Accompagnement - Discernement


Une conférence de Soeur Dominique Sadoux, du SNV et le Père Léo Scherer, s.j., qui, au Chatelard, anime sessions, accompagnements personnels, retraites. C’est un dialogue sur l’accompagnement et le discernement.

Accompagnement

P. Léo SCHERER

Deux remarques comme rappel. Il s’agit d’un mot récent, par rapport à la tradition. En effet, au XVIIe siècle, le maître-mot était "conducteur" (dans l’Introduction à la vie dévote chez François de Sales), par la suite nous avons vu fleurir le terme de "directeur de conscience", enfin au coeur même du Concile Vatican II, le livre du Père Jean Laplace est intitulé "Direction spirituelle ou dialogue spirituel". Nous assistons à une conscience plus vive du respect de l’oeuvre de l’Esprit dans la liberté de l’autre, avec également une autre "révolution" dont nous n’avons pas encore mesuré toutes les conséquences : un nouveau rapport à la vérité. Le fait que dans les Exercices nous ayons développé la pratique de "l’accompagnement personnel" a d’une certaine manière contribué à accréditer ce terme d’accompagnement.
Au même moment, se sont développées des sessions de formation au "dialogue et à l’écoute", dans les domaines les plus divers (conseil conjugal...) avec l’impact des sciences humaines et la mise en évidence de l’importance du récit, pour que quelqu’un puisse s’approprier son existence.
Ce mot comporte cependant des limites. Il ne suffit pas de changer les mots, la réalité peut rester la même. On parlera d’accompagnateur, mais nous pouvons trouver, comme le disait le Père J. Surin, un directeur au coeur resserré et qui désire mener l’autre en fonction de sa détermination. Soulignons un autre point, ce terme connaît également un certain succès dans le monde profane ("accompagnateur de moyenne montagne" par exemple). Il sera nécessaire de veiller à le qualifier : s’agit-il d’un accompagnement éducatif, d’un accompagnement de situation de détresse ou de progrès spirituel ?
Pour ma part dans cet essai de mise en situation pour une clarification, j’aimerais souligner quatre traits :

1 - Le mot
Quand nous consultons le petit Robert, nous trouvons : "Se joindre à quelqu’un pour aller là où il va, en même temps que lui... ou aller de compagnie avec". Et quand nous parlons "d’accompagnement spirituel", nous dirons que c’est selon l’Esprit Saint.

2 - Une réalité toujours en lien avec un contexte
Un certain accompagnement se réalise plus ou moins spontanément entre deux personnes. C’est alors une attitude de solidarité humaine. D’un côté, une demande dans un moment difficile, dans un choix à faire ; de l’autre une attitude d’écoute, de soutien, de conseil. L’une s’exprime, l’autre écoute. Cela se réalise dans un climat de confiance et de respect mutuel. Dès ce premier niveau, on perçoit les signes qui vont devenir essentiels à tout accompagnement : la durée, une certaine qualité d’écoute, une distance "affective", prendre conscience du type de relation humaine dans lequel s’inscrit inévitablement tout accompagnement : homme-femme, jeune-vieux, etc.
A un second niveau, la relation d’accompagnement s’établit dans la foi, de façon explicite, non pas nécessairement pour parler de la foi, mais dans la confiance en la grâce de Dieu et de son action. Cette référence donne sens aux questions que l’on pose. Dans l’entretien on parle explicitement de la prière et des moyens d’y progresser, et à côté de la prière, un "discernement" de plus en plus riche qui sera marqué par les fruits de l’Esprit.
A un troisième niveau, on peut distinguer dans l’Eglise plusieurs manières de pratiquer l’accompagnement : depuis le partage de vie entre un ancien qui a une longue expérience et quelqu’un qui débute et cherche à progresser, jusqu’aux diverses formes de vie monastique où le candidat est invité à partager l’existence quotidienne d’une communauté et à trouver à cette lumière son propre chemin. St Ignace, lui, donne à l’accompagnement un but très explicite : aider quelqu’un à se décider sans attachement désordonné.
Avec ces précisions, deux situations extrêmes s’imposent. Quand il s’agit de l’accompagnement des grands malades, il sera diffcile de dire qu’il s’agit de se joindre à quelqu’un pour aller là où il va. En ce lieu frontière où l’homme apprend à se dessaisir de sa vie, il ne peut s’agir que d’une aide discrète, avec des appels paradoxaux qu’il s’agit de déchiffrer. S’ouvrir ainsi à l’inconnu de ce que l’autre vit, nous rend vulnérable aux blessures infligées par le rapport à la mort et au mourant lui-même. Et quand il s’agit de faire naître quelqu’un à lui-même, même si le travail consiste à aider quelqu’un à découvrir la voie qui est la sienne dans l’Esprit Saint, l’accompagnateur, comme le guide de haute montagne, aura quelquefois à faire la trace pour aider quelqu’un à trouver son chemin parce qu’il a une certaine expérience et qu’il connaît le pays et s’y trouve lui-même engagé.

