Dans ma faiblesse, je prends ma force


Choisir la faiblesse pour rencontrer l’autre et refléter ainsi l’esprit de l’Evangile. Cette méditation du P. Christian Chessel, Père Blanc, écrite quelques mois avant sa mort, prend désormais toute sa force de signification dans le sacrifice de sa propre vie.

"Qui est faible, que je ne sois faible ? S’il faut s’enorgueillir, je mettrai mon orgueil dans ma faiblesse (...) afin que repose sur moi la puissance du Christ. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort." (2 Cor.11, 29...12, 10).

La mission, notamment en monde arabo-musulman, est marquée par la faiblesse. Le mot peut surprendre. Il n’est pas courant dans le vocabulaire missionnaire. "La faiblesse" a mauvaise presse dans notre monde où la force et la santé physique, psychologique, intellectuelle sont synonymes d’épanouissement et de réussite sociale. Et pourtant, saint Paul, dans ses lettres, n’utilise pas moins de 33 fois le mot "faiblesse".

La faiblesse partagée, langage du Dieu devenu homme. Dans la Bible, le "faible" est avant tout celui dont il faut se préoccuper et qu’il faut respecter. "Opprimer le faible, c’est outrager ton Créateur" (Pr. 14, 31). Dieu s’identifie aux plus faibles de ses créatures. "Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mat.25, 40). C’est "le langage de la croix", car "ce qui est folie de Dieu est plus sages que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes" (1 Co 1, 18 et 25).

Jésus, Dieu devenu homme, rejoint notre faiblesse "naturelle" en la partageant. Il prend et transfigure toute la faiblesse humaine. Il s’en sert pour révéler à tout homme l’œuvre de son amour. Ce sont les "faibles" qui comprennent le mieux ce langage ! "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits" (Lc 10, 21).

La faiblesse acceptée, comme langage du dialogue et de l’annonce. Reconnaître, accepter sa propre faiblesse apparaît un passage inévitable. Il peut être crucifiant, au plan personnel, communautaire ou ecclésial. Il s’agit de suivre le Christ dans son mystère, prendre sa faiblesse pour qu’il rejoigne la mienne.

Le plus crucifiant est que nous ne pouvons faire ce passage par nous-mêmes ; seul l’Esprit-Saint peut venir "au secours de notre faiblesse" (Rm 8, 26). Il nous apprend, à travers la relecture de notre vie et des événements, à trouver la force d’entrer dans la vérité de notre être, de notre communauté ou de notre Eglise. Travail patient mais précieux, où l’on "sème dans la faiblesse" pour ressusciter "dans la force" (1 Co 15, 43), cette force qui est don de Dieu. Accepter notre impuissance et notre pauvreté radicale est une invitation, un appel pressant à créer avec les autres des relations de non-puissance ; reconnaissant ma faiblesse, je peux accepter celle des autres et y voir un appel à la porter, à la faire mienne, à l’imitation du Christ.

Une telle attitude nous transforme pour la mission. Elle nous invite à renoncer à toute prétention dans la rencontre de l’autre, si faible soit-il, et à aller à lui sans avoir peur de ses faiblesses physiques, morales ou spirituelles. Je change mon regard sur l’autre et je ne cherche pas à lui en imposer : toute force autre que celle de l’Esprit est vaine. Cette attitude nous invite à ne pas craindre la rencontre de l’autre ou de l’événement, si "fort" soit-il, mais à aller à lui dans la force de la faiblesse, en nous appuyant sur Dieu seul. "Quand je suis venu chez vous, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je vous ai annoncé le mystère de Dieu.(...) Ma parole et ma prédication... étaient une démonstration faite par la puissance de l’Esprit, afin que votre foi soit fondée non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu" (1 Co 2, 1-5).

La faiblesse choisie comme langage de la "charité discrète". Cette attitude de faiblesse peut être radicalement incomprise. La faiblesse, en soi, n’est pas une vertu ; mais elle est l’expression d’une réalité fondamentale de notre être qui doit sans cesse être façonnée par la foi, l’espérance et l’amour. La faiblesse de l’apôtre est comme celle du Christ, enracinée dans la force du mystère de Pâques et dans la force de l’Esprit. Elle n’est ni passivité ni résignation, elle suppose beaucoup de courage et pousse à s’engager pour la justice et la vérité en dénonçant l’illusoire séduction de la force et du pouvoir.

C’est à ce prix que la faiblesse choisie devient une attitude évangélique, une attitude missionnaire. Elle nous libère pour aimer en nous faisant "tout à tous", pour rejoindre surtout les plus faibles en partageant "la faiblesse des faibles" (1 Co 9, 22). Par là, la faiblesse choisie devient l’un des plus beaux langages pour dire la "discrète charité" de Dieu aux hommes. Elle devient aussi une spiritualité des mains vides, où tout, même nos faiblesses, peut être vu comme don et grâce de Dieu.

Père Christian Chessel