Les vocations invitées au dialogue


Bénédicte Nau
Service diocésain des vocations de Poitiers


Le Service Diocésain des Vocations suit et accompagne avec un intérêt tout particulier ce qui demeure encore une nouveauté dans la vie de l’Eglise : le renouveau du diaconat permanent. Alors que les SDV se préoccupent de l’opportunité d’interpeller des hommes, jeunes ou adultes, pour le presbytérat, ils sont attentifs à ce que l’Esprit dit à l’Eglise dans et par la vocation des diacres permanents. En même temps, devant les temps difficiles que connaît l’institution du mariage, le SDV se demande s’il n’y a pas un enseignement fécond à recueillir de la part de ces époux qui acceptent de s’aventurer bien loin de leur projet de départ.



Le diaconat permanent, vraie ou fausse vocation spécifique ?

Toute vocation a sa source dans le baptême qui lance chaque chrétien sur un chemin de vie où, plus ou moins consciemment, il tente de répondre à l’appel du Seigneur. Cette vocation chrétienne doit se concrétiser dans une forme de vie plutôt qu’une autre, où la personne se donne par amour. Amour de Dieu, amour des autres, sans oublier l’amour de soi qui est une condition préalable : « Aime ton prochain comme toi-même », « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
Que nous donnent à voir ces diacres permanents qui ont été saisis au cœur de leur vie adulte ? La grande majorité sont mariés, pères de famille, quelques-uns seulement sont célibataires. Ils exercent une profession, ils ont des engagements dans un ou plusieurs domaines : politique, syndical, associatif, etc. Un jour, ils sont interpellés au sujet du diaconat par une personne autorisée et ils se mettent en route. Leurs choix de vie sont-ils remis en cause pour autant ? On ne le leur demande pas…
On leur demande s’ils acceptent de se préparer à recevoir le sacrement de l’ordination diaconale pour exercer un ministère spécifique au milieu du monde. Comment mesurer ce que représente de nouveauté dans leur vie l’intériorisation d’un tel appel ? Ils avancent sur un chemin nouveau, parce qu’une parole leur a été adressée par un tiers, mais cet appel n’est entendu que si une autre Parole vient résonner au plus intime de leur conscience et dans leur cœur telle que : « Avance au large... » ou tout autre message que seul l’Esprit peut adresser à qui il veut.
C’est un choix à faire pour un don « une fois pour toutes » qu’ils feront de leur personne, non pas comme un religieux, non pas comme un prêtre, mais en devenant néanmoins homme de Dieu, dans le monde.

La préparation est longue pour cette « mise à part » qui donnera un souffle nouveau à leur vie « par l’imposition des mains transmise depuis les Apôtres, et plus étroitement unis à l’autel, pour qu’ils s’acquittent de leur ministère plus efficacement, au moyen de la grâce sacramentelle du diaconat (1). »
Leur vie est appelée à devenir « ministérielle », ayant en charge d’être serviteur, signe de la tendresse de Dieu pour les hommes : pas seulement ceux qui sont dans l’Eglise, spécialement ceux qui sont éloignés, isolés, exclus (de la société, de l’éducation, de la richesse, mais aussi de la foi). Cette tendresse de Dieu, ils continueront de la proposer dans l’intimité familiale, pour qu’elle se mélange à la tendresse humaine avec laquelle elle ne fait qu’un.
Par leur travail, leurs activités, ils participent à la Création là où les hommes donnent de leur vie pour transformer le monde. Hommes de Dieu dans tous les milieux, partout où ils sont, ils annoncent le Royaume.
Cette audace de l’interpellation (que nous connaissons également pour l’appel aux ministères reconnus) va-t-elle réveiller notre torpeur, voire notre résignation, vis-à-vis de l’appel au ministère presbytéral ? Si nos communautés chrétiennes ont compris que le diaconat ne pallie pas le « manque de prêtres », vont-elles s’interroger sur la spécificité du prêtre, pour pouvoir appeler l’un et l’autre, l’un ou l’autre, selon les besoins de la mission et la grâce de Dieu reconnue ?
L’appel venant des chrétiens de nos communautés, que l’on ose lancer en direction du ministère diaconal, n’est-il pas aussi attendu pour que retentisse l’écho d’un appel du Seigneur au ministère presbytéral dans le cœur de jeunes hommes (ou hommes disponibles) ? Le travail de l’Esprit est là pour s’emparer de toutes ces pierres d’attente.



