La Maison Saint Gilles à Caen


Par Marie-Noëlle BOUCHAERT

Située 33 place Reine Mathilde à Caen, une maison a ouvert ses portes en septembre 1995. Des jeunes gens y partagent une vie communautaire tout en poursuivant leur études ou leur travail. De quoi s’agit-il ? Partage d’une expérience. Pourquoi à Caen ?

Caen, préfecture du Calvados, est une ville universitaire : trois campus (le troisième étant en construction), pour trente mille étudiants, et quelques quinze lycées sur l’agglomération. Centre économique régional, elle compte dans la population de nombreux jeunes. Depuis vingt-cinq ans, les trois diocèses bas-normands ont également installé dans cette ville le Séminaire inter diocésain et le Centre d’Etudes Théologiques.

"Soyons autant de Jean-Baptiste auprès des jeunes, capables d’indiquer Jésus-Christ afin qu’il pose son regard d’amour et invite des jeunes à Le suivre", ainsi parlait Mgr Pican, évêque de Bayeux et Lisieux, lors de l’inauguration de la Maison Saint-Gilles. Le chemin de vie proposé par Jésus-Christ est toujours d’actualité. Dans un contexte socioculturel moins porteur en notre pays et en cette fin du XXème siècle, l’Eglise a peut-être à le signifier de façon plus audacieuse...
Alors ? Innovons !...

Comment ce projet est-il né ?

Gestation

L’équipe diocésaine du Service des Vocations mûrit le projet. En 1992, le responsable diocésain participe à la rencontre des Foyers-Séminaires à Nevers. Petit à petit, un projet de Foyer s’élabore. Début 1993, un laïc permanent en pastorale exprime le souhait de changer de mission, pourquoi pas cette future Maison ? Un prêtre diocésain est nommé accompagnateur du projet.

A proximité du centre ville, se trouve un bâtiment construit au début du XVIIIème siècle pour accueillir les hôtes de prestige de l’abbaye aux Dames. Accolé au chevet de l’église abbatiale du XIème siècle, ce logis communique directement avec celle-ci. Les siècles ont passé. Les bâtiments de l’abbaye ont abrité un Hôtel-Dieu puis un hospice et le logis abbatial, les religieuses au service de ces derniers. L’abbatiale devient l’église de la paroisse St-Gilles . En 1984 : fermeture des lieux pour cause d’insalubrité.
L’abbaye, côté nord de l’église, est restaurée pour accueillir le Conseil Régional. Côté sud, le logis abbatial, propriété du diocèse, attend une nouvelle attribution. Ce sera la Maison Saint-Gilles. Les travaux de rénovation peuvent commencer. Sans attendre deux jeunes étudiants partagent un appartement. Ils désirent au moins vivre dans l’esprit de la Maison Saint-Gilles, si ce n’est dans le lieu : les travaux et l’aménagement de la Maison nécessiteront toute l’année scolaire 1994-95 ! Cette année portera du fruit et permettra de préciser le projet.

o L’objectif
Le tract de présentation de la Maison s’ouvre par ces mots "Seigneur, que veux-tu que je fasse ?" Poursuivre des études pour préparer son avenir professionnel, c’est bien ! Mais est-ce tout ? Comme chrétien, un jeune est appelé à progresser dans l’intelligence de sa foi, à bâtir un projet de vie cohérent et unifiant sa personne comme "enfant de Dieu". L’Eglise est, étymologiquement parlant, "une assemblée d’appelés". A chacun de découvrir l’appel particulier que Dieu lui adresse et qui peut s’exprimer pour l’un ou l’autre dans une vocation spécifique.
Il s’agit donc d’aider des jeunes à vivre cette réalité et, pour certains, à progresser en toute liberté dans le discernement d’un appel particulier du Seigneur.

