Soirée avec les évêques


Cette rencontre entre les participants à la session et les deux évêques présents ce premier soir, les pp. Cornet (Meaux) et Honoré (Tours), est retranscrite en style oral.

Père M. Riguet :
Soirée rencontre, échange avec les évêques : Mgr Jean HONORE, archevêque de Tours, qui est ici au nom de la Commission épiscopale à l’état religieux et qui a été longtemps membre de la Commission scolaire, et Mgr Louis CORNET, évêque de Meaux qui accompagne le SNV.
Nous leur avons envoyé une lettre leur demandant de réagir par rapport à leur propre position, à leur situation vis-à-vis du monde monastique ou des moniales. Mais avant, je voulais simplement lire un petit passage d’une enquête qui a été faite auprès des régionaux SDV et qui paraîtra dans le prochain "Jeunes et Vocations" ; un régional dit : "Je ne crois pas à l’intérêt d’une présence systématique des moines et des moniales dans nos réunions, cela me semble en contradiction avec leur vocation". Et puis, un peu plus loin on lit ceci : "Une pointe de méfiance, un reste de réserve est signalé ici où là, le monastère n’est intéressé par le SDV que s’il "rapporte" des vocations et le SDV craint que la jeune soit trop vite accaparée". Et enfin : "Etant des lieux très fréquentés par des jeunes, les monastères doivent pouvoir informer, donner une adresse ou un tract, proposer un premier accompagnement, faire le lien avec l’Eglise diocésaine et pourquoi pas oser l’interpellation directe : "et toi, que fais-tu, que veux-tu faire de ta vie ?"
Bien sûr, je ne vais pas demander à Mgr Honoré et à Mgr Cornet d’arbitrer entre les monastères et les SDV mais de réagir en fonction de ce qui a été dit cet après-midi sur un certain nombre de remarques, en particulier sur la passion des jeunes. On a parlé de passion, d’appel que les jeunes ressentaient et comment cette passion peut être exprimée ; et puis s’est posée la question : les jeunes qui sont-ils ? Peut-être que tous les deux vous avez une réponse à donner par rapport à cela. De plus, il serait intéressant que vous nous disiez comment vous voyez la vocation monastique aujourd’hui - et peut-être demain, mais en tout cas celle d’aujourd’hui - les questions qu’elle vous pose et aussi les convictions que vous aimeriez partager avec nous, sachant que, je crois, dans la charge de l’évêque il y a le souci de développer la vie religieuse dans les diocèses.

Père J. Honoré :
Mes premiers mots seront pour vous assurer, chères sœurs, de la confiance qui est la mienne à votre égard et de la joie que j’éprouve personnellement à travailler avec vous et particulièrement avec le Bureau que vous avez désigné pour ce SDM. Je ne crois pas trahir cette confiance en vous assurant de tous les vœux que je puis former de pouvoir aussi continuer de servir avec la discrétion qui convient. Car il faut convenir - et on pourra peut-être le préciser, nous voulons garder au monastère quel qu’il soit une très grande autonomie. Nous voulons respecter cette autonomie canonique des monastères et à ce titre il convient donc de garder, non pas une distance, mais une discrétion. Sans négliger la nécessité qui est la vôtre aujourd’hui, dans un monde très éclaté, de pouvoir vous rencontrer - non pas pour vous fédérer, au sens européen du mot - mais pour pouvoir vous communiquer un certain nombre d’informations et peut-être aussi pour poser un ensemble de jalons, de réflexions sur les problèmes que rencontre dans la société et dans l’Eglise aujourd’hui la vie monastique. Et c’est à ce titre qu’il est tout à fait légitime que vous puissiez vous interroger sur le SDV que nous essayons tous de promouvoir dans nos diocèses. Non pas pour, j’allais dire, conduire l’Esprit Saint - il n’a pas besoin de nos structures - mais simplement pour essayer de promouvoir auprès du peuple de Dieu, quels que soient les conditions et les états de vie, l’urgence de vies consacrées au Seigneur tant pour le service de son Eglise dans le clergé séculier diocésain que dans les ordres religieux qu’ils soient apostoliques ou monastiques. Car vous n’ignorez pas les préjugés qui subsistent souvent, même à l’intérieur de nos communautés chrétiennes, à l’égard des moniales.