3 - En lien avec la marche
Dans cette dynamique de la marche que nous venons d’évoquer, nous découvrons un élément essentiel qui parcourt toute la tradition. Il y a des débutants, il y a ceux qui sont en croissance, et ceux qui sont en voie d’unification. Pour le débutant, il faut que le maître ait une certaine longueur d’avance, si le disciple veut progresser ; le maître et le disciple peuvent ensuite se trouver côte à côte, mais la relation sera toujours asymétrique.
Enfin le disciple par la suite peut se trouver par grâce plus rapidement engagé sur le chemin, mais l’ancien restera un lieu de parole et de référence.

4 - A la lumière de la matrice évangélique
Le Christ a accepté en effet de devenir un maître, un Rabbi pour faire des disciples. Il a été le témoin par excellence. Il a montré le chemin et désigné le Père comme la source. Après avoir introduit ses disciples dans son secret (tourné vers le Père, solidaire de ses frères les hommes), il les a appelés ses amis. Au terme il va disparaître pour qu’à leur tour les disciples devenus apôtres fassent des disciples.
Et l’une des grâces de notre baptême, c’est cette possibilité offerte pour ne plus être seul pour écouter, comprendre la Parole et se décider selon Dieu. Et là, Dieu peut mettre sur notre route un maître spirituel, un frère, un conseiller spirituel avec qui nous osons risquer une parole.

Au terme, disons que l’accompagnement spirituel est de l’ordre du charisme et de l’apprentissage. Du "charisme" au sens de Paul dans l’épitre aux Corinthiens : un charisme qui se traduit par la gratuité, le service et une certaine "énergie" (1 Cor 13). Un apprentissage, aussi, avec un ancien avec tout ce que cela suppose de mise en oeuvre pour un travail de vérité sur soi et dans la relation avec le Seigneur et les autres.
Ce charisme prend sa source dans l’Agapè. La charité est discrète et produit une certaine qualité de relation, pour écouter quelqu’un qui dit quelque chose de la relation à Dieu qui l’habite.
Cette charité est faite de discernement. Il s’agit de la "dia-crisis". On ne discerne pas à la place de quelqu’un mais on lui apprend à reconnaître le chemin par lequel il est conduit. Et c’est toujours au profit d’une liberté à faire grandir dans la foi et l’amour.

Nous pouvons entendre maintenant ce qu’Henri Madelin avait dit à Vichy en juillet 1989 :
"Le mot ’accompagner’ signifie qu’il s’agit d’être pour... et avec... un compagnon selon l’Evangile, c’est-à-dire un homme de conviction habité par le mystère trinitaire, sachant se mettre au service des autres, hanté par l’élargissement des frontières de l’Eglise, ouvert à qui vient, croyant au travail de l’Esprit dans le monde et l’Eglise. L’accompagnateur ne peut être un substitut du père ou de la mère, ni un grand frère, une grande saur, mais un passeur, un ’premier de cordée’, celui qui fait sortir, selon la racine du mot" (1)
Et pour ma part j’ajouterai aider quelqu’un à naître à la parole, et à la Parole.

 

Soeur Dominique SADOUX

On vient de rappeler la définition de l’accompagnement dans le Petit Robert. Il s’agit de marcher à côté de quelqu’un pour que lui-même, avec la force de l’Esprit, trouve son chemin. C’est donc une relation dans la foi. En ce sens, nous ne sommes pas des professeurs, des conseillers, des directeurs de conscience, mais nous devrions être des écouteurs, des "écouteuses" de l’Esprit en l’autre et avec l’autre.
Il nous faut, avec les psychologues, nous rappeler que l’écoute n’est ni un jugement, ni un soutien maternel ou paternel trop fort, ni une interprétation ou une solution, ni encore une enquête. C’est plutôt au point de départ, une reformulation dans la compréhension.
Il y a dans l’attitude de l’accompagnateur un effacement de soi, une impartialité devant le chemin de l’autre, pour ne pas imposer son propre chemin, être plutôt reflet des paroles entendues.
La définition du Petit Robert poursuit : "marcher... en même temps que l’autre..." Patienter, attendre, accueillir sans préjuger de la suite, sans se laisser prendre par son intuition première. Une écoute réelle ne prépare pas sa réponse. Elle demeure, dans le respect, devant un non-savoir.

Contemplons dans le Nouveau Testament deux figures d’accompagnateurs.

Prenons le texte dans les Actes 8, 26-40. Il s’agit d’une action pastorale ponctuelle. Une seule rencontre et un baptême. Tout au long de ce récit, l’acteur principal, celui dont on respecte la "précédence" c’est l’Esprit Saint. C’est Lui qui envoie Philippe sur la route "Tu vas te rendre vers le Midi..." C’est Lui qui suscite la rencontre : "L’Esprit dit à Philippe : avance et rejoins ce char".
L’attitude de l’accompagnateur ? Une écoute, une disponibilité totale. "I1 y courut, entendit l’eunuque qui lisait le prophète Isaïe". Le dialogue qui s’engage est précédé par l’écoute qui permet de situer la demande : "Est-ce que tu comprends ce que tu lis ?"
Du côté de l’accompagné, l’Esprit ouvre le coeur de l’eunuque : "Et comment le pourrais-je si je n’ai pas de guide ?" Il invite Philippe à monter dans le char, et demande : "De qui le Prophète parle-t-il ?" La phrase suivante est rappel d’une exigence essentielle pour bien accompagner : "Philippe, partant de ce texte, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus". Laisser à l’autre l’initiative de sa demande, partir du lieu où il parle, laisser venir son désir. "Voici de l’eau, qu’est-ce qui empêche que je reçoive le baptême ?..." et Philippe le baptisa.
Lorsque la rencontre pastorale a atteint son objectif "L’Esprit du Seigneur emporta Philippe et l’eunuque ne le vit plus mais il poursuivit son chemin dans la joie." L’accompagné a trouvé sa voie, il peut poursuivre son propre chemin et la joie est un signe de cette autonomie et de la liberté de la rencontre.

