Interpeller pour le diaconat


Michel Manceau
prêtre du diocèse de Luçon,
délégué diocésain pour le diaconat



L’Assemblée plénière des Evêques de France, à Lourdes, en 1995 et en 1996, s’est proposée d’évaluer le chemin parcouru depuis le rétablissement du diaconat comme ordre permanent dans notre pays. Douze points d’attention furent votés, précédés d’orientations. Le premier chapitre est intitulé : « Orientations pour la pratique de l’interpellation ».
Le texte renvoie explicitement à l’esprit qui a présidé à cette re-création du diaconat. « En rétablissant le diaconat pour notre pays, la Conférence épiscopale a voté une proposition : “L’Assemblée plénière déclare très souhaitable que les candidats diacres soient suscités et accueillis par les communautés chrétiennes qui ont pris conscience de leur mission. Une note de la commission épiscopale du clergé et des séminaires en date du 9 mars 1970 a confirmé cette proposition. »

Les points d’attention votés en 1996 sont ainsi rédigés :
  • Les évêques continueront à demander aux communautés chrétiennes, et particulièrement aux prêtres, aux diacres et aux chrétiens engagés, de solliciter des hommes susceptibles de recevoir l’ordination au diaconat pour répondre aux nécessités locales de la mission de l’Eglise.
  • Les évêques seront particulièrement attentifs à discerner parmi les candidats des hommes vivant déjà en solidarité avec les délaissés, les exclus, les plus jeunes.


Une pratique orientée dès l’origine

On le voit, la pratique de l’interpellation est étroitement liée, en France, aux priorités missionnaires que l’Eglise de notre pays s’est données dans l’après-concile. Devant le constat de l’extension de larges zones ou ensembles humains, où la présence du Christ et de son Eglise n’est pas effective, apparente ou significative, il est proposé aux chrétiens de vivre une présence qui soit de plus en plus signe ecclésial en trois directions complémentaires : les pôles de non-croyance (ceux qui sont loin), les pôles de misère (les plus pauvres), les pôles de développement (c’est-à-dire les lieux décisifs pour l’avenir de la vie des hommes). Dans l’introduction de son rapport qui concerne le clergé, Mgr Guyot déclare : « Cette étude ne fera pas mention des diacres permanents. Mais il est certain que leur présence dans l’Eglise de France pourra être demain un apport précieux pour son action missionnaire » (Lourdes 1967).
En 1995, ces orientations se sont approfondies : « La priorité aux plus pauvres, aux plus loin de la foi, aux décideurs, n’est pas d’abord la priorité des diacres et du diaconat, mais celle de l’évêque (et des prêtres) qui appelle des diacres à cette intention. […] Les orientations formulées en France en 1967 devraient être à la fois généralisées et reformulées. Généralisées, au sens où ce ne sont pas des orientations conjoncturelles mais des priorités évangéliques inhérentes à la vie et à la mission de l’Eglise. Reformulées, au sens où chaque époque doit formuler, à nouveaux frais, le champ varié et mouvant de la mission » (Lourdes 1995).

A partir de cette impulsion, des chrétiens avec leurs pasteurs se sont efforcés d’analyser les besoins du service de l’Evangile dans leur environnement et ont recherché des personnes qui pourraient y répondre. Ils se sont adressés à des hommes – très majoritairement mariés – qui n’avaient jamais pensé à une telle éventualité.
La mise en œuvre de ces orientations générales a pu varier d’un diocèse à un autre. Cependant, la lecture des textes publiés par les commissions des régions apostoliques ou encore à l’issue de synodes diocésains, présente un air de famille évident : à partir de l’inventaire des besoins de la mission repérée par l’Eglise du lieu, on cherche à quels hommes la proposition d’engager une réflexion sur la possibilité d’être ordonnés diacres pourrait être faite.
Très vite, cependant, aussi bien les interpellants que les interpellés découvraient que l’appel à un ministère engage toute la personne. « Cela se joue à un niveau spirituel où se rejoignent invitation extérieure de l’Eglise et mouvement intérieur de l’Esprit-Saint. Tout cheminement est à considérer en termes de vocation », dit le synode d’Evry.



