Signes de maturité de la vocation au ministère presbytéral


Guy Tilliette, sulpicien et directeur au séminaire des Carmes, à Paris, propose ici quelques repères pour ceux qui accueillent des jeunes songeant au ministère presbytéral.


Rappelons d’un mot, pour commencer, combien est étroit le lien entre conversion, vocation et service, au sein du peuple de Dieu. On le constate dans l’Ecriture, non seulement à simple lecture de la vie des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres qui marquèrent de leur empreinte son histoire, mais à propos de ce peuple lui-même auquel s’adresse par priorité le Seigneur en ses desseins salvateurs. Une relation aussi intime de ces trois composantes du ministère et de la vie d’Israël et de l’Eglise est révélatrice d’une puissante synergie spirituelle et missionnaire sous-jacente qui s’origine dans l’élection divine et puise ses forces dans l’Alliance scellée à jamais en Jésus-Christ. On ne saurait jamais trop y prêter attention quand il s’agit de réfléchir, si simplement que ce soit, à ces éléments constituants du Mystère de l’Eglise. S’il convient pour y voir plus clair de savoir les distinguer, il est dangereux, voire ruineux, de les disjoindre peu ou prou.

Il s’ensuit que si la conversion de quelqu’un et d’une communauté est aussi génératrice de vocation baptismale et ecclésiale - ne serait-ce que du seul fait que les deux relèvent d’un appel perçu comme venant de Dieu - l’une et l’autre s’avéreraient plus ou moins inauthentiques si elles n’entraînaient pas une sorte de mouvement progressif de maturation chrétienne et presbytérale. Maturation en vue d’un service de Dieu et des hommes, de plus en plus lucide et dépouillé des entraves qui les mettraient en péril. Il importe, donc, d’essayer de repérer les signes et contresignes, les moyens et les handicaps qui favorisent et empêchent la réalisation de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain en quoi consistent la définition et la vocation que donne d’elle-même l’Eglise selon Vatican II.

Mais ces vastes perspectives resteraient pour nous bien abstraites et à l’état de vœux pieux si l’on ne cherchait pas à voir comment elles s’incarnent plus concrètement dans l’histoire d’une vocation jamais achevée et donc en situation permanente de transformations humaines et spirituelles. C’est pourquoi, nous nous proposons d’en circonscrire le champ, au cas de la vocation au ministère presbytéral, d’autant plus qu’il serait bien imprudent de notre part de prétendre à davantage quand on est soi-même principalement appliqué à l’examen et à l’accompagnement d’hommes qui pensent à devenir prêtres. Nous savons d’ailleurs que, pour une large part, les indications que nous tentons de donner valent aussi pour d’autres types de vocations.

Exigences de la formation au ministère

La situation actuelle de l’Eglise en France est telle que nous pouvons affirmer sans grande crainte d’être contredit qu’on va vers une Eglise de convertis de fraîche date, sans oublier ni négliger pour autant le fait qu’il existe encore heureusement des jeunes de familles chrétiennes. En deçà d’une description et encore moins d’une présentation typologique des candidats au presbytérat, issus de ces deux origines, ainsi que de la grande variété de leurs personnalités et de leurs cheminements propres, on doit s’attendre à être en présence de chrétiens qui vivent déjà et vont vivre fortement des tensions difficiles à gérer au cœur d’une société moralement assez déstabilisée. Qu’il s’agisse d’un appel singulier qui, un jour, les a bouleversés et mis en marche ou de celui qui a résonné en écho au sein d’un milieu fidèle à ses engagements chrétiens chrétiens, un travail de conversions successives s’impose inévitablement à eux. Ce disant, il n’est pas question ici de les inviter, surtout brusquement, à renier un passé qui les a mis en marche, mais de les aider à prendre mieux conscience de tout ce qu’ils doivent accueillir - et éventuellement réviser en eux - pour découvrir leur vraie vocation et lui rester d’une fidélité créatrice après leur entrée dans une maison de formation au ministère.