On pourrait, en conclusion, recueillir, à partir de cette aventure, les éléments essentiels de tout accompagnement pastoral quelle qu’en soit la forme :

a) Situer la demande :
Cette personne veut-elle un conseil ? un soulagement ? partager des confidences, une information ? une aide durable ? une oreille amicale ?

b) Discerner où se situe spirituellement la personne :
Besoin d’évangélisation ? de découvrir la bonne nouvelle ? de faire le point ? (retraite récollection, etc.) de se réconcilier avec son histoire ? avec un événement, une personne ? avec Dieu ? Besoin de s’engager davantage pour les autres, l’Eglise, le monde ? recherche de sa place dans l’Eglise, de sa vocation ?

c) aider l’autre à préciser sa demande, sa situation, à nommer les choses :
Si un(e) jeune s’interroge sur une vocation, en fonction de son âge, pouvoir lui expliquer : "Pas trop tôt pour y penser, trop tôt pour décider".
Et pouvoir le renvoyer au "présent" et à toutes les ressources qu’il lui offre : nourrir sa foi (vie sacramentelle, Parole de Dieu), s’engager dans sa réalité et dans l’Eglise, recevoir une information sur le caractère vocationnel du baptême et les diverses vocations, éveiller le sens missionnaire.

La deuxième figure, c’est Jean-Baptiste qui pour moi est la figure idéale de l’accompagnateur. J’ai l’image devant moi de Jean-Baptiste dont le doigt et la main s’allongent pour montrer un autre que lui (peinture de M. Grünewald). En la prenant rapidement, je voudrais aller, ici, plus loin dans les traits de l’accompagnateur. Ceci en pensant à des accompagnements spirituels plus spécifiques, je dirais plus ignatiens, parce que je crois que l’école ignatienne est un bien d’Eglise, même si on n’est pas de spiritualité ignatienne.
La figure de Jean-Baptiste. Lorsqu’un jeune fait une demande assez précise, lorsqu’il demande un suivi régulier pour réfléchir sur son avenir, il s’agit d’accompagnement spirituel c’est-à-dire dire dans l’Esprit Saint, ce souffle qui touche le plus concret de toute la vie. Et on dépasse alors le stade initiatique d’un accompagnement catéchétique pastoral, on dépasse le stade de la loi chrétienne : qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal ? on s’engage dans une recherche personnelle : qu’est-ce qui est bien pour moi, pour demain ? On cherche son propre chemin, sa physionomie d’adulte dans la foi.
Accepter un accompagnement spirituel implique une disponibilité de temps, une certaine régularité pour l’ accompagnateur, et qu’il ne cumule pas, si c’est possible, l’accompagnement d’un groupe et celui d’un membre du groupe. Accompagner au sens précis suppose des conditions et des exigences plus rigoureuses que celles qui relèvent d’un accompagnement pastoral. Regardons un instant cette figure par excellence de l’accompagnateur qui est Jean-Baptiste (Jn 1, 20-30) on y retrouve bien des traits communs à Philippe le diacre et à Jean, le prophète, le précurseur. Cependant, Jean a accompagné les disciples sur une durée, peut-être des années. Il a été leur maître. Et à travers son exemple et sa manière de se relationner, lui Jean à Jésus, on voit se profiler les traits essentiels de tout accompagnateur spirituel. Alors contemplons-le un instant.

Vous vous souvenez d’abord qu’on interroge Jean qui est un peu mystérieux et chaque fois qu’on lui demande : "Qui es-tu ?" il répond fort : "Je ne suis pas le Christ". Voilà une petite phrase qu’il nous faut nous redire , à nous aussi comme accompagnateurs et comme maîtres et maîtresses des novices, surtout quand il y a des difficultés : "Je ne suis pas le Bon Dieu". Je me souviens d’un psychologue à qui je disais mon effondrement devant la mauvaise sortie d’une novice "tu n’es pas une mère toute puissante ! ". "Je ne suis pas le Christ" on est seulement un petit moyen sur un chemin. Et quand on demande à Jean qui il est, il dit : "Je suis la voix" une voix de Celui qui crie "préparez le chemin" à quelqu’un d’autre. Donc cette énergie de Jean dans ses réponses manifeste sa liberté intérieure, toujours à reconquérir, et sa modestie. Les accompagnateurs sont les premiers à risquer de se prendre pour Dieu ou de prendre la place de l’Esprit.

