Le diaconat à la Mission de France


Yves Bouyer
Yves Petiton

supérieur du séminaire de la Mission de France


C’est en 1941 qu’a été fondée la Mission de France par l’archevêque de Paris, le cardinal Suhard. Prenant conscience de la déchristianisation, comme on disait alors, du monde des villes et des campagnes, le cardinal a voulu créer un séminaire pour former des prêtres qui seraient envoyés en priorité vers ceux que l’Eglise ne rejoint pas. Dès ses débuts, la MdF a été constituée uniquement de prêtres, même si, très rapidement, des laïcs ont collaboré avec eux à leur travail missionnaire et à leurs préoccupations.

Ces prêtres, souvent originaires de régions chrétiennes de France, en arrivant sur le terrain de leur mission, ont mesuré l’ampleur du « mur qui séparait l’Eglise (1) » des populations qu’ils rencontraient. « Pour abattre ce mur », ils ont pris les moyens nécessaires pour rencontrer ces hommes et ces femmes vers qui ils étaient envoyés. Aussi, très rapidement, ils se sont mêlés aux gens, en choisissant un habitat au milieu d’eux, en prenant un travail professionnel et en s’engageant dans les différentes structures de la société, qu’elles soient syndicales ou associatives, pour participer avec eux aux changements de la société et ainsi témoigner de l’Evangile.
Dès l’origine, les prêtres de la MdF ont été amenés à vivre, en quelque sorte, de manière forte « la grâce diaconale » de leur ministère presbytéral !



Réticence initiale dans le contexte du redémarrage des prêtres ouvriers

C’est en 1964, au concile Vatican II, que le diaconat permanent est rétabli. Il y a, à cette époque, de nombreuses équipes Mission de France, tant en France qu’à l’étranger. Les équipes implantées dans de nombreux diocèses de France sont fournies en prêtres jeunes, engagés là où ils sont. En même temps, la Mission de France poursuit, avec les membres des différentes équipes, un sérieux travail de réflexion sur le plan théologique et missionnaire à partir de l’expérience des uns et des autres. C’est à ce même concile, après le coup de tonnerre de l’arrêt des prêtres ouvriers par Rome en 1954, qu’est reconnu enfin comme un vrai ministère le travail professionnel et le partage de la condition ouvrière (2). Si bien que, dans un premier temps, les membres de la Mission de France n’ont guère éprouvé le besoin de faire naître dans leurs rangs des diacres permanents.

A la relecture, plusieurs facteurs ont motivé cette résistance du corps Mission de France à l’essor du diaconat. Dans le contexte de la reprise des prêtres ouvriers, le diaconat pouvait apparaître inutile ou concurrent de ce ministère. Même si un homme, docker sur le port de Marseille a réclamé de vivre durablement le diaconat. Il souhaitait continuer un partage de vie et ne se voyait pas devenir prêtre. Mais c’était un cas isolé car l’enjeu était de manifester que le ministère de prêtre ouvrier était bien un ministère de prêtre.

Dans les années 70 de nombreux prêtres se sont mariés, la piste d’un diaconat marié a alors été télescopée par la demande de l’ordination comme prêtres d’hommes mariés. Dans les années 80, la collaboration avec des laïcs est devenue plus étroite. Ceci a conduit à une recherche de ministères de laïcs comme ministères de la rencontre et du dialogue. Développer le ministère diaconal pouvait sembler esquiver ces recherches ou retarder leur mise en œuvre.



Mise en route d’une recherche

A l’Assemblée générale de la MdF de 1986, pour la première fois, le ministère du diacre permanent paraît dans les textes. Un prêtre MdF est nommé délégué au diaconat pour promouvoir ce ministère. Il interpelle un homme marié se formant pour un métier dans les travaux publics. René sera ordonné diacre permanent en 1993 et envoyé dans une équipe. Il sera le premier diacre permanent marié de la MdF.
Entre temps, en 1988, est incardiné à la prélature de la Mission de France un diacre navigant originaire du diocèse de Lille. Bernard est le premier diacre permanent de la Mission de France. Par sa présence même, des interrogations naissent : quel est le ministère propre du prêtre navigant (à cette époque, il y avait encore plusieurs prêtres navigants) et celui du diacre permanent navigant ?
A l’Assemblée générale de 1991, un texte « volontariste » est voté par l’assemblée des membres de la MdF : « Des diacres permanents à la MdF ».

Après l’ordination de René en 1993, une autre étape est franchie : le délégué au diaconat fait partie du Conseil épiscopal, pour bien marquer l’importance que le Prélat et le Conseil attachent au ministère diaconal. A l’invitation du délégué, une réflexion s’amorce sur la résistance au diaconat, qui débouche sur l’organisation d’un week-end en mai 94. Le titre du week-end, « Ministres de plein vent, prêtres et diacres : quelle mission ? Chances et difficultés de cette diversité de ministères » exprime tout à la fois la conscience d’une mission vécue en collaboration et du besoin de situer le diaconat à côté du presbytérat. Un deuxième week-end est organisé l’année suivante pour poursuivre la sensibilisation. Une dizaine de diacres diocésains y participent. Nous avions besoin de leur témoignage pour bénéficier de l’expérience de diocèses pionniers. Henri Petitpas, secrétaire national du diaconat, nous aide à approfondir les axes du diaconat en France.

