Touchée à la fine pointe du coeur


Véronique Gallissot, de l’équipe du service des vocations du diocèse de Langres, mère de famille, nous livre ses impressions à la lecture des témoignages de jeunes.

Viens et suis-moi... Quand Dieu parle, point de trompettes retentissantes, point de coups d’éclats : Dieu parle au cœur, à la fine pointe de l’âme...

Lorsque ces vingt témoignages me sont parvenus, j’ai commencé par vouloir les étudier, studieusement, crayon-papier en mains pour en faire une analyse. J’ai donc lu un premier témoignage : souligné, crayonné, surligné. J’ai lu "avec ma tête" une page, puis deux, puis... j’ai posé mon crayon ! Impossible de rester assise à mon bureau pour rencontrer Arthur, Romain, Sophie, Bertrand, Luc, Emmanuelle... C’est avec "mon cœur" que j’ai continué cette lecture. A l’écoute de ces jeunes, difficile de ne pas être touchée par tant de confiance manifestée, par tant de franchise, de simplicité et de pertinence.

Bien sûr une forme d’anonymat protège ces témoignages mais ce qu’ils livrent vient, pour certains, du lointain de l’enfance, pour d’autres d’un événement récent. Pour la plupart, du secret des cœurs et pour tous d’une Rencontre qui les a bouleversés !

C’est dans le silence, le cœur ouvert à cette rencontre, qu’il faut prendre le temps de se laisser entraîner à travers la diversité de ces vies. Attention, on n’en sortira peut-être pas indemne : coups de cœur, coup de foudre, coup de poing, coup de gueule... mais coups francs ! Pas de triche : voici des paroles qui vous réchauffent ou vous heurtent, mais qui toujours vous touchent juste là où c’est sensible, là où vous ne laissez que peu de personnes entrer : la fine pointe du cœur !

J’ai passé toute une journée avec ces vingt jeunes, renonçant à les classer et les cataloguer. Comme moi vous pourrez lire la singularité de chacun de ces récits, comme autant d’histoires d’amour, de fidèle amitié, de compagnonnage qui remet "debout", de passion débordante ou de simple grain de sable qui, de façon imprévue, vient soudain tout remettre en question, tout chambouler dans une vie pourtant si bien réglée et équilibrée. Voilà bien des témoignages de conversion au sens fort : ces drôles d’idées qui, paisiblement, au fil du temps, vous font prendre des chemins imprévus ou choisir d’aller justement à contre-courant de ce que le monde vous conseille, ces interrogations qui ne vous lâchent plus, ce branle-bas de combat intérieur inattendu qui vous fait prendre les armes de l’Amour pour rejoindre vos frères sur tous les chantiers du monde.

Et puisque ce n’est pas tous les matins que des jeunes livrent ainsi le pourquoi de cette flamme qui brûle en eux, à nous donc, lecteurs "privilégiés", de savoir goûter la saveur de leur parole, d’accueillir leurs questions et leurs remarques. Elles sont autant d’invitations à grandir dans la Foi en ce Dieu qui, secrètement, continue à faire alliance avec les hommes d’aujourd’hui, elles sont autant d’occasions offertes à l’imagination de chacun pour ré-apprendre à se mettre à l’écoute des jeunes générations de chrétiens, ré-apprendre l’Espérance : "ça bourgeonne dans l’Eglise !".

De quoi et de qui nous parlent ces jeunes ?

D’écoute, de rencontres... De joie de vivre et d’angoisses par rapport à l’avenir ; de solidarité avec le monde et de solidarités entre les hommes ; de Dieu, du Christ, de la force de l’Esprit Saint et de l’Eglise. Sur la toile de fond de leur vie ainsi tissée apparaît le visage de Celui qui les fait vivre, les questionne et les invite à témoigner.

"Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !" (1 Sam. 3, 1-10)

Comment le Seigneur leur a-t-il parlé ? Ils nous disent l’importance du silence, de l’écoute, des pèlerinages. Ils lisent la Bible, vont régulièrement à la messe ou servent à l’autel ; ils se souviennent d’une phrase, d’une parole, d’un chant ; ils découvrent la Parole ; ils font mémoire d’un visage, d’une rencontre, de "hasards" ; ils nous parlent de la prière : beaucoup... vitale, comme ce lieu privilégié du cœur à cœur avec Dieu !

Ils avaient onze, douze ans, ils venaient de faire leur première communion. Ils avaient dix-neuf ou vingt ans et venaient d’être confirmés. Certains chuchotent même que depuis "tout petit" Dieu a parlé à leur cœur ; Arthur n’avait que cinq ans ! et on n’a pas cru ce qu’il disait, ou du moins on ne l’a pas pris au sérieux.

Comment ne pas alors ré-entendre la Bible nous parler du jeune Samuel et d’Elie ? Combien de fois, parents, catéchistes, prêtres, avons-nous souri et remis à plus tard une démarche d’accompagnement et d’écoute de très jeunes enfants ? Puisque nous n’avions pas appelé !

