les diocèses de France. La solution a consisté à choisir, avec l’accord des évêques concernés, quinze diocèses aussi divers que possible (1) : du nord au midi, de l’est à l’ouest, diocèses urbains, ruraux, maritimes ou de banlieue, traditions et histoires variées, populations d’importances diverses. Au total, près de cinq cents personnes ont été rencontrées en entretiens individuels ou en petits groupes, dont plus de cent cinquante diacres, une centaine d’épouses, un nombre à peu près équivalent de prêtres et de laïcs. Généralement, l’évêque de chaque diocèse visité a également accepté de donner son point de vue.
Ce travail d’enquête, puis de décantation des résultats a pris plus de trois ans. Les résultats en ont été présentés à la Commission Episcopale des Ministères Ordonnés (CEMIOR) en juin 2004.

Quels sont les principaux résultats de ce travail ?
A l’écoute des diacres et de ceux qui les voient vivre, il apparaît que toute approche utilitaire, du type : « A quoi sert le diacre ? » est insuffisante pour caractériser le rôle et la place des diacres. De même, il faut souligner que la double approche négative, « ni sous-prêtre, ni super-laïc », n’apporte aucune lumière sur la question.
C’est au niveau du signe, du sens que prend le diacre dans le monde et dans l’Eglise que peuvent être apportés des éléments de réponse. Ces résultats de l’étude, je les développerai en deux points :
  • le diacre, signe de la charité du Christ pour le monde,
  • le diacre, signe pour et dans l’Eglise.
J’essaierai, à partir de là, de dégager quelques conclusions à partir de ce que j’ai vu et entendu sur le terrain.



Le diacre, signe de la charité du Christ pour le monde

Le diacre est marqué par sa double appartenance à l’Eglise et à la société des hommes

Il est d’Eglise, marqué par le sacrement de l’ordre. Ceux qui l’approchent, croyants ou non, ne s’y trompent pas. Ils le soulignent : sa parole engage l’Eglise.
Et cependant, le diacre mène la vie ordinaire, celle de la plupart des personnes qui l’entourent. Il est marié (à près de 90 %), a une famille et souvent les mêmes soucis familiaux que ses voisins ou collègues. Il a une profession, des responsabilités professionnelles, associatives, syndicales. Il est repéré dans son environnement géographique et relationnel.
Notons-le, de façon majoritaire – même s’il y a des exceptions – l’ordination d’hommes mariés et engagés dans la vie est perçue favorablement. « Je ne partage pas ta foi, mais je suis fier que ton Eglise t’ait choisi comme diacre. C’est le signe qu’elle s’intéresse à des gens comme nous. »
Cette double, voire triple appartenance, si l’on considère le « trépied » famille-profession-Eglise, pose aux diacres la question délicate de réaliser l’unité de leur vie. A cette unité contribue, pour une large part, le rôle attentif des épouses, dont tous les diacres soulignent l’importance dans le discernement des priorités. L’unité de la vie trouve d’ailleurs habituellement sa source dans une intensification de la vie de prière et de l’intimité avec le Christ.


Le diacre est un « ministre de proximité »

Il est perçu par son environnement familial, professionnel et relationnel comme le visage proche de l’Eglise. Les échos recueillis sont concordants, cette perception est particulièrement nette chez des personnes qui n’ont pas de relation régulière avec l’Eglise ou, même, qui se disent incroyantes. L’expérience commune des diacres est qu’ils sont souvent interpellés sur les événements, le sens de la vie, les positions de l’Eglise. Des demandes leur sont présentées par leur entourage de baptiser, de marier, de célébrer des obsèques. Ils reçoivent bien souvent des confidences de souffrances lourdes à porter. Parfois, ces échanges s’approfondissent dans un dialogue susceptible de déboucher sur une proposition de la foi.
Cette proximité engage les diacres à une attitude d’accueil et d’écoute de ce qui se vit autour d’eux. C’est souvent dans les moments les plus inattendus que les demandes ou les sollicitations se présentent et beaucoup notent l’importance de l’imprévu dans leur vie.
Les diacres ont ainsi le sentiment très fort de constituer un pont entre l’Eglise et la société des hommes. C’est ce qui est souvent formulé dans l’expression du diacre « ministre du seuil » ou encore du diacre « ambassadeur de l’Eglise vers la société et de la société vers l’Eglise ». Certains préfèrent employer des expressions voisines : ministre « au seuil » ou « ministre de l’aller et retour ».


