Les Eglise catholiques d’Europe. Diversité, préoccupations communes


Le Père Paul Huot-Pleuroux, responsable du Centre Diocésain d’information de Besançon, chargé de mission au Conseil des Conférences épiscopales d’Europe nous dresse un panorama des Eglises d’Europe à la veille du troisième millénaire.

Le titre de cet article proposé par la revue "Jeunes et Vocations" risque-t-il de choquer tel ou tel lecteur ? On pourrait le craindre, tellement nous avons été habitués à parler de l’Eglise catholique comme d’un tout homogène, alors que la diversité était considérée comme le fait des autres confessions chrétiennes : anglicanes, protestantes surtout et orthodoxes.
On en revient aujourd’hui. Les voyages, les échanges, les rencontres de toute sorte, particulièrement les assemblées tenues au plus haut niveau (ainsi le synode spécial sur l’Europe de décembre 1991) ont montré les diversités des Eglises particulières de notre continent en de nombreux domaines, mais aussi leurs préoccupations communes. Cet article s’efforcera d’en discerner quelques-unes, en s’en tenant au strict point de vue de l’observation, laissant aux théologiens le soin de parler de la communion ecclésiale en ce qu’elle a de plus profond (1).

Une grande diversité

Nous avions coutume, jusqu’à un passé récent, de nous représenter l’Eglise catholique comme d’un seul bloc, deux à la rigueur à l’intérieur de la "grande Europe" : les Eglises de l’Ouest et celles de l’Est. Force nous est aujourd’hui de nuancer cette affirmation : en nous connaissant mieux, nous avons appris à nous considérer dans une diversité riche de contrastes, tout en étant unis sur l’essentiel.

Diversité d’implantation d’abord

Massivement le catholicisme apparaît comme très majoritaire dans les pays du sud et minoritaire dans les pays du nord de l’Europe, selon une ligne de séparation qui rejoint généralement le vieux "limes" fixant les limites de l’empire romain, sur le Rhin et le Danube. Quelques exemples :

  • Les pays scandinaves sont, depuis quatre siècles et demi, dominés par le protestantisme. Seulement 4 000 catholiques en Finlande, 220 000 au Danemark, une poignée en Norvège. Un cas particulier, celui de la Suède, avec environ 100 000 catholiques, mais qui sont en très grande majorité d’origine étrangère (Polonais, Vietnamiens, Portugais, etc.). Dans leur presque totalité, les évêques viennent des pays voisins, d’Allemagne notamment (à Helsinki, Stockholm, Oslo, Reykjavik). Cela nous rappelle que, jusqu’à très récemment, les cinq pays nordiques dépendaient encore de la Congrégation romaine pour l’évangélisation des Peuples (on l’appelait jadis la "Propagande") : ils ne forment toujours qu’une seule conférence épiscopale.
  • Semblablement, dans trois pays du sud, le catholicisme reste extrêmement minoritaire : la Turquie, Chypre et la Grèce. Si le cas de la Turquie est particulier, dans les deux autres, c’est l’orthodoxie qui domine fortement. En Grèce même, les quelques 100 000 catholiques ne représentent qu’environ 1 % de l’ensemble de la population et, si l’on fait exception de l’agglomération d’Athènes (20 à 25 000 catholiques, dont une importante "paroisse" polonaise), ils se trouvent éparpillés dans les Cyclades (vieux héritiers du temps des croisades), à Corfou et Rhodes.
  • Entre ces deux situations extrêmes, des pays où le pourcentage de catholiques est fort variable. Très majoritaires en Espagne, Portugal, Italie, Autriche, Irlande et France, ils constituent environ 50 % de la population en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas ... mais ne sont plus que 10 % en Angleterre.
  • Dans les anciens pays de l’Est enfin, de grandes différences s’observent également entre des pays comme la Pologne et la Lituanie, fortement marquées par le catholicisme, la Hongrie qui compte une importante proportion de réformés, l’ancienne Allemagne de l’Est (1% de catholiques, et près de 60 % d’une population non-baptisée), l’Ukraine avec 5 à 6 millions de catholiques de rite oriental (essentiellement à l’ouest du pays), la Roumanie (près de 2 millions de gréco-catholiques dans un peuple majoritairement orthodoxe), la Bulgarie, la Croatie et la Slovénie (majoritairement catholiques comme anciennes possessions des Habsbourg etc... Bref, une mosaïque qui ne permet pas de renfermer ces pays sous une seule étiquette.