Combien de fois avons-nous laissé des jeunes se recoucher avec ce que nous pensions être un "coup de tête", une illusion ? Puisque nous n’avions pas appelé ! Combien de fois avons-nous été tentés de prendre la place de Dieu dans l’Appel à le suivre ? Combien de temps nous a-t-il fallu pour comprendre et accepter que ce soit Lui qui appelle le premier et librement ?

Parents, animateurs, la tentation est forte de dresser le portrait-robot du futur prêtre ou religieux, du futur "non-prêtre" ou de la future "surtout pas religieuse". La tentation est forte de vouloir choisir et décider par nous-mêmes où, quand, comment et combien de jeunes vocations doivent ou devraient germer dans notre Eglise... Mais "laisser faire Dieu" ne nous dispense nullement de nous engager au service d’une pastorale des vocations. Car la deuxième chose que nous disent ces jeunes c’est l’importance des médiations humaines.

"Appeler, c’est servir une liberté !" (Père H. Simon)
Tous les témoignages pratiquement pourraient s’accompagner d’un album-photos où figureraient les visages de celles et ceux que Dieu a mystérieusement placés dans la vie de chacun comme autant de jalons vers un choix de vie possible. Femmes et hommes qui, discrètement et, parfois sans le savoir, se mettent au service de la liberté d’un jeune.

Parmi ces visages-relais, vient en premier lieu la famille.
Elle est citée dans presque tous les cas ! Si la transmission de la Foi ne passe pas par les voies de la génétique, difficile de nier que le témoignage d’une vie chrétienne vécue en famille est d’une importance primordiale dans l’éveil à l’écoute des appels de Dieu.

Les parents apparaissent comme "ceux qui ont préparé le terrain". Ils sont parfois cités brièvement en début de témoignage comme une évidence "fondatrice" sur laquelle se greffe toute la suite des événements. Ils reviennent parfois comme un leitmotiv tout au long de l’article, telle une présence fidèle et solide aux côtés du jeune qui chemine, hésite, cherche, doute..., avant de choisir et répondre. Ils sont comme le premier maillon de cette fameuse "chaîne d’appels", celui qui ancre dans la foi et qui "tient" quand tout semble si fragile, celui qui dure, face à l’éphémère et l’aléatoire des expériences vécues, des tâtonnements et des échecs fréquents avant qu’un oui soit possible.

Il nous restera, parents, à être prêts à dire oui à notre tour à une éventuelle vocation de notre enfant dans une vie toute donnée à Dieu. Reconnaissons que notre Foi se trouve là questionnée au plus profond d’elle-même. En cet enfant qui veut se donner tout à Dieu, c’est un peu de nous qui s’apprête à se donner et s’abandonner également. Et si c’était pour rien ? Et si ce n’était pas Lui qui l’appelle ? Et si c’était renoncer à bien plus que ce qu’il va trouver ? Et si c’était dans une autre famille, Seigneur, que tu appelais, ce serait tellement plus simple !

Autres visages-relais : des prêtres, des religieux et des religieuses...
Ils ont su donner le goût de la prière à beaucoup et ils ont témoigné, à travers leur vie, de la présence agissante de Dieu. Ils sont souvent cités comme les témoins privilégiés d’une Foi qui s’éveille, grandit, questionne. Ils sont ceux qui accompagnent spirituellement et aident au discernement. Concernant les prêtres, ils sont aussi ceux qui "manquent" : parce que le presbyterium apparaît pour l’un ou l’autre comme "retranché" derrière l’autel et totalement accaparé par le "fonctionnement de la boutique".

...et des laïcs
Ils sont animateurs d’aumônerie, ou de mouvements, accompagnateurs en SDV ou dans des groupes de préparation aux sacrements. Souvent ils vivent aux côtés des jeunes et partagent avec eux des temps forts réguliers. Il est possible de les rencontrer le dimanche à la messe, sur la paroisse, à la chorale. Ils peuvent n’avoir "traversé la vie d’un jeune" que ponctuellement, mais ils y ont laissé la trace d’une Foi qui fait vivre ! Ils interpellent, bousculent, permettent de grandir dans la foi et ainsi d’accueillir la vie.

Enfin, voici les copains !
Tous ces autres dont la présence est déclinée de mille manières. C’est le cœur des jeunes qui bat au rythme du monde et où se perçoivent les battements même du cœur de Dieu. Alors jaillissent l’enthousiasme de la jeunesse, la super-forme, la joie de vivre, le bonheur d’être entouré d’amis et, parmi eux, les amis chrétiens avec qui l’on peut partager de façon privilégiée sa Foi et ses questions.

D’où nous parlent ces jeunes ?

Cris des hommes, appels de Dieu !

Il y a ceux avec qui l’on est embarqué dans la même galère : on rame ensemble, on affronte le chômage, le désespoir et la peur de l’avenir. Dieu prend la parole à travers les souffrances du monde ! Dieu passe par ces efforts partagés et ces difficultés portées ensemble !

