La Pastorale des Vocations aujourd’hui


Quelle pastorale des vocations dans nos monastères ? Nous avons souhaité, avant d’aborder le thème dans sa particularité, approfondir ce qu’était en général la pastorale des vocations. Soeur Dominique Sadoux du SNV nous aide à y réfléchir.

Le titre de cet exposé ne figure pas dans le thème de cette session que nous avons devant les yeux. On pourrait dire que ce dont nous allons parler maintenant "la Pastorale des vocations aujourd’hui" est comme la porte d’entrée dans notre sujet, un préalable, un passage obligé.
Ou encore : que pour traiter de l’accompagnement et du discernement des vocations dans les monastères, il convient d’abord de nous situer en Eglise, de "descendre" si l’on peut dire au fond de notre cœur pour entendre battre notre cœur ecclésial, pour laisser un esprit nous animer... En même temps il nous faut "élargir notre regard" à partir de notre propre vocation, sur le vaste éventail des vocations consacrées aujourd’hui : cela peut aider le jeune à se situer et à trouver sa voie.
La pastorale des vocations ? d’abord une question de cœur, un certain esprit et une question de regard, d’horizon à ouvrir aussi largement que celui de la vocation baptismale.

1 - une replongée en profondeur dans un esprit ecclésial

Pour s’engager en pastorale des vocations il convient de partir du mystère de l’Eglise, une Eglise rajeunie à Vatican II, une Eglise corps du Christ où circule le même sang, la même vie pour le Monde. Une Eglise sacrement où chaque vocation signifie ce que toutes les autres ont à vivre chacune pour sa part. Une Eglise peuple de Dieu dans un monde où tous les baptisés ont charge d’annoncer la Bonne nouvelle.
Eph. 4, 7 : "Je vous exhorte donc à mener une vie digne de l’appel que vous avez reçu. Il n’y a qu’un corps et qu’un Esprit comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui est au-dessus de tous, par tous, en tous."

Mais nous situer ainsi en Eglise peut nous réconforter, chacun dans notre propre vocation, enraciner notre vocation et la relier dans une solidarité. Le Père Martelet à Lourdes parlait de "décentrement".
St Paul nous dit : "Chacun de nous a reçu sa part de la grâce divine selon que le Christ a mesuré ses dons... C’est lui qui a donné aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes... en vue de la construction du corps du Christ" (Eph.4,11-13). Chacun sa voie, son talent, sa vocation et chacun peut se réjouir de son propre charisme mais celui-ci est pour tous, décentré, ouvert au Bien de l’Eglise pour la mission.
S’enraciner dans sa propre vocation, dans un décentrement et une ouverture. C’est une attitude fondamentale et une conversion constante en matière de pastorale des vocations. Attitude de gratuité, de liberté intérieure, de disponibilité qui touche profondément la consécration religieuse, la chasteté, attitude de foi en l’action de l’Esprit pour que se développe son propre charisme spécifique :

a) Oui la pastorale des vocations est un service inconfortable. Elle nous invite à porter au cœur deux questions :

- Est-ce que j’ai un souci, un esprit ecclésial, pourrais-je orienter quelqu’un vers une autre voie que la mienne, pourrais-je me réjouir même car c’est un service d’Eglise ?

- Est-ce que je crois en ma propre vocation, ai-je envie que des jeunes l’expérimentent ?

b) La pastorale des vocations est aussi une entreprise périlleuse, un service à risque. Ce risque est accru aujourd’hui par la pénurie des vocations, vocations de prêtres indispensables à l’Eglise, vocations religieuses apostoliques (beaucoup de congrégations se regroupent ou s’éteignent), vocations monastiques.
Combien de monastères ne sont-ils pas tenaillés par le vieillissement et l’absence de vocations ?
Avons-nous mesuré, nous apostoliques, la dose d’espérance qu’ont à vivre certaines communautés monastiques sans recrues ? Le risque de sclérose peut être fortement marqué par la stabilité des lieux et des personnes.

- C’est dans la pénurie de vocations qu’on sent monter la peur... Toutes sortes de peurs. Celles-ci peuvent provoquer des crispations, des réflexes "d’accrochage", attirer, accrocher, retenir sans concertation ni considération du bien de la personne et de l’Eglise... ou encore des soupçons.