Diversité de statuts

Il y a quelques années, une étude parue dans la revue "Communio" sous la plume de J. d’Honorio, comparait le statut juridique des différentes Eglises dans les pays occidentaux (c’était avant 1989, à une époque où, dans les pays dits "de l’Est", l’Eglise n’avait évidemment aucun statut reconnu). L’auteur distinguait, en ce qui concerne le catholicisme :

  • Quatre pays le reconnaissant comme religion "officielle" : Malte, Saint Marin, Monaco et le Liechtenstein, de très petits pays en vérité ;
  • Quelques autres, dotés d’un Concordat, le plus accompli fonctionnant en Allemagne fédérale. On trouve dans cette catégorie l’Espagne et l’Italie, en notant que, dans ces deux pays, l’Eglise a pris quelque distance avec le pouvoir ;
  • Des pays où les relations Eglise-Etat ne sont régies par aucun texte officiel, genre concordat, mais dans lesquels il existe des relations habituelles entre les deux pouvoirs : Belgique Pays-Bas, Irlande... ;
  • Enfin deux pays difficilement comparables du point de vue religieux, où l’Eglise et l’Etat vivent sous le régime de la "séparation"... avec toutes les nuances qu’il faudrait mettre pour caractériser l’un et l’autre : la France et la Turquie. En ce qui concerne la France, les historiens parlent volontiers d’une "séparation aménagée", suite aux différentes dispositions (prises depuis soixante-dix ans, à commencer par le rétablissement des relations diplomatiques avec le Saint Siège, les diverses aumôneries dans les lycées, l’armée, les prisons, les subventions accordées à l’enseignement privé, etc.).

Diversité de nos pastorales

Elles apparaissent dans de nombreux domaines de la vie ecclésiale courante :

  • La France a mis beaucoup plus de temps que ses voisins d’outre-Rhin pour mettre en place les Conseils pastoraux et se lancer dans l’expérience des synodes, suite au Concile Vatican II ;
  • Les pays de culture germanique ont pu, grâce aux ressources dont disposait l’Eglise, confier de nombreuses tâches pastorales à des laïcs : assistants pastoraux, par exemple ;
  • L’Allemagne a de très nombreuses institutions hospitalières et sociales catholiques : jardins d’enfants, hôpitaux, cliniques, etc. L’Eglise en Allemagne est un gros employeur de main-d’œuvre, ses institutions caritatives (Caritas, Missio, Adveniat) constituent une force impressionnante ;
  • Dans la plupart des pays européens, l’enseignement religieux est donné dans le cadre scolaire. La France fait ici une notable exception ;
  • Si dans un certain nombre de pays - y compris les anciens pays communistes - l’Eglise dispose de plages importantes pour des émissions religieuses, chaque semaine, parfois chaque jour, à la radio et à la télévision, sur les chaînes publiques, nationales ou locales, il n’en est pas ainsi partout et les modalités sont très variées ;
  • L’apostolat des laïcs est organisé très différemment dans nos divers pays : les mouvements d’action catholique, qui ont beaucoup marqué la pastorale française, n’ont guère d’équivalents que dans les pays latins... et encore, avec des nuances non négligeables ;
  • L’Allemagne n’a qu’une université catholique privée, alors que la France en dispose de cinq, non comprise l’Université de Strasbourg (toujours sous le régime du concordat). Ceci retentit sur la situation des séminaires : dans la plupart des pays - sauf en France - les séminaristes suivent leurs études de théologie dans une faculté d’Etat, et se retrouvent en "convict" (une solution, qui n’est réalisée en France que dans les villes possédant un Institut catholique).
  • Il n’est pas jusqu’à la manière de prier, et même de célébrer, en certains cas, qui marque une différence. Ceci s’explique par des cultures différentes, facilement observables. On s’en aperçoit dans les grands centres spirituels ou lors des pèlerinages. Les producteurs de radios et de télévision en ont fait eux-mêmes l’expérience lorsque s’est posée la question de réaliser, éventuellement, des émissions communes. Ils ont rencontré des grandes difficultés.