Le candidat, pour parler maintenant au singulier, s’en aperçoit d’ailleurs très vite s’il n’est pas muré dans ses certitudes et ses protections. Alors qu’avec générosité et enthousiasme (pour mettre les choses au mieux), il souhaiterait peut-être s’engager, se donner pleinement, communiquer à d’autres les richesses chrétiennes dont il se croit porteur à la suite d’une forte expérience personnelle, il est mis d’abord en face de nombreuses et longues exigences de formation dont nous dirons un mot dans notre perspective. Ce ne serait pas un bon signe de sa part de ne pas en éprouver le besoin. Un lent travail de deuil et des ouvertures à d’autres champs humains, spirituels et ecclésiaux est évidemment nécessaire à la précision, à l’approfondissement et à l’affermissement de sa vocation. C’est comme s’il se trouvait au pied d’un mur à démolir et à reconstruire plus solide, mieux ajusté parce que fondé sur l’Esprit de Jésus-Christ en son Eglise et moins sur ce qu’il estimerait être ses atouts. Si cela a toujours été indispensable, plus que jamais il s’agit pour lui de passer d’une vocation ministérielle, plus ou moins rêvée, dont il ne se rend pas assez compte qu’il en est le centre, à un service de l’Eglise et du monde où peinent les ouvriers dans un contexte culturel qui accentue les décalages des générations et fragilise les mœurs. Autrement dit, il lui faut apprendre à prier, à penser sa foi, à développer son sens de l’Eglise, à être capable d’analyser suffisamment des situations, les dominantes éthiques et psychologiques et sociologiques de son temps, découvrant si possible et, plus tôt que plus tard, combien toutes ces influences retentissent dans sa tête et dans son cœur. Sans être pessimiste, le moins qu’on puisse dire est que ces influences ne disposent pas aisément le candidat à recevoir l’Evangile tout entier, à accepter loyalement l’Eglise et son enseignement, à explorer les sentiers que chacun fréquente... Mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des pierres d’attentes pour l’accueil d’un message révélé, ô combien précieux pour ce monde et pour lui. Les centres conjoncturels de gravité de la conscience morale se déplacent vite dans nos sociétés.

En outre, le candidat est appelé, c’est le cas de le dire, à se connaître et reconnaître comme homme avec ses aptitudes et ses limites, d’autant plus qu’il envisage de s’engager dans un ministère qui demande, entre autres, de bonnes qualités de relation, une réelle intelligence des dons de Dieu, une foi incarnée et unifiante. Se préparer à devenir, au titre qui sera éventuellement le sien, responsable de communautés existantes à fortifier et développer, de communautés à fonder purement et simplement, demande un équilibre psychoaffectif que ne devrait pas mettre en péril, par exemple, l’engagement au célibat consacré. C’est par sa chasteté qu’il témoigne d’une saine et sainte prise en charge des personnes et des groupes qui lui seront confiés sans jamais considérer et donner à penser qu’ils lui appartiennent. Il doit, enfin, entre autres, s’insérer dans les structures de médiations ecclésiales et les projets pastoraux dont il s’apprête lui-même à être partie prenante.