L’expérience d’un diocèse

Chaque diocèse a son expérience de l’interpellation. Les rappels précédents avaient pour but de montrer que l’interpellation ne peut se penser indépendamment de la mission qui sera confiée à l’ordonné, d’autant plus que celui-ci n’est pas arraché à son milieu, mais au contraire, la plupart du temps renvoyé à son enracinement humain d’origine.

Je vais tenter de décrire ici l’expérience du diocèse dont je suis le délégué diocésain au diaconat permanent depuis 1994.
En 1992, le diocèse comptait onze diacres. Jusqu’ici, l’interpellation s’était surtout réalisée de personne à personne : tel prêtre qui connaissait tel homme, l’avait signalé au délégué diocésain. Celui-ci se mettait en lien avec lui et lui donnait les moyens de cheminer et de discerner une éventuelle vocation. Cette même année, le comité diocésain du diaconat publiait un document de huit pages : « Comment lancer le diaconat permanent ? » Il donnait ainsi aux conseils pastoraux de secteur, aux mouvements et aux services diocésains les moyens d’éveiller à ce ministère. Déjà des mouvements apostoliques comme la Mission Ouvrière, puis le CMR et l’ACI avaient réfléchi et avaient interpellé l’un ou l’autre de leurs membres. La diffusion du document a permis à une dizaine de commissions d’éveil d’exister sur des doyennés.
Après une information auprès des conseils de doyenné, une petite équipe de quatre à huit personnes se met en place : un prêtre, une religieuse, des laïcs sensibles aux situations de détresse ou de précarité…
Le premier travail consiste le plus souvent à s’approprier la signification, l’histoire, le vécu du diaconat. Puis cette équipe regarde le lieu où la communauté ecclésiale est implantée : quels appels évangéliques à servir les pauvres, à aller vers des champs nouveaux, à découvrir des chemins pour mieux proposer la foi, faudrait-il mieux honorer ? Quelle diaconie serait à inventer ? A cette étape, il arrive que l’équipe fasse part de ses recherches au conseil qui l’a mandatée. Puis elle cherche par elle-même, ou bien par des moyens confidentiels, elle collecte auprès des prêtres, religieuses, laïcs, choisis pour leur sens du discernement, des noms d’hommes que l’on pourrait inviter à réfléchir à une éventuelle mise en route. En dernier ressort, l’aval du responsable pastoral est bien sûr indispensable.
Selon des modalités diverses, vient la phase de l’interpellation. Un ou deux membres de l’équipe d’éveil entrent en relation avec cette personne dont on a pressenti le charisme : « Accepteriez-vous de vous mettre en recherche pour savoir si le Seigneur vous appelle à le servir comme diacre de l’Eglise ? » Le rôle de la commission d’éveil s’arrête là. Le maître spirituel est l’Esprit-Saint et il faut à tout prix respecter la liberté des personnes par rapport à une telle interpellation.

Quels fruits ? Bien sûr, des ordinations. Aujourd’hui, le diocèse en a célébré trente-trois. Dix hommes sont en formation. Quatre en groupe de recherche. Environ les deux tiers ont été mis en route par le travail de ces commissions d’éveil.
Mais il y a d’autres fruits. Ainsi les prêtres, les laïcs, les conseils qui ont participé à cet éveil ont pris conscience que toute pastorale a une dimension diaconale. De plus, ce travail discret qui dure en moyenne deux années, provoque une prise au sérieux du baptême et donne le sentiment d’être véritablement acteur de la vie et de l’avenir de l’Eglise, même dans les cas où la recherche n’a pas encore abouti à des entrées en formation.
Notre manière de faire présente cependant des limites ; elle est sans doute trop liée au territoire. Aujourd’hui, s’est créée au niveau diocésain une commission qui recherche quels pourraient être les lieux oubliés où un ministère diaconal serait significatif comme par exemple les aumôneries de prison, de gens du voyage, de la mer, toutes réalités difficiles à prendre en compte à partir des réalités paroissiales.


Interpeller pour le ministère presbytéral ?