Père L. Cornet :
Je signe les propos de Mgr Honoré et je les signe par un petit point d’histoire personnelle, une histoire du diocèse de Meaux où je suis planté. Il y a 25 ans, ici, dans cette maison, devant des responsables de vocations de tous milieux et de toutes tendances, je m’étais permis de dire - je n’étais pas évêque j’étais encore responsable des vocations de mon diocèse - qu’il me semblait qu’il n’y avait qu’une seule voie possible pour découvrir sa vocation c’était la voie contemplative. Et je récusais par là même certains chemins très activistes qui faisaient qu’on brûlait les vaisseaux avant de les avoir mis à l’eau ! Je disais cela devant Mgr Sauvage qui était alors évêque d’Annecy.
Et pour mon compte personnel - je m’excuse si cela ressemble un peu à un témoignage - mais sans être un auteur très connu, je me suis permis un jour d’écrire un livre. "Contempler le Christ pour l’annoncer", c’est le titre que j’ai donné à ce livre. C’étaient des textes spirituels que j’avais donnés dans des retraites sacerdotales.
Troisième petite chose, qui n’est pas une petite chose pour le diocèse de Meaux. Quand on a vu se lancer l’énorme affaire comico-industrielle et économico-ce-que vous-voudrez !... Tout le monde a compris que je parle de Disney... Personne n’avait compris ? il s’agit d’Eurodisney-land et de la souris historique que tout le monde connaît et qui ne fait sourire personne. Alors, qu’est-ce que peut bien faire une Eglise diocésaine quand se plante un machin comme cela ? Qu’est-ce qu’on fait ? On n’a pas cherché à prendre contact pour bâtir une église à l’intérieur de ce parc de 30 ou 80 hectares, puisque le principe de ces messieurs était de dire : chez nous, dans la doctrine Mickey, il n’y a ni sexe, ni politique, ni religion. C’était clair et cela suffisait comme avertissement.
Alors on a décidé deux choses. La première : ranimer les églises rurales qui existaient encore tout autour de ce parc et en faire des églises à message. Ce n’est pas encore parfaitement réussi mais c’est en voie grâce à l’apport des municipalités qui sentent que dans l’identité chrétienne de la France, même si celle-ci ne porte que des cicatrices aujourd’hui, il y a quelque chose à faire passer aux matérialistes. La seconde, c’était la création d’un contrepoint à ce parc de loisirs et le diocèse a décidé la création d’un petit monastère, dans une ancienne maison de garde-chasse, au cœur de la forêt, qui est à trois kilomètres à vol d’oiseau des portes de Disney et qui accueille en contrepoint de tout le reste une quantité relativement très importante de gens qui travaillent à Disney. Le premier jeune qui s’est présenté était un travailleur de Disney qui s’occupait de la sécurité.
Vous comprenez très facilement pourquoi nous avons fait cela. Je ne crois pas qu’il y ait d’autre chemin pour une vocation, quelle qu’elle soit, que celui de la prière, que celui de la rencontre de Jésus-Christ dans la vie contemplative, quelle qu’en soit la forme et quel que soit l’âge.
J’ajouterai, si c’est encore possible, que je demande votre prière pour ce petit monastère. Ayant conduit moi-même pendant des années de vie pastorale comme curé d’une ville monastique s’il en était - Paray-le-Monial -, ayant conduit pendant des années des jeunes dans des monastères pour des récollections, autant pour les prêtres qui vivaient avec moi qu’en ce qui me concerne, je peux dire que nous n’avons jamais vu un monastère mettre la main sur qui que ce soit. Mais simplement laisser la liberté. Et quand on a lancé ce petit monastère de La Fortelle, telle ou telle personne très bien intentionnée pensait que certains groupements nouveaux pouvaient y prendre place. J’ai répondu que je ne voyais pas la possibilité que ce soit des gens qui venaient de création nouvelle, sans préjuger de qui que ce soit, mais que ce serait un monastère de tradition bénédictine. Parce que dans une abbaye bénédictine on laissait la liberté à ses hôtes. Et cela a parfaitement fonctionné ainsi.
Je le dis parce que, de fait, cela a été toujours une dimension de ma propre vie ; c’est un témoignage de ma vie pastorale à la fois de curé autrefois ou de supérieur de séminaire et aussi d’évêque aujourd’hui.