Ces quelques exemples font apparaître que l’on se saurait trop rapidement homogénéiser les situations de nos Eglises particulières. On l’a bien vu lors du dernier symposium élargi des évêques européens à Prague en septembre 1993. Le document préparatoire, réalisé par un groupe d’experts, après avoir étudié "la situation religieuse de l’Europe" à partir de la dernière enquête sur les valeurs en Europe établit une typologie religieuse révélatrice de nos différences. Pour lui, je cite, les pays d’Europe se laissent classer en trois groupes principaux :

  • Il existe un très petit nombre de pays qui se distinguent par une culture majoritairement ecclésiale et religieuse. Parmi eux la Pologne, la Slovaquie, l’Irlande, l’Irlande du Nord, l’Italie, le Portugal, l’Espagne.
  • Il existe ensuite un ensemble de pays dans lesquels le groupe le plus important reste de tradition religieuse (éclairée) suivi par un groupe d’areligieux : Autriche, Pays-Bas, Allemagne de l’Ouest, Grande-Bretagne.
  • Enfin, il existe un troisième ensemble où dominent les a-religieux : Belgique, France, Hongrie, Lituanie, Bohême et Moravie, Slovénie, Danemark, ex-Allemagne de l’Est et Lettonie.
    Reportées sur une carte, ces différences donnent une toute autre idée des Eglises que celle qui s’était imposée au cours des décennies antérieures. Elles nous invitent à la prudence pour parler de l’Eglise catholique en Europe, si nous voulons éviter les stéréotypes.

Des préoccupations communes

Les diversités relevées ci-dessus ne doivent pas cacher tout ce qui unit les Eglises particulières entre elles et autour du ministère de Pierre, à commencer par le même souci d’annoncer l’Evangile aux peuples européens. La diversité ne s’oppose pas à la communion.
C’est précisément en raison même de cette communion voulue et pratiquée au quotidien, que nous pouvons à présent observer une série de préoccupations concrètes communes. Chaque Eglise a évidemment les siennes propres, et il ne saurait être question d’en dresser ici une sorte de catalogue ! Nous voudrions beaucoup plus nous attacher à souligner plus globalement les points sur lesquels se sont instaurés des échanges d’expériences, de confrontations et des réflexions entre les Eglises catholiques d’Europe : ils sont révélateurs des soucis et défis communs.

Les soucis internes

A titre d’exemples, nous croyons pouvoir retenir les quelques points suivants :

  • La réorganisation des Eglises dans les anciens pays de l’Est, au cours des années qui viennent de s’écouler depuis 1989.
    On sait combien leur vie a été difficile sous les régimes communistes : institutions chrétiennes supprimées ou sévèrement contrôlées par l’Etat (ordres religieux, séminaires, institutions caritatives et sociales, mouvements apostoliques, etc.), diocèses privés d’évêques, prêtres interdits d’exercice du sacerdoce, chrétiens persécutés, Eglises gréco-catholiques versées d’office par le pouvoir politique dans l’Eglise orthodoxe (Ukraine, Roumanie), mouvements de prêtres pour la paix, etc.
    Bien que chaque Eglise ait une situation particulière (nous avons trop tendance à l’Ouest à les mettre "dans le même sac"), un des soucis dominants depuis quatre ans, est la reconstitution du tissu ecclésial. Cela s’est traduit par la nomination de nouveaux évêques en de nombreux pays, le rétablissement des Eglises catholiques de rite oriental, des ordres religieux, d’institutions telles que la Caritas, des séminaires et autres lieux de formation, etc... De nombreux témoignages ont été donnés à ce sujet lors du synode spécial sur l’Europe de décembre 1991.

