Comment les jeunes voient-ils la Vie Consacrée


Comment les jeunes se déterminent-ils aujourd’hui face à la Vie consacrée ? Quelle vision en ont-ils ? Qu’y recherchent-ils ? A ces questions, nous vous proposons deux réponses, l’une, féminine, l’autre masculine. Voici celle de Sœur Micheline Bertrand, Sœur de La Retraite.

Pour le "tout-venant", jeune ou moins jeune, le mot "Vie religieuse" évoque généralement quelques images. Par contre, l’expression "Vie consacrée" est beaucoup moins porteuse de signification. Nous parlerons donc ici plutôt de "Vie religieuse", même si notre propos peut aussi s’étendre à toute forme de vie consacrée.

La Vie religieuse dérange et attire en même temps. Profondément humaine et ordinaire, elle demeure cependant aussi un lieu possible de dépassement, de sainteté, voire d’héroïsme. Il est facile de connaître les schémas véhiculés par la mémoire collective de la société et des chrétiens eux-mêmes. Les médias et le langage populaire nous en donnent mille exemples ainsi que les schémas qu’entretiennent les divers milieux chrétiens et les instituts eux-mêmes. Les jeunes font partie de cette société telle qu’elle est. Ils appartiennent à un milieu culturel donné. Ces schémas fonctionnent donc, de toute façon, dans un sens ou dans un autre, qu’ils soient attirants ou rebutants, qu’ils soient des caricatures ou bien ajustés à la réalité, venant du passé ou encore valables aujourd’hui. Ceux qui se posent la question de la Vie religieuse auront à se frayer un chemin à travers toutes ces images.

Bien des questions se posent à nous, les adultes souvent appelés à aider des jeunes :

- Qu’est-ce qui, aujourd’hui, motive les jeunes quand ils sont attirés par telle ou telle forme de vie consacrée ?

- - Quelle vision ou schéma en ont-ils ?

- - Comment se déterminent-ils par rapport à un charisme ?

Nous essaierons de répondre à ces questions en suivant les jeunes dans le concret de leur cheminement :

- Quels sont leur premiers pas dans cette recherche ?

- Comment discernent-ils pour aboutir à une décision ?

Les premiers pas

La plupart du temps, le point de départ s’inscrit dans une expérience de type "religieuse", bien souvent datée :

- Pour les uns, c’est une rencontre très personnelle et profonde de Jésus-Christ, au cours de temps forts (pélé, groupes de prière, retraites, marches prière, etc.) ou au détour d’une homélie, d’une lecture, d’une rencontre...

- pour d’autres, cette expérience est provoquée par une situation de pauvreté, de misère, de dégradation, de souffrance physique ou morale, confrontée ou non à l’Evangile.

- - Pour d’autres encore, le choc inattendu de la transcendance de Dieu leur fait prendre conscience de la stérilité, de l’étroitesse de leur vie.

Cette expérience suscite une conversion, une mise en route. Elle entraîne une grande générosité et un désir bien souvent absolu de radicalité dans l’engagement.

1 - Certains jeunes peuvent fréquenter pour un temps plus ou moins long un monastère, ils sont séduits ; sortant pour un temps d’un monde stressant, bruyant, "consommant", ils goûtent la solitude, le silence. Ce retrait leur permet de rencontrer des hommes ou des femmes pour qui Dieu et la prière sont le point central de leur vie. Un séjour à l’hôtellerie est alors l’occasion de leur parler. Ces religieux témoignent de ce qui les fait vivre, répondent aux questions sur leur vie de prière, leur vie de communauté, l’origine de leur vocation, la gratuité de leur vie, leur enfouissement, la liturgie... Une relation personnelle peut alors s’engager. Les jeunes se sentent reconnus, ils éprouvent un certain enthousiasme et désirent les rejoindre.

2 - D’autres images très mobilisatrices touchent aussi fréquemment les jeunes :

- Celles d’engagement auprès des "plus pauvres" : par exemple Mère Teresa ou des personnes travaillant dans le tiers-monde (à la faveur d’une émission TV, d’un séjour à l’étranger...)

- Celles d’un engagement pour la réconciliation, la justice, la paix, l’unité : par exemple Frère Roger et le mouvement de Taizé, comme Amnesty international, l’ACAT, des expériences de "coopération", de contrats limités avec des ONG, etc. De telles images sont souvent des points de départ. A partir de là, ces jeunes cherchent à rejoindre ces hommes et ces femmes dans leur groupe de référence ou à trouver un lieu pour mettre en œuvre ce qui a été éveillé en eux.