Moyens de formation comme tests et expériments d’une vocation qui s’affermit

Pour l’aider à répondre à ces exigences, le candidat dispose d’un certain nombre de moyens conjoints de formation intellectuelle, spirituelle, communautaire et pastorale. Nous nous bornons à quelques notations en nous plaçant sous l’angle où ils servent de purification et d’épanouissement de sa vocation.
Sans chercher à les ranger par ordre d’importance, prenons le cas du travail philosophique et théologique que le candidat est en devoir de fournir. Il avance positivement sur ce terrain qui occupe une bonne part de son temps quand il comprend qu’une connaissance en principe objective de la tradition chrétienne ne suffit pas. Il ne donne pas d’excellents signes d’assimilation de celle-ci par attachement simplement répétitif à la doctrine chrétienne ou, à l’inverse, par un relatif désintérêt pour elle. Il en montre, par contre, quand il découvre les implications à la fois éclairantes, déroutantes et interpellantes pour lui et avec déjà le souci de la qualité de sa transmission comme homme, chrétien et futur prêtre. Quand il prend conscience, par exemple, que la religion, y compris chrétienne, s’est manifestée parfois de fait dans l’histoire comme insuffisamment conforme à l’évangile de la grâce, il n’en renie pas pour autant sa foi - loin de là, mais atteste normalement d’un travail critique opéré en lui et susceptible de la purifier. Cela pourra l’aider à entrer en dialogue avec ses contemporains. Il cerne mieux ainsi l’originalité du discours chrétien, tout en étant moins enclin à suspecter la sincérité de ceux qui cheminent sous d’autres horizons. Plus positivement encore, il se détend et s’émerveille lorsqu’il découvre la valeur inestimable de richesses de toutes sortes incluses dans les luttes et les découvertes passées et actuelles de la foi. Il souhaite à son tour mener ce beau combat de la foi après tant d’autres qui ont entendu les recommandations de la première épître à Timothée (6, 11-13). Cela aussi, nous l’avons constaté plus d’une fois avec joie.

On sait la place qu’occupe durant la formation (et, espérons-le, après), ce qu’il est convenu d’appeler la direction spirituelle. Il s’agit, pour le dirigé, d’y entrer comme dans une sorte de petite cellule d’Eglise bien particulière où l’Esprit est à l’œuvre et préside mystérieusement à la destinée de ces rencontres et échanges. Cela revient à dire que le directeur et le dirigé doivent être conscients du rôle prioritaire de la confiance comme ressort spirituel réel d’acceptation de cette prise en charge du premier et de la volonté du second d’ouvrir largement son esprit et son cœur en toute liberté d’expression. Car c’est faire un acte de foi pratique, générateur de lumière et de liberté, que de consentir à livrer de cette façon sa vie, ses luttes, ses misères et ses aspirations à quelqu’un qui n’a humainement aucun droit ni mérite qui autoriseraient ce type de relations. Cela étant, le dirigé s’expose docilement pour chercher Dieu et sa volonté sur lui à travers les indices personnels et les médiations qui ont marqué et marquent sa vie. Il saisit sans peine, s’il n’y a pas trop de blocages affectifs en lui, qu’il est dans l’obligation de raconter les événements saillants de sa propre histoire passée, présente, et d’expliquer le sens qu’ils ont à ses yeux. Il n’est pas bien vrai quand, par exemple, il arrive qu’un directeur apprenne tardivement par d’autres voies ce que le dirigé aurait dû lui dévoiler de sa propre bouche. Hors même de toute duplicité consciente, pourquoi ne voit-il pas qu’un événement, même jugé par lui plus anodin qu’il n’est en réalité, a échappé à son attention ? Ce qu’il fait est plus révélateur que ce qu’il dit. Mais raison de plus pour le dire avec le cortège de désirs, de souhaits, de craintes, etc. qui accompagnent le choix de telle ligne de conduite plutôt que de telle autre. Un inventaire et un compte-rendu de l’existence qu’il mène aide à soupeser l’autonomie réelle de sa vocation par rapport aux inévitables et habituellement normaux conditionnements de son existence. Un ensemble de confidences initiales et continues, qui permet à la mémoire des rapprochements et des comparaisons, facilitent le discernement dans le jeu délicat des distances et des proximités à respecter.