En mars 1970, une note de la Commission épiscopale du clergé et des séminaires donnait les orientations et les choix des évêques français pour les futurs diacres permanents : « Ils marquent leur préférence pour des diacres qui, quotidiennement au contact des hommes grâce à leur situation familiale et professionnelle, puissent en pleine vie témoigner du service que le peuple de Dieu doit rendre aux hommes, à l’exemple du Christ. » Les diacres permanents participent ainsi d’une manière qui leur sera propre à l’effort de l’Eglise hiérarchique pour rencontrer l’incroyance, des secteurs de pauvreté et pour se rendre plus présente au monde (3).
Ces orientations données aux diacres permanents recoupent la vocation missionnaire des prêtres de la Mission de France ce qui peut expliquer les réticences du corps des prêtres. Du côté des laïcs en partenariat avec la MdF dans l’association Galilée, plusieurs facteurs ont pu jouer dans leur relative opposition à des appels dans leurs rangs : peur d’être décapités, privés d’acteurs potentiels mais aussi revendication d’un partenariat qui ne soit pas réservé aux hommes, ordonnés, mais fasse place aux femmes.
Au terme de la rencontre s’exprime la conviction que l’arrivée du diaconat peut être une chance pour la Mission de France, non pour l’institution mais pour la mission qu’elle porte pour l’Eglise. C’est une triple chance parce que :
  • le diaconat fait évoluer la conception de la mission car l’Esprit suscite de nouveaux acteurs ;
  • il est une réaffirmation de la priorité des pauvres car leur parole manque à l’Eglise, en France ;
  • c’est une bouffée d’air déménageante.
A l’occasion de ce week-end, un Comité diaconal est constitué, sous la responsabilité du délégué au diaconat pour :
  • promouvoir et faire connaître le ministère diaconal ;
  • explorer les champs missionnaires où il serait important d’appeler et d’envoyer des diacres en mission ;
  • susciter l’interpellation de personnes pour ces champs missionnaires, en lien avec les équipes ;
  • veiller au discernement en mettant en place des équipes de discernement.
Il n’est pas anodin de souligner que ce premier Comité diaconal est constitué, en plus du délégué au diaconat : du responsable de la formation aux ministères ordonnés, d’un prêtre MdF, de deux diacres permanents (dont un de la MdF et un autre du diocèse d’Evreux, en équipe MdF) et d’une femme (membre d’une équipe MdF et par la suite d’une femme dont le mari est diacre du diocèse de Créteil).



Interpellation et formation

Rapidement plusieurs personnes sont interpellées (en essayant de regrouper géographiquement les appels) et deux équipes de discernement sont mises en place successivement. Il faudra, après ce temps de discernement d’au moins un an, prévoir les lieux de formation pour ceux qui acceptent de poursuivre ce chemin. Cette formation se fera dans les régions où résident les futurs diacres permanents.
En septembre 1997, Mgr Gilson, alors Prélat de la MdF, confie la responsabilité de la formation des ministères ordonnés à l’équipe de formation du séminaire de la MdF. Prêtres et diacres sont appelés à vivre leur ministère en collaboration au sein d’équipes. Que leur formation respective soit sous la responsabilité d’une même équipe de formateurs peut contribuer à les y préparer.
L’équipe de formation organise alors des week-ends de formation spécifiques pour les candidats au diaconat, mais aussi des week-ends de formation communs aux séminaristes et aux candidats au diaconat.
La « première vague » d’interpellations a visé des membres d’équipes ou des « proches ». Ces interpellations ont privilégié des personnes. Une réflexion au sein du CDD conduit à pointer d’abord des champs de mission et ensuite des personnes dans ces champs. Soyons honnêtes, cette problématique ne supprime pas la précédente mais conduit à toujours se demander : « Si on pense à telle personne, c’est en vue de quelle mission » ? La personne est alors interpellée en vue de… un milieu professionnel (marins, milieu scientifique, grande industrie, médias, santé…), une réalité sociale qui risque d’être négligée (banlieues, rencontre avec d’autres religions, création artistique…). Cette polarité n’élimine pas la dimension d’inédit que constitue l’ordination d’un baptisé, don de Dieu et engagement d’un homme. Mais elle indique bien l’orientation missionnaire d’un diaconat MdF. Aussi, nous nous retrouvons bien dans les points d’attention donnés par les évêques en 1996 : « Le travail professionnel, la vie associative, la vie familiale, la communauté de vie avec les hommes sont des lieux importants de la mission des diacres (4). »
Avec le délégué au diaconat, des réunions par régions géographiques sont organisées en 1997-98 avec les membres de la MdF pour les sensibiliser à ce nouveau ministère encore à inventer.
« La MdF, comme tout diocèse, a besoin de ministres particuliers : les diacres pour être le rappel vivant, au sein d’elle-même, d’un Christ venu pour servir tous les hommes. Voici, je crois, la raison essentielle et théologiquement fondée d’appeler des hommes à être diacres. Pas besoin d’être diacres pour cela, direz-vous ? C’est certain.
Et pourtant en chargeant des diacres de vivre ces situations communes à beaucoup d’autres, en “envoyant” des ministres ordonnés, l’Eglise désigne ces démarches de service comme essentielles à sa mission. Elle signifie qu’elle s’y engage à fond, elle appelle les chrétiens (laïcs, prêtres, religieux) à reconnaître l’Esprit du Christ dans ce signe donné et à se mettre eux-mêmes au service du monde. »