Le diacre exprime, par le service, la charité du Christ

Bien évidemment, le diacre n’a pas le monopole du service. Mais il a acquis, dans le cheminement avant son ordination, la conviction qu’il est ordonné pour le service, à l’exemple du Christ « qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir ». Ce service, les diacres s’efforcent de le vivre dans toute leur vie quotidienne. Ils le vivent également dans la mission reçue de leur évêque.
Les missions confiées aux diacres sont essentiellement diverses, mais il est possible de les regrouper en trois domaines majeurs, que sont le monde des pauvres, ceux qui sont loin de l’Eglise et les lieux où se prépare l’avenir des hommes.
Il convient sur ce point de souligner le lien fort entre les missions que reçoivent les diacres et les priorités pastorales des différents diocèses, elles-mêmes très liées aux caractéristiques des populations. Le ministère des diacres est, de fait, très en relation avec la dimension diocésaine de chaque Eglise particulière.



Le diacre signe pour et dans l’Eglise

Deux aspects retiendront ici notre attention. Vivant la même vie que ceux qui les entourent, confrontés aux mêmes difficultés, les diacres s’efforcent, avec la grâce de leur ordination, d’y apporter des réponses de foi. Citons-en quelques exemples.
Face à l’agitation, à la dispersion, aux multiples sollicitations d’un emploi du temps dans lequel doivent prendre place la famille, le métier et l’engagement ecclésial, les diacres vivent souvent dans la sérénité et témoignent ainsi d’une belle unité dans leur vie.
Sans pour autant nier les difficultés qui peuvent exister, tenant au fait que seul l’homme est ordonné, beaucoup de diacres et d’épouses soulignent la richesse renforcée, depuis l’ordination, de leur vie conjugale et familiale. Ils apprennent, parfois après un cheminement difficile, le jeu, au sein du couple, de l’alliance et de la différence et grandissent dans l’unité. Beaucoup de diacres aiment insister sur ce qu’ils doivent à leur épouse dans leur ministère : « L’Esprit Saint me parle par mon épouse. »
N’oublions pas le témoignage des diacres qui se sont engagés au célibat. La pauvreté affective, qu’ils ont acceptée, leur permet de rejoindre les plus pauvres ou les plus isolés. Leur vie est marquée par une très grande disponibilité. Dans un monde tenté par le « zapping », leur vie est, d’une façon différente du témoignage de fidélité de ceux qui sont mariés, signe de la valeur d’un engagement pour la vie.
Il faudrait encore souligner la fraternité qui, de façon absolument générale, unit les diacres et transcende tout ce qui a tendance habituellement à opposer les hommes : âges, cultures, origines sociales, opinions politiques, sensibilités ecclésiales. Cette fraternité se manifeste notamment dans les rencontres entre diacres et épouses avec leur évêque, mais aussi dans l’entraide en cas de problème de santé ou de chômage.
Enfin, de nombreux échos recueillis marquent la volonté des diacres et des épouses de mettre la paix partout où ils vivent, aussi bien dans la société que dans l’Eglise.

La présence des diacres est une invitation faite à chacun de se situer en Eglise selon sa vocation propre. Il faut le reconnaître, la présence des diacres dérange souvent. Beaucoup de chrétiens – et même de prêtres – s’interrogent à leur sujet : à quoi servent-ils, quelle est leur place, que peut-on leur demander ? Beaucoup ont encore en tête une vision très hiérarchisée de l’Eglise ou se réfèrent à des schémas d’organisation empruntés au monde des entreprises ou des grandes administrations.
Mais il ne manque pas de prêtres ou d’évêques pour noter précisément que l’un des charismes du diaconat est sans doute de déranger. Chacun, dans l’Eglise, doit trouver sa place, non pas à côté ou contre les autres, mais dans une vision théologique particulièrement mise en valeur par le Concile où tous, dans la diversité de leurs vocations, sont membres d’un même corps.
Ainsi, les identités du prêtre et du diacre peuvent s’éclairer mutuellement. Le prêtre vient de l’extérieur. Il est le signe du Christ qui vient vers la communauté pour la rassembler. Il est le ministre de l’unité. Le diacre est pour une large part, envoyé là où il est déjà. Il va vers la diversité des hommes. Chacun est, à sa façon, signe pour l’Eglise, selon la formule employée par un prêtre, en présence d’un diacre avec lequel il collabore au sein d’une équipe pastorale de la santé : « Je suis prêtre pour que toute l’Eglise soit sacerdotale, il est diacre pour que toute l’Eglise soit servante. »
De même, un évêque déclarait : « J’ai besoin de prêtres pour rassembler, j’ai besoin de diacres pour aller partout. »
Symétriquement, le Concile a souligné que tout chrétien a, par son baptême, mission d’annoncer l’Evangile. Il peut, dans certains cas, exister des tensions, certains laïcs qui ont reçu des lettres de mission, par exemple dans la pastorale des funérailles, craignant de se voir « coiffés » par les diacres. Cependant, les diacres, lorsque la question des rapports avec les laïcs engagés est abordée, notent leur souci de travailler avec les laïcs, d’initier, de promouvoir et de fuir toute tentation de pouvoir.