Il faut également éviter les cloisonnements dans les relations du candidat. Il surmonte cette tentation nocive s’il ne se dérobe pas, entre autres, aux épreuves de la vie communautaire. Je me suis toujours souvenu de cette réflexion que me fit, il y a
plus de quarante ans, une maîtresse des novices d’un ordre contemplatif au règlement rigoureux : "Vous savez, on s’habitue à tout mais jamais complètement à la vie communautaire". Une maison de formation est une maison de verres grossissants. Chercher pour cela à s’en échapper est peu adulte et, finalement, assez vain. Mais, par delà l’aspect psychologique inhérent au contexte où le candidat se trouve, il mûrit grâce à la volonté qui l’habite d’aimer quand même là où il est. Il se déplace lui-même en se dérangeant pour les autres non par fuite de lui-même mais afin de servir simultanément la grâce de sa vocation et de la leur.

Il est préférable, nous semble-t-il, qu’il désire connaître sans délais trop prolongés les terrains pastoraux où on l’insère par périodes successives durant sa formation. Elles correspondent à autant d’expériments graduellement échelonnés et dosés qui l’obligent à sortir de lui-même, à se confronter à des jeunes et des adultes, à collaborer avec des laïcs et des prêtres. Il s’avère capable de progrès à mesure qu’il s’enhardit à prendre des initiatives, à faire preuve d’adaptations aux personnes diverses dont il s’occupe, à tenir malgré les tâtonnements et les échecs, à juger objectivement et modestement ses propres activités catéchétiques, liturgiques, etc. Sa faculté d’écoute montre qu’il arrive à dominer ses préoccupations du moment et à se mettre à la place d’autrui. Il est prévu qu’il reçoive des remarques, des appréciations positives ou négatives et que l’on sache comment il réfléchit son travail apostolique sans rester sur la défensive ni cultiver son individualisme.

Signes de progrès vers une plus grande maturité de la vocation au ministère presbytéral

En parlant des exigences d’une réponse à l’appel et des moyens de formation offerts et demandés au candidat pour y parvenir, nous avons insinué déjà quels devaient être les signes positifs que celui-ci donne de sa maturation en constant devenir. Mais on se méfiera du désir que nous aurions de vouloir en baliser les étapes successives. Il faut sans aucun doute parler de progrès et de progrès à évaluer comme suffisants au terme d’une évolution sujette à des hauts et des bas, c’est-à-dire à des stagnations et des régressions, à des résurrections et des avancées au long de ce mûrissement indissolublement humain et spirituel dans l’orientation qu’il a prise.

On s’aperçoit rapidement que la vocation est fort compromise s’il n’y a pas assez tôt d’indices sérieux de capacités de changements et d’intégrations de ce qu’on souhaite qu’il vive, même si cela bouleverse certaines de ses convictions subjectives. Du reste, accepter après examen qu’un candidat peut entrer en formation, est déjà pour lui une indication encourageante mais insuffisante, bien sûr, pour se prononcer sur son avenir chrétien et presbytéral. En effet, pour être net, on voit assez tôt ce qui risque d’arriver s’il ne se met pas à la tâche avec cœur et sans a priori. A preuve que ce ne sont pas ceux qui prennent le plus de temps aux éducateurs qui posent le moins de problèmes.

A défaut de pouvoir baliser harmonieusement les étapes d’une maturation de la vocation, il est certain que des conversions s’imposent toujours. Elle suppose que le candidat acquière une solide faculté d’objectivation des situations, des personnes et donc de ses propres mouvements affectifs, causes et conséquences de tant de déboires, de déceptions, de peurs et de précipitations au regard des responsabilités apostoliques qui l’attendent. Il y a une bonne inquiétude. Mais elle cesse de l’être à partir du moment où elle paralyse dans l’action ou, au contraire, la rend artificiellement débordante. Par exemple, une saine gestion de sa vie personnelle, consciente de la nécessité de se réserver du temps et des lieux de détentes et de solitude assez réguliers, en vue d’une meilleure disponibilité à sa tâche, est un indice non négligeable de maîtrise de soi.

