Permanent laïc, vrai métier, vraie vocation


Véronique Gallissot, mariée, trois enfants, est coresponsable du Service des vocations du diocèse de Langres.

Un rapide sondage parmi mes "collègues" - avant d’écrire cet article - me fait prendre conscience que cette question est une colle sinon un piège ! En effet, nous en sommes encore à l’époque des pionniers (en France, en tout cas !) et la diversité des permanents laïcs et de leur cheminement, en fonction des diocèses, lieux d’insertions et situations familiales, est si grande qu’il est impossible de généraliser une réponse. Le fait est qu’il y a question et que cela vaut la peine de s’y pencher. Je vais tenter l’expérience et essayer de ne pas tomber !

"Dis, maman, à la ligne ’profession de la mère’, qu’est-ce que je mets ? J’arrive jamais à expliquer c’que tu fais. ’Permanent laïc’ mes copains y connaissent pas ce métier-là ! Alors j’dis que tu travailles à l’Evêché. Ils croient que t’es la secrétaire de l’évêque ! Quand t’étais orthophoniste, c’était plus facile !" ... Petit dialogue-type des temps de rentrée : permanent laïc n’est effectivement pas un métier comme les autres !

D’abord tenter de définir les permanents laïcs

  1. Ils sont appelés, sur la base des sacrements de l’initiation, à exercer un "office dans l’Eglise". Une lettre de mission, liée au contrat d’embauche, signifie et définit la reconnaissance de cette mission particulière.
  2. Les permanents laïcs interviennent dans la vie interne de l’Eglise où ils ont des responsabilités.
  3. Ils ne sont pas ordonnés ; ils peuvent être religieux(ses), consacrés, mariés ou célibataires...
  4. Ils ne sont pas suppléants des prêtres mais travaillent en partenariat avec tous ceux qui, diversement, exercent un service en Eglise.
  5. Ils se forment sur le plan théologique et pastoral et doivent rendre compte de leurs activités...
  6. Ils peuvent être bénévoles, mais sont bien souvent salariés par le diocèse, telle communauté ou paroisse. (Cela suppose que soit prise en compte leur rémunération dans l’élaboration des budgets...).

Ces quelques points étant posés, métier ou vocation ?

Dans un premier temps, je donnerai mon témoignage personnel. Puis, je me risquerai à prendre quelque recul pour analyser la question sous deux angles : - permanent laïc par rapport aux autres métiers - permanent laïc par rapport aux autres vocations, non laïques, dans l’Eglise.

1 - ... de la "rééducation de la parole" à la "transmission de la Parole" !

"Mais pourquoi diable avoir lâché un métier tel que l’orthophonie, métier sérieux, intéressant, varié, riche en contacts et utile s’il en est... pour prendre un poste "à l’Evêché" où l’on ne sait pas trop ce que tu fais, moins bien payé, avec des études à la clé qui ne t’apporteront rien de plus (sur le plan "carrière"), avec des emplois du temps farfelus et souvent contraignants ?" ... Petit questionnement-type de toute personne avec qui je fais connaissance et qui n’est pas directement "branchée" sur les circuits chrétiens.

Effectivement, lorsqu’on change de métier volontairement (sans contrainte d’urgence ou de chômage) c’est souvent parce que l’on a trouvé mieux : soit sur le plan qualité de travail, soit sur le plan promotionnel ou financier. Ce n’était pas mon cas. Orthophoniste de formation, je travaillais dans un institut médico-éducatif... Il m’a été difficile de choisir. Raisonnablement, j’aurais peut-être dû garder l’orthophonie ! Il n’y a qu’au regard de la foi que mon choix se justifie et, en cela, je fais un premier lien entre mon métier actuel et une démarche de vocation ! Si l’Eglise ne m’avait pas appelée à ce poste, jamais je n’y aurais pensé. Concrètement, mon activité de "laïc chargée d’un office dans l’Eglise" est définie par deux documents :

  1. Un contrat de travail définissant les conditions matérielles, juridiques et financières de mon activité professionnelle : un métier bien défini donc !
  2. Une lettre de mission, signifiant l’appel de l’Eglise, en ce qui me concerne pour un service donné (au SDV de mon diocèse en l’occurrence) : une vocation donc, puisqu’appel de l’évêque il y a eu, précédant mon "embauche".