Père J. Honoré :
Je n’ai pas la même expérience que Mgr Cornet, grâce à Dieu je n’ai pas de Disneyland et il n’est pas prévu dans la banlieue de Tours ! L’expérience qui est la mienne c’est également celle de la conduite de jeunes, surtout de garçons, dans des monastères masculins dans la région de Bretagne puisque je suis originaire de Bretagne.
Ce que je voudrais dire est à deux niveaux : l’insistance que nous donnons dans les groupes de confirmation au passage des jeunes pour une journée ou plus généralement même un week-end de 36 heures dans un monastère. Et nous le voyons bien, je le perçois, dans le témoignage que les jeunes apportent de ce qu’ils vivent pendant ces trente-six heures. Pour la plupart d’entre eux, c’est une véritable découverte et une découverte qui est centrée sur le Seigneur, j’aurais pu vous apporter des témoignages encore tout récents. Ils ont véritablement rencontré le Seigneur. Ils ont fait une expérience spirituelle et, au-delà des qualités d’accueil, de la sympathie qu’ils ont pu éprouver pour les visages de moines ou de moniales qui les ont rencontrés, il y a eu beaucoup plus radicalement la découverte de ce qu’est la prière comme acte personnel de rencontre avec le Seigneur. Et cet après-midi pendant le carrefour, j’éprouvais comme le besoin de prendre la parole pour vous dire : mais vous tenez vraiment là ce qui me paraît le plus fondamental : avant la vocation il y a la vérité du baptême et la vérité du baptême c’est la prière.
La deuxième expérience - vous m’avez posé la question d’une façon très directe - : j’éprouve actuellement une grande souffrance car le carmel de Tours qui a été la cinquième fondation en France, doit finalement renoncer. Le carmel de Tours, malgré ses seize carmélites, douze de plus de 70 ans, sans perspective de renouvellement, dans des locaux qui sont assez vétustes, ne permet plus d’assurer, de garantir les conditions normales d’une vie carmélitaine. Et la mort dans l’âme, la prieure et le chapitre, l’ensemble de la communauté, ont dû se résoudre à nous quitter.
Je dois dire que la communauté chrétienne de Tours ressent l’événement avec beaucoup de souffrance et de regret. Comment ce carmel pourra-t-il connaître un jour une nouvelle existence ? Actuellement les religieuses se répartissent dans les carmels de la région.
Mais puisque nous sommes là, je me permets, en tant qu’évêque d’accompagnement des moniales, d’insister pour que vos communautés réalisent véritablement ce qu’est une communauté dans l’exercice de la vie communautaire, avec le service communautaire indispensable bien sûr, mais aussi la vocation de prière et la disponibilité pour le Seigneur et que ce ne soient pas des hôpitaux. Et je souhaite personnellement, je l’ai dit au Bureau des moniales, je me suis permis d’y insister auprès de la Congrégation à Rome, il est urgent, en fonction même des diverses fédérations auxquelles vous appartenez, de pourvoir à la création de communautés spécifiques - ce n’est pas de renier finalement ce qui a fait l’existence de nombreuses religieuses - mais de créer des maisons médicalisées où les religieuses les plus âgées, les plus handicapées, puissent achever leur existence dans le cadre connu de toujours, dans le cadre contemplatif, tout en permettant aussi de soulager les religieuses les plus valides afin qu’elles puissent réaliser cette vocation à laquelle elles ont consacré leur vie.
Mon dernier mot : dans le débat sur les vocations, je voudrais vous dire, en toute loyauté d’abord de ne pas nous donner trop de satisfecit, ni nous bercer d’illusions. Sur le plan de notre Eglise il y a un problème capital qui est celui de la jeunesse, du dynamisme, de la vitalité des agents de la pastorale, des représentants de la pastorale. De même que l’une des clés des vocations masculines c’est la présence de jeunes prêtres et l’une des clés de l’avenir de nos communautés c’est la présence de jeunes religieuses. Les jeunes sont attirés par les jeunes, d’ailleurs on nous l’a dit cet après-midi.