3 - Un autre aspect de la vie évangélique les attire beaucoup, celui de la vie fraternelle. Ils recherchent des groupes de prière, de partage, des mouvements de jeunes qui les aident à grandir et parfois les sécurisent dans un monde dur et individualiste. Des jeunes blessés dans leur vie affective y seront alors particulièrement sensibles. Les formes de vie fraternelle qu’ils découvrent seront-elles décisives pour leur choix de vie ou bien n’est-ce qu’un passage pour accéder à une vie adulte ? C’est tout l’enjeu de leur recherche.

4 - D’autres encore sont mis en mouvement par des "images" plus ordinaires et moins visibles. Elles touchent à des formes de vie consacrée, communautaires ou non, où la mission apostolique est première. Ils rencontrent des hommes ou des femmes heureux dans leur vocation, proches des gens qui les entourent. Ceux-ci s’engagent sur des lieux parfois risqués de marginalisation ou cherchent à répondre à des appels de toute sorte (d’ordre social, éducatif, pastoral, missionnaire...), selon leur charisme propre. C’est un aspect de la mission de l’Eglise qui attire ces jeunes : ils veulent, eux aussi, vivre cette mission en plein monde, à travers leurs activités, leur travail professionnel, leurs relations. Invités à partager la prière des communautés de ce type, ils découvrent une manière de prier où la vie du monde est très présente. Ensemble, ces religieux puisent la force pour repartir vers leur mission. Les jeunes sentent qu’ils ont une vie exigeante de partage, de soutien fraternel et de discernement. Dans d’autres cas, ils perçoivent que la vie simple en fraternité évangélique devient le lieu même de la mission.

5 - Un autre chemin, complémentaire des précédents, passe par le choc de la découverte de grands saints : Claire et François d’Assise, Charles de Foucauld, Thérèse d’Avila, Ignace, Dominique, les grands missionnaires, etc... A partir de là, ils apprennent à connaître une spiritualité à laquelle ils se sentent ou non accordés.

En résumé, les types de "modèles" qui les questionnent, les travaillent, les attirent en premier se réfèrent :

  • soit au cadre institutionnel, type monastère ou type conventuel
  • soit à l’action humanitaire, caritative ou missionnaire
  • soit à des grandes personnalités attirantes, du passé ou du présent.

Le lieu de réalisation

Comment les jeunes trouvent-ils finalement le lieu de réalisation de tout ce qui a été suscité en eux dans les étapes précédentes ?

Quel que soit le point de départ de l’éveil à leur vocation propre, il faut de toute façon un chemin de discernement plus ou moins long, même si la première rencontre est parfois déterminante. Ces jeunes sont souvent loin de connaître toute la gamme des vocations chrétiennes. Ils cherchent, disent-ils, à suivre Jésus-Christ, à vivre l’Evangile, ils parlent de l’absolu de Dieu qui les a séduits, ils parlent de vie religieuse... mais ils ne sont qu’au début de leur recherche. Quand ils rencontrent telle ou telle forme de vie consacrée, ils sentent plus ou moins confusément qu’ils sont à l’aise, qu’ils y seraient heureux. Là, c’est la pauvreté qui les attire... ici, c’est l’annonce de la Parole... là, c’est la liturgie du chœur... Ils pressentent qu’un fondateur, qu’une fondatrice a traduit dans sa propre existence ce qu’ils cherchent. Ils éprouvent une certaine connivence, ils ressentent une invitation à aller là plutôt qu’ailleurs. C’est à ce moment-là que les jeunes ont véritablement besoin de personnes pour les aider : Service des Vocations, mouvements divers, accompagnateur, lieux de discernement dans les Instituts eux-mêmes...

Les "images" qui les ont mobilisés au départ doivent de toute façon se transformer parce qu’elles ne recouvrent jamais la réalité telle qu’elle est et qu’elles ne sont qu’un aspect de la vie qui les attire. - En ce qui concerne la vie monastique, les jeunes ont souvent une vision assez idyllique : une fois qu’ils seront entrés dans le monastère, ils pensent que leurs problèmes seront résolus !... Ils ne réalisent pas toujours que le "vivre ensemble", dans la durée ne comporte aucun dérivatif et qu’il faudra tenir dans la monotonie du quotidien : mêmes lieux, mêmes personnes, mêmes activités, aux mêmes heures... Souvent sans repère, sans régularité, ils sentent une certaine harmonie qui les séduit. La beauté des offices leur fait parfois imaginer que là, soutenus par la prière liturgique, ils trouveront du goût dans la prière.