Jean se situe comme un instrument, comme un serviteur qui s’efface, d’ailleurs il dit : "préparez le chemin du Seigneur". Il s’agit de faire la place au Seigneur, d’aider l’autre à se rendre disponible pour entendre dans sa propre vie les appels, les passages et pour distinguer sa propre route. Et cet effacement de Jean devant Jésus s’exprime bien par cette phrase : "Moi je baptise dans l’eau" : moi je donne des moyens nous, nous baptisons dans l’eau, c’est un Autre qui baptise dans le feu. Nous offrons des moyens. Au milieu de vous, au milieu de toi que j’accompagne, se tient Quelqu’un que tu ne connais pas. Eveiller le désir, déblayer le sable pour que l’autre soit révélé à lui-même en laissant cet autre que lui-même se révéler, c’est son désir profond. Au milieu de toi se tient quelqu’un que tu ne connais pas.

Cette parole de Jean nous renvoie à la présence de l’Esprit à l’oeuvre dans la personne accompagnée. Si j’accompagne quelqu’un, il y a quelque chose qu’Ignace recommande en préalable, c’est la confiance mutuelle , c’est-à-dire que, même sans être naïf ou naïve, je crois que l’Esprit est en nous deux à l’oeuvre. Et pour accompagner il faut croire en l’autre, l’autre de lui-même, le meilleur de l’autre. Croire qu’il a en lui sa vraie identité et que son vrai désir est souvent déguisé et caché par mille désirs superficiels. Ici je reprends les termes de Don Louf ("La grâce peut davantage", p. 105), quand quelqu’un vient vous dire : "Que ferai-je de ma vie ?" : "Ce qu’il y a de proprement merveilleux dans une telle question c’est que le demandeur lui-même porte la réponse au plus profond de son cour. La volonté de Dieu qu’il cherche, qu’il voudrait sincèrement épouser n’est autre chose que sa réalité la plus profonde et la plus féconde. La volonté de Dieu ne le menace en rien , elle ne lui fera aucun mal, elle n’est rien d’autre que le désir de Dieu et son amour à son sujet. Rien de plus épanouissant pour lui dans tous les sens du mot et selon toutes les virtualités que Dieu a déposées en lui".

"Le lendemain, Jean voit Jésus venir à lui". Nous continuons l’histoire de JeanBaptiste. "Et il dit : "voici l’Agneau de Dieu" et il porta témoignage en disant : " j’ai vu l’Esprit et j’atteste qu’il est le Fils de Dieu ". Je crois que ce témoignage de Jean qui s’efface devant le Christ par amour est un rappel pour nous qu’on ne peut pas accompagner spirituellement, si on n’est pas pris et passionné par celui dont on veut déblayer le chemin pour l’Autre. Autrement dit : si on n’est pas capable nous aussi de dire à notre manière "j’ai vu l’Esprit sur lui". Si par notre être on n’est pas un témoin, une soeur, un frère dans la foi, il y a bien des risques qu’on n’accompagnera pas spirituellement. On peut être un bon psychologue non directif, mais je ne crois pas que ce soit de l’accompagnement spirituel. L’accompagnement c’est une tâche très belle dans l’Eglise, un stimulant à la conversion constante. Le lendemain encore, Jean fixe son regard sur Jésus et dit aux disciples : "Voici l’agneau de Dieu" et c’est là le moment du tableau de Jean avec le doigt qui s’allonge vers Jésus, moment décisif, dénouement de cette longue initiation de Jean auprès de ses disciples : "Ceux-ci (les disciples qui avaient suivi un homme pendant peut-être plusieurs années) l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus". Pouvoir laisser aller l’autre vers un Autre que soi : "Ceux-ci l’entendant parler suivirent Jésus".Je crois que Jean-Baptiste est une figure vraiment idéale d’accompagnateur, celui qui désigne un autre et qui facilite le mouvement vers cet autre.

A partir de ce petit voyage dans la Parole de Dieu, dégageons plus systématiquement les aptitudes de l’accompagnateur.

1 - Une distance est nécessaire par rapport à soi-même, à son projet, sa vocation, et son existence

2 - Un grand respect de l’autre, "se tenir comme l’aiguille d’une balance" dit Ignace, c’est à dire ne pas influencer. Respecter la liberté, respecter le mystère de l’autre que nous ne connaissons pas d’avance. Se maintenir dans la foi devant le "non-savoir", un mot cher aux mystiques qui devrait être cher aussi aux accompagnateurs, surtout à ceux qui ont de l’intuition. Il faut toujours soumettre nos intuitions à ce non-savoir sur l’autre devant son secret.

3 - Cultiver la non-curiosité. Les questions posées dans l’accompagnement doivent être soit d’éclaircissement : "Je n’ai pas compris ce que tu voulais dire..." ou "Est-ce que tu peux creuser ce que tu viens de m’expliquer pour que je comprenne mieux..." soit des questions ouvertes, c’est à dire qui ouvrent le champ de la liberté à l’accompagné. Par exemple devant une difficulté de relation avec telle personne : "Est-ce que tu as essayé de t’expliquer avec elle ?" c’est une question ouverte. "Est-ce que tu vois dans ta propre vie ce qui fait qu’elle réagit comme ça ?" c’est une question ouverte ; "Est-ce que des membres de ta famille te renvoient la même image que cette personne ?" question ouverte. On propose des chemins... A l’accompagné de pousser telle porte.
La même chose pour la vocation : "Tu voudrais être carmélite ou visitandine, pourquoi ? essaie d’expliciter" et après : "Est-ce que tu connais d’autres moniales ? est-ce que tu connais d’autres vocations consacrées ?" question ouverte.
Maurice Bellet, dans "L’écoute" (1989, DDB) s’exprime ainsi : "Dans l’écoute comme telle, la parole de celui qui écoute ne doit pas porter davantage que cette écoute même. Elle est seulement offerte, elle est au bord de la parole de l’autre, non en survol ou en maîtrise de l’autre".