Il est heureux de constater et d’admettre aussi que la vie change. Ne serait-ce qu’en raison de l’âge et des circonstances, des réussites, des désillusions et des échecs qui surviennent dans un domaine où sa grâce et sa liberté, ainsi que celles des personnes et des communautés, sont toujours en jeu et en mouvement. La façon pour un candidat de réagir avec courage, de se poser des questions sans trop faire peser sur autrui, sur l’institution et ses méthodes, sur les responsables de son éducation, ses difficultés montre qu’il est apte à se mettre à l’école de la vie qu’il mène et aura à mener plus tard.

Il est un bon signe qu’il garde sa fraîcheur d’âme, sa transparence, que s’accroisse son dynamisme spirituel et pastoral. Il peut, certes, se sentir à certains moments mal jugé ou jugé trop sévèrement. Mais s’il reconnaît que ce n’est généralement pas le cas parce qu’on veut simplement l’éclairer et l’aider du mieux possible en vue d’un ministère exigeant, il cherchera à se réformer. En toute hypothèse, il lui faut traverser des moments de crises - même provoquées - pour qu’il dépasse un certain aveuglement possible sur lui-même et qu’il ré-accueille une vocation qui n’est jamais ni sa seule affaire ni un droit. Il progresse quand il apprend, fût-ce à ses dépens, qu’elle est et reste à jamais un appel du Dieu vivant et vrai en son Eglise et qu’elle requiert donc une dépossession de soi qu’il retrouvera comme requise sous des formes diverses dans l’exercice même de ses tâches ministérielles. Ajoutons qu’il n’est pas mauvais qu’il se rende compte assez tôt qu’il n’en a pas toutes les aptitudes, de telle sorte que cela le conduise à se préparer aux tâches pastorales, sans abus de pouvoir et en complémentarité avec d’autres, prêtres et laïcs.

Inséré aussitôt dans des groupes et des communautés au milieu de personnes aux opinions qu’il ne partage pas spontanément, il rencontre sur sa route des obstacles, des conflits... qui sont pour lui, le cas échéant, sources d’interrogations, de déconvenues, voire de découragements. Il en tire profit s’il se montre finalement assez raisonnable et sage pour ne pas s’affoler, prendre du recul, en tirer des leçons pour un type d’engagement qu’il n’a pas à se fixer en fonction de ses goûts seulement. Il les relativisera s’il reste en même temps à l’affût des attentes et des bons mouvements de l’Esprit de Jésus-Christ qui le séduit, sans jamais le prendre en traître. Discerner et accepter les consolations et désolations qui le travaillent, même si elles ne sont pas conformes avec celles qu’il souhaiterait ressentir par priorité, témoigne d’une adaptation aux réalités humainement situées de foi, d’espérance et d’amour qui se révèlent souvent être plus complexes qu’il ne s’imaginait. Il remarquera aussi qu’il faut savoir attendre plutôt que de chercher des dénouements hâtifs qui tiendraient à son incapacité à supporter intérieurement des problèmes, (les siens, ceux de sa famille, de personnes dont il s’occupe) provisoirement ou longtemps insolubles. Laisser faire le temps et l’Esprit sans ressasser, éplucher les faiblesses et les déficiences d’une situation donnée, ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher à y remédier si possible, relève de la vertu de force. Il doit être également assez humble et coopérant pour reconnaître qu’un autre ne fait pas forcément plus mal que lui en agissant autrement et à sa place.

A travers ces simples remarques, on voit que le candidat est amené à opérer des déplacements de jugements sur lui-même et les autres en fonction de ses dons d’observation, de son aptitude à dépasser sa petite subjectivité, ses acquis antérieurs, ses certitudes trop humaines (même décrits initialement par lui sous les meilleurs auspices). Une réflexion jamais paresseuse et une intériorisation de sa foi qui n’est jamais tant elle-même que quand elle le provoque à intégrer dans sa conscience et son action des données objectives jusqu’alors inaperçues, contribuent à le faire sortir d’une adolescence prolongée.