Diaconat permanent et mariage : une double vocation ?

La question est souvent posée de la place de l’épouse du diacre permanent lorsque celui-ci est marié, et l’on sait que celle-ci devra signifier son accord avant l’ordination. Le lien du couple est comme renouvelé par le sacrement que reçoit l’époux, ce dont témoignent nombre d’épouses lors de leur prise de parole avant l’ordination.

Comme l’exprime Xavier Lacroix (2), ce qui est spécifique ce n’est pas le mariage en tant que tel, mais le mariage avec un tel ou une telle, parce qu’il engage le don total à l’autre. « Je me donne à toi pour t’aimer fidèlement tout au long de notre vie », c’est une parole qui s’appuie sur l’Evangile : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » L’époux n’est époux que par l’épouse et réciproquement. Le don réciproque fait prendre le feu, crée ce « foyer » où l’amour se dit (avec le feu qui peut n’être plus que braise ou qui peut faire une belle flambée). Cette chaleur est vie pour le monde, à travers tous les aspects de la vie : enfanter, éduquer, accueillir, travailler...

Celui qui va être ordonné, s’il est époux, a déjà donné sa vie une fois pour toutes et sa mission de diacre va se vivre au quotidien dans sa famille, elle s’appuiera sur le sacrement du mariage pour rayonner en fruits de charité dans le monde.
Comme tout couple chrétien, le diacre et son épouse continueront à vivre la mission qu’ils reçoivent de par leur mariage (Jean-Paul II parle du « ministère des époux », dans l’Exhortation apostolique Familiaris Consortio (3) ). Il y a un ministère dans le sens du service au sein de la communauté familiale, mais aussi eu égard à la situation des époux-parents au sein de la communauté d’Eglise et de la société.

La mission du couple se nourrit de la vocation personnelle, particulière, de l’un et de l’autre : chacune demeure et leur alliance permet de porter d’autres fruits, bons pour le monde. Le couple diaconal n’est-il pas particulièrement appelé à en témoigner ?
La figure nuptiale du couple, où la Tradition voit l’image de l’amour du Christ pour son Epouse, l’Eglise, est grandie par le diaconat dans la mission de service et de charité qu’il met en œuvre. Le diacre est particulièrement signe de la préférence pour les pauvres et les petits, pour ceux qui sont en manque, en recherche, en attente. Par son ordination il se fait ouvrier de Dieu pour « élever les humbles, combler de bien les affamés... », il offre sa vie avec le Christ pour que toute la Création soit renouvelée par Lui.

Le « oui » de l’épouse n’est pas renouvellement du « oui » du sacrement de mariage qui demeure une fois pour toutes, mais il est comme le « oui » de Marie à l’Annonciation : « Je suis la servante du Seigneur. » Elle dit publiquement devant Dieu et devant les hommes, qu’elle accepte que son époux soit donné pour le Royaume et c’est sans doute le signe d’un surcroît de vocation pour elle-même puisqu’elle ne fait qu’un avec celui qui se donne, mais cela ne doit pas entraîner de confusion puisqu’elle ne reçoit pas elle-même un autre sacrement.
Le contour de la nouvelle vocation du diacre est ainsi dessiné : un appel par l’Eglise à donner sa vie en vue de la mission confiée, spécifique au charisme de chaque diacre. Cette seconde réponse se vit par amour, élargissant la première sans l’englober, laissant du jeu pour que la vocation de l’épouse s’épanouisse, ainsi que celle des enfants !



Entrer en dialogue

La vocation du diacre permanent opère un passage de l’homme baptisé laïc à l’homme ordonné pour servir l’Evangile et, s’il est marié, ceci instaure une double vocation, celle de l’époux qui devient diacre. Cela nous ouvre à une dimension de toute vocation : que l’on soit laïc, chargé d’un ministère reconnu ou non, religieux ou non, ou ministre ordonné, toute vocation porte en elle une part du mystère de l’Amour de Dieu pour ses créatures. C’est en dialoguant entre elles que nos différentes vocations s’épaulent pour s’épanouir.

Puissent nos vocations s’interpeller mutuellement et nous donner l’audace d’appeler autour de nous.


Notes :
(1) Concile Vatican II, décret Ad gentes, § 16.
(2) Xavier Lacroix : "Peut-on parler de mission ?", in "Le mariage une vocation ?", Jeunes et Vocations n°107, 2002.
(3) Cité par Xavier Lacroix, id.