Une histoire de paroles


Par Gérard Portier, psychologue, père de famille que son expérience a conduit à accueillir des adultes religieux, religieuses ainsi que des prêtres.

Religieuses, religieux, prêtres sont des personnes inscrites comme tout un chacun dans une histoire familiale reçue et transmise par des paroles. Des paroles qui témoignent, parfois, d’événements douloureux et dramatiques qu’une personne a vécus dans son existence.

Des paroles auxquelles elle est assujettie, à la fois comme victime, mais aussi qu’elle peut reprendre en son nom propre comme sujet de son histoire qu’elle est en train de construire et dont elle est l’auteur.

Des paroles de souffrances qui traduisent des symptômes qui sont des questions sur son mal-être et qui peuvent amener la personne à s’adresser à un analyste pour faire disparaître ses symptômes, pour apaiser ses souffrances et comprendre comment cela lui est arrivé et en quoi elle y est pour quelque chose.

Une vérité à connaître

En médecine, le symptôme est le signe d’une maladie, tant il est nécessaire de savoir au mieux les effets pour remonter aux causes, afin de porter le diagnostic qu’il convient. A partir de là, une action thérapeutique peut être mise en œuvre pour favoriser le retour à un état de santé qui soit le meilleur possible. Au contraire, quand Freud invente la psychanalyse et applique la méthode de l’association libre : "Dites tout ce qui vous vient à l’esprit", il donne aux symptômes le statut de paroles.

A la différence des autres espèces vivantes, l’homme, comme le dit Lacan, est un "parlêtre", un être qui parle. Il est facile de constater qu’un certain nombre d’événements, de situations ne s’oublient pas et qu’à travers les symptômes, ils se manifestent, parfois avec insistance, dans la parole du sujet.

Le symptôme est toujours présenté par le sujet comme un "ça ne va pas", qui lui fait, en même temps, énigme. Lacan nous dit : "Pour que le symptôme sorte de l’état d’énigme... le pas n’est pas qu’il se formule, mais que chez le sujet se dessine quelque chose dont le caractère est que ça lui suggère qu’il y a à ça une cause" (Ornicar ? - revue du Champ Freudien, Navarin, n°42).

L’existence de cette cause implique que le sujet parle ; mais ce n’est pas toujours facile, car il fait l’expérience que ce qu’il dit, en dit toujours plus que ce qu’il pense dire. C’est ce qu’illustre par exemple un lapsus. Freud découvre que se soumettre à la règle de l’association libre libère la parole et ce qui est refoulé, et produit, du même coup, des effets thérapeutiques. C’est, donc, avec la parole que le sujet interroge sa propre vérité, c’est-à-dire son symptôme qui, pour Freud, est la marque du retour du refoulé.

Cette libération de la parole peut amener le sujet à se surprendre à dire quelque chose d’inédit, qui devient pour lui, dans ce moment de surprise, la manifestation d’une part de sa vérité.

Une démarche éclairante

Durant sa relation avec le docteur Fliess et leurs échanges sur l’avancée de leurs travaux respectifs, Freud lui disait : "Ce n’est qu’en essayant de t’en faire part que les choses se sont éclairées pour moi" (La naissance de la psychanalyse, S. Freud, PUF). Pour le sujet, parler en s’adressant à un autre a un effet de clarification.

Freud propose donc au sujet, qui s’adresse à lui et qui ne se sent pas très bien, d’essayer de revenir sur son vécu et ce qu’il a pu en oublier, pour comprendre ce qu’il a été. De son côté le sujet suppose que l’analyste sait pourquoi il souffre. Et c’est dans cette relation qu’un effet thérapeutique, lié à l’acte de rendre conscient ce qui est refoulé dans l’inconscient, peut advenir.

Les maux se transforment en mots et le sujet va apprendre de lui les signifiants qui le représentent, le déterminent et auxquels il est assujetti.
L’écoute consiste à déchiffrer, tel un rébus, ce que le sujet méconnaît dans ce qu’il dit et qui, pourtant, lui appartient. Ainsi, par cet acte d’écoute et de déchiffrage, le sujet entre dans sa propre histoire jusque-là ignorée par lui.
Cette levée du refoulement, de l’amnésie infantile, fait partie du travail de l’analyse qui peut permettre un soulagement des troubles chez le sujet, comme le dit le docteur Sylvestre : "Quand on sait d’où l’on vient et un peu plus qui l’on est, on sait mieux où l’on va" (La Cause freudienne, Revue de psychanalyse, Navarin-Seuil, n°27).

De cette façon, le sujet peut éviter de tomber dans une nouvelle impasse, parvenir à se dégager de sa souffrance en laissant une place à sa parole, qui le conduira au fur et à mesure du procès analytique à reconnaître et accepter qu’il n’est pas le maître chez lui et qu’il y a toujours quelque chose qui lui échappe, témoin de son manque à être et de son désir.

En conséquence, l’expérience de parole peut être, parfois, pour un sujet qui souffre d’un secours efficace, comme pour cette religieuse qui est prise, notamment, dans un mouvement identifieatoire massif à sa mère et qui l’empêche de vivre en paix avec elle-même.

Ecoutons ses propres expressions :
...Je cherchais un ordre contemplatif pour réparer les péchés du monde et consoler le cœur de Notre Seigneur...
... J’ai essayé de passer par la fenêtre, le vide m’attirait... moi, je ressemble à ma mère, elle a voulu se jeter par la fenêtre, j’avais 12 ans, je l’ai retenue...
... Maman avait un caractère spécial, elle était très coléreuse... j’étais un peu sa bête noire... quand il arrivait quelque chose, c’était toujours de ma faute... depuis, quand il arrive quelque chose, je me dis : c’est ma faute.
... J’ai toujours pensé que j’étais inférieure aux autres, c’est ce que me disait maman... maman parlait toujours qu’il fallait avoir l’esprit de sacrifice, qu’il fallait faire des sacrifices...
... Toute petite, même quand ma mère me punissait, je l’aimais beaucoup... c’est depuis qu’elle est morte que j’ai des idées noires.
...Je dormais avec ma mère dans son lit, quand mon père était absent, car ma mère avait peur...
... J’aime la musique, la peinture, les antiquités comme ma mère. "

Mais l’analyse peut être aussi pour ceux et celles qui se posent la question de la vocation religieuse et/ou sacerdotale un moyen d’éclairer l’origine de leur vocation afin qu’ils se libèrent des "points aveugles" auxquels elle pourrait être asservie et, ainsi, de s’engager en se donnant une possibilité de ne pas faire fausse route.

Gérard Portier