Par mon contrat de travail, une compétence m’est reconnue et demandée dans un domaine particulier de la pastorale pour faire des tâches précises. Mais par ma lettre de mission je réponds à une vocation qui, appuyée sur mon Baptême, me demande d’être co-responsable d’un service pastoral auprès d’une communauté diocésaine donnée, en un temps donné de l’Eglise de Langres, et d’être signe que la question des vocations concerne tout membre de la communauté chrétienne (dont les laïcs que j’y représente !).

Mais c’est essentiellement parce que je n’ai pas choisi ce métier, parce que j’ai dû faire un choix professionnel en laissant mon "premier" métier, parce que rien ne m’y préparait et que cela m’a entraîné à reprendre une formation (en théologie), parce que toute ma vie de Foi, mon engagement de chrétienne, mon cheminement spirituel et mon rapport à l’Eglise ont changé et se sont enrichis, parce que je suis comblée au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer, parce qu’à un appel "extérieur" de l’Eglise s’est ajouté pour moi un appel plus "intérieur"... pour toutes ces raisons je considère ce métier en grande partie comme une vocation !

2 - Permanent laïc, comparé aux autres métiers

C’est un fait, depuis quelques années, dans les Forums des métiers organisés dans les lycées, apparaissent peu à peu des stands : "Métiers d’Eglise" ! Il y a donc proposition d’une voie d’avenir faite aux jeunes, avec de gros besoins en perspective dans l’Eglise de France pour les années à venir ! Mais suffit-il d’entrer en formation de théologie ou d’animateur liturgique pour être embauché par un diocèse, pour avoir une carrière envisageable à long terme ? (Car on ne se recycle pas si facilement avec une licence de théologie !) D’après mon petit sondage, le premier "cri du cœur" des permanents est de considérer majoritairement leur charge ecclésiale comme une "vocation" ! La plupart ont été appelés à ce travail par l’Eglise de leur diocèse. Peu se destinaient à ce genre d’activité professionnelle. Tous la considèrent comme un service d’Eglise :

  1. Cet appel de l’Eglise vient bien souvent rejoindre un appel intérieur Ce type de métier ne peut s’exercer sans un solide enracinement dans la Foi, la vie de prière, l’amour de l’Eglise, c’est-à-dire sans la conscience vive que ce ministère exercé prend sa source dans le sacrement de baptême ! Ce métier, contrairement à bien d’autres, nécessite un accompagnement, ou un lieu de relecture de vie... On n’y travaille jamais pour son propre compte, on fait équipe avec d’autres, on expérimente le partenariat ou la co-responsabilité "différenciée". C’est une riche école de tolérance où la compétence relationnelle ainsi que la formation à l’écoute et aux techniques de communication viennent en première ligne.
  2. Mais ce métier, comparé à bien d’autres, implique des contraintes que les syndicats professionnels ont du mal à reconnaître :
  • Les salaires sont bas... indépendants des niveaux d’étude et sans espoirs promotionnels. L’Eglise n’est pas riche, on est prévenu à l’embauche : on n’y fait pas carrière ! Pour qui espérerait une promotion professionnelle, grille de salaire et augmentations programmées, il y aurait grande déception à s’engager dans cette voie !
  • Notre contrat de travail est lié à une lettre de mission de l’évêque du lieu. D’où, par rapport à d’autres métiers, un rapport accepté de soumission à l’autorité morale de l’évêque. Celui-ci peut retirer la mission confiée s’il estime qu’une faute professionnelle a été commise (par exemple, un désaccord majeur sur l’un des grands axes pastoraux choisis par le diocèse).
  • Un métier où toute notre façon de vivre se trouve questionnée et engagée au-delà de notre activité. Un métier qui implique une certaine éthique de vie car - sans apparaître dans le contrat de travail - il y a un accord tacite du permanent à se soumettre (du moins extérieurement) aux exigences de l’Eglise en matière de vie sociale et morale. Qu’en serait-il du permanent qui de façon notoire vivrait, en dehors de son temps de travail, d’une manière jugée opposée à l’Evangile ? Il y a un certain "droit de regard" à accepter de la part de la communauté qui nous embauche. Métier différent des autres en ce que vie privée et vie professionnelle s’interpénètrent forcément !