o Le public visé
Constitué de jeunes gens (lycéens en Terminale ; étudiants ; déjà engagés dans la vie professionnelle), qui ont rencontré un membre de l’équipe d’animation et exprimé par écrit le pourquoi de leur démarche.
Une réflexion a été nécessaire sur l’éventuelle mixité de cette communauté de vie. En effet, à la publication du projet présenté pour jeunes gens uniquement, quelques jeunes filles demandèrent à vivre une telle expérience ! A première vue, il a semblé plus simple pour démarrer de n’accueillir que des jeunes gens, une ouverture plus large serait toujours possible. Mais la réflexion poussée plus loin, ce choix de non-mixité est devenu plus ferme. L’option est prise de chercher à ouvrir sur Caen un autre lieu pour les jeunes filles. Tout choix est discutable bien sûr, mais dans la mesure où les jeunes vivent la mixité à longueur de journée, il paraît intéressant de proposer un espace de vie un peu différent.

o L’équipe d’animation

- Une femme de 36 ans, laïque consacrée selon le rituel de la consécration des vierges, est employée à plein temps pour cette maison. Elle participe également au Service Diocésain des Vocations et de la formation permanente des jeunes. Sur la paroisse, elle assure la catéchèse pour un groupe d’enfants.

- Un prêtre accompagnateur, prêtre diocésain depuis dix ans et curé de paroisse à neuf kilomètres de Caen. Il viendra une fois par semaine pour la soirée dite "communautaire" : célébration de l’Eucharistie et partage à partir de l’Evangile, du temps liturgique ou de la vie communautaire.

- La communauté paroissiale et son curé. Cette responsabilité est une nouveauté pour la paroisse. La première étape consistera à tisser des liens.

Le responsable du Service des Vocations est délégué par l’évêque pour suivre le tout.

- Le rythme de vie
Il faut être attentif à deux aspects : ne pas sortir les jeunes de la réalité de leur vie étudiante et permettre une vie fraternelle et communautaire dans la Maison. Chaque jeune est invité à vivre à la Maison Saint-Gilles durant une année scolaire, deux au maximum.
Dans la journée, il n’y a aucune astreinte. Chacun prend le petit déjeuner à l’heure qui lui convient selon ses activités, le midi chacun déjeune où il veut et s’il souhaite manger à la maison, il prépare lui-même son repas.
La vie communautaire s’articule autour du dîner, une absence est toujours possible en sauvegardant deux dîners communs par semaine.

Eclosion

L’aménagement est achevé en août 1995 avec la réalisation de l’oratoire. La maison comprend donc :

- au rez-de-chaussée : une cuisine/salle à manger, un salon (télé-jeux-détente) et l’oratoire, sans oublier l’accès à l’église !

- au premier étage : une bibliothèque, sept chambres.

- au deuxième étage : neuf chambres. En attendant une occupation à taux plein, cet étage permet un accueil en week-ends.

La rentrée 1995 se fait en trois étapes :

- En septembre, quatre jeunes se présentent : deux lycéens, un étudiant en médecine, un séminariste stagiaire qui effectue une formation musicale au conservatoire. Il joue le rôle "d’aîné" de la communauté et porte plus particulièrement le souci de la liturgie.

- En novembre 1995, c’est l’inauguration officielle de la Maison. Pourquoi ? "Pour que le Peuple de Dieu, notre Eglise, prenne en considération ce projet, le porte dans la prière, dans les solidarités quotidiennes, dans l’attention aux personnes qui peuvent entrer dans la démarche" (Mgr Pican). La messe, suivie de la visite de la Maison et du verre de l’amitié, réunit nos deux évêques, une trentaine de prêtres et environ deux cents personnes.

- En février 1996, deux jeunes en école de commerce reviennent d’un stage à l’étranger et renforcent les effectifs.

Premiers pas

o La vie communautaire
Après concertation, et en fonction des horaires des uns et des autres, le rythme de vie communautaire est le suivant :

Lundi 18 h 30 Adoration du Saint Sacrement (participation libre)
  19 h Prière du soir suivie du dîner
une semaine sur deux 20 h - 21 h 15 Temps de formation chrétienne
Mardi 19 h Prière du soir suivie du dîner
Mercredi 18 h Messe à l’église avec la communauté paroissiale
suivie du dîner - partage
Jeudi 19 h Prière du soir suivie du dîner
Dispersion !