Père L. Cornet :
Je grefferai mon propos sur celui du Père Honoré quand il vous a parlé des confirmands. Vous avez dit dans l’après-midi qu’il fallait trouver leur langage, qu’il fallait parler leur langage. Eh bien je vous conte une des expériences dont j’ai été le témoin. Dans la région de l’aéroport de Roissy-en-France il y a quelques petites paroisses qui regroupent autour d’un seul prêtre trente ou quarante clochers, et là un groupe de confirmands bien entourés, bien aidés va préparer sa confirmation dans une abbaye masculine. Le même cas de figure que celui du Père Honoré. Au retour ils écrivent à l’évêque leur demande de confirmation. Mais en allant dans cette communauté paroissiale, je découvre que les parents sont en train de se demander ce qui se passe dans la tête de leurs jeunes (il s’agissait de jeunes de 3e-2nde), et ce qui se passe c’est qu’en arrivant à la gare où les parents étaient venus les chercher, les mamans les accablaient : "Alors, cela c’est bien passé ? tu as bien dormi ? tu n’as pas été malade ?..." enfin les petites choses habituelles, très familiales et nécessaires. Mais les jeunes faisaient signe à leurs parents : "Chut !" Alors les parents se disaient : "Mais qu’est-ce qu’il leur est arrivé ?"
Et alors, en lisant les lettres de confirmation, j’ai découvert que ce n’était pas les propos du frère Untel, de la Sœur qui accompagnait, ni du Père curé qui avait fait tout ce qu’il avait pu , qui les avaient marqués, c’était le silence qui succédait à l’office. Huit lettres sur dix, approximativement, disaient qu’à ce moment-là, et c’était explicite, Dieu était venu les chercher. Alors comment voulez-vous que je ne croie pas à la vie contemplative surtout quand elle se tait ! Je vous taquine ! il faut quand même savoir témoigner de façon bien précise. C’est une première partie du propos.

La fermeture du carmel de Tours c’est extrêmement douloureux. Dans une ville à faible densité de participants de la vie eucharistique ou de la vie de l’Eglise, comme Meaux, le carmel est aussi en voie de fermeture. Mais autant je prie pour le carmel, autant je prie pour La Fortelle et j’essaie de demander au Seigneur qu’il envoie des petits moines là-dedans parce que cela ne peut pas durer. Les deux qui sont là : l’un semble vouloir prendre le champ parce qu’il n’avait pas encore fait profession solennelle, et celui qui reste ne peut pas rester seul, c’est pas possible. Et nous croyons très fort à ce monastère parce que des laïcs viennent partager la vie de prière publique du monastère, nous y croyons très fort car figurez-vous que je n’ai jamais douté de la participation priante ou active des monastères, des moines et des moniales en ce qui concernait la pastorale des vocations, à tel point que ce monastère de La Fortelle est le lieu des vocations pour le diocèse de Meaux, c’est là que tout se passe.

Père M. Riguet :
Ce que vous dites-là touche l’ensemble de la vie religieuse, même apostolique, hommes, femmes et monastères et en entendant tout ce qui se passe en ce moment et les diverses rencontres que nous avons, on nous parle souvent de "deuils", "C’est peut-être bon de fermer, il faut savoir mourir pour vivre..." et que peut-être à travers ces deuils et ces fermetures, ces enterrements, il y a quelque part de la résurrection. Il me semble qu’on a foi en quelqu’un qui est passé par la mort avant de ressusciter ! Est-ce que vous croyez que la vie religieuse aujourd’hui n’a pas à accélérer le mouvement de deuil et d’enterrement pour permettre une résurrection plus rapide, mais autrement et ailleurs ? En quelque sorte, est-ce qu’il y a quelque part un avenir pour aujourd’hui dans la vie religieuse ?