4 - Faire abstraction de ce qu’on sait sur l’autre en dehors de ce qui est l’accompagnement. Faire abstraction de ce qu’on sait sur lui puisque l’accompagnement c’est vraiment donner à l’autre un lieu neutre et libre où il peut être lui-même, délié de toutes ses adhérences.

5 - Renvoyer au meilleur de lui-même

6 - S’appuyer sur la confiance mutuelle  : le préjugé de bienveillance.

7 - Psychologiquement l’accompagnateur doit avoir certaines qualités. Si c’est quelqu’un qui ne peut jamais cacher, maîtriser ses réactions immédiates, émotionnelles, il vaut mieux ne pas l’engager dans l’accompagnement spirituel. Si je pleure dès que j’entends quelque chose, moi l’accompagnateur... Nous touchons ici à l’implication affective, il faudrait entrer dans le détail (cf. feuille de Godin).

8 - Il faut savoir écouter, mais il faut savoir aussi parler. L’accompagnateur a une parole à dire après l’écoute.Il doit pouvoir écouter mais aussi proposer des moyens d’avancer. Aider l’autre à discerner les forces de vie et de mort dans sa vie, ou à relire son histoire et, avec des jeunes, proposer des moyens d’avancer de l’ordre de la prière, de la vie spirituelle, de l’engagement ecclésial. Je connais un prêtre qui dit "un jeune ne quitte jamais mon bureau sans avoir quelque chose dans la main" une feuille, un livre, une adresse, quelque chose pour jusqu’à la fois prochaine.

Discernement

Soeur Dominique Sadoux

Il y a des moments où on cherche la volonté de Dieu. C’est le moment de discerner. Il s’agit d’une démarche ponctuelle même si elle demande du temps. Par contre un coeur qui discerne cela veut dire un coeur qui lit les signes des temps, un coeur aux aguets de la réalité de Dieu dans le monde et du monde en Dieu, un coeur éveillé.
Mais ici parlons à la fois de l’attitude du coeur et de la démarche de discerner.

Discerner c’est voir
Pour l’illustrer, prenons l’épisode de l’aveugle, dans Marc au chapitre 8. L’aveugle, au début, va " voir les gens comme des arbres". Puis ensuite il verra tout à fait, au contact des mains de Jésus. Il se laisse toucher par l’humanité de Jésus. Pour discerner, pour voir la réalité telle qu’elle est et non telle que nous l’imaginons ou la faussons, il nous faut nous laisser toucher par l’humanité de Jésus.
Le discernement est une capacité d’être au contact du réel, d’être vivant(e).

Discerner c’est aussi "peser"
C’est l’image de la balance. On pèse le poids, la consistance des choses, des événements, des raisons en faveur de tel choix. Ici intervient la disponibilité entre deux alternatives qui deviennent "égales" par rapport à la volonté de Dieu.

Discerner c’est enfin trier
C’est la femme avec son tamis, elle trie les grains : ceux qui tombent et les petits cailloux qui bouchent les orifices du tamis...
Trier, c’est filtrer les mouvements intérieurs que l’on éprouve, pour reconnaître d’où viennent les diverses inspirations.

Voir, peser, trier, en discernement spirituel, cela présuppose la prière ; apprendre à être conscient de ce qui se passe dans la prière, lorsqu’on s’expose à la Parole de Dieu, à l’influence de Jésus dans l’Evangile.


Ce tableau est de Jean Marc Furnon, sj. Il est très simple. C’est une manière de parler de ce que l’on appelle le discernement des esprits.
Lorsque quelqu’un est bien disposé, désireux de rechercher Dieu, le Nord magnétique qui l’attire, c’est la Vie en Dieu ; le bonheur en Dieu. Fort de ce repère il peut identifier peu à peu les forces qui le meuvent. L’Esprit de Dieu lui donne paix et joie (Gal. 5) et le malin est celui qui peut provoquer en lui troubles et inquiétudes.
A l’inverse lorsque quelqu’un est orienté dans le sens du refus de la vie et se détourne de Dieu, c’est le bon esprit qui l’inquiète et chercher à le réorienter vers la Vie (exemple du Père de Foucault).
Il est important d’apprendre aux jeunes à identifier ce qui se passe en eux, à garder mémoire aussi des grâces qui sont force et lumière pour évaluer les mouvements qui interfèrent en eux.