Une répartition simple des tâches matérielles favorise la vie communautaire : service de table, vaisselle, téléphone, ménage. Chacun veille au bon équilibre du travail personnel, de la vie communautaire et des loisirs de chacun, sans négliger l’engagement que l’un ou l’autre a dans un mouvement.

o La prière
Chaque semaine, deux jeunes en assurent la préparation. La prière du soir s’appuie sur le schéma des vêpres. La messe du mercredi avec les paroissiens nécessite juste le choix des chants.

o L’accompagnement spirituel
Après hésitation en cette première année, l’accompagnement spirituel sera vivement conseillé pour tous les jeunes de la maison dès la rentrée prochaine. Actuellement, seuls les jeunes en recherche de vocations spécifiques en bénéficient. L’année à la Maison Saint-Gilles constitue une opportunité pour vivre cette expérience de l’accompagnement, inconnue pour la plupart des jeunes.

o La formation
En début d’année, il a fallu assurer la bonne compréhension des éléments constitutifs de la vie de la maison : l’Adoration du Saint Sacrement, la prière de l’Eglise, l’accompagnement spirituel... Et depuis, il y a les questions des jeunes : la bioéthique, l’infaillibilité pontificale, les grandes familles spirituelles. Le plus souvent, ces moments de formation sont assurés par des intervenants extérieurs : médecin, professeurs du séminaire.
Dans un souci de visibilité de la Maison et pour interpeller un plus grand nombre de jeunes, la Maison propose trois soirées-débats par an, en lien avec le Service Diocésain des Vocations et l’aumônerie étudiante.
"Eglise, que dis-tu de ton avenir ?" Vingt-cinq jeunes y participèrent ; "Foi et vie affective" : soixante quinze jeunes ; "Et si Dieu me parlait !" : quarante-cinq jeunes.

Trois points d’attention

Cet article nous a donné l’occasion de solliciter les jeunes sur leur vie à la Maison Saint-Gilles. Spontanément, chacun a jeté sur le papier quelques réflexions. Elles illustrent bien les aspects de cette expérience qui semblent devoir retenir l’attention.

Une vie... une présence

"La Maison Saint-Gilles, c’est sentir une présence humaine au retour des cours... une vie communautaire".
Certes, c’est le soir que la communauté se retrouve, mais la journée est ponctuée de va-et-vient, de pause-café, de passages d’amis. Les conversations sont alors très spontanées et parfois très "fortes", que ce soit entre jeunes ou avec la permanente. Cette personne dispose d’un espace-secrétariat au cœur du rez-de-chaussée (superficie : 9 m2 pour quatre portes d’accès !) et assure la préparation des repas, autant d’occasions naturelles pour participer aux échanges ou dialoguer avec l’un ou l’autre. Mais il n’est pas question non plus pour cette personne d’être omniprésente. Elle dispose d’un appartement tout proche qui lui permet de se retirer en fin de soirée et également en milieu de journée, sans oublier les absences pour réunions extérieures et démarches diverses.
Vivre en communauté c’est aussi "garder le contact avec d’autres étudiants chrétiens". La Maison constitue ainsi un espace de libre-parole et libre-échange, où le jeune peut parler de sa foi, de ses questions avec confiance.
"Ce qui est vraiment intéressant, c’est justement le partage de ce vécu propre à chacun."
"Oui, le dîner est animé et nous trouvons toujours un plaisir à partager nos vies de tous les jours, nos études, nos joies... Bref, c’est un temps d’écoute où nous apprenons sans cesse à nous découvrir."

"Débattre... sans se battre"

"Un lieu où peuvent s’affronter différentes conceptions" ; "La Maison Saint Gilles permet une confrontation avec les autres, avec Dieu et moi-même" ; "On apprend l’écoute de l’autre, la tolérance... on s’enrichit de la différence de l’autre".