3 - Permanents laïcs et permanents non laïcs

Forcément, puisqu’on parle vocation, il faut bien regarder ce qu’il en est de notre rapport aux ministres "ordonnés" ! Cette vocation, bien définie depuis des siècles, semble parfois gênée par cette arrivée massive de laïcs dans des services d’Eglise qui, jusqu’à présent, n’étaient assurés que par le clergé.

On vient de parler d’embauche pour les permanents laïcs, ce n’est pas le cas pour les ministères ordonnés. Un besoin de clarification de vocabulaire s’impose.

  1. Le fondement du ministère presbytéral est le sacrement de l’ordination. Pour les ministères laïcs, il s’agira des sacrements de l’initiation chrétienne.
  2. Le choix des ministres ordonnés ne dépend pas d’une élection de type "démocratique" de la part de la communauté, mais d’un appel reconnu comme celui de l’Esprit, d’un don fait à son Eglise, avec un caractère définitif. Par contre, pour les laïcs, le choix est fait en fonction de ses compétences et aptitudes, pour un service donné et en un lieu donné.

Vu sous cet angle, "permanent laïc" est plutôt un métier :

  • métier qui n’engage pas dans un état de vie particulier : on peut être célibataire ou marié, religieux ou non.
  • le laïc marié - comme c’est souvent le cas - a des pôles d’intérêts à garder, autres que son métier. Il échappe peut-être plus facilement au poids de la charge pastorale qu’un ministre ordonné, tout donné à sa mission, parfois plus de difficultés à équilibrer ses temps de vie "personnels" .
  • Métier "réversible", il est possible, (voir souhaité !) de changer de type d’activité professionnelle pour, un jour ou l’autre, reprendre un métier "dans le monde". Par contre, le caractère temporaire de la mission fait de cet engagement un métier "à risque" puisque non garanti dans le temps.

A travers ces deux formes d’engagement au service de l’Eglise (laïc ou ordonné) apparaît une nouvelle façon de parler des ministères et d’en apprécier la diversité. A travers les fonctions ecclésiales que l’on est appelé à partager, il y a un effort à faire pour, réciproquement, mieux se connaître, respecter le statut différent des uns et des autres et la complémentarité des rôles. Epreuve parfois douloureuse de l’apprentissage de la co-responsabilité ou découverte formidable d’un partenariat possible prêtre/laïc et bien souvent homme/femme. Car avec les laïcs, ce sont majoritairement des femmes qui font leur entrée dans des secteurs ecclésiaux où, depuis des siècles, n’avaient jamais siégés que des hommes.

En conclusion : métier ou vocation ?

En ce qui me concerne, je crois qu’il faut accepter la complexité de la question et l’ambiguïté de la réponse.

Depuis Vatican II, "fonction, statut et rôle des divers agents pastoraux" ont besoin d’être, sinon redéfinis, du moins explicités de façon nouvelle. Les laïcs aujourd’hui dans l’Eglise prennent en charge une grande part de la transmission de la parole et diverses tâches pastorales (charges qu’ils n’auraient jamais dû délaisser)... Et ce phénomène, mis en parallèle avec la diminution des vocations religieuses et sacerdotales, ne manque pas de poser question.

Au regard de la situation actuelle dans l’Eglise de France, je conclurais volontiers que permanent laïc apparaît comme : une vocation et un métier !

Véronique Gallissot
Co-responsable SDV Langres