J’ai souvent entendu la réflexion suivante : le diaconat a l’expérience de l’interpellation ; ne pourrait-on pas en faire autant pour appeler des prêtres ?
Sans doute, à travers l’expérience du diaconat et aussi celle de l’appel pour d’autres ministères ecclésiaux dans les aumôneries et les secteurs pastoraux, les baptisés découvrent-ils que toute vie chrétienne est radicalement une réponse à un appel de Dieu.
Sans doute aussi, nos Eglises font-elles l’apprentissage du rôle de la communauté pour l’éveil des vocations. Elles découvrent davantage qu’hier que la vocation au ministère ordonné n’est pas d’abord un appel ressenti à l’intime de soi, mais qu’il passe par la médiation de la communauté et ultimement par l’appel de l’évêque, appuyé sur le discernement de ceux qui en ont la charge.
Cependant, il me semble que la transposition de l’interpellation pour le diaconat à celle pour le presbytérat et de façon encore différente pour la vie religieuse demande qu’on voie bien les différences.
  • Les hommes interpellés en vue du diaconat sont des adultes, le plus souvent mariés ; la décision de les interpeller tient en grande partie à la qualité de leur couple, à leur bonne insertion dans la vie locale tant sociale qu’ecclésiale. Leur mission les renvoie là où ils sont déjà. Si la formation opère en eux et dans leur couple une réorientation, celle-ci ne se fait pas en rupture totale avec ce qu’ils étaient auparavant. Il s’agit plutôt d’une unification autour du pôle du service à la manière du Christ. Pour le presbytérat, on a plutôt affaire à des personnes plus jeunes qui en sont encore à élaborer un projet pour leur vie. Une vie qui doit réfléchir à des choix radicaux : célibat ou mariage, le plus souvent renoncement à l’exercice de la profession pour laquelle on s’est formé, acceptation d’une certaine itinérance, etc.
  • L’interpellation pour le diaconat s’est développée dans notre pays sur la base d’une re-création. Les premiers diacres sont des pionniers : aucun modèle ne s’offrait à eux sinon, comme pour le parasiter, le modèle sacerdotal. Mais somme toute, la nouveauté joue un rôle plutôt favorable. A l’inverse, même si la vie et le ministère des prêtres ont considérablement changé depuis quarante ans, la figure du prêtre diocésain est plus ancienne, surchargée, âgée. Les jeunes s’y font rares. Il y a tout un travail à faire pour la rendre attractive.
  • Bien que participant au même sacrement de l’ordre, les deux vocations sont différentes. Cette différence (ordonnés pour le sacerdoce, ordonnés non pour le sacerdoce mais pour le service) n’induit-elle pas une façon différente d’interpeller des personnes et pour celles-ci de s’y disposer ?


En conclusion

L’interpellation doit toujours laisser place à la liberté de la personne, du couple, par rapport à la communauté qui en a pris l’initiative. Il peut arriver que l’attente de la communauté soit telle que la personne n’ose pas dire non. Seule, la conscience qu’il s’agit d’un acte de foi de la part de ceux qui interpellent comme de ceux à qui ils s’adressent permet de respecter la liberté de chacun.
On distingue souvent les candidatures spontanées et celles qui suivent une interpellation. L’expérience montre que les choses ne sont pas si tranchées. Quand un candidat se présente après avoir longuement mûri sa réflexion, il fait souvent part d’appels entendus par la médiation d’autres personnes. Et quand une personne est interpellée par une cellule d’éveil, il n’est pas rare qu’elle avoue qu’elle n’avait pas osé mettre à jour une question portée au fond d’elle-même.
A fur et à mesure que le diaconat devient visible, offre des visages concrets, l’interpellation n’a plus le même caractère surprenant. Les questions que les personnes ont à mûrir se déplacent. Il est possible de rencontrer aujourd’hui des couples jeunes qui avaient inscrit dans leur projet de mariage chrétien le diaconat comme une possible éventualité.
Il reste qu’interpeller est servir la liberté des personnes, les aider à trouver leur place dans l’Eglise et leur permettre de répondre à leur vocation baptismale.