C’est durant l’année 1999 qu’est publié par la MdF Le guide du diaconat permanent, qui est le signe d’une certaine maturité dans la poursuite par la MdF d’ordonner des diacres permanents pour la Mission.
Soulignons rapidement les choix retenus pour l’interpellation :
  • Les équipes MdF qui connaissent les besoins de la Mission sont en bonne position pour repérer les personnes à interpeller pour porter le ministère diaconal dans ces enjeux missionnaires ;
  • Ces personnes doivent avoir un sens de l’Eglise, une sensibilité personnelle aux pauvres, une capacité de vivre la foi dans la rencontre d’autres, une bonne insertion sociale, un équilibre de vie personnelle et familiale ;
  • Dans le dialogue avec l’équipe et le délégué au diaconat, il s’agit d’opérer un pré-discernement et de vérifier la possibilité d’offrir les moyens du discernement ;
  • La MdF choisit d’interpeller en vue du diaconat des hommes en situation professionnelle, mariés ou célibataires ; la priorité est donnée à des personnes non retraitées (5).
Tout au long de ces dernières années, un effort patient et tenace s’est poursuivi pour faire naître et former des diacres permanents dans les équipes de mission. Cette année même, une nouvelle équipe de discernement est constituée.
Aujourd’hui, le diaconat permanent est reconnu parmi nous comme un ministère qui a sa place dans les équipes de mission à côté du ministère presbytéral et du « ministère missionnaire » des laïcs. Depuis trois ans, des rencontres spécifiques de partage et de réflexion entre diacres sont organisées. Les épouses sont parties prenantes si elles le souhaitent, avec aussi des temps d’échanges spécifiques entre elles. Même si ceci est encore à améliorer. C’est en le vivant concrètement qu’en Eglise nous pourrons mieux définir la place de ce ministère de service qui est encore en partie à découvrir.


Depuis ses origines, la MdF était un corps de ministres ordonnés prêtres d’abord et aujourd’hui prêtres et diacres. Sous l’impulsion de Mgr Gilson la collaboration dans la mission vécue entre ce corps de ministres ordonnés prêtres et diacres et d’autres baptisés a reçu une autre figure. Dorénavant, les laïcs associés à la mission peuvent devenir membres de la Communauté Mission de France. Auparavant les initiateurs d’une présence d’Eglise étaient des prêtres, dorénavant au sein de la CMdF ce sont des ministres ordonnés avec d’autres baptisés qui sont envoyés pour témoigner de l’Evangile comme promesse de bonheur pour tous.
« Un manifeste, un appel est lancé en 2002, à l’heure où la Mission de France vit une nouvelle étape de son histoire qui la conduit à former une communauté missionnaire constituée d’équipes regroupant prêtres, diacres et laïcs. Elles sont structurées par la responsabilité apostolique d’annonce de l’Evangile. Le ministère ordonné est fondateur de ces équipes (6). »
« La Communauté Mission de France reconnaît la renaissance du diaconat permanent comme une grâce : celle de rappeler à toute l’Eglise sa vocation de servante. »


Notes :
(1) L’image est du cardinal Suhard.
(2) « C’est pour coopérer à la même œuvre que tous les prêtres sont envoyés, ceux qui coopèrent à un ministère paroissial ou supra paroissial, comme ceux qui se consacrent à un travail scientifique de recherche ou d’enseignement, ceux-là même qui travaillent manuellement ou partagent la condition ouvrière » (Ministère et vie des prêtres n° 8)
(3) Ainsi ces trois accents retenus par les Evêques pour la figure du diaconat reprennent les trois accents que l’épiscopat français avait formulés pour la mission de l’Eglise en France en 1967.
(4) Orientations pour le Diaconat permanent, Lourdes, 1996.
(5) Ainsi des diacres de la MdF sont : inspecteur du travail, formateur en CAP, infirmier en prison ou en maison de retraite… Leur insertion : en banlieue auprès d’une population « arc en ciel », dialogue croyants–incroyants, rencontres familiales, auprès de familles en difficulté…
(6) Extraits du Manifeste LAC n° 218.