- C’est dans la pénurie qu’on peut prendre aussi le risque (positif celui-là) du "lâcher prise". Non celui qui abdique et s’installe, qui démissionne, mais celui qui en pariant sur l’Espérance prend des moyens créatifs de revitalisation et d’accueil ouvert aux jeunes.

Ceci nous amène à nous poser deux autres questions préalables :

- Est-ce que je crois encore à la possibilité d’accueillir des jeunes ? Pourquoi oui, pourquoi non .

- Est-ce que je suis prête à travailler inter-monastères, inter-instituts, inter-Eglise pour le bien du jeune d’abord et de toute l’Eglise ?

c) La pastorale des vocations, dans son organisation, symbolise le mystère de l’Eglise dans sa complémentarité, sa concertation, sa force baptismale.

- Nous pouvons rappeler ici que la pastorale des vocations ce sont d’abord des personnes, des équipes qui symbolisent la richesse des vocations ecclésiales : prêtres, religieux, religieuses et laïcs collaborent ensemble dans les diocèses, dans les régions et à l’équipe nationale. Cette composition atteste que la question des vocations est prise en compte par tous les baptisés. Chacun répondant à son appel devient appelant !
Les monastères sont des lieux-signes pour la pastorale des vocations. Et certains moines, certaines moniales font partie de ces équipes pour répercuter, dans un va-et-vient SDV-Monastères ce qui se fait.

- Les objectifs de cette pastorale sont l’éveil et la sensibilisation du peuple chrétien par la prière, la connaissance des divers appels, le souci des appels et aussi l’accompagnement et le discernement des vocations.

- Les moyens de cette pastorale sont multiples. Il s’agit de porter le souci des appels sur tous les champs de l’Eglise et de veiller à ce que cette dimension soit présente en pastorale des jeunes (sacramentaire, mouvements, école, etc.) Enfin de proposer des démarches individuelles ou de groupe à des jeunes.

- Dans cette pastorale les monastères ont leur place spécifique. Ils sont des "lieux- source", des partenaires précieux pour les équipes d’animateurs ou les jeunes qui s’y rassemblent. Je laisse ici parler quelques prêtres régionaux des SDV. Sœur Marguerite Chiron reprendra plus longuement l’enquête menée auprès des SDV avant cette session :
"Les monastères sont des "lieux-signes", des "lieux-source" où peut se vivre la communion dans la différence. On est heureusement sorti de l’esprit "boutique" et, à quelques exceptions près, les moniales manifestent un véritable sens ecclésial et un grand amour de l’Eglise locale" .
L’apport original des moniales et des moines en matière de vie spirituelle, complémentaire de celui des autres types de vocations est important pour :

- l’accueil des jeunes

- la possibilité de se relancer la balle pour le bien de tel jeune.
"Le plus souvent moines et moniales portent le souci de la vie de toute l’Eglise, se réjouissent de tous les dynamismes qui naissent"

"La seule consigne que le Christ nous ait laissée pour la pastorale des vocations est celle de la prière : "Priez le maître de la moisson, d’envoyer des ouvriers pour sa Moisson". Moines et moniales, sont en ce sens, en première ligne de la Pastorale des vocations. Dans une de vos questions, vous nous dites : "Dans la pastorale des vocations, qu’attendez-vous de la part des moniales ?" J’ai envie de répondre avec la phrase célèbre de l’évêque de Nevers à Bernadette : "L’emploi de la prière", la fidélité à leur propre vocation.
Le danger de toujours, pour le reste de l’Eglise, est alors de se décharger de cette invitation à la prière sur les contemplatifs, "les professionnels de la prière". Le témoignage des moines et des moniales doit être au cœur du peuple de Dieu, un stimulant en ce sens."
(Témoignages de responsables régionaux des vocations).

