Pédagogie du choix et établissement catholique d’enseignement


Daniel Boichot, prêtre, secrétaire général adjoint de l’Enseignement catholique en France développe ici ce que veut être l’école catholique pour les jeunes qui y étudient : un lieu où l’on apprend aussi à poser des choix adultes.

L’école est pour beaucoup le lieu du choix par excellence. C’est à l’école que l’on choisit son métier, et c’est dans l’école qu’on acquiert toutes les ressources nécessaires à l’exercice de ce métier.
Voilà une réflexion bien dépassée ! L’école est devenue totalement autre chose qu’un strict lieu de transmission de savoir, en particulier l’école réfléchit à sa propre capacité à éveiller les élèves à la liberté, à leur liberté.

Etat des lieux

Des conditions matérielles
Pour l’élève comme pour l’enseignant, l’école est souvent le lieu où l’on subit : on supporte les horaires rigoureux, le défilé des disciplines, celles qu’on aime et celles qui révulsent, et les élèves n’ont pas de parole à dire sur les enseignants qui interviennent pour eux -parfois contre eux, de leur avis-, dans le carcan institutionnel. Ainsi présenté, il y a peu de place pour l’initiative et pour l’originalité.

Un état d’esprit
Ce qui sauve l’école, c’est son désir de servir le jeune qui lui est confié, y compris avec les traditions d’éducation en établissement catholique d’enseignement. Le caractère propre impose à chaque éducateur de rechercher pour l’élève, et avec lui, les voies les plus adaptées pour son épanouissement personnel.

Des convictions
Actuellement il y a un consensus sur les finalités de l’éducation délivrée en établissement scolaire :

  • l’acquisition des savoirs et des savoir-faire : c’est la mission la plus traditionnelle de l’école, une relation dans laquelle les enseignants transmettent aux élèves une somme de connaissances dont certaines sont des connaissances pratiques ;
  • une insertion sociale  : à travers une acquisition commune de savoirs et de savoir-faire qui deviennent communs, les jeunes voient alors leur entrée dans la société facilitée ; peut-être, néanmoins, au mépris de leur propre originalité ;
  • l’autonomie  : le but de l’acquisition de savoirs et de l’insertion sociale n’est pas de robotiser les élèves, mais de les introduire dans une véritable autonomie de leur personne, au coeur de la société.

Ces trois convictions démontrent combien la liberté est nécessaire pour qu’une éducation, dans le cadre d’un établissement catholique d’enseignement, soit réussie, et en particulier une liberté qui porte sur la décision personnelle de l’élève. Nous voudrions proposer à chaque élève et à chaque enseignant de mettre sa liberté en relation avec la possibilité de choisir le Christ dans sa vie, ce qui correspond à notre idée d’éducation. Dans le domaine de l’éducation à la liberté, l’objectif est paradoxal puisqu’il s’agit de favoriser :

- d’une part le développement de l’autonomie par la prise de conscience d’un pouvoir personnel (on aurait dit, jadis, "le sens des responsabilités") ;

- d’autre part, la reconnaissance, et l’acceptation des limites à cette liberté, qu’elles soient d’ordre idéologique ou pratique.

L’esprit de réflexion

Pour entrer dans cet esprit de décision personnelle libre, nous rencontrons trois valeurs dont les effets se conjuguent.

Démocratisation  : L’enseignement a beaucoup évolué. L’accès à l’école, aux études supérieures trouvent un terrain très élargi. C’est une aspiration sociale partagée par tous que d’avoir accès aux connaissances, au savoir-faire. Cet accès étant bien compris comme l’une des conditions indispensables de l’insertion sociale. "Plus tu feras d’études, plus tu auras la possibilité de trouver du travail".

Modernisation : Nous sommes dans une école qui accepte de s’adapter aux types de cultures de base modernes. C’est un incessant effort pour ne pas se laisser scléroser par les savoir-faire traditionnels de l’instruction.

Emancipation  : Il s’agit de développer l’autonomie de l’enseignant, de l’enseigné, de l’école elle-même comme institution. L’émancipation ouvre une capacité à la vie sociale.

De ces trois valeurs émerge la nécessité de travailler les processus de décision. Souvent on réduit la décision de l’élève à ce qu’il sache dire ce qu’il veut faire plus tard. C’est mettre des carcans à son esprit et bloquer sa liberté. L’objectif est ici de le rendre attentif à sa façon de prendre des décisions, attentif à voir ce qui l’influence et qui l’influence, à quoi il tient compte plus qu’autre chose. Il s’agit de travailler les processus de décision de manière à ce que le jeune soit vraiment responsable de la décision qu’il doit prendre.
L’aspect fondamental de la décision, c’est le choix éclairé : l’éducateur se doit de conduire l’élève au seuil du choix, en veillant à ce que toutes les informations soient bien recueillies par le jeune ; il n’y a pas de choix sans connaissance ; s’informer et informer, c’est libérer. "Eduquer n’est pas contraindre" dit le texte des évêques (Commission Episcopale du Monde Scolaire et Universitaire - mai 1989), mais éduquer, c’est éclairer pour le discernement.

Une profession qui bouge

Pour accompagner les élèves dans leur démarche de décision, les enseignants ont dû remettre en cause leur pratique.