Père J. Honoré :
C’est très réel. En ce qui concerne en particulier les moniales, je crois qu’il y a des situations-limites qui, loin de favoriser et de donner une image renouvelée de la vie religieuse, contribuent finalement à l’enterrer. C’est indéniable. Ce qui ne veut pas dire du tout qu’il n’y ait pas de communautés vivantes, chaleureuses, dynamiques qui répondent à leur vocation et, je dirais même, à leur mission dans l’Eglise. Mais je crois que certaines communautés atteignent un seuil critique, il faudrait en prendre conscience et il faudrait vouloir également prendre les décisions qui risquent de s’imposer. L’évêque peut conseiller. Moi j’ai été pris à mon piège. Au bureau des moniales, mis en présence d’un certain nombre de situations qui, d’ailleurs ne sont pas toutes en France, j’ai réagi dans le sens que je vous exprime aujourd’hui. Lorsque le problème s’est posé pour mon carmel, j’aurais eu véritablement mauvaise foi à ne pas en tirer les conséquences avec, malgré tout, l’épreuve que cela peut représenter pour moi et mon diocèse.
En ce qui concerne les congrégations apostoliques, le problème se complique parce qu’effectivement l’évêque est assez directement concerné et généralement on lui demande d’user de son autorité pour faire évoluer la situation car il y a, derrière des personnes, des religieuses âgées ou handicapées qu’il faut bien prendre en charge. Il y a les bâtiments qui sont souvent considérables...
Il y a une congrégation apostolique, dans mon diocèse, qui subsiste encore avec 60 ou 80 religieuses dont la très grande majorité a passé les 60 ans. Il y a encore trois religieuses de moins de 50 ans. Or, il se trouve que cette congrégation vit dans une ancienne abbaye médiévale avec la pesanteur des bâtiments, avec tout ce que cela peut représenter. Mais l’évolution évidemment ne peut être que lente, c’est certainement un des débats douloureux pour les supérieur(e)s, partagé par les évêques, de voir des congrégations qui ont pu être prospères et qui aujourd’hui, non seulement ne peuvent plus répondre aux besoins pastoraux mais ont atteint les limites en-deçà desquelles il n’y a plus de survie possible. Tout diocèse actuellement rencontre ces situations.
Il faut gérer effectivement cet état dans la paix, la sérénité, en acceptant également que d’autres formes d’expression de la vie religieuse puissent naître, puissent germer, que nous puissions les favoriser. C’est tout le problème qui a été posé également par les nouvelles communautés. Nous avons un ministère de consolation et de compassion aussi.

Père L. Cornet :
Les situations que vous évoquez je disais moi-même que je les connaissais. Mais je ne sais pas s’il faut faire, comme disait le P. Maurice, le deuil... Je voudrais attirer l’attention sur quelque chose qui me paraît très important : on a perdu le sens du temps. Les choses ne naissent que progressivement, elles ne s’éteignent que progressivement. On voudrait résoudre les questions et on a toujours l’impression d’être sous le coup de l’urgence. Je ne dis pas que l’urgence n’est pas quelquefois un bon moteur, ce que je voudrais dire c’est quand on a lancé ce petit monastère de La Fortelle, on pariait vraiment, on faisait un pari sur le Seigneur. La bénédiction des locaux a eu lieu le jour de la fête de la Visitation et on reprenait "Rien n’est impossible à Dieu’". Donc je dis en même temps qu’il faut être réaliste, et je soutiens très fort le propos de Mgr Honoré. Ne perdons pas le sens du temps. Or c’est un des éléments qui prend une extrême importance dans la croissance des vocations, qu’elles soient, dans la vie masculine ou dans la vie féminine. Le sens du temps. On voudrait tout de suite être rassuré, avoir réglé la question, pris la mesure administrative ou scolaire ... le sens du temps.
Le temps c’est tout de même comme un beau tissu sur lequel Dieu brode sa volonté, mais il nous donne l’aiguille à manier, à manipuler. Et je crois qu’aimer le temps, c’est aussi aimer ce qui se vit dans le temps. Et même si les situations sont douloureuses et difficiles, je pense qu’il est en train de naître chez des laïcs adultes, chez des jeunes, un autre monde de croyants. J’en ai très nettement l’impression. Après avoir été évêque du Puy où il y avait un passé clérical très fort, j’ai pu faire un retournement à 180° dans un diocèse qui a un passé anticlérical très fort.
Je recevais il y a deux jours un candidat possible pour un poste difficile qui est celui de directeur de l’Enseignement catholique. Où avais-je été le chercher ? dans une communauté nouvelle. Dans une de ces communautés nouvelles où on redécouvre la prière contemplative, où on redécouvre la charité fraternelle et où la communauté devient porteuse de toutes ces nouveautés. Je ne dis pas qu’il n’y a que les communautés nouvelles, je peux faire des réserves même sur quelques-unes d’entre elles, mais ce que je veux dire c’est qu’il faut croire, il faut laisser les choses grandir, il faut les laisser se développer, il faut savoir prendre du temps et amener les jeunes à croire aussi au temps. Car plus que nous encore, ils ont besoin de solution immédiate dans leur démarche de vocation, ils veulent savoir tout de suite s’ils sont appelés, si c’est comme cela qu’il faut qu’ils fassent. J’ai reçu l’autre jour une lettre d’un garçon que je ne connaîs pas, que je n’ai jamais vu, qui dit : "J’ai une vocation". Ah, bon. Je lui réponds :" Allez donc voir l’abbé Untel", je ne me mets pas tout de suite en première ligne parce que je trouve que c’est quelquefois cautionner un peu trop vite des choses qui se cherchent et même si des certitudes paraissent verbalement très fortes, cela ne veut pas dire qu’on est mûr. Et il me répond par retour du courrier : "C’est vous que je veux voir, et tout de suite ! " Je n’ai pas bronché.