2 - "Un regard ouvert" aux dimensions de l’Eglise pour la Mission

Un regard qui élargit le champ, l’horizon au-delà de notre forme de vie consacrée et sait discerner les nouveaux dynamismes pour pouvoir se situer soi-même et proposer les autres chemins s’il y a lieu.
La place de la vie religieuse, apostolique et monastique, se trouve bousculée, déplacée aujourd’hui par rapport à celle qu’elle occupait avant le concile. Parmi les baptisés nous avons tous à nous resituer à frais nouveaux.
En effet on peut dire que le baptême est aujourd’hui "dans tout son éclat et dans tous ses états", et cela modifie notre regard sur les jeunes qui cherchent et aussi sur nous-même. Non seulement on voit se lever un peuple de catéchumènes mais les laïcs redécouvrent la force de leur appel, l’éclat de leur baptême et s’engagent de plus en plus dans l’Eglise pour sa mission.

En lisant Christi fideles Laici (après le Synode de 1987 sur les fidèles laïcs) on comprend que des jeunes aujourd’hui nous disent : "Je cherche ma voie. Le mariage ou la vie consacrée mais de toute façon ce sera Jésus-Christ le Premier !"

Dans ce texte, au long de l’introduction et des cinq chapitres, les laïcs sont situés comme les sarments de la vigne, la vigne c’est le monde entier, les sarments sont les baptisés, prêtres, prophètes et rois, responsables de la mission, variés, porteurs de fruits, appelés à se former sans cesse pour leur annonce de l’Evangile.

- Nous avons donc à discerner ce qui est de la radicalité évangélique à laquelle tous sont appelés (cf. "La vie religieuse" pp. 69-70 ; Michel Rondet - DDB). et ce qui est un appel spécifique. Aujourd’hui des laïcs, conscients de leur vocation, s’aventurent sur des terrains hier laissés à la vie religieuse apostolique. Bien des laïcs recherchent une forte vie spirituelle contemplative.
Le baptême dans tout son éclat et aussi dans tous ses états !
Non seulement l’Esprit ne cesse de faire grandir les laïcs à leur pleine stature de baptisés, mais il suscite de nouvelles formes de vie consacrée. La vie religieuse en subit un déplacement qui la force à repréciser son identité. Ce déplacement est repérable dans le nouveau code de droit canonique de 1983. Il ne s’agit pas de la vie religieuse seule. Dans la troisième partie du livre II consacrée au Peuple de Dieu, on lit en titre : "Les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique". La vie religieuse est une partie de la vie consacrée. On a :

I : Normes communes à tous instituts de vie consacrée
II : Les Instituts religieux
III : Les Instituts séculiers
Puis les Vierges consacrées, les ermites, les Sociétés de vie apostolique.

Si nous lisons le canon 573 :
§ 1. La vie consacrée par la profession des conseils évangéliques est la forme de vie stable par laquelle des fidèles, suivant le Christ de plus près, sous l’action de l’Esprit Saint, se donnent totalement à Dieu aimé par-dessus tout, pour que dédiés à un titre nouveau et particulier pour l’honneur de Dieu, pour la construction de l’Eglise et le salut du monde, ils parviennent à la perfection de la charité dans le service du Royaume de Dieu et, devenus signes lumineux dans l’Eglise, ils annoncent déjà la gloire céleste.
§ 2. Cette forme de vie, dans les instituts de vie consacrée érigés canoniquement par l’autorité compétente de l’Eglise, les fidèles l’assument librement, qui, par des vœux ou d’autres liens sacrés selon les lois propres des instituts, font profession des conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance et, par la charité à laquelle ceux-ci conduisent, sont unis de façon spéciale à l’Eglise et à son mystère.

Et le canon 577 :
Il existe dans l’Eglise de très nombreux instituts de vie consacrée, munis de dons différents selon la grâce qui leur a été donnée : en effet, ils suivent de plus près le Christ priant, ou annonçant le Royaume de Dieu, ou faisant du bien parmi les hommes, ou vivant avec eux dans le monde, mais accomplissant toujours la volonté du Père
nous voyons que les jeunes qui viennent à nous ont à se situer dans cette diversité. Il y a de multiples manières aujourd’hui de "suivre Jésus-Christ" dans un célibat consacré. Nous avons à entendre l’expression "suivre le Christ" en terme d’engagement baptismal, de profession religieuse, de vœux, de consécration (Rondet, p.96). Bien écouter le langage des jeunes.