P. Léo SCHERER

1 - Clarification
Il faut nous rappeler que les champs d’application du discernement sont très variés : relire l’action de Dieu dans une vie ou relecture spirituelle de l’existence ; interpréter les "motions spirituelles" dans leur contexte ; ou encore aider quelqu’un à repérer les étapes de sa vie spirituelle ou découvrir que pour lui le combat spirituel prend la forme d’être capable de se déprendre de ses projets ou de ses idées, ou encore que son combat concerne non seulement les points faibles de son existence mais aussi les points forts.
Note sur les "mouvements" ou "motions" (cf. tableau)
J’apporte deux éclairages. Dans le cadre des Pères du désert d’abord : à quelqu’un qui disait qu’il n’éprouvait aucun mouvement en son coeur, il fut répondu : "Il n’y a pas de porte chez toi, n’importe qui peut y entrer et sortir". L’expérience de Thérèse d’Avila lors de sa deuxième conversion ensuite. Elle a découvert qu’il y a trois grâces : celle d’être visitée par Dieu, celle de pouvoir le reconnaître et enfin celle de pouvoir le dire. Pour le discernement, nous retrouvons quelque équivalence : il s’agit d’abord de prendre conscience des mouvements qui nous habitent, pour les interpréter, et ensuite trancher, c’est-à-dire accepter les uns pour rejeter les autres.

2 - Quelques critères ou repères dans le discernement en vue d’une décision d prendre dans le domaine vocationnel
J’emprunte en guise d’ouverture, un document du XVIe siècle (2). Il s’agit de quelques remarques concernant les Exercices. Pour engager quelqu’un à s’engager dans ces Exercices ou Ecole du coeur, un certain nombre de conditions semblent requises : "que le sujet soit capable de décider de sa personne, qu’il ne soit pas tellement attaché à quelque chose, qu’il lui soit difficile de se mettre en balance devant Dieu (3), enfin le sujet doit être inquiet en quelque manière".
Grâce à Guy Lescanne nous avons mieux entendu un certain nombre de courants qui marquent les jeunes avec notamment cette blessure fondamentale sur la difficulté de croire. Pour ma part j’insisterai sur deux défis.
Le point le plus menacé est, me semble-t-il, la capacité de se décider donnée par Dieu. Avec Dieu nous ne pouvons faire l’économie de notre propre travail pour discerner quels sont les appels qui peuvent nous rendre heureux certes, mais nous savons qu’à travers des déchirures et les décisions pascales, Dieu fait alliance avec le meilleur de nous-mêmes. Cela nous renvoie à l’expérience de Dieu. Dieu crée un interlocuteur. Comment aider une liberté en ce lieu-là. Nous avons abordé cette question lors d’une session pour les contemplatives du Centre-Est, en mars dernier. S’éveiller à la mémoire de Dieu passe aussi par des témoins. Comment introduire jeunes et moins jeunes dans "l’expérience" ?
La deuxième urgence : évangéliser la soif de bonheur. Le document du Père de Vitoria rappelait que le sujet devait être inquiet en quelque manière. Il s’agit bien de la "bonne inquiétude" et non pas de l’instabilité. Il s’agit d’entendre ce qui se cherche au niveau du désir. Guy Lescanne rappelait qu’il n’y a plus d’idéologie capable de donner sens et cohérence, et l’idéologie est toujours marquée par cette autre dimension : l’utopie. Ce qui permet de regarder le présent et de découvrir des possibles ignorés. Comment creuser et désherber les désirs superficiels (ou besoins) pour laisser un espace au désir ? Il nous faut être assez proche des jeunes pour pouvoir leur proposer des expériences fortes. C’est à partir de là que se fera la découverte de ce qui est souvent confondu : le bonheur, la joie et la paix (4).
Sur cet horizon, je voudrais esquisser quelques repères en amont des décisions. Il me semble que nous aurons à être attentif à un triple enracinement de l’expérience de Dieu : enracinement humain, théologal et ecclésial.

l - Enracinement dans l’humain
Dans un temps où la relation éducative est le lieu de l’absence, avec la confusion des rôles et où l’enfant sait tout, parce qu’il n’a rien appris, comme le rappelle Tony Anatrella (5) la maturation humaine sera à vérifier dans ses formes élémentaires : la capacité de faire des choix, de prendre de petites décisions, avec le désir de faire la vérité ; la possibilité d’accéder au dépassement de l’immédiateté, qui se traduit dans la capacité de faire le deuil ou de renoncer à d’autres possibles. Enfin autre travail : exorciser la peur des erreurs... pour se souvenir que Dieu est présent quand j’engage ma liberté, ma responsabilité.
Dans un langage plus technique : sortir du miroir narcissique pour prendre en compte le réel dans sa complexité. Sortir du repli narcissique passe par l’histoire et le corps. L’expérience spirituelle comporte une démarche essentielle, la réconciliation qui gère le rapport à notre passé. La réconciliation ne consiste pas à "faire comme si" le passé n’était plus là, ou avait été différent ; autrement dit la réconciliation ne va pas sans faire l’expérience qu’on se sent inacceptable, ou encore sans renoncer au rêve illusoire d’une image de soi plus réussie. C’est ce que Xavier Thévenot rappelait aux jeunes novices dans les sessions sur la chasteté (6). Etre chaste, c’est tenter dans le domaine de la sexualité de sortir suffisamment de la fusion pour renoncer à un monde sans faille, renoncer à un monde sans différence et à un monde de la toute-puissance.
Vaste chantier, travail jamais achevé. Si la structure psychique sélectionne, isole, déforme, la puissance du Ressuscité est capable de faire mûrir la personnalité sous le mode du travail de désillusionnement, de passages et de pâques et finalement d’intégration.