Il apporte des signes de maturité quand il est capable en homme responsable de prendre des risques, de vaincre sa timidité, qu’il ose prendre des initiatives, qu’il sache donner des conseils à bon escient ou en recevoir avec calme, clairvoyance et sans agressivité non contrôlée. Il arrive fréquemment qu’un candidat dépasse tout doucement, ou par "déclic" presque subit, ses embarras et ses atermoiements, soit qu’il hésite encore sur sa vocation ou que sa personnalité n’est pas faite, son caractère pas assez trempé... Et puis, c’est comme si un étau se desserrait et le voilà qui prend son essor, commence à déployer ses énergies inemployées, franchit des barrières. Pourquoi ? Parce que l’accord se fait entre son humanité, sa foi et son élan apostolique. Même si cela reste dur, il sent d’un sentir spirituel bien en place qu’il est fait pour ordonner, y compris sacramentellement, sa vie pour l’annonce du Règne et royaume de Dieu. Il est mobilisé par lui et tant mieux s’il ne se rend plus trop compte qu’il se perd de vue, qu’il est oublieux de lui-même, désintéressé pour cette raison essentielle. Il désire éviter de scandaliser les autres parce qu’il les aime et qu’il prêterait le flan à la critique de ce qui lui tient le plus à cœur... Il prévient l’amertume et ne se répand pas en griefs sur l’Eglise et le monde estimés inadaptés et mauvais. Il n’en est que plus libre pour reconnaître de cruelles vérités, pour suggérer, inventer même des nouvelles manières de présenter le message chrétien à sa génération.

On pourrait continuer à décliner les qualités qui sont signes d’une maturité qui se fait. Mais on risquerait malgré tout de s’arrêter à leur valeur purement naturelle si l’on ne voyait pas que le désir premier de sa vie est de communier au Christ Jésus, Pasteur de son peuple. Car il se prépare à le représenter, non à lui faire écran, si nous osons dire. Il gagne en maturité quand il réalise qu’il n’a pas vocation à se prendre inconsciemment pour lui et à essayer de compenser son immaturité en exerçant avec autoritarisme ou laisser-aller un ministère qu’il aura à vivre en son nom et au nom de l’Eglise universelle et locale. Il en donne des gages s’il est prêt, pas simplement verbalement, à en assumer l’histoire passée et présente, c’est-à-dire les grandeurs et les faiblesses.

Il faudrait, en terminant, parler de sa prière qui, sans perdre sa valeur de relation personnelle avec Dieu en Jésus-Christ, intègre les dimensions apostoliques inhérentes au ministère auquel il aspire. Son expérience naissante en ce domaine lui enseigne qu’une vie généreuse risque de s’user et de s’aveugler si l’oraison, au moins diffuse, n’accompagne son déroulement, ne prévient, ni n’alerte sur ces dangers et d’autres. L’activisme maintes fois dénoncé est redoutable en un temps où l’efficacité n’est pas perçue spontanément sur le mode de l’imprévisible et du gratuit, propres à la prière. Il importe qu’il se persuade - au sens spirituel du terme - qu’un profond désir d’union à la prière de Jésus et de l’Eglise est facteur de développement de sa vocation. Cela dit pour souligner qu’il perdrait de sa vérité et de sa charité pastorales en se dispensant de cette exigence à cause des pesanteurs qu’il éprouve quelquefois en y consacrant du temps. Il apprend l’espérance de la foi en rendant grâces pour la paix et la joie de l’Esprit dont il contemple les effets chez ses frères, dans l’abandon filial et la certitude de la Victoire et du Règne de Dieu. Sa prière reflète dans l’Esprit de Jésus-Christ, en pleine solidarité avec la mission de l’Eglise dans le monde, le mystère de son être-chrétien et bientôt presbytéral. Il demeure alors tendu sans crispation, mais non sans humbles efforts, vers son accomplissement par le Christ, Tête et Pasteur de son peuple.

Guy Tilliette, pss,
directeur au séminaire des Carmes - Paris