La différence : une richesse ? Ce n’est pas si évident Spontanément, la communion essaie de se vivre malgré les différences. Certes, à un âge où le jeune cherche son chemin de vie, se cherche lui-même, la différence ne simplifie pas la démarche. Mais de quelles différences s’agit-il ? Les choix politiques, voire idéologiques mais aussi, et cela retient davantage l’attention, les différences au sein de l’Eglise : sensibilités variées, familles spirituelles nombreuses, mouvements multiples ! Pas simple de s’y retrouver et surtout de "sentir" qu’il s’agit toujours d’une même Eglise. Il est heureux, semble-t-il actuellement, que l’initiative de cette Maison provienne d’un diocèse et que l’équipe d’animation ait une teinte fortement ecclésiale (prêtres diocésains, vierge consacrée et paroisse), sans appartenance marquée à une famille spirituelle ou à une sensibilité particulière. "Au-delà de nos différences, qui nous amènent parfois sur des terrains piégés, nous partageons la même joie : celle du Christ ressuscité et vivant qui nous fait frères."
Petit à petit, chacun progresse dans la connaissance de ce qu’il est personnellement, de ses convictions essentielles ou de la raison de ses choix présents.

La prière... la prière et l’Eglise

" La fraternité, c’est bien , mais c’est encore mieux sous le regard de Dieu" ; "L’oratoire me permet de prendre des instants privilégiés avec le Seigneur que je n’aurais certainement pas eu autrement" ; "Se retrouver pour prier Dieu grâce, entre autre, à la prière de l’Eglise" ; "Vêpres et messe sont des moment forts qui scandent ma semaine. "

- Chaque jour, et à heure fixe.

La ponctualité demande un peu de temps d’apprentissage mais chacun, par la pratique même de cette prière, découvre que ce rendez-vous n’est pas de l’ordre du devoir. Le vécu quotidien est confié au Seigneur. Ceci contribue à mieux faire apprécier la richesse de la vie ordinaire, de la présence du Seigneur. La vie prend tout son "poids". Cette relecture est précieuse pour le développement de la personne, elle unifie la vie et contribue à faire émerger un sens.

- La prière de l’Eglise

"Ce n’est pas évident de se repérer dans ce livre !". Cette réflexion a été entendue à plusieurs reprises. "Une formation sur la nature de la liturgie des Heures, de la prière et des psaumes a été la bienvenue, mais c’est en forgeant qu’on devient forgeron...". Aussi l’Office des Vêpres structure la prière du soir de la communauté, selon les jeunes qui la préparent, le choix est fait de l’un ou l’autre psaume, ou de la Parole de Dieu tirée de la messe. C’est comme membres du peuple de Dieu que nous prions, et cette prière recouvre les intentions du monde. Elle déploie au fur et à mesure des semaines la richesse de la liturgie de l’Eglise.

En guise de conclusion :
Aujourd’hui... vers demain

"La Maison Saint-Gilles, c’est avant tout un lieu de vie en communauté destiné à des jeunes désireux d’approfondir leur foi ou de préciser un projet de vie au sein de l’Eglise"
"Vivre à la maison Saint-Gilles, cela amène à se poser des questions sur sa vie de tous les jours, sur sa foi, sur son avenir professionnel, son avenir spirituel" "Cela me conforte dans ma foi en Jésus-Christ et me donne envie d’aller plus loin, de suivre les pas du Christ avec d’autres jeunes témoins" "C’est un lieu de discernement personnel de ses capacités à communiquer" "C’est un lieu permettant de vivre en Eglise et de mieux assumer et proclamer sa foi en Jésus-Christ"
"La vie à la Maison Saint-Gilles permet de discerner ou de mieux comprendre quel projet Jésus-Christ me propose, me donnant ainsi les moyens d’y voir plus clair. Je serai d’autant plus libre à choisir et de privilégier telle ou telle manière d’être, tel ou tel chemin de vie".

Pour l’essentiel, l’objectif serait-il atteint ? Le temps nous le dira. Seul Dieu sait ce que deviendront ces jeunes. Que sera l’an prochain ? Nul ne le sait encore... Benoît, Christophe, Emmanuel, Florent, Olivier, Pierre ont essuyé les plâtres ! Pourquoi ne seraient-ils pas des pionniers ?
Osons poursuivre l’aventure et le pari dans la foi.

Marie-Noëlle BOUCHAERT