Père M. Riguet :
Je voudrais revenir sur les jeunes, car je sais, Père Honoré, que vous avez quelque chose à dire à leur propos.

Père J. Honoré :
Le débat de cet après-midi m’a paru insuffisamment cadré. J’ai bien aimé la précision apportée par le Père Paul Houix disant : "Ne parlez pas des jeunes". C’est de Gaulle qui parlait de l’Europe comme d’un cabri ! Ah les jeunes ! les jeunes ! les jeunes ! Je pense que le P. Lescanne demain nous permettra de poser des repères dans cette nébuleuse car elle est considérable. Quand vous pensez qu’une ville comme Tours, qui est une ville universitaire, a subi un développement considérable, nous approchons des 28 000 étudiants avec non seulement les facultés mais de nombreux établissements supérieurs, écoles, etc... Vous, vous en avez combien ?

Père L. Cornet :
En Seine & Marne où il y a des villages de 200 habitants, les maires savent qu’il y a 50 % de la population qui n’a pas 20 ans. Ce qui veut dire que dans tout le reste du diocèse c’est pareil !

Père J. Honoré :
Alors, nous ne pouvons pas nous situer devant ce monde de jeunes sans éprouver le sentiment extrêmement contradictoire d’une ouverture, car il faut essayer de les rejoindre dans leur sensibilité, leur mentalité, leurs habitudes de vie, et en même temps sans un sentiment de recul comme s’il fallait pénétrer dans un autre univers que le nôtre. C’est le premier point que je voudrais dire : il faut différencier d’abord les jeunes, en fonction de leurs origines, de leurs études, leur scolarité, des milieux de vie, des situations qu’ils sont appelés à vivre, relations avec la famille, avec la société... Je crois qu’il y a une typologie innombrable et que nous ne pouvons pas les embrasser d’une façon vraiment globale.
Deuxième point : par rapport à l’Eglise nous voyons une grande désertion de jeunes mais le problème, chères sœurs, se pose en amont. Il se pose dès les années de catéchisme. Nous ne pouvons plus entretenir inconsciemment l’image d’une France chrétienne, quand moins du quart des enfants , je suis généreux, fréquentent le catéchisme dans les milieux urbains, nos faubourgs, nos cités. Et dans la campagne, pratiquement, vous avez moins de 40 % des enfants qui viennent au catéchisme. C’est cela la réalité. Il est possible que dans le village qui borde votre communauté il y ait encore une structure suffisante pour encadrer les enfants, mais les enquêtes que nous faisons témoignent que la moyenne nationale se situe entre 30 et 36 % d’enfants. Nous savons dans quelles conditions se fait la catéchèse. Croyez vous, loyalement, qu’avec 35 heures de catéchèse par an on puisse faire un chrétien ? Ne vous étonnez pas qu’à 14-15 ans... Vous avez un premier filtrage qui est celui de la confirmation. Dans un diocèse comme le mien je confirme, au moins en ce qui concerne les scolaires de l’enseignement public, un jeune sur dix qui a été catéchisé. Ce n’est pas la même chose pour les établissements catholiques où, c’est vrai, il y a un suivi. Et je dois dire que la plupart de ces jeunes-là ont suivi une certaine impulsion familiale - le milieu familial n’est pas neutre - parce qu’il y a une continuité dans la foi vécue en famille, parce que le milieu familial est également équilibré. Donc nous rejoignons des jeunes, des adolescents privilégiés. L’Esprit Saint prend d’autres voies. C’est vrai actuellement vous avez un certain nombre d’enfants qui se destinent au baptême par la contagion de leurs camarades, c’est un fait que se développe une sorte de catéchuménat d’enfants au catéchisme, que se développe également à l’âge adulte, entre 20 et 25 ans, un nouveau catéchuménat, cela c’est vrai. Mais ceci ne doit pas nous faire ignorer l’immense majorité des jeunes qui semblent s’écarter de la foi et donc s’écarter de l’Eglise.
Ma conclusion c’est que le vivier des vocations, à en juger par les causes humaines, qui permettait autrefois d’assurer d’une façon régulière et continue la relève de nos générations, ce vivier est considérablement réduit.

