Le Seigneur nous fait passer des seuils


Stéphane Boyer, jeune prêtre du diocèse d’Autun, en ministère dans une paroisse rurale, relit ici son parcours et la genèse de sa vocation. Un parcours fait d’étapes au cours desquelles a grandi son attachement à l’Eglise diocésaine et universelle.

En me demandant d’écrire cet article, le S.N.V. me permet de regarder ce qui s’est passé dans ma vie et dans ma réponse au Seigneur, de me remettre devant ma vocation de prêtre. Voilà maintenant un peu plus d’un an que j’ai été ordonné (Juin 1992) pour le diocèse d’Autun. J’ai 29 ans et je suis en paroisse dans un secteur rural, à Chauffailles. Si aujourd’hui, j’ai la chance d’exercer ce ministère de prêtre, j’ai vécu, avant, bien des étapes.

Qu’est-ce qui vous a aidé dans l’épanouissement de votre vocation ?

Ce qui a permis à ma vocation de s’épanouir c’est la vie ecclésiale. Assez jeune, grâce à mes parents, j’ai pu participer aux activités de ma paroisse. Nous habitions alors à Angers. Par la chorale, j’ai pu, chaque dimanche, participer à l’Eucharistie de manière active. Nous étions nombreux et nous partagions de vrais moments d’amitié. J’avais entre 8 et 14 ans. En même temps, j’ai pris part au club A.C.E. et on se retrouvait avec quelques copains du quartier. Lorsque je suis arrivé en Saône & Loire, j’ai participé d’une autre manière à la vie de ma paroisse et de ma ville : Cluny. L’accueil des prêtres a été important pour moi. J’avais 15 ans et me posais beaucoup de questions, notamment sur la mort et la résurrection. C’est aux Scouts de France que je me suis fait de nouveaux amis. J’ai eu alors une vie débordante d’activités : l’animation du foyer rural, ainsi que d’un groupe du M.E.J., les Scouts, l’approfondissement et la découverte de la prière de louange avec le groupe du Renouveau de ma paroisse. Tout cela a été porteur. Mais je ne pensais pas du tout être prêtre à ce moment-là de ma vie.

Si je devais résumer ce qui m’a aidé à accueillir la question de la vocation sacerdotale, je dirais que c’est cette participation à la vie de l’Eglise, ces échanges nombreux avec les chrétiens, l’approfondissement de ma foi par la réflexion et la confrontation, et enfin la prière.

Quelles en ont été les étapes importantes ?

A cause de tout cela sans doute, le prêtre de ma paroisse m’a proposé un pélerinage à Lourdes pour le Congrès Eucharistique International, en 1981. Là, j’ai entendu pour la première fois quelqu’un me demander si je voulais "travailler" pour l’Eglise, si je voulais être prêtre. A travers lui, j’ai vraiment senti Dieu m’appeler et ma réponse fut profonde. Elle reste encore comme un point de repère, notamment pour les jours plus difficiles, dans les temps de remise en cause. Quand je suis revenu, j’étais décidé et je n’ai pas hésité à le dire. Beaucoup me disaient "Tu es fou" ou "Tu n’y arriveras pas, tu n’auras pas le niveau". A partir de là, j’ai pris conscience que le Seigneur nous fait passer des seuils.

Le premier seuil fut le contact avec le Service des Vocations de mon diocèse. Participation à deux week-ends où j’ai pu parler avec d’autres qui avaient le même désir. Pendant une année j’ai vécu avec des jeunes et le responsable du SDV. Là j’ai commencé à découvrir un peu plus la Bible, à participer chaque jour à l’Eucharistie et à partager. Je travaillais en usine comme manœuvre ce qui me permit de subvenir à mes besoins et de mûrir un peu... Si je devais qualifier ce seuil, ce serait celui où le désir ne s’est pas éteint et celui où l’attrait pour le sacerdoce a progressé.

Le seuil suivant fut l’entrée en formation, d’abord au séminaire d’aînés de Vienne, puis à celui de Dijon. A Vienne j’ai eu du goût pour les études mais ce fut aussi le temps de la confrontation à d’autres visions de l’Eglise. Au cours de ces années, c’est le travail intellectuel qui primait et cela m’était difficile. Ce n’était pas l’élément où j’étais le plus à l’aise.

Les deux années qui ont suivi m’ont permis de retrouver l’Eglise à travers l’aumônerie de l’Enseignement public, puisque j’avais choisi d’être objecteur de conscience, et en même temps de découvrir un peu plus mon diocèse. Ce fut une découverte de l’intérieur de l’Eglise avec ses qualités et ses défauts. Ce fut le temps du service des jeunes avec d’autres animateurs. Le temps où je découvris la largeur de l’Eglise. Ensemble nous priions, nous animions, nous partagions pour faire connaître le message et la vie du Christ aux jeunes. Ce fut pour moi un temps de réconciliation avec l’Eglise en découvrant tout ce qu’elle m’ avait donné. Une des étapes les plus importantes, aimer l’Eglise comme elle est, l’aimer pour la changer mais aussi l’aimer pour se changer, se convertir soi-même.