  • Ils ont subi le temps des peurs. Peur tout à coup d’avoir trop de liberté par rapport aux programmes si stricts et si rigoureux ; peur d’avoir trop de solitude dans la classe face à un nouveau mode d’accompagnement des élèves qui ne peuvent plus se contenter de l’unique relation prof-élève ; peur de la parole des élèves eux-mêmes qui sont maintenant invités à s’exprimer, y compris sur les pratiques des enseignants ! C’est finalement la peur de changer de métier, de passer d’un lieu de certitudes tranquilles, où l’enseignant enseignait et où l’élève apprenait, à un métier de remise en cause permanente qui se vit dans des relations pour lesquelles on ne peut pas s’appuyer sur des modèles. Chaque relation avec un élève étant forcément différente de la relation avec l’élève d’à côté.

  • Dans leur remise en cause des pratiques, les enseignants entrent dans le temps de la construction du sens. C’est le besoin de passer de l’enseignement à la formation. Qu’importe l’amoncellement de connaissances délivrées si ces connaissances ne sont pas au service d’une éducation globale de l’élève. Cela nécessite une concertation et un travail en équipe qui révolutionne le métier d’enseignant depuis 25 ans.

    Une autre parole est dite sur l’élève, en particulier dans les conseils de classe, où on sait maintenant être attentif, non seulement aux réussites ou échecs strictement scolaires, mais à tout ce qui constitue la vie du jeune. La parole de l’élève y est légitimée, on prend le soin d’écouter, de discuter dans le souci de comprendre l’élève, autant que dans le souci d’aider l’élève à se comprendre. Pour ce temps de la construction du sens, on remarque l’énorme besoin de formation des enseignants et la nécessité d’une évaluation partagée. La liberté des processus de décision des élèves passe donc par une remise en cause et une reconstruction du métier d’enseignant.

La démarche de projet

D’une façon générale, les relations dans un établissement scolaire se transforment, passant du savoir détenu par un enseignant qu’il doit inculquer à l’élève, à une démarche de projet. Un projet commun entre l’enseignant et ses élèves.
Le projet s’inscrit dans une visée à long terme. Il permet à l’élève d’avoir une vue globalisante de son existence. C’est le projet personnel de l’élève (le P.P.E.) mais ce P.P.E. se réalise dans un mouvement progressif, tenant compte de l’évolution de l’élève comme de l’évolution des enseignants et des éducateurs qui sont à son service. C’est l’invitation faite à l’élève de prendre lui-même ses études en main par un projet modeste qu’il apprend à réaliser peu à peu, et qui lui donne confiance. C’est l’invitation faite à l’élève à s’intégrer dans un tissu d’amitié avec ses compagnons de classe, ce qui l’aide à prendre conscience de ses aptitudes sociales.

Citons les trois notions-clé de la pédagogie du projet :

  • la première est d’ordre philosophique : la liberté que nous reconnaissons à l’enfant (nous avons évoqué "la légitimité de sa parole")

  • la seconde est d’ordre psychologique : la capacité de projeter une image de soi dans le temps demande une longue maturation (une visée à long terme). "Ce que j’ai été, ce que je suis, ce que je veux et peux devenir". Passage d’une image de soi syncrétique, égocentrique à une image de plus en plus différenciée de soi, parmi les autres. L’intégration de la notion de temps, elle aussi se fait lentement. Même le présent est peu structuré chez l’enfant et, chez l’adolescent le futur est encore flou, irréel. Quant à la prise de conscience de l’espace social, elle peut sembler plus facile à réaliser (et il est normal que ce soit le domaine où les enseignants se sentent le plus à l’aise) parce qu’elle repose sur l’observation du réel, sur l’acquisition de connaissances.

  • la troisième est d’ordre pédagogique : l’entraînement, par l’expérience, à la prise de décision.

Une pédagogie du projet s’inscrit, obligatoirement, dans le cadre défini par ces trois points. A l’école catholique d’y intégrer les valeurs qui font son caractère propre et qui enrichiront ce schéma. Apprendre à faire des projets n’est-ce pas - selon la formule classique - "donner un sens à sa vie" ?

Le projet personnel de l’élève le rend bien peu à peu maître de son évolution et de son avenir. Il est à la rencontre des éléments fondamentaux de l’éducation d’un projet d’établissement à travers la formation et l’orientation :

- une pédagogie des objectifs,

- une évolution intégrée à l’apprentissage,

- un modèle d’enseignement centré sur l’élève,

- une pédagogie du contact,

- l’aide au travail personnel,

- concertation des enseignants,

- rencontre avec des professionnels,

- informations sur les métiers,

- des stages en entreprises,

- entretien avec les conseillers d’orientation et les psychologues,

- éducation des choix,

- prise en compte des rêves et des capacités des élèves.

Dans l’idéal, tous les membres de l’équipe éducative sont conduits par les parents à travailler, chacun dans son domaine et tous en concertation, pour que le Projet personnel de l’élève rencontre toutes ces dimensions énumérées.
Dans la réalité, c’est souvent l’école -à travers le chef d’établissement ou le professeur titulaire- qui réalise ce travail.

Les pédagogies du choix sont devenues des éléments majeurs des relations au coeur de nos établissements catholiques d’enseignement. Le projet personnel de l’élève doit amener le jeune vers une humanité épanouie, dans une spiritualité marquée par la liberté du Christ.

Il est clair cependant que bien des efforts seront nécessaires pour faire entrer l’ensemble des partenaires de la communauté éducative dans cette dynamique ; mais la conversion n’est pas trop difficile, tant ces pédagogies du choix montrent du dynamisme et sont bien reçues chez les élèves.

Daniel Boichot