Si nous lisons le canon 607, nous avons la vie religieuse en tant que telle :
§ 1. En tant que consécration de toute la personne, la vie religieuse manifeste dans l’Eglise l’admirable union sponsale établie par Dieu, signe du siècle à venir. Ainsi le religieux accomplit sa pleine donation comme un sacrifice offert à Dieu, par lequel toute son existence devient un culte continuel rendu à Dieu dans la charité.
§ 2. L’institut religieux est une société dans laquelle les membres prononcent, selon le droit propre, des vœux publics perpétuels, ou temporaires à renouveler à leur échéance, et mènent en commun la vie fraternelle
§ 3. Le témoignage public que les religieux doivent rendre au Christ et à l’Eglise comporte la séparation du monde qui est propre au caractère et au but de chaque institut.


- Vœux, profession publique, vie fraternelle dans un institut de droit propre, voilà le spécifique de la vie religieuse

- et le droit canon, tout comme le concile, rappelle que toute vie religieuse est "apostolique". Dans la vie monastique il s’agit d’une "secrète fécondité". Dans la vie apostolique "l’action apostolique appartient à la nature même de la vie religieuse".
Les jeunes qui cherchent sont souvent loin de connaître toute la gamme des vocations à la vie consacrée ; ils cherchent à suivre le Christ, à vivre l’Evangile ; ils parlent de vie consacrée. A nous de les éclairer, d’entendre en eux comment résonne leur appel. Même s’ils ne connaissent pas le Droit canon !

Les jeunes ont des "images" devant les yeux :
Images médiatiques, claires qui offrent une clarté car elles expriment une articulation entre un style de vie, une urgence apostolique, une visibilité (Mère Teresa...). Images claires aussi de la vie monastique qui seront toujours par vocation plus visibles, plus perceptibles (P. Rondet, p. 79).
Images renaissantes de la vie religieuse conventuelle où ministère de la Parole et vie fraternelle assidue s’harmonisent (vie canoniale).
Images moins claires, plus cachées, de la vie religieuse apostolique qui a appris à durer dans la proximité des défavorisés (HLM - monde rural - coude à coude dans la vie professionnelle) ; images missionnaires ; vocations séculières, laïques consacrées.
Images des "Communautés de chrétienté" (Rondet, p. 81) qui ne sont encore que des "associations de fidèles" mais se rapprochent de la vie religieuse.
Images "diaconales" marquées par le souci des exclus et le partage de vie avec eux (p. 82).

Face à toutes ces formes, tous ces dynamismes de vocation, nous avons à rendre grâce et à laisser interroger nos propres vocations. Le moment que nous vivons est un moment de "renouvellement" et de "délestage" de tout ce qui nous empêche d’avancer.

En terminant, nous pouvons revenir à cette attitude fondamentale d’ouverture et d’amour de l’Eglise. Nous le ferons avec le témoignage d’une moniale réinterprétant un passage que nous connaissons bien du journal de Thérèse de Lisieux :
"Thérèse commente le passage de 2 Co 13. Elle cherche sa "vocation" ! Elle voudrait vivre toutes les vocations différentes de la sienne (nous dirions aujourd’hui : elle a le sens de l’articulation des vocations et de leur complémentarité).
Elle voudrait être Apôtre, prophète, docteur guérisseur, assistante sociale, polyglotte, politicienne, (c’est-à-dire : don de guérir, d’assister, de gouverner, de parler en langues).
Puis elle en arrive aux dons les meilleurs et c’est la charité : ’je compris que si l’Eglise a plusieurs membres elle a bien sûr un cœur... au cœur de l’Eglise, ma mère, je serai l’amour’.
Qu’a-t-elle compris ? qu’en étant carmélite elle serait l’amour ? Peut-être bien. mais tel n’est pas le sens du texte de Paul.
Paul parle de la sainteté de l’amour indispensable à tout état de vie et à toute mission. Il ne veut pas dire que les contemplatifs sont le cœur de l’Eglise ! , ajoute la moniale, il veut dire (c’est moi qui ajoute) qu’aujourd’hui l’attitude fondamentale pour aider et accueillir les jeunes dans leur recherche, c’est l’amour de l’Eglise".

Sœur Dominique Sadoux, rscj.