L’étape suivante fut la plus importante. Les précédentes ont eu leur place mais avec celle-là quelque chose s’est noué en moi et m’a rendu profondément heureux : ce sont les quatre années de formation au séminaire du Prado. Un équilibre de vie va se créer à se moment-là. Je pourrais le résumer autour de quatre composantes :

  • la vie d’équipe (5 ou 6 séminaristes avec un formateur) où nous devons assumer l’ensemble des tâches ménagères nécessaires à la vie d’un groupe. De vraies responsabilités, y compris financières, où nous essayons de vivre de manière évangélique.
  • le travail intellectuel, avec des cours au séminaire et à la faculté de théologie à Lyon. Là je découvre que le travail intellectuel peut servir ma foi, ma compréhension de l’Eglise, mais surtout qu’il est indispensable pour rendre compte de ma foi et pour communiquer, progresser dans les échanges avec les chrétiens et les non-chrétiens.
  • les insertions, temps de rencontre avec les gens. Elles m’ont beaucoup apporté. Etre attentif à la vie des personnes pour voir déjà comment le Christ les rejoint et partager avec elles ma découverte de l’Evangile en chacun aujourd’hui. Cela m’a permis de découvrir que le prêtre n’est pas celui qui sait mais celui qui contemple, qui enrichit, qui fortifie.
  • la vie spirituelle avec au séminaire du Prado l’exemple du Père Antoine Chevrier. Un prêtre qui a su rejoindre les hommes de son époque, notamment les plus pauvres. Un prêtre qui a pris le temps, malgré un ministère chargé, de méditer l’Evangile, de s’enraciner chaque jour dans la vie de Jésus et dans son Esprit. Par les sacrements, par son ministère auprès des pauvres, par l’étude attentive de l’Evangile, il s’engageait lui-même à suivre le Christ et donnait ainsi à ceux qu’il rencontrait ce désir de suivre à leur tour Jésus-Christ.

C’est au cours de ces quatre années de formation que de vrais changements se sont faits dans ma vie. J’ai pris conscience que, si avoir des connaissances c’est important pour exercer son ministère, être au Christ pour lui ressembler, être son disciple et faire, grâce à son Esprit, l’œuvre de Dieu l’est plus encore. Par l’exemple du Père Chevrier et par la formation, une unité se construisait en moi. Cette unité, autour de la vie de Jésus, est vraiment indispensable pour vivre mon ministère aujourd’hui. Elle n’est jamais totalement acquise mais encore à construire dans ma vie.

Les deux étapes suivantes furent celles des ordinations diaconales et sacerdotales. Au cours de ces deux célébrations, j’ai vraiment ressenti très fort la prière des gens. J’étais porté par eux et j’ai vraiment été bien accueilli par l’évêque, les prêtres, les diacres et les laïcs de mon diocèse.

Qu’est-ce qui vous a manqué ?

Il est bien difficile de répondre à cette question après une année de ministère.
La plus grosse difficulté que je rencontre est de communiquer avec des prêtres plus âgés. Beaucoup d’éléments entrent en jeu, de manière consciente ou parfois inconsciente (pouvoir, désir, limites personnelles). Cependant, je trouve qu’ils expliquent peu les choix qu’ils font, ils rendent peu compte de leur travail et de ce qu’ils découvrent de la vie des hommes et de l’Evangile à travers tout cela.

Le manque le plus important est peut-être de pouvoir connaître l’histoire très récente de notre Eglise. Je suis né à la fin du concile Vatican II. Les prêtres que je rencontre ont vécu ce grand changement. Ils ont une histoire, avec joies et blessures et une formation très différente. C’est donc d’apprendre à construire des projets pastoraux avec des prêtres de mentalités différentes. Travailler ensemble pour construire l’Eglise, même si nous n’avons pas les mêmes sensibilités, les mêmes pédagogies, les mêmes dons. Après l’unité intérieure, il s’agit pour moi de travailler à l’unité du corps tout entier.

Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui vous ont accompagné ?

J’aimerais leur dire Merci. Merci de m’avoir accueilli tel que j’étais, de m’avoir fait confiance. Merci de m’avoir partagé ce qui leur tenait à coeur, leurs préoccupations, leurs joies, leurs questions. C’est très important pour être prêtre de saisir ce que vivent les gens . L’Evangile ne s’annonce pas de la même façon à des jeunes, à des personnes qui ont fait des choix ou qui ont été blessées par des événements. Il s’agit bien d’annoncer Jésus comme vivant aujourd’hui dans notre monde. Il s’agit bien de saisir sa présence. Mais chacun a sa manière d’entrer dans l’Evangile. Chacun a une clé qui ouvre à la compréhension et à l’intériorisation de ce message. Il est très important pour moi de pouvoir être attentif à la vie de chaque personne car c’est avec ce que Dieu fait dans la vie de chacun que l’on bâtit une communauté. L’Eglise ne sera jamais uniforme, chacun a son histoire et c’est à travers celle-ci que Jésus se manifeste.

Merci aux formateurs du séminaire. Merci parce que je les ai vu travailler pour moi, m’aider à saisir les passages que j’avais à faire dans ma vie. Merci parce que je les ai vu travailler pour être eux-mêmes renouvelés dans leur foi en Jésus-Christ. Cela a été pour moi capital de voir des prêtres se laisser façonner par la Parole de Dieu, faire de nouvelles découvertes et nous les partager, pour nous donner envie de travailler comme eux.

Il est difficile de dire autre chose que ces "merci" multiples. Pour beaucoup de prêtres ou de laïcs, cette expérience d’accompagnement est nourrissante et je suis sûr qu’ils sont prêts à contribuer à la formation d’autres séminaristes.

Ensemble, même si je n’habite plus leurs villages et le séminaire, je sais que nous travaillons tous à communiquer la vie du Christ, en cherchant à la suivre dans le travail qui nous est confié. Nous continuons ensemble à construire l’Eglise pour qu’elle soit dans notre monde un signe vivant de la présence du Christ.

Stéphane Boyer