Il y a ceux qui partagent les révoltes, les doutes et les questions qui surgissent face à l’exclusion et l’injustice... Après relecture de vie, ce sont bien tous ces événements qui ont permis un approfondissement de la Foi et une aide dans l’élaboration de la personnalité des uns et des autres. JOC, ACE, SDV, Scoutisme, MRJC, ACO... autant de lieux-tremplins pour prendre des responsabilités et surtout retrouver sa dignité d’homme malgré le poids du quotidien et de l’échec apparent de certaines situations.

"Je n’envisage pas ma Foi sans m’impliquer dans la vie sociale..."
"Ma Foi change mes relations avec les autres"
"La Foi doit s’exprimer en actes. Une attitude chrétienne implique partage, écoute, aide"
"Avoir la Foi, c’est apprendre à avoir un autre regard sur la vie, éclairé par l’Evangile"
"Ce qui est central dans ma vie de Foi, c’est de servir mes frères ; en servant mes frères, je sers Jésus-Christ"
"Le point crucial de ma Foi est l’amour que je porte envers mon prochain".

Le rapport Vie/Foi semble donc évident et important pour beaucoup.

"Un chrétien isolé est un chrétien perdu"

Cette expression souligne l’insistance de beaucoup sur leurs liens avec l’Eglise, qu’ils n’hésitent pas à interpeller. Leurs remarques tendent bien à montrer que, même s’ils ne s’y sentent pas toujours bien accueillis, ils sont conscients d’en faire partie et d’avoir tôt ou tard un rôle à y jouer. Les points positifs résident dans l’appartenance à des mouvements et/ou services de jeunes où ils sont écoutés, pris au sérieux et mis en situation de responsabilité. Signalons également le rôle parfois décisif de tel ou tel prêtre dans une interpellation vocationnelle (comme nous l’avons déjà mentionné) et la participation régulière à l’Eucharistie.

Par contre, les points négatifs soulevés (par quelques plus âgés) touchent essentiellement à leurs "rapports" avec la structure hiérarchique de l’Eglise. Impression d’une boutique à faire tourner et d’un manque de prêtres "sur le terrain", avec une mission de proximité... Impression que les "hautes sphères de l’Eglise ne sont pas assez à l’écoute des fidèles", difficulté - voir désaccord profond - avec les prises de position de la hiérarchie.

Ces témoignages inspireront sûrement de nombreuses remarques à tous ceux qui s’engagent dans la pastorale des vocations. j’en relève quelques-unes qui me paraissent importantes en tant que membre d’un SDV :

- Connaître la joie d’être parmi les serviteurs des Appels de Dieu suppose également d’accepter avec humilité de n’en être que les médiateurs.

- Nous servons la liberté d’un jeune. Cela implique un égal respect des différents choix de vie possible (mariage y compris) et une connaissance toujours plus grande des différentes familles religieuses, instituts séculiers (... et autres) susceptibles de répondre à l’attente de tel ou tel jeune en recherche.

- Les SDV ne sont pas les seuls lieux d’appel et d’accompagnement qui existent ; mais de part leur mission, ils se doivent d’être à l’écoute et au service de toutes les initiatives d’ordre "vocationnel" existant dans un diocèse. Un travail de coordination, d’interpellation, de meilleure connaissance des charismes des uns et des autres ne peut qu’être fructueux pour les divers partenaires de cette pastorale de l’Appel. Rappelons l’importance d’un lien régulier avec la pastorale des jeunes, les mouvements et services, les familles.

- A tous ceux qui se croient serviteurs inutiles de l’appel... nous devons relayer la parole de ces jeunes qui en appellent à tous les chrétiens pour être écoutés, pris au sérieux, encouragés, accompagnés..., pour être entourés de témoins à la Foi contagieuse. Et pour cela il n’y a pas d’âge !

Conclusion

De cette relecture, je ne sors pas tout à fait indemne : coups de cœur, coups de foudre, coups de poing, coups de gueule..., j’ai franchement apprécié la diversité de ces "tranches de vie" ! Apaisantes ou percutantes, voici des paroles qui m’ont touchée juste là, à la fine pointe du cœur, où je ne laisse pourtant que peu de personnes entrer : pendant que je lisais ces quelques pages, Dieu était là et je ne le savais pas. Merci à chacun de ces jeunes, témoins de ce que le Seigneur a fait pour eux de grandes choses !

Voici comme une bouffée d’oxygène pour nos communautés parfois paralysées devant un avenir incertain ; voici comme un petit courant d’air qui vient mettre sens dessus-dessous quelques éléments d’une structure ecclésiale que l’on a bien du mal à faire évoluer ; voici comme une brise légère aux odeurs de printemps... prémices d’une récolte et d’une moisson à venir. Ayons la curiosité de laisser germer des plantes peut-être encore inconnues ; laissons le temps au temps... et à Dieu l’initiative ! Dans une joyeuse Espérance accueillons ces signes que l’Esprit nous donne ; A notre tour, proclamons ce que nous avons reçu !
"ça bourgeonne dans l’Eglise, je vous dis !"

Véronique Gallissot membre de l’équipe SDV de Langres