  • En ce qui concerne les vies apostoliques en plein monde, des jeunes ne découvrent pas tout de suite la radicalité évangélique. Progressivement, ils devront percevoir que la contemplation dans l’action, la vie fraternelle au coude à coude, le discernement pour la mission, la prière à tenir coûte que coûte sont des éléments exigeants de la vie au quotidien.
  • Pour les communautés où la vie fraternelle est le lieu même de la mission, les rêves de "fusion", les illusions de transparence, devront tomber avant même de faire un choix.
  • L’attrait d’une vie consacrée en solitude, avec le désir d’un enfouissement au milieu du monde suppose un enracinement humain solide et une grande liberté personnelle par rapport à tous les liens matériels ou relationnels inhérents à leur choix.
  • L’engagement radical auprès des plus pauvres, il faudra le vérifier. Est-il sous-tendu par un appel spécifique reçu à l’intérieur de l’appel à suivre Jésus-Christ ? Les aptitudes humaines permettent-elles ce choix ? L’enthousiasme et la générosité ne suffisent pas, elles risquent d’être purement affectives et tomberont à la première difficulté.
  • Quand le choix d’un célibat pour le Royaume implique la vie communautaire entre personnes de même sexe, il faut veiller à ce que l’attrait pour cette vie soit bien situé - elle peut camoufler une peur d’affronter la différence sexuelle sous toutes ses formes. Si cela n’est pas décelé avant l’entrée, les jeunes auront à affronter des difficultés qu’ils ne peuvent soupçonner et dont ils mettront souvent longtemps à parler.

Toutes ces images mobilisatrices qui ont mis en mouvement le jeune sont à respecter mais elles portent en elles-mêmes des images de Dieu, de Jésus-Christ, de l’Eglise, de la Vie religieuse qui sont toujours à purifier et à ajuster, selon l’histoire personnelle de chacun.

Finalement plusieurs éléments importants doivent converger et être vérifiés soit par le jeune, soit par l’Institut qui l’accueillera.

  • Eprouver la profondeur de l’expérience spirituelle (sa relation à Dieu, au Christ, à l’Eglise, au monde) en la confrontant à la Parole de Dieu et au réel de la vie quotidienne dans toute son épaisseur (prière et discernement).
  • Pouvoir intégrer progressivement les éléments de l’histoire personnelle et accepter de regarder, avec réalisme, richesses et limites devant le choix à faire.
  • Considérer avec suffisamment de recul les institutions qui attirent en essayant de dégager les éléments plus contingents qui risquent de masquer l’essentiel.
  • De son côté, l’Institution devra s’assurer qu’il y a appel à suivre Jésus-Christ. Elle vérifiera des aptitudes à vivre selon le charisme de l’Institut.

Qu’en est-il du charisme propre dans toute cette recherche ? Il faut reconnaître qu’au départ ce mot ne signifie rien pour les jeunes. Mais, au fur et à mesure de leur démarche, des diverses rencontres, des moments de vie "avec", de la lecture des textes fondateurs, Règle de Vie, Constitutions..., il se dégage à leurs yeux une manière d’être et d’agir avec laquelle ils se sentent en accord.

Conclusion

Pour conclure je vous livrerai quelques convictions :

Toute "Vocation religieuse" trouve son fondement à l’intérieur de la foi au Dieu de la révélation biblique, dans un appel évangélique personnel sous "la Forme Traditionnelle" de la vie religieuse dans l’Eglise. Il est bien évident que cette "Tradition" prend aujourd’hui des formes multiples mais celles-ci doivent toujours se référer au "noyau" fondamental qui demeure.

Le chemin de réalisation d’une "Vocation religieuse" passe nécessairement par la rencontre d’un désir né d’une expérience de type religieux et d’un lieu de mise en œuvre de ce désir qu’il ne faut jamais confondre avec ce désir lui-même.

Pour moi, une vocation quelle qu’elle soit ne s’explique pas, ne se démontre pas... "Comprenne qui pourra"... Elle vient de plus loin que moi, elle me traverse, me dépasse, comme tout ce qui est de l’ordre de l’amour... Elle est et dure depuis des siècles. Des hommes et des femmes en témoignent...

Micheline Bertrand
Sœur de La Retraite