Quelques réflexions en guise de conclusion

Au terme du travail effectué, il paraît possible d’avancer quelques constats.
Après 40 ans d’existence, le diaconat semble avoir trouvé une vitesse de croisière. Tous les diocèses de France ont maintenant des diacres. Même s’il existe des nuances sensibles entre eux, une pratique s’est établie partout concernant l’appel, le cheminement, la formation. A fin 2004, l’effectif des diacres ayant un ministère dans notre pays approche les 2 000.
Pour l’essentiel, et même si tout n’est pas parfait car les diacres sont des hommes, on peut dire que le diaconat, tel qu’il existe aujourd’hui, est conforme à ce que les évêques de France ont souhaité, lorsqu’en 1970, ils ont marqué leur désir d’ordonner des diacres « qui quotidiennement au contact des hommes, grâce à leur situation familiale et professionnelle, puissent, en pleine vie, témoigner du service que le peuple de Dieu doit rendre aux hommes à l’exemple du Christ ».
De même, le vœu exprimé par la Conférence épiscopale, de diacres « joignant, dans un unique ministère, le service de la liturgie, de la parole et de la charité », constitue la règle de conduite d’une majorité de diacres parmi ceux qui ont été rencontrés. Ce qui est généralement considéré comme une dérive, à savoir d’un côté, le « diacre vicaire », totalement accaparé par un fonctionnement institutionnel, et de l’autre, le diacre simple « militant social », reste exceptionnel.
Il faut souligner que le visage du diaconat en France est très lié à la situation de l’Eglise dans notre pays, marquée fortement par une histoire tumultueuse des relations Eglise-Etat et par l’accent mis sur la laïcité. D’autres pays occidentaux comme les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Italie, qui n’ont pas la même histoire, connaissent, au moins pour une part, des diacres davantage engagés dans l’institution ecclésiale ou même chargés d’enseigner la théologie dans des organisations d’Eglise ou dans des universités d’Etat. Dans le contexte français qui est très particulier, le diaconat a, modestement mais très réellement, une dimension missionnaire.
A peine quarante ans d’existence, c’est très court pour que le diaconat ait pleinement trouvé sa place. Toutes les communautés chrétiennes n’ont pas de diacres. Dans les lieux d’Eglise où il est présent, l’accueil qui lui est fait est variable, souvent très bon, parfois moins. Un risque existe qu’habitué à sa présence, on ne voit plus ce qu’il représente. Tout un travail, qui demandera du temps reste à faire. Parler des diacres n’a aucun intérêt, s’il s’agit de vanter leurs qualités ou leurs mérites. L’important est la question qu’ils posent à tous les chrétiens : quelle place, en fidélité au Christ qui s’est fait serviteur, tient dans leur vie, le service des hommes ?

Il faut noter enfin que des chantiers, croisant l’approche des évêques, des théologiens, de tous ceux qui concourent à la formation, avec les éléments résultant de l’expérience, sont à poursuivre, notamment pour citer quelques-uns parmi les principaux :
  • Comment mieux articuler dans l’Eglise, le ministère des diacres, avec celui des autres ministres ordonnés et avec la place des laïcs ?
  • Comment adapter davantage la formation des diacres au caractère spécifique de leur ministère ainsi qu’aux contraintes tenant à leur emploi du temps et à leur niveau, très hétérogène, de formation générale ?
  • Comment accompagner, de façon à la fois souple et proche, les diacres et leurs épouses, non seulement avant l’ordination, mais encore tout au long de leur vie ?

Notes :
(1) Beauvais, Carcassonne, chambéry-Maurienne-Tarentaise, Clermont, Langres, Lille, Luçon, Marseille, Mission de France, Nice, Poitiers, Rodez, Saint-Denis, Strasbourg, Tours.