Père L. Cornet :
J’aurais dit la même chose. Dans l’axe des vocations, je suis obligé de constater qu’il y a plusieurs sources si vous voulez aux vocations qui se présentent, du moins pour ce qui concerne la vie sacerdotale, j’ai moins dans l’œil les vocations à la vie monastique, bien que cela m’intéresse toujours beaucoup. De temps en temps il y a des micro-climats - ce qui ne veut pas dire que c’est tout le peuple chrétien qui génère les vocations. Il y a des micro-climats. Dans une petite communauté qui a un prêtre tout à fait conforme à ce que peut dire Vatican II, un prêtre qui n’a rien de spécialement original sinon qu’il a 71 ans et qu’il campe toujours avec ses jeunes, mais sans originalité, c’est pas dut tout de l’extravagance. Eh bien le micro-climat de cette paroisse m’a fait venir au grand séminaire trois jeunes en deux ans. Et pourquoi ? la paroisse, la famille, le mouvement de jeunes... et je crois que nous avons, comme évêques, à travailler à repérer ces micro-climats. Je ne sais pas ce qu’en pense Mgr Honoré

Père J. Honoré :
J’aime beaucoup l’expression, je m’en re-servirai ; micro-climats, c’est tout à fait typique...

Père L. Cornet :
Ces micro-climats où je dirais que la paroisse fait son prêtre et le prêtre fait sa paroisse ; il y a un croisement. C’est une première chose que je voudrais signaler.
Toujours avec l’expérience diocésaine - elle est ce qu’elle est - : toute la partie Est du département de Seine & Marne (la Brie) est de tradition voltairienne, anticléricale, proche de l’athéisme, sous l’influence de la bourgeoisie venant de la ville. Mais c’est très ancien. On a trouvé une enquête faite par un journal il y a cent ans qui annonçait que les églises dans dix ans seraient fermées. Je dois dire qu’elles sont en train de ré-ouvrir ! Qu’est-ce qui se passe ? C’est vraiment le rural profond, tous les gosses sont scolarisés dans des lycées de Coulommiers ou de Provins qui sont des lycées exactement comme les autres. Il suffit d’une famille, une, qui simplement a quelques convictions, a pu mettre en route plus de deux gosses, affirme sa qualité chrétienne dans les engagements d’élus municipaux ou dans les engagements professionnels. Celle-là en voit une deuxième, qui, elle, en voit une troisième, et une quatrième... Il y a sept ans, quand je suis arrivé, dans toute cette partie, c’est à dire un département qui fait en surface la totalité de l’Ile-de-France, dans tout l’Est il n’y avait pas un jeune qui participait au FRAT à Lourdes ou à Jambville ; il y a sept ans. Je suis obligé de constater que cette année, il y avait six équipes de 30 jeunes. C’est vraiment une montée, une espèce de croissance sous l’influence du grand acteur que je suis bien obligé de découvrir, le Saint Esprit.
Pourquoi cette mère de famille de 45 ans s’est mise à s’occuper de tous les gamins du coin ? Pourquoi ce maire d’une petite commune est en train de sauver tous les jeunes de la drogue et de tout ce que vous voudrez en ayant choisi un gars de 17 ans pour être responsable du club municipal des adolescents ? Je ne dis pas que l’Eglise est sauvée, que la chrétienté en France va renaître, je dis qu’il y a des choses qui se passent et je crois très, très fortement à la contagion de la foi - c’est une manière de parler ! - quand les croyants la vivent dans la simplicité de leurs engagements familiaux, sociaux, professionnels. J’ajouterai que cette contagion de la foi fonctionne parfaitement chez les jeunes.
Je pense que dans certains coins de la Seine & Marne, 50 % de la population qui fréquente le catéchisme n’a pas été inscrite par les parents, elle a été appelée par les copains. Et pour les vocations je suis persuadé que le petit groupe de dix séminaristes en Seine & Marne, le petit groupe qui se ballade dans le diocèse pendant toutes les vacances pour aller voir les copains et qui sont heureux d’être au séminaire, qui ne se posent pas les questions que se posent les adultes vieux "soixante-huitards" mal réformés !... ces séminaristes qui vont vers le ministère avec une certaine joie, avec des capacités diverses bien entendu, quand ils rencontrent les copains ils parlent de ce qu’ils vivent et je suis obligé de constater que cela frémit ; c’est pas encore tout changé mais cela frémit.