2 - Enracinement théologal
Dans un paysage culturel qui voit s’entrecroiser le monde de la sécularisation, celui de la nouvelle religiosité et celui du défi des grandes religions, il s’agira d’être des veilleurs comme le rappelait Michel Rondet, capables de déployer la richesse des grands mystères chrétiens : la Trinité, l’Incarnation et la Rédemption. Et d’une autre manière qu’Irénée face à la gnose, il nous faudra apprendre à dire Dieu dans un langage renouvelé, voire profane.
En effet si le présupposé pédagogique est toujours de partir du point où en est l’autre, il y a dans le même mouvement à rappeler que la vie chrétienne est de l’ordre du recevoir et de la déprise. Nous enfoncer dans le baptême reçu gratuitement c’est découvrir la dimension théologale de l’existence.
"Dire Oui au Père en disant oui à la vie dont Il est la source". Chaque fois que nous disons oui à la vie, nous rejoignons le Père dans son amour pour la vie. Aimer la vie, la défendre, la promouvoir à tous les niveaux, c’est rejoindre le Père dans son amour Créateur. Le premier acte d’amour et d’obéissance envers le Père c’est aimer la vie, l’accueillir comme un don.
"Dire Oui au Fils en disant oui à son mouvement d’Offrande". Chaque fois que nous nous engageons dans un combat pour la dignité de l’homme, nous rejoignons l’amour du Fils qui nous a aimés jusqu’à livrer sa vie pour nous. Nous ne pouvons accueillir Dieu en Jésus que si nous partageons sa passion pour le salut de l’homme.
"Dire Oui d l’Esprit en disant oui à la communion". Chaque fois que nous tentons de réaliser la communion dans le respect de la différence, que nous renonçons aux réflexes de rejet et d’exclusion, nous rejoignons l’Esprit qui est au coeur de la communion de l’homme et de la femme, des nations ... Partout où les différences s’ouvrent à l’accueil, à la rencontre, au dialogue, l’Esprit est présent.
Ainsi la participation à la vie trinitaire qui marque l’expérience spirituelle chrétienne se réalise au coeur même de l’existence dans la solidarité avec le combat des hommes pour l’avenir du monde humain. La vie chrétienne est appelée à être proprement théologale dans son épaisseur humaine.
Cette découverte est de l’ordre de la simplicité fulgurante, celle qui vous tombe au coin du visage. Cette simplicité ne doit pas faire illusion, elle est le fruit d’une longue quête. Elle passe par l’humanité de cet homme qui venait de Dieu, de Celui qui a dit : "Je suis le chemin, la vérité et la vie".

3 - Enracinement ecclésial
Ce qui est en cause ici c’est d’abord la possibilité de vivre une réelle fraternité (nous restons encore bouleversés par cette tourmente qui a pour nom Sarajevo, Rwanda...).
Dans les catacombes de Rome, une main de pélerin a pu tracer ces quelques lignes : "Partout où j’irai, je trouverai des frères". Cette utopie passe par ce qui est élémentaire. "Commencez par le respect", nous dira Maurice Bellet. Se recevoir sans cesse les uns des autres du Seigneur est une des conditions pour cela. Respecter, s’émerveiller des autres prend sa source en Dieu.
Et je voudrais ici rappeler ce qu’écrivait Dom Denis Huerre : "Le moine qui accueille n’est pas un propriétaire ouvrant la porte de sa maison. Il demeure un hôte, l’hôte de Dieu à qui ce dernier demande de demeurer par grâce dans cette maison. Il y a Bénédiction et Doxologie, parce que les moines sont rassemblés pour l’hôte et par l’hôte. Dans une telle vision le Christ est acteur. II se reconnaît dans les moines qui ouvrent et dans les hôtes qui frappent d la porte. Il n’y a pas d’accueil s’il n’y a pas de respect de l’humanité et de l’hôte et du moine". Ceci rejoint les quelques propositions de M. Bellet dans "Incipit" ou la haute et divine tendresse.
Mais il nous faut aller plus avant encore : la première mission de l’Eglise est d’être "un lieu pour renaître", pour laisser place à un être nouveau, dans une double direction : la communion fraternelle et la communion avec Dieu. Une véritable communion ne peut faire l’économie de la solitude et passe par "l’expérience du désert" et le "brisement du coeur". C’est dans la mesure où j’accepte de m’exposer, de me livrer à la miséricorde, là où je suis le plus vulnérable, qu’il me sera possible d’accepter "l’inacceptable" de l’autre et de savoir que l’autre est mon frère parce qu’aimé par Dieu.

Et pour terminer. Si chacun est à nul autre semblable (d’où chacun sa voie, son rythme) avoir foi dans le progrès toujours possible malgré les forces de "décréation" demande de chacun de nous, quel que soit notre statut, la grâce d’une "vulnérabilité paisible".

Notes

(1) Dans "Christus" avril 1990, le P. Henri Madelin dira : "habité par la foi, l’espérance et la charité° [ Retour au Texte ]

(2) Notes du P. de Vitoria concernant les Exercices et la manière de les donner (Commentaires du P. Beimaert dans "L’accompagnement spirituel", numéro hors série, Christus 153, p.131) [ Retour au Texte ]

(3) Ces remarques valent pour toutes décisions. par exemple "le cas de conscience" de François d’Assise : "faut-il se retirer en ermitage ou aller par les routes ?" Après avoir examiné toutes choses dans la balance de son coeur, c’est en regardant le Christ que François découvre le vrai poids des arguments (Legenda major ch. 12, p.670, dans "Documents" Edit. franciscaines) [ Retour au Texte ]

(4) Le bonheur sera toujours un horizon. La foi chrétienne nous apprend que ce type de bonheur, qu’elle qualifie du vieux mot de "béàtitude", ne sera accessible que par-delà la mort. En revanche ce qui est accessible sont de longs moments de paix et de grands instants de joie. Et ils surgissent quand on fait son "travail" d’être humain. Et cela se concentre autour de deux ou trois choses : quand on fait ce que l’on peut pour aimer, que l’on sent qu’on a une certaine fécondité et que l’avenir reste ouvert. [ Retour au Texte ]

(5) Tony Anatrella, "Interminables adolescences : les 72-30 ans" - Cerf Cujas, 1988 [ Retour au Texte ]

(6) Xavier Thévenot, "Réflexions sur la chasteté", Groupe Evangile et Mission, juin-juillet 1978 [ Retour au Texte ]


Question orales

- Par rapport d l’accompagnement, je voudrais savoir s’il arrive des cas où on refuse un accompagnement parce qu’on ne se sent pas capable face à la personne ?

Sr Dominique SADOUX : Il est important quand on nous envoie un ou une jeune pour l’accompagner et que nous ne le connaissons pas, de ne pas laisser s’engager dès la première fois la démarche de relecture de vie. C’est le moment d’expliquer ce qu’est l’accompagnement, de bien situer la relation, de respecter la liberté. Pouvoir dire : "Si tu décides de poursuivre avec moi, tu téléphones d’ici quelques jours, autrement, voici le nom d’une autre personne qui pourrait t’accompagner."

- Que fait-on, quand on sait qu’un jeune rencontre plusieurs personnes à la fois ?

Soeur Dominique SADOUX : Faisons un petit schéma


Ce schéma aide à distinguer les rôles institutionnels et le rôle d’accompagnateur. L’accompagnateur doit être distinct de la personne qui a une responsabilité institutionnelle (dans un monastère, une communauté, la supérieure).
Ceci pour respecter la liberté de la personne. L’accompagné doit pouvoir s’adresser à l’accompagnateur en toute liberté et attendre une totale discrétion de sa part. Il sera renvoyé à sa liberté et s’adressera alors à l’institution de manière autonome.
La situation est diffférente pour les novices. Les diverses traditions spirituelles "écrivent" ce schéma de manières diverses (ex. : les jésuites pour qui le maître des novices représente à la fois l’institution et l’accompagnateur...) Mais pour des jeunes en recherche il est important d’être au clair.

P. Léo SCHERER  : L’accompagnateur, sur le plan de l’aide spirituelle, est placé quelque part. Je pense que pour une jeune qui est entrée au Carmel, au-delà même du noviciat, il y a la communauté qui reste toujours un lieu de parole et puis il y a la prieure à qui on rend compte de l’expérience de Dieu. Les pôles sont indiqués, il y a toujours cette discrétion de quelqu’un qui peut être un accompagnateur mais sans disqualifier les autres lieux de vérification.

- Dans le cas de quelqu’un qui suit une psychothérapie, qui a un confesseur et qui vient encore demander un accompagnement spirituel. C’est très difficile de se situer parce qu’elle est déjà dans un bouleversement intérieur, psychologique, elle va faire une demande, elle-même ne sait pas très bien où elle se situe, si c’est vraiment spirituel ou si c’est encore de type affectif... comment se situer ?

P. Léo SCHERER : Patrick Muret est intervenu sur la maison Philippe Neri, qui est un lieu de passage ou bien un tremplin pour aller dans des monastères ou ailleurs, ou au contraire pour permettre à des personnes de se récupérer. C’est vrai qu’ici sur la distinction des rôles et des fonctions, il insiste très longuement. Quelquefois il y a des personnes qui vont avoir une aide thérapeutique, donc c’est un lieu de vérité, ce qui n’exclue pas qu’il puisse y avoir un accompagnement spirituel. Mais la déontologie va faire que l’accompagnateur spirituel doit jouer son rôle. Et là le P. Beinaert a écrit de très bonnes choses dans un ouvrage intitulé "Expérience religieuse", dans la collection Epi, pour bien rappeler qu’il peut y avoir conjonction mais que nous n’abordons pas les questions de la même manière et qu’il ne faut pas mélanger les genres. Voilà donc déjà, on est renvoyé au spirituel pour qu’il soit dans sa ligne.
Ensuite il peut y avoir un autre regard extérieur plus institutionnel de ceux qui vivent avec cette fraternité pour qu’ils aient un lieu de parole. Donc il faut que les statuts et les rôles soient clairement définis. Ce n’est pas confortable. Peut-on engager dans les Exercices spirituels quelqu’un qui est en analyse ? Je crois qu’il faut d’abord que le travail soit fait quelque part. On retrouve les critères donnés tout à l’heure, c’est-à-dire que le terrain soit suffisamment stabilisé sinon on va mélanger les genres.

Eric JULIEN  : Une clarification des rôles qui a été faite très récemment dans Document Episcopat n° 3 (Février 94) par Tony Anatrella. Un texte remarquable et accessible.