  • La catéchèse.
    Depuis longtemps déjà, évêques responsables de ce secteur et directeurs nationaux se sont rencontrés au niveau européen pour mettre en commun leurs expériences et leurs questions, sous la responsabilité de Mgr Stroba, vice président du CCEE. Du 13 au 16 avril 1991, dans la même ligne, mais avec une bonne représentation des pays de l’Est qui pouvaient enfin réellement participer, s’est tenu également à Rome un symposium spécial sur "l’enseignement religieux dans les écoles publiques en Europe". On a pu constater alors l’originalité du système français. Mais ce n’est pas, pour autant, sans questions de part et d’autre. On comprend que les évêques en soient légitimement préoccupés.

  • L’annonce de l’Evangile ne saurait se faire sans référence constante à la Parole de Dieu. C’est dans cet esprit qu’une sessions européenne à l’intention des évêques s’est tenue récemment, à Munich-Freising, sur "la sainte écriture dans la vie des Eglises d’Europe aujourd’hui et demain".
    La lettre adressée, à la fin, à tous ceux qui portent une responsabilité dans l’animation de la pastorale souligne combien la parole de Dieu est "force de salut" face à toutes les divisions, "force unificatrice" au-delà des frontières religieuses, sociales et autres, "force de clarification" enfin "à l’époque de mutation culturelle, et de grande insécurité dans laquelle se trouvent tant d’hommes qui cherchent Dieu, mais qui se réfugient aussi dans les sectes et groupe semblables". En souhaitant "que l’ensemble de l’Eglise prenne conscience de la nécessité d’un ancrage biblique plus vigoureux", la même lettre espère que "dans un temps prévisible puisse se tenir un synode épiscopal" sur ce sujet.

  • Un autre sujet de préoccupation interne (mais aussi externe) est constitué par les médias.
    Les différentes rencontres européennes qui ont eu lieu depuis 1983 (en Suisse, puis en Irlande, au Portugal et dernièrement en Hongrie) manifestent le souci commun des Eglises d’Europe de parvenir à une meilleure communication interne (entre elles et avec le Vatican), mais également celui de se doter des moyens indispensables pour mieux faire connaître le message chrétien. La dernière session, tenue à Budapest du 6 au 10 avril 1994, a fait apparaître le désir de beaucoup d’établir un meilleur réseau entre agences de presse catholiques, de réfléchir aux possibilités offertes dans de nombreux pays par les radios chrétiennes, voire à un canal européen de télévision catholique (seule, en Europe, l’Eglise du Portugal a su créer une station, TVI), d’assurer une formation aux journalistes catholiques, etc. Mgr Hollis, évêque de Portsmuth (Angleterre) et responsable du Comité épiscopal européen pour les médias, soulignait, en conclusion de la rencontre, combien il était important qu’une telle formation aux communications soit également assurée dans les curriccula des séminaires et autres instituts. Le rendez-vous est déjà pris pour faire le point sur ce sujet en mars 1995.

  • Il faut noter enfin le souci de collaboration entre les Eglises catholiques d’Europe.
    La prise de conscience réalisée au moment du Concile s’est traduite dans de multiples rencontres et dans la mise en place de plusieurs institutions regroupant des évêques, des prêtres, des laïcs, des religieux et des religieuses de l’ensemble du continent, avant même la libération intervenue à l’Est, quelles que soient les difficultés de se réunir. Ainsi a été prise l’habitude d’une collaboration qui ne s’est pas démentie au cours des quinze dernières années en particulier. A signaler, notamment à cet égard, le symposium tenu à Rome en 1982 sur "la responsabilité collégiale des évêques et des conférences épiscopales dans l’évangélisation du continent", mais également les rencontres organisées par le Forum européen des laïcs et la conférence européenne des religieux. Conjuguée avec l’invitation, souvent répétée par Jean Paul II, de travailler à la "réévangélisation" (ou une "nouvelle évangélisation", ou encore une "nouvelle qualité d’évangélisation", les trois termes ont été employés) de l’Europe, ces efforts ont puissamment contribué à rendre plus vive chez les catholiques la nécessité de la collaboration ecclésiale.