Sœur G. Billault (carmélite du Havre)
Nous avons accueilli une communauté et vendredi une jeune entrera. Donc c’est quand même source de vie que de regrouper les forces vivantes et on devient appelantes. Vous perdez mais l’Eglise gagnera.

Père J. Honoré :
Il faut pleurer là où il faut pleurer mais il faut se réjouir là où on peut se réjouir aussi.

Père M. Riguet :
Pouvez-vous nous donner quelques germes d’espérance par rapport aux appels qui vous semblent importants auprès des jeunes, ce que ressentent les jeunes ?

Père J. Honoré :
Je crois très profondément que nous sommes marqués par une conscience pélagienne, c’est-à-dire que nous faisons reposer les vocations, nous faisons reposer les changements, sur nos efforts et c’est cette conscience pélagienne qui nous fait penser que les objectifs c’est à nous de les définir, les moyens c’est à nous de les inventer et nous faisons l’impasse sur ce grand oublié dont parlait le P. Cornet : est-ce que nous sommes les instruments de l’Esprit ? L’une de mes conclusions c’est d’ouvrir nos communautés à cette présence de l’Esprit qui dans la gratuité donne à nos efforts et à nos initiatives leur véritable sens dans une attitude d’abandon, de confiance et d’ouverture à la grâce du Seigneur. Je crois que nous avons besoin de nous convertir à une spiritualité de l’Esprit Saint.

Père L. Cornet :
Je signe tout à fait. Et si vous permettez je vais terminer par une histoire, ce qui ne nous prolongera pas beaucoup. Une de mes jeunes amies, une maman tout à fait performant, sent bien les questions qui se posent à ses enfants qui grandissent. Elle va au marché (il y a un marché tous les jeudis matin dans sa petite ville), elle passe devant les différents chalands qui sont là, les stands, elle voit, elle achète des légumes et puis oh, par exemple ! une banderole avec le mot "Dieu". Elle dit : "Dieu tient un stand ?" Elle croit rêver. Elle va voir, elle cause au personnage qui est là : "Vous êtes Dieu ?

- Oui, oui, je suis Dieu.

- Et alors qu’est-ce qu’on peut vous demander ?

- Tout ce que vous voudrez. "
Alors elle énumère tout ce qu’il est possible d’imaginer : le bonheur, la santé, le succès scolaire pour les enfants qui grandissent, la patience du mari, la sécurité... tout y passe, et Dieu la regarde avec insistance. Quand elle a fini son énumération il lui dit : "Ah, de tout cela je n’ai pas, je n’ai rien de ce que vous m’avez demandé"

- Alors, à quoi cela vous sert d’être Dieu puisque vous n’avez pas tout ?"
Et Dieu lui répond : "Ici nous n’avons que les semences ! "