L’évangélisation en Europe

Comme l’écrivait le cardinal Martini, un "fil conducteur" sous-tend l’action des conférences épiscopales d’Europe depuis une vingtaine d’années : leur "insistance sur l’annonce de l’Evangile à tous les Européens". Et le Père Hervé-Marie Legrand de poursuivre : "Cela s’est traduit, entre autres, dans l’orientation, cohérente et de plus en plus nette, que les évêques ont donné aux symposiums du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, qui est le plus large cadre de leur concertation sur notre continent". On ne saurait trop insister sur ce point : l’évangélisation a certainement été et reste leur première préoccupation. Qu’on en juge :

  • En 1979, le symposium européen, avait retenu comme thème "Les jeunes et la foi".
    "Y a-t-il simplement une crise passagère mais plus ample qu’autrefois comme chaque génération en connaît, se demandait Mgr Etchegaray, Président du CCEE, en ouvrant les débats, ou bien s’agit-il d’une rupture, d’une cassure plus profonde et plus durable que l’Eglise porte en ses flancs comme une plaie ouverte ?"

  • Trois ans plus tard, à la même instance, les évêques soulignaient "les points les plus déterminants et les plus urgents" qui devaient retenir leur attention en vertu de "leur responsabilité collégiale" (thème du symposium) :
    "la guerre et la paix, le commerce des armes, la natalité et l’avortement, l’éthique de la procréation, l’euthanasie, les problèmes humains, résultat de la récession économique, de la violence urbaine et des droits de l’homme".
    Evêques et conférences épiscopales étaient invités à manifester davantage leur solidarité, à favoriser leurs relations, à trouver une juste articulation entre l’unité et la diversité des Eglises locales, à tenir compte de la nécessaire dimension œcuménique de toute évangélisation. Tout un programme était ainsi tracé.

  • Apparaissait cependant de plus en plus dans la société européenne, une donnée fondamentale qui ne pouvait être éludée : la sécularisation.
    Elle fit l’objet d’une étude assez poussée au cours de l’année 1985 dans des rencontres régionales (par aires linguistiques en Europe), avant d’être le thème du symposium de Rome (7-11 octobre 1985). Chacun reconnut que "le terme "sécularisation" était inadéquat, équivoque et trop imprécis" (Cardinal Danneels) pour caractériser la situation religieuse de l’Europe. Peut-être valait-il mieux parler de "modernité". En tout cas, les débats firent ressortir "deux thèmes importants : les différences entre l’Est et l’Ouest en Europe et la nécessité d’équilibrer unité et diversité dans l’Eglise" (allocution de clôture du cardinal Hume, alors président du CCEE).

  • C’est pour prendre deux points précis d’application que le symposium suivant (12-17 octobre 1989) considéra "la naissance et la mort" comme moments particuliers pour "l’évangélisation dans ses trois dimensions " diaconie, liturgie et annonce de la Parole" (conclusions du cardinal Martini).

  • Cette recherche allait aboutir, en septembre 1993 à Prague, lors du symposium "élargi" qui réunissait, pour la première fois, non seulement une centaine d’évêques de l’ensemble du continent, mais encore 200 prêtres, religieux et laïcs sur le thème "Vivre l’Evangile dans la liberté et la solidarité".
    Après l’euphorie, évidemment bien compréhensible de la libération à l’Est, de nouveaux défis se présentent en effet aux Eglises du continent tout entier, qu’on voulut résumer en deux interrogations : Comment vivre l’Evangile dans la liberté (acquise depuis longtemps déjà, retrouvée récemment à l’Est) ? Comment être solidaires entre peuples européens et avec les pays du sud ?
    Le symposium de Prague s’attaqua franchement à ce double problème, et proposa quelques orientations concrètes résumées, à son terme, par le nouveau président du CCEE, Mgr Vlk, archevêque de Prague : "La formation des personnes à la liberté et à la solidarité, le souci d’offrir de nouvelles formes et de nouveaux lieux de solidarité dans l’Eglise et la société, une contribution à l’affermissement des valeurs et à la recherche du sens", et appliquées à quelques points particuliers : "les régions pauvres du monde, la sauvegarde de la création, les identités culturelles, les migrations, le chômage, la protection de la vie, la construction de l’Europe". Autant de pistes de travail offertes à chacune des communautés chrétiennes et des Eglises... et la liste n’est pas exhaustive !

Trois défis majeurs

Chacune de ces préoccupations apostoliques ne saurait faire oublier trois autres défis particulièrement actuels : l’œcuménisme, la présence de l’Islam, les nationalismes.

L’œcuménisme ne constitue pas à vrai dire un défi nouveau, mais il a connu des moments difficiles dans les toutes dernières années, notamment avec la renaissance des Eglises gréco-catholiques à l’Est et à l’ordination des femmes en Angleterre. On sait combien ces questions ont été discutées. Les difficultés causées avec le patriarcat de Moscou ont atteint leur point culminant fin 1991 lorsque cinq Eglises orthodoxes ont décliné l’invitation à participer au synode spécial sur l’Europe, que Jean Paul II leur avait adressée. Elles avaient déjà été exprimées quelques semaines auparavant lors de la rencontre œcuménique européenne de Saint Jacques de Compostelle. L’échange très franc qui avait eu lieu s’était terminé par quelques affirmations claires sur "les responsabilités communes vis-à-vis de l’Evangile" dans quatre domaines au moins : "cesser tout contre-témoignage collectif, parler ensemble de tout ce qui fait problème et se tendre la main, mettre notre action sous le signe de la justice, de la paix et de la réconciliation, poursuivre la formation œcuménique des pasteurs et des fidèles".

Les Eglises étaient invitées à créer, si cela n’est déjà le cas, un Conseil des Eglises chrétiennes, à repenser ensemble le lien entre évangélisation et dialogue inter-religieux, pour assurer une véritable "paix œcuménique". Plusieurs observateurs ont souligné, à ce propos, que le fait d’avoir pu se dire mutuellement et clairement les difficultés rencontrées pouvait être facteur de purification et de progrès. Mieux vaut s’expliquer que de se regarder avec suspicion. Aussi faut-il continuer à espérer que progresse le dialogue œcuménique sur l’ensemble du continent européen.

Déjà des dates de rencontres ont été prises : en mai 1995, l’assemblée plénière du Conseil des conférences épiscopales d’Europe et le comité consultatif de la Conférence des Eglises européennes se réuniront ensemble à Assise. Elles convoqueront par ailleurs ensemble un deuxième rassemblement œcuménique européen en 1997, pour faire suite à celui de Bâle en 1989, qui avait été une grande source d’espérance.

La présence de l’Islam en Europe est aussi, pour beaucoup, un grave sujet de préoccupation. S’il est implanté depuis longtemps dans certaines régions - on pense bien sûr à l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie - l’Islam est beaucoup plus récent dans les pays occidentaux. Il présente également des visages forts différents. L’apparition de courants fondamentalistes est loin de rassurer. Aussi les diverses Eglises ont-elles multiplié les réflexions pastorales à ce propos.

Plusieurs conférences épiscopales ont créé une instance pour aider prêtres et laïcs à mieux se situer par rapport aux musulmans, voire à nouer ici ou là le dialogue avec eux. Un comité "mixte" (catholiques, protestants, orthodoxes et anglicans) a été constitué pour identifier les principaux thèmes à travailler, notamment en ce qui concerne la formation des agents pastoraux dans les domaines de la révélation, du prophétisme, de la morale, de la missiologie, etc... Il est apparu un peu partout, en effet, que beaucoup de chrétiens avaient une formation insuffisante au point de vue théologique, historique et pratique ; le dialogue islamo-chrétien ne peut véritablement s’établir qu’entre partenaires connaissant bien leurs positions respectives. La peur est ici, comme ailleurs, mauvaise conseillère. Il reste certainement beaucoup à faire en ce domaine.

Reste enfin les questions liées à la construction de l’Europe et à la résurgence des nationalismes.

La première a fait l’objet d’une importante déclaration sur "Les responsabilités de chrétiens vis-à-vis de l’Europe d’aujourd’hui et de demain", signée à Subiaco le 28 septembre 1980 par tous les présidents des Conférences épiscopales d’ Europe, trop passée inaperçue.

La seconde fut évoquée l’année suivante lors d’une rencontre œcuménique à Logmkloster (Danemark). On pressentait déjà qu’il devenait urgent de réfléchir au problème des minorités, y compris des minorités religieuses. La question est devenue de plus en plus prenante en de nombreux pays, en tout premier lieu en Slovaquie, en Roumanie et surtout dans l’ex-Yougoslavie. Si l’on peut s’accorder pour dire qu’il ne s’agit pas ici de guerre religieuse à proprement parler, il n’empêche que le facteur religieux se trouve mêlé à d’autres différences culturelles.

C’est une des raisons qui ont conduit les évêques catholiques à y réfléchir ensemble du 18 au 22 octobre 1993 à Brixen-Bressanone (Italie du Nord) à partir du thème : "L’Eglise, communauté réconciliée des peuples et des ethnies". Dix Conférences épiscopales y étaient représentées, qui ont insisté sur la nécessité de construire la paix, défendre les minorités et parvenir à une "connivence pacifique". Cette question de la paix a elle-même souvent été au centre des préoccupations des Eglises, qui ont toutes créé des "Commissions Justice et Paix". Les présidents des Conférences épiscopales avaient eux-mêmes profité de leur première réunion en tant que tels à Dieburg/Francfort, en mars 1987, pour adresser un "Message aux fidèles catholiques, à tous les chrétiens et aux hommes de bonne volonté de toute l’Europe, au sujet de la construction de la paix par la confiance et la vérité". La conjugaison de l’identité européenne, du respect des peuples et de leurs cultures, reste aujourd’hui, plus qu’hier encore, un des soucis primordiaux des Eglises, dans la difficile construction de l’Europe.

Au terme de ce rapide panorama, comment ne pas s’apercevoir une fois de plus que diversité ne s’oppose pas à unité ? Le fait même des différences peut contribuer à mieux poser les problèmes, à partir des grandes préoccupations communes. On aura vu qu’elles sont nombreuses. Jamais peut-être autant qu’aujourd’hui ne se justifie la nécessité des échanges d’expériences et des confrontations. Les responsables d’Eglise en sont conscients, mais aussi les laïcs, les prêtres, les religieux et les religieuses qui veulent prendre leur part à l’évangélisation de notre continent. L’ensemble de ce numéro de "Jeunes et Vocations" peut sans doute les y aider.

Paul Huot-Pleuroux
Responsable du Centre Diocésain d’Information de Besançon

Note

1) Un certain nombre de textes cités dans cet article ont été publiés dans la "Documentation catholique", où il sera facile de les retrouver. Il sera utile de se reporter à l’ouvrage publié par le Conseil des Conférences épiscopales d’Europe sous le titre "Les évêques d’Europe et la nouvelle évangélisation" (documents rassemblées et présentés par le Père Hervé-Marie Legrand, op. Préface du cardinal Carlo-Maria Martini - Edit. du Cerf , 